dimanche 27 avril 2025

L’approche tunisienne et les orientations mondiales en matière de formation des enseignants de l’enseignement scolaire

 

 

Hédi Bouhouch

Cette semaine marque le huitième anniversaire du décès de Hédi Bouhouch, l’un des fondateurs du blog pédagogique. En hommage à sa mémoire et en reconnaissance de sa contribution à l’éducation en Tunisie et au blog en particulier, nous publions cette semaine un document de travail co-rédigé en février 2010 avec Mongi Akrout sur l’état de la formation des enseignants en Tunisie et dans le monde qu'ils ont 
présenté devant la commission chargée de l’élaboration d’un rapport sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement de base.

Les auteurs ont voulu dresser un état des lieux de la formation des enseignants en Tunisie et la confronter aux standards internationaux. Ils  ont mis en évidence l’écart persistant entre les discours officiels prônant la professionnalisation et l’élévation du niveau de formation des futurs enseignants , et une réalité marquée par  soit l’absence  de formation initiale spécifique , soit des formations initiales insuffisantes, des profils hétérogènes et des pratiques de recrutement peu conformes aux normes internationales. Enfin, ils ont présenté  brièvement  les orientations mondiales dans ce domaine, en insistant sur la nécessité des formations longues, institutionnalisées, associant  théorie et pratique, et portées par des établissements de l’enseignement supérieur.

 

I. Les postulats de départ

Dans les milieux éducatifs, il est communément admis que l’enseignant est le facteur déterminant de la réussite de tout système éducatif. C’est pourquoi les orientations mondiales insistent sur la nécessité :

  • D’élever le niveau scientifique des futurs enseignants (le minimum requis étant bac +5) ;
  • D’œuvrer à la professionnalisation du métier d’enseignant, comme pour les autres professions ;
  • D’offrir aux futurs enseignants une formation initiale solide aux futurs enseignants.

II. Ce qui est souhaité en Tunisie

Les attentes en matière de formation des enseignants se reflètent dans le discours officiel :

Nous commençons par la  déclaration du ministre de l’Éducation, Ridha Ferchiou, a lors de l’ouverture des Journées d’étude sur « l’école de demain » les 4 et 5 mai 1998[1] qui a dit ceci: « le renforcement de la formation initiale et continue des enseignants en vue d'améliorer la qualité de l'enseignement est un défi majeur. En effet, il est évident que les autres facteurs qui peuvent contribuer à l'efficience d'un système éducatifs (gestion, programmes, manuels, équipement, etc) sont  sans effet si le maître d'œuvre de l'acte éducatif, c'est à dire l'enseignant, est suffisamment formé et insuffisamment autonome.  Pour cela,  nous agissons de concert avec l'enseignement supérieur afin d'adapter le contenu des maîtrises aux besoins des enseignants du secondaire et d'introduire une année post-maitrise de formation professionnelle au métier d’enseignant ».

 

Nous pouvons connaitre les aspirations quant à la formation des enseignants en se référant  au document  sur l’école de demain (2002-2007) [2], on peut y lire ceci : « Tout système éducatif moderne repose sur la qualité de ses ressources humaines. Aucune variable, si importante soit-elle, n’a autant d’impact que la compétence de l’enseignant sur les performances de l’Ecole. La question de la qualification des enseignants est cruciale. Elle se pose d’abord en termes de profil à l’entrée : les pré-requis pour l’exercice de la fonction sont-ils intégrés dans la formation initiale des postulants au métier ? En d’autres termes, les futurs enseignants sont-ils préparés, d’une manière adéquate, non seulement au plan scientifique, mais aussi au niveau pédagogique, psychopédagogique et linguistique, à l’exercice de leur fonction ? »

Enfin, nous pouvons connaitre les attentes du système à travers le profil de l’enseignant professionnel  tel qu’il est décrit par le rapport annuel de suivi du projet d’amélioration de la qualité du système  éducatif tunisien (2006)[3], d’après ce rapport  l’enseignant professionnel  est « un enseignant  professionnel , cela veut dire un  maître qui connait à la fois la science et l'art de leur métier, capable de :

-       construire et de mettre en œuvre un projet pédagogique intégrant les spécificités du contexte où ils évoluent,

-       planifier, d'évaluer, de gérer des situations pédagogiques diverses, de donner aux élèves le goût d'apprendre,

-       réguler leur enseignement à la lumière des diagnostics  fréquent qu'ils effectuent… ».

III. La réalité en Tunisie

Les objectifs du projet « École de demain » ont-ils été atteints ? Est-ce que l’enseignant tunisien  est devenu bien formé et professionnel ? Le même rapport de suivi de 2006 répond par la négative, en affirmant «qu’il est difficile d’affirmer que nous disposons aujourd’hui d’enseignants   véritablement professionnels ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils n’aient, dans leur majorité , les compétences et les qualifications requises pour de leur métier. »[4]

1-   La situation à l’école primaire

« En 2006, la composition du corps des enseignants du primaire était la suivante :

  • 35,8 % : des normaliens
  • 21,5 % : des diplômés des Instituts supérieurs de formation des enseignants,( ISFM)
  • 36,5 % : des bacheliers,
  • 0,2 % : titulaires de la maîtrise,
  • 0,8 % : niveau inférieur au bac.

Cette hétérogénéité des profils a produit des écarts de formation et donc d’efficacité pédagogique, notamment dans l’enseignement des langues (surtout le français) et des sciences (particulièrement  les mathématiques). Cela s’est répercuté sur le niveau des acquis des élèves comme l’ont montré les évaluations internationales et les résultats des élèves  des collèges dès la 7ème année.

Même les instituts supérieurs de formation des maitres ( ISFM), créés en 1991 pour remplacer les anciennes écoles normales n’ont pas amélioré la qualité des maitres. Différentes  évaluations  ont montré les limites de la formation assurée par les ISFM [5], de plus, ils ne répondaient plus aux normes internationales qui exigent que la formations des enseignants du primaire devrait être au moins au niveau bac plus 3 (formation générale) et une 4ème année pour la formation professionnelle.

En 2007,  le ministère  de l’éducation  décida de les fermer  et  créa   à la place les Instituts des Métiers de l’Éducation. Ces nouvelles institutions avaient nourries beaucoup d’espoirs, le pays s’est doté d’établissements  aux normes internationales,  ils recrutaient des  étudiants qui ont au moins le niveau de la licence pour suivre une formation de 2 ans, au final les futurs diplômés  auront le niveau bac+5. Mais les débuts furent en deçà des espoirs ; le nombre de diplômés était insuffisant, la formation professionnelle  ne durait que 2 à 5 mois, (au lieu de deux ans prévus), Le profil des candidats manquait de diversité (dominance féminine) , la moyenne d’âge élevée, une prédominance des littéraires  (environ les ¾) –voir le tableau suivant :

Exemple de la session de janvier 2008 :

Spécialité

Arabe

Français

Anglais

Physique

SVT

Maths

Nombre de reçus

123

128

127

10

116

0

Pourcentage

24,4%

25,4%

25,2%

1,9%

23%

0%

 

Face au nombre  réduit des  diplômés  des trois l’IME  le ministère a dû recourir à des suppléants et des contractuels  qui n’ont pas eu une formation au préalable, ce qui a aggravé la situation.

b. L’enseignement secondaire :

La situation n’est guère meilleure, il n’existe pas d’institutions  dédiées à la formation d’enseignants depuis la fermeture de l’école normale des professeurs adjoints  (ENPA) et l’école normale des professeurs d’enseignement technique  (ENSET) .

  Depuis 1999, le ministère avait instauré le concours d’aptitude à l’enseignement secondaire pour recruter les enseignants des collèges et des lycées parmi les diplômés des différentes institutions universitaires, mais dix ans plus tard, le  bilan est mitigé, pour diverses raisons :

 

-       D’une part   les capésiens ne reçoivent qu’une formation professionnelle superficielle et très insuffisante ( assurée par les inspecteur dans les régions, sans un programme national bien réfléchi)..

-        D’autre part les postes ouverts à chaque concours sont toujours en deçà des besoins, ce qui oblige le ministère à recourir à des auxiliaires (dont le profil n’est pas différent de celui qui réussissent le CAPES).

La situation s’est détériorée ,  depuis 2009, suite à une mesure populiste, quand le conseil des ministres a décidé, suite à l’arrivée des premières promotions du système LMD, d’ouv rir  le concours aux titulaires de la licence (bac +3), ce qui constitue une régression en matière d’exigences académiques, c’est-à-dire les futurs enseignants du primaire seront plus diplômés que les futurs enseignants du secondaire.

 

4. Les tendances mondiales

a. Cadre institutionnel :

Les institutions de formation des enseignants relèvent généralement de l’enseignement supérieur. Certains pays ont des institutions spécialisées, d’autres non.

b. Contenu de la formation :

Le profil de l’enseignant professionnel exige :

  • Une connaissance approfondie de sa discipline,
  • Des compétences en sciences de l’éducation (psychologie, didactique, évaluation…),
  • Des aptitudes à la communication, à la recherche et à l’auto-évaluation.

c. Organisation des études :

Deux grands modèles existent :

  • Modèle parallèle : l’étudiant suit en parallèle la formation théorique et la formation pratique, c’est le modèle en usage dans la plupart des pays européens sauf la France et l’Angleterre;
  • Modèle successif : en premier l’étudiant  suit une formation théorique  suivie par une formation professionnelle.

Configurations des études ;

  • Master en métiers de l’éducation dans une même institution,
  • Master disciplinaire et master en sciences de l’éducation dans deux institutions séparées.
  • Licence disciplinaire puis master en sciences de l’éducation.

d. Durée de la formation pour accéder au poste d’enseignant :

  • Pour  le primaire : la durée de la formation dans les pays européens varie  entre 3 et 5 ans après le bac (7 pays européens exigent 5 ans, 8 pays : 3 ans).
  • Pour le secondaire : : la durée de la formation dans les pays européens varie  entre 4 et 5 ans après le bac (dans 7 pays  la formation dure 5 ans, et elle est  de 4 ans  dans 8 pays ).

e. Part de la formation pratique :

  • Pour le primaire, la formation professionnelle  varie beaucoup selon  les pays (entre  13 % et 70 % de la formation)
  • Pour les enseignants des Collèges, la formation pratique prend  entre 9,1 % et 58,3 % du contenu de la formation.
  • Enfin, pour les professeurs de lycée, la formation pratique prend  entre 14 % et 30 % du programme de la formationj

 

Hédi Bouhouch &Mongi Akrout, inspecteurs généraux de l’éducation.

Tunis, février 2010

Pour voir la version ARABE, cliquer ICI.

 

 



[1] Actes des journées d’études sur l’éciole de demain – Tunis 4&5 mai 1998.

Ridha Ferchiou. Ecole de demain : état de la réflexion en Tunisie et expériences étrangères.

[2] Vers l’instauration de la société du savoir, LA NOUVELLE REFORME DU SYSTEME EDUCATIF TUNISIEN Programme pour la mise en œuvre du projet " Ecole de demain " ( 2002 – 2007 )

[3] R.T – MEF – PROJET d’amélioration de la qualité du système éducatif tunisien ( PAQSET) – Rapport annuel de suivi – juillet 200

[4] Op.cit.

[5]  R.T – MEF – PROJET d’amélioration de la qualité du système éducatif tunisien ( PAQSET) – Rapport annuel de suivi – juillet 2006

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