Anouar Joua est né le 11 janvier 1941. Ses parents, Mohamed
Joua et Khadija Abid, eurent plusieurs enfants — huit garçons et deux filles
ont survécu — et Anouar était l’aîné de la fratrie.
Il a effectué toute sa scolarité primaire à l’école Ech
Chabeb (l’école des jeunes) située alors
dans la rue El Ksar, puisque la famille résidait à l’époque dans la médina. Il
poursuivit ensuite ses études au lycée des garçons, aujourd’hui connu sous le
nom de lycée Hédi Chaker, où il obtint son baccalauréat en 1961.
Dès son plus jeune âge, Anouar s’est distingué dans toutes
les matières scolaires. Mais c’est sa passion pour les langues, en particulier
pour l’anglais, qui l’a orienté vers des études universitaires dans ce domaine
à la Faculté des Lettres de Tunis, où il fut parmi les tous premiers Tunisiens
à obtenir une licence en anglais. L’État tunisien a beaucoup investi dans la
formation de cette génération, celle d’Anouar et de ses collègues professeurs :
chaque année, ils étaient envoyés à l’étranger — en Grande-Bretagne ou aux
États-Unis — pour y passer un ou plusieurs mois afin d’y perfectionner leur
maîtrise de la langue.
À l’issue de ses études universitaires, Anouar Joua fut nommé
comme le tout premier professeur tunisien d’anglais à Sfax, sa ville natale, et
plus généralement dans le sud du pays. Avant lui, cette matière était
exclusivement enseignée par des membres du Peace Corps américain. Il enseigna
donc dans le même établissement où il avait été élève : le lycée Hédi Chaker.
Quelques années après sa nomination, Anouar, alors encore
jeune, vécut une anecdote amusante qu’il aimait raconter à ses proches : un
jour, alors qu’il donnait un cours, le directeur de l’établissement, Tawfik Ben
Arfa, fit irruption dans la salle pour lui demander de se préparer
immédiatement à accompagner le Président de la République, Habib Bourguiba,
pour lui servir d’interprète. Anouar, surpris, demanda la permission de passer
chez lui pour se changer, mais le directeur refusa, lui rétorquant : « Quelle
meilleure tenue que celle-là, Anouar ? Sais-tu que dans le lycée, on te
surnomme The Gentleman »
Anouar répondit donc à l’appel du devoir. Le directeur
l’emmena lui-même au palais présidentiel El Hanaa de Bichka, où le président était en
pleine entrevue avec ce qu’Anouar supposait être des journalistes ou attachés
de presse étrangers venus s’enquérir de sa position sur la cause palestinienne,
telle que présentée dans son célèbre discours de Jéricho.
Au bout de six ans d’ancienneté en tant qu’enseignant, il fut
nommé inspecteur d’anglais, sa
circonscription couvrait les lycées de Sfax et de tout le sud. Si Anouar
gravit tous les grades du corps des inspecteurs, promu inspecteur principal
puis inspecteur général de l’éducation, même
en accédant à ce grade qui le dispensait d’inspecter et d’encadrer , il
continua à les assurer jusqu’à sa retraite en 2001.
C’est encore Tawfik Ben Arfa qui le proposa s pour diriger le
nouveau centre du Bourguiba School à
Sfax, créé en 1965 et hébergé au début au lycée Hedi Chaker même. Si Anouar adhéra avec
enthousiasme au projet, et contribua activement à poser les fondations du
centre, pierre après par pierre, avec ses collègues. Parmi eux se trouvait sa
sœur, Moufida, sa complice, qui l’épaula dans la création et le développement
de l’institut, jusqu’à ce qu’il rayonne dans la région. Ce centre a formé de
nombreux jeunes dans les diverses langues,
En 1974, le centre fut transféré au lycée Habib El Maâzoun.
Anouar continua à en assurer la direction jusqu’à sa retraite. Sa sœur Moufida
rapporte qu’à la fin de sa carrière, l’État commençait à se désengager de ses
responsabilités en matière d’équipement, ce qui décourageait de plus en plus
les enseignants. Anouar, de son côté, n’hésitait pas à payer de sa poche
papiers et fournitures pour que le centre continue de fonctionner.
Anouar Joua était passionné par la formation continue, l’innovation
pédagogique. Pour lui, rien ne remplaçait le voyage et le contact direct avec
les gens qui parlent l’anglais pour maîtriser les différents accents. Il
participa à plusieurs séjours organisés par le British Council et le centre
culturel américain AMIDEAST, et visita
les universités de Cambridge, Brighton et de Londres pour s’informer des
nouvelles méthodes pédagogiques. Nous relatons une anecdote amusante dans ce
cadre : une fois,il se rendit aux États-Unis pour un stage et pour assister à
des conférences dans plusieurs universités : l’université de en Californie, en New Jersey, à Denver
(Colorado) et à Washington, alors que sa femme était sur le point d’accoucher. Et chaque fois qu’il changea de lieu, il
envoya à sa femme l’adresse à laquelle elle devrait lui envoyer le télégramme pour
l’informer de l’heureux événement. Il est finalement rentré trois jours après
la naissance de leur fille.
Grâce à ses compétences en anglais et à son dévouement, il
fut plusieurs fois membre — et parfois président — des commissions de rédaction
des manuels scolaires d’anglais, pour tous les niveaux. Il anima également des
émissions radiophoniques éducatives durant plusieurs années, rédigea des
parascolaires à l’usage des élèves, et enregistra lui-même des exercices
d’écoute, parfois avec l’aide de son frère Jamil — lui aussi devenu professeur
d’anglais — ou d’autres collègues.
Même après sa retraite, Anouar ne put jamais se détacher de
son amour de la langue anglaise. Il continua à traduire, à écrire, à faire de
l’interprétation simultanée et à accomplir diverses missions liées à son
domaine de prédilection.
Sur le plan personnel, il épousa Leïla Fkih en 1969, avec qui
il eut Mohamed Ali, Hédia et feu Iskander. Puis épousa Ibtissem Jallouli en
1990, avec qui il eut sa fillerYosra.
Ses filles ont hérité de sa passion pour les langues : Hédia
parle six langues couramment et travaille depuis longtemps à l’ambassade
d’Italie à Tunis ; Yosra a hérité de l’amour de son père pour la langue de
Shakespeare, et prépare actuellement sa thèse de doctorat. Quant à Mohamed Ali,
il a été séduit par les États-Unis et l’innovation, comme son père, et s’est
installé en Californie depuis 1993, où il travaille comme ingénieur en
informatique.
Anouar Joua est décédé le 8 avril 2025, à l’âge de 84 ans. Il
fut enterré le jour de la fête des Martyrs au cimetière de Gremda. Il rejoint
ainsi trois collègues inspecteurs décédés
ses dernières semaines Mahmoud Ben Jemaa, inspecteur général de philosophie,
Taher Hmida et Béchir Aïdi tous les deux inspecteurs d’histoire et de géographie.
Que le Bon DIEU puisse les accueillir dans son paradis.
Texte introduit et traduit par Mongi Akrout, inspecteur
général de l’éducation
Tunis, avril 2025.
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#Sfax_la_belle
Hommage à la mémoire de Monsieur Anouar Joua (1941 – 2025)
Monsieur Anouar Joua est né le 11 janvier 1941. Fils de
Mohamed Joua et de Khadija Obeid, il était l’aîné d’une fratrie nombreuse
composée de huit garçons et deux filles. Dès sa plus tendre enfance, il fit
preuve d’un esprit brillant et curieux.
Il effectua sa scolarité primaire à l’école des Jeunes,
située à l’époque dans la rue du Palais, au cœur de la médina de Sfax, où
résidait sa famille. Il poursuivit ensuite ses études secondaires au lycée des
garçons, aujourd’hui connu sous le nom de lycée Hédi Chaker, et y obtint son
baccalauréat en 1961.
Sa passion pour les langues étrangères, et plus
particulièrement pour la langue anglaise, le mena à la Faculté des Lettres de
Tunis, où il figura parmi les tout premiers Tunisiens à obtenir une licence
d’anglais. L’État tunisien, soucieux de former une élite éducative nationale,
investit dans cette génération prometteuse. Ainsi, chaque année, Anouar et ses
collègues étaient envoyés à l’étranger, notamment au Royaume-Uni et aux
États-Unis, afin de parfaire leur maîtrise linguistique.
À l’issue de ses études, il fut nommé le tout premier
professeur tunisien d’anglais à Sfax et dans le sud du pays. Jusqu’alors, cette
discipline était enseignée par des membres du Peace Corps. Il fut affecté au
lycée Hédi Chaker, là même où il avait été élève.
Une anecdote marquante témoigne de sa distinction : alors
qu’il dispensait un cours, le directeur de l’établissement, M. Tawfik Ben
Arefa, entra en salle et lui demanda de l’accompagner sans délai pour
interpréter lors d’un entretien entre le président Habib Bourguiba et des
journalistes étrangers venus s’enquérir de sa position sur la cause
palestinienne. Face à la surprise d’Anouar, le directeur lui lança : « Quelle
meilleure prestance que la tienne, Anouar ? Sais-tu que l’on te surnomme The
Gentleman ? »
Après quelques années d’enseignement, il fut promu en
inspecteur d’anglais pour le sud tunisien, puis accéda au poste d’inspecteur
général, fonction qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 2001.
En parallèle, sur proposition de M. Ben Arefa, il participa à
la création du centre régional de l’École Bourguiba des Langues Vivantes à
Sfax, fondé en 1965 et initialement hébergé au lycée Hédi Chaker. Avec
enthousiasme et abnégation, il contribua à bâtir ce centre, pierre après
pierre, en étroite collaboration avec ses collègues, dont sa sœur Moufida,
elle-même enseignante et pilier du projet.
Le centre fut transféré en 1974 au lycée Habib El Maâzoun, et
Anouar Joua en resta le directeur jusqu’à sa retraite. Sa sœur se souvient de
la fin de leur carrière, marquée par le désengagement progressif de l’État dans
l’équipement des structures, ce qui le poussa parfois à financer lui-même
certains besoins matériels pour garantir la continuité du service.
Homme de rigueur et de progrès, Anouar Joua ne cessa jamais
de se former. Il participa à plusieurs missions pédagogiques avec le British
Council, l’AMIDEAST, et visita des universités prestigieuses telles que
Cambridge, Brighton, Londres ou encore Berkeley, Denver, Atlantic City et
Washington, convaincu que rien ne vaut le contact direct avec des locuteurs
natifs pour maîtriser une langue.
Reconnu pour son expertise, il fut membre et président de
plusieurs commissions de rédaction des manuels scolaires d’anglais. Il anima
aussi des programmes éducatifs radiophoniques, rédigea des ouvrages
pédagogiques complémentaires et enregistra des exercices d’écoute, avec la
participation de collègues et de son frère Jamil, lui aussi professeur
d’anglais.
Même après son départ à la retraite, il demeura fidèle à sa
vocation : traduction, interprétation, rédaction d’ouvrages, son activité ne
cessa jamais vraiment.
Sur le plan personnel, il épousa Madame Leïla Feki en 1969,
avec qui il eut Mohamed Ali, Hédia et feu Iskander. Il se remaria ensuite avec
Madame Ibtissem Jelouli en 1990, et de cette union naquit Yosra.
Ses enfants ont hérité de ses talents : Hédia, polyglotte,
travaille depuis de nombreuses années à l’ambassade d’Italie à Tunis ; Yosra,
passionnée par la langue anglaise, prépare actuellement une thèse de doctorat ;
quant à Mohamed Ali, il s’est installé aux États-Unis depuis 1993, où il exerce
le métier d’ingénieur en informatique en Californie.
Anouar Joua nous a quittés le 8 avril 2025, à l’âge de 84
ans. Il a été inhumé au cimetière de Gremda, le jour de la fête des Martyrs. Sa
disparition laisse un vide immense dans le cœur de sa famille, de ses collègues
et de tous ceux qui ont eu le privilège de croiser sa route.
Traduit par Mongi Akrout, Inspecteur général de l'éducation
Tunis, avril 2025
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