lundi 25 janvier 2016

lundi 18 janvier 2016

L’histoire des réformes scolaires en Tunisie, depuis l’indépendance (Chapitre 3) : Evaluation de la réforme de 1958 et les tentatives d’adapter le système à l’évolution continue de la réalité : Les réformes de la période de 1967 à 1969




« …L’organisation actuelle de notre enseignement pose des problèmes que nous devons examiner avec courage et lucidité .Il est normal, qu’au bout d’une expérience de dix ans, une révision de notre système s’avère nécessaire… »
  Habib Bourguiba, Président de la République, le 31 janvier 1967[1].

lundi 11 janvier 2016

Les réformes scolaires depuis l’indépendance : la réforme de 1958 (troisième partie)

Nous terminons avec la note de cette semaine l’histoire de la réforme de 1958 par la présentation des différentes mesures prises pour faire face à l’urgence du moment et du plan décennal du développement éducatif ( pour accéder à la première partie   cliquer ICI et pour accéder à la deuxième    partie cliquer ICI )

IV.            Les mesures urgentes et le plan d’avenir
1.    Les mesures urgentes
Le 16 septembre 1958, le secrétariat à l’éducation nationale, de la jeunesse et du sport a organisé une conférence de presse, c'est-à-dire avant la parution de la loi de l’enseignement, au cours de laquelle le Ministre Messadi annonça les nouvelles mesures qui vont enter en application à la rentrée (Le président Bourguiba les avait déjà présentées au cours de la cérémonie de la fin de l’année scolaire   en juin 1958) ; parmi ses nouvelles mesures, nous citons :
a.     La réduction de la durée de la scolarité : il a été décidé de réduire la durée des études primaires et secondaires d’une année chacune ; elles se feront désormais en six ans au lieu de sept.
b.    La réduction de l’horaire hebdomadaire des études à l’école primaire, les deux premières années font 15 heures par semaine, les quatre autres niveaux font 25 heures au lieu de 30 précédemment, soit une réduction de 5 heures par semaine.
Cette double réduction de la durée de la scolarisation et de l’horaire hebdomadaire a permis une meilleure gestion des salles de cours ; en effet, la même salle est utilisée par deux classes en une journée ; les écoles publiques ont ainsi pu accueillir, au cours de l’année scolaire 1958-59, 7474 classes avec seulement 4400 salles disponibles[1].

c.     Revoir la place du français à l’école primaire : les deux premières années de l’école  primaire ont été arabisées totalement, l’apprentissage du français ne commence qu’en troisième année, en lui consacrant 14 heures 25 mn en 3ème, et en 4ème,  et 13h 45mn en  5ème et en 6ème,  sur un total de 25 heures.
Nombreux sont ceux qui ont vu dans cette décision un retour au bilinguisme et l’abandon de l’arabisation, alors que d’autres en ont vu une situation  provisoire imposée par la situation du pays qui dépendaient beaucoup de l’aide étrangère et surtout l’aide française[2].
En réalité, plusieurs facteurs avaient imposé ces choix dont l’enseignement obligatoire inscrit dans la loi de 58 , la situation était complexe et le choix difficile : fallait-il opter pour la sélection scolaire et ouvrir les portes de la scolarisation à un nombre réduit d’enfants ou mettre en place un enseignement démocratique en dépit du manque d’enseignants qualifiés ? Il semble que les donnés démographiques avaient orienté le choix ; le nombre d’enfants non scolarisés atteignait 700000 et le nombre devrait atteindre 980000 en 1966, le rythme de la scolarisation reste  tel qu’il était à l’époque du protectorat et au cours des premières années de l’indépendance. Le pays a opté pour la généralisation de la scolarisation tout en veillant à maintenir un niveau acceptable , en centrant les apprentissages  sur la langue arabe, la langue française , le calcul , l’éveil scientifique et l’éducation morale et civique.
La situation diffère au secondaire, la langue arabe est devenue la langue essentielle de la culture et de la formation ; l’étude de la langue et de la littérature arabe a pris la place de la langue et de la civilisation française, dont le statut est devenu secondaire ;  l’arabe est devenue la langue véhiculaire pour toutes les matières de la section - A-  dont l’expansion devrait  suivre le rythme de la formation d’enseignants tunisiens qualifiés » ;  parallèlement, la section -B- où l’enseignement continue à être bilingue , »[3] devrait voir ses effectifs se réduire jusqu’à sa disparition totale .
Signalons que ce schéma est conforme au contenu du discours de Bourguiba au collège Sadiki en 1958, déjà cité, au sujet de la langue d’enseignement au deuxième degré ( secondaire) , où il fut créé trois filières ou sections : la section - A- ou la section arabisée, la section-B-  ou la section bilingue avec une prédominance de la langue française qui reste la langue d’enseignement des matières scientifiques, techniques, les sciences humaines ( histoire, géographie et philosophie) et même l’éducation physique ; et la section  - C- ou la section française pour les élèves  français  et les élèves tunisiens qui n’ont pas étudié l’arabe[4] .
1.    Le plan décennal du développement éducatif

Le secrétariat d’état à l’éducation nationale, à la jeunesse et au sport avait préparé un plan décennal qui couvre la période de l’année scolaire 1959- 60 à l’année scolaire 1968- 69 ;le plan a fixé l’évolution de l’effectif  des élèves  pour réaliser la scolarisation totale  et les besoins en instituteurs et en professeurs, en bâtiments et en équipement . (Voir les tableaux ci-dessous)
a.     L’effectif élèves et étudiants
Au début du plan, la population scolaire et estudiantine était de 245023, dont 92.61 % à l’école primaire. A son terme, la population scolaire atteindrait 9906892, soit une augmentation de 661869.
Annexe : tableau 1
année scolaire
primaire
moyen
secondaire
supérieur
1957/1958
226919
1230
15569
1350
1966/ 1967
777686
28586
93790
6830
augmentation
550767
27356
78221
5480

Remarque : ce tableau est préparé à partir de N .Sraieb (1968)  les données relatives à l’enseignement secondaire  remontent aux  années scolaires 1958-59  et 1968-69 alors que les données concernant l’enseignement moyen  remontent aux années scolaires 1959-60 et 1968 -- 69.

b.      Le cadre enseignant
La formation d’instituteurs et de professeurs était parmi les soucis des responsables de la réforme de 1958 qui ont été obligé de surseoir l’application de certaines décisions, comme l’arabisation de l’enseignement secondaire, jusqu’à ce que la formation d’enseignants tunisiens  soit achevée,  car le nombre d’enseignants ,
en 1958, était de 5615 dont 95.42 % exerçaient à l’école primaire ; le plan prévoit d’atteindre 19620 au cours de l’année 1968-69, soit une augmentation de 14005.  
Les besoins de l’enseignement primaire en instituteurs unilingues et bilingues étaient en augmentation continue, passant de 3253 au cours de l’année scolaire 1958-59, à 8315 en 1968-69.
Annexe : Tableau 2 : cadre enseignant
année scolaire
primaire
moyen
secondaire
1957/1958
5358
34
223
1966/ 1967
14937
791
3892
augmentation
9579
757
3669

Remarque : ce tableau est préparé à partir  de N.Sraieb (1968)  les données relatives à l’enseignement secondaire  remontent aux  années scolaires 1958-59  et 1968-69 alors que les données concernant l’enseignement moyen  remontent aux années scolaires 1959-60 et 1968 -- 69.
Les grandes priorités étaient donc, à cette  époque   :
-         L’augmentation de la capacité des écoles normales d’instituteurs (ouverture de deux nouvelles écoles normales, l’une à la Marsa, l’autre à Monastir, et des sections normales dans les lycées ; c’est ainsi que cette section fut ouverte dans 23 lycées répartis dans toutes les régions du pays ; le nombre d’élèves inscrits dans la filière normale atteint 3419, au cours de l’année scolaire 1967-68. 
-         Création d’une école normale pour la formation de professeurs de  collège en 1958,  qui s’est transformée en école  normale de professeurs adjoints dans un premier temps, puis en école normale supérieure de l’enseignement technique.
-         L’augmentation de la capacité de l’école normale supérieure pour former des professeurs d’enseignement secondaire.

c.     Les bâtiments scolaires
Le responsables de l’enseignement et l’état espéraient pouvoir élargir la scolarisation et l’augmentation de l’effectif des élèves, sans être obliger d’augmenter ni le nombre d’enseignants, ni le nombre de classes ; car entamer de nouvelles constructions « représente l’un des soucis qui entravent la généralisation de la scolarisation »,[5] car les besoins nouveaux en écoles et en  salles sont très importants.( voir tableau ci-dessous )
ANNEXE : tableau évolution du nombre d’écoles, de lycées et de salles
augmentation
1966/ 1967
1957/ 1958


1430
2005
575
primaire
nombre établissement
76
115
39
Moyen  et secondaire
7306
10101
2795
primaire
nombre de salles
2397
3357
960
Moyen  et secondaire

Le plan  décennal éducatif prévoit 2120  établissements scolaires à la rentrée 1967-68,  dont 94.57 % écoles primaires dont le nombre de salles de classes serait quadruplé ; et il prévoit un triplement du nombre de collèges et de lycées et un doublement des salles de classes , sans compter les ateliers les besoins étaient estimés à 507 unités et logements de fonction dont les besoins étaient estimés à 2939 unités.
d.    Les manuels  scolaires
La question des moyens didactiques parmi les principales priorités des responsables de la réforme scolaire : les choix pédagogiques arrêtés à l’époque axaient sur la « libération des esprits par l’explication et la compréhension au lieu du cours magistral ; c’est pour cela en même temps que le secrétariat d’état s’était occupé de l’élaboration des manuels scolaires,  parallèlement à la formation des enseignants[6]» ; il s’agit de manuels scolaires nationaux  qui expriment l’esprit des nouveaux programmes et de ses orientations, pour remplacer les manuels français ou des pays arabes d’orient  qui étaient en cours dans les écoles tunisiennes .
Pour remplir cette mission, le secrétariat d’état à l’éducation nationale, à la jeunesse et au sport a créé l’office pédagogique dont la mission était l’élaboration et l’édition des manuels et du bulletin pédagogique. Cette nouvelle institution est devenue un facteur « d’encouragement des auteurs de manuels scolaires, parmi le corps enseignant et le corps des inspecteurs pédagogiques, et aussi un moyen pour mettre à la disposition des parents et des élèves des manuels à des prix assez bas.»
Conclusion
Telles furent les grandes orientations de la loi de l’enseignement  et de  la réforme qu’elle a engendrée ; une réforme qui voulait , en même temps, réparer les dégâts causés par le modèle d’enseignement de la période coloniale (faible taux de scolarisation des tunisiens, marginalisation de la langue et de la culture nationale), et mettre en place un enseignement national qui permettrait au pays de suivre les progrès scientifiques et technologique, et de rattraper les systèmes éducatifs démocratiques. Cette tâche fut confiée à un ministre qui a eu temps de réaliser cette réforme ( Mahmoud Messadi est le seul ministre de l’éducation qui est resté au poste durant une décennie sans interruption ), qui a eu tout le temps pour mettre en place le cadre juridique de la réforme, l’appliquer et suivre sa réalisation.
La réforme de 1958 fut une réforme globale ; elle a renouvelé et unifié la structure de l’enseignement et de ses programmes, et elle a engagé « la bataille » de la généralisation de l’enseignement.

La loi de 1958 est restée en vigueur jusqu’en 1991 , mais est- ce que cette longévité signifiait que les principes généraux et les grands choix concernant la structure de l’enseignement, l’orientation des élèves ,les sections et les filières , le statut de la langue arabe …sont restés immuables, sans amendements ni changements depuis 1958 ?
Enfin on est en droit de se poser plusieurs questions à propos de la
réforme de 1958 : a-t-elle réalisé les espoirs de l’élite nationale quant à la généralisation, la gratuité et l’obligation de la scolarisation et la rénovation des programmes scolaires ? Quels furent les résultats du plan décennal de l’enseignement ? Que reste-t-il de cette grande réforme dans la mémoire de l’éducation tunisienne et de celle des générations qui étaient les produits de cette réforme ?

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, octobre 2014


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Les réformes scolaires depuis l’indépendance 1ère partie : les réformes de la période transitoire 1955 - 1958










[1]  Dans la conférence de presse du 16 septembre 1958  , Messadi  déclarait «  que les caractéristiques qui manquaient à l’enseignement étaient  surtout la généralisation et l’adaptation : notre enseignement manque d’extension aussi  bien verticale qu’horizontale , car dans les pays développés l’enseignement doit atteindre tous les enfants à un âge déterminé  et cela par l’obligation de l’enseignement primaire , ceci sur le plan horizontal , quant au plan vertical l’enseignement doit toucher  le primaire , le secondaire et le supérieur » opt cité ; p 26.
[2]   La première position a été exprimée par Mohamed Mzali, la deuxième a été rapporté par  Sraieb, N. (s.d.). L'idéologie de l'école en Tunisie coloniale (1881-1945) . In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°68-69, 1993. pp. 239-254.

[3] Messadi , opt cité p 38, voir le paragraphe des programmes nationaux : la langue arabe et la littérature arabe et la pensée islamique.
[4] La question  fut traitée par Bourguiba dans le discours du 1  octobre 1959  où il disait «  qu’il est tout a fait  naturel de diviser l’enseignement secondaire en deux sections :la section classsique ou permanente … et la section transitoire » il a ensuite énuméré les lycées et les gouvernorats qui comptent les sections classiques ( Ibn Charaf, lycée de Sfax, celui de Kairouan , de Monastir, Menzel Temime , rue Al Pacha »
Opt cité P 56
[5]  Opt cité p 25
[6] Opt cité p 27 et p 63.