dimanche 19 novembre 2023

Quelle réforme éducative ? (première partie)

 

 

 

Hédi BOUHOUCH

Le blog pédagogique donne cette semaine la parole à M° Farid Ben Slimane, ancien inspecteur principal de l’enseignement secondaire et professeur universitaire d’histoire médiévale    qui  nous présente une  réflexion  sur la réforme du système scolaire.


Cette réflexion très intéressante est le fruit d’une longue et riche carrière , le professeur  Ben Slimane  fut au début de sa carrière professeur d’enseignement secondaire puis il occupa le poste de censeur au  collège Sadiki , puis inspecteur de l’enseignement secondaire avant de rejoindre l’enseignement supérieur , c’est pour dire que nous sommes en face d’un fin  connaisseur du système éducatifs depuis les années soixante dix,  Le blog pédagogique est honoré de publier cette  intéressante réflexion    .

 

P.S. les notes de bas de page sont ajouté par le blog

 

 

 

Afin de contribuer à enrichir le débat que le Ministère de l’éducation compte engager[1], nous présentons dans un style télégraphique un ensemble de propositions et de remarques portant sur diverses questions en rapport avec l’éducation en Tunisie.

      I.            Le concept de réforme

§  La réforme est une opération compliquée et complexe ; c’est une œuvre à long terme qui doit commencer par une évaluation précise du système éducatif en cours,  afin de remédier à ses insuffisances au vu des résultat d’une profonde  consultation qui doit aboutir à une conception claire, dont la mise en œuvre nécessite une forte  volonté politique  et d’importants moyens matériels.

§  Tout système éducatif est constitué de plusieurs composantes complémentaires qui forment un ensemble ; or la réforme pourrait se réaliser d’un seul trait touchant toutes les composantes, ou selon des étapes successives, à condition que celles-ci s’inscrivent dans le cadre d’une vision globale qui assure la cohérence entre les différentes compositions en cours de la réalisation.

 

§  La temporisation et la non précipitation sont nécessaires  dans ce type de réformes profondes qui touchent non seulement le secteur de l’éducation, mais cela concerne les différents domaines de la société ; c’est pour cette raison pour laquelle nous insistons sur l’approfondissement de la consultation au niveau local , régional et national qui doit s’effectuer auprès de tous les acteurs sans exclusion (enseignants, inspecteurs, administrateurs, société civile, organisations nationales, parents et élèves…)

 

§   Réformer ne signifie pas détruire tout le système en place et repartir de zéro ; c’est plutôt partir des acquis positifs du passé et remédier aux insuffisances et aux défauts qui ont affectés plusieurs composantes du système en cours (programmes, temps scolaire, orientation, infrastructure, matières, coefficients, manuels scolaires…)

§  La réforme ne signifie pas non plus revenir aux expériences du passé, et en premier celle du professeur Mahmoud Messadi comme le réclament certaines voix ; il nous semble que cela relève de la nostalgie tout simplement, et ce n’est guère rationnel, car la dite expérience avait réussi dans un contexte bien défini (le pays venait juste d’accéder à l’indépendance, un sentiment national très fort, engouement pour la science et pour le savoir …) ; cette époque est révolue .

 

§  Parmi les conditions de la réussite de la réforme, en plus de la bonne préparation et de la clarté de la conception et la  forte volonté politique, il faudrait  que ceux qui sont chargés de la mise en œuvre soient convaincus et enthousiastes ; mais l’observateur averti peut constater  que le corps enseignant et l’appareil administratif sont très hétérogènes ; ils sont d’une grande dissemblance  scientifique, professionnelle , intellectuelle et idéologique ; il arrive même que cela se manifeste par une lutte déclarée au sein et en dehors  de l’établissement.

 

§  La réforme concerne aussi l’infrastructure qui souffre d’une grave dégradation ( les bâtiments et les équipements) ; il est nécessaire d’assurer les conditions adéquates pour apprendre, à commencer par les conditions matérielles ; or à l’heure actuelle, les salles de classe ne sont ni convenables ni dignes d’être un lieu du savoir ; certaines écoles ne disposent pas des équipements basiques, tels que l’eau courante propre à la consommation, les  équipements sanitaires, sans oublier l’absence des moyens de transport , l’état des pistes et des routes dans le milieu rural , les cantines scolaires et bien sûr l’indigence des équipements didactiques  et scientifiques.

 

§  La réforme concerne aussi l’amélioration des conditions matérielles des enseignants, des cadres administratifs et du corps de l’inspection, car leur prestige et corollaire du prestige de l’état ; cette amélioration  pourrait aider à réduire  les cours particuliers qui n’ont cessé de se développer ces dernières années, pour  devenir l’une des tares de notre système éducatif  dans tous les cycles y compris l’enseignement supérieur.

§  Enfin, le principal objectif de la réforme est à notre avis, de faire de l’école un lieu de savoir qui développe chez l’enfant l’esprit critique  et la capacité  de jugement , un lieu  qui éclaire les esprits et qui enracine les valeurs républicaines et la fierté d’appartenir à une nation qui a une civilisation millénaire.

En résumé, nous aspirons à ce que nos écoles, nos lycées soient des institutions modernes et en harmonie avec notre époque ; certains diront qu’il s’agit là d’un rêve ; nous répliquons en disant que les rêves font partie de l’histoire de tout peuple qui aspire au progrès et au développement.

   II.            Le système éducatif

§  On entend ici par système éducatif, les différents cycles scolaires qui sont actuellement au nombre de trois : l’école primaire ( 6 ans) , le collège ( 3 ans) et le lycée ( 4 ans) ; nous pensons qu’il serait préférable de maintenir cette organisation par la réforme attendu, avec la possibilité d’introduire quelques modifications de détails en cas de nécessité. Comme, par exemple :

-         L’introduction d’une année préscolaire d’une façon officielle à l’école primaire ; cet enseignement sera confié à des éducateurs spécialisés.

-         Ou la généralisation de l’apprentissage des disciplines artistiques (éducation artistique, musicale et danse…) dans toutes les écoles primaires et dans les collèges, soit dans le cadre de clubs ou dans l’emploi du temps avec les autres disciplines ; cet apprentissage devrait être assuré par des spécialistes car aujourd’hui,  de nombreux  élèves terminent leur enseignement de base sans avoir eu l’occasion de pratiquer une activité artistique à l’école.

-         Ou encore prendre toutes les mesure pour aider  Le baccalauréat tunisien de retrouver sa place et son rayonnement , aussi bien à l’échelle nationale et qu’internationale, parmi ces mesures, on pourrait citer celles-ci : L’abandon de l’intégration des résultats du contrôle continu dans le calcul de la moyenne finale  (les fameux 25% puis 20%)[2] ; et la révision des critères et des conditions du rachat ou penser à le supprimer totalement.et enfin instituer  une note éliminatoire comme le zéro ou imposer une note minimale dans les matières spécifiques.

 

§  Nous appelons au rétablissement des écoles normales des instituteurs et des écoles normales supérieures ; pour les premières, on y orientera les élèves à la fin de la première année de l’enseignement secondaire ; pour les deuxièmes, le recrutement se fera parmi les bacheliers ; dans les deux cas, il faudrait sélectionner les meilleurs élèves, mais si cette option s’avèrera irréalisable, il faudrait soumettre tous les nouveaux recrus à une longue période de formation psychopédagogique assurée par les conseillers pédagogiques et les inspecteurs, au cours des premières années  d’exercice ; et en attendant, il est urgent de s’occuper des enseignants qui viennent de réintégrer l’enseignement suite à l’amnistie législative générale sans avoir de qualification professionnelle.

§  Il faudrait penser, d’une façon sérieuse, à encourager l’enseignement professionnel au niveau du deuxième cycle de l’enseignement de base (collège), et à la fin de l’école primaire, pour les élèves qui rencontrent des difficultés à suivre l’enseignement général, car il est inutile recourir au redoublement répété pour ceux et celles dont les moyens intellectuels sont limités.

§  L’orientation universitaire est l’une des problématiques du système éducatif, surtout avec la crise de l’employabilité de plusieurs cursus universitaires ; il devient urgent de réfléchir à de nouvelles filières qui forment les jeunes dans des métiers dont le pays et le marché de l’emploi en sont demandeurs ; il faudrait aussi réduire le nombre d’étudiants dans certaines spécialités ; enfin, il faudrait rétablir les écoles normales supérieures en tant que seules voies pour former les professeurs de collèges et de lycées.

§   Se fixer un objectif suprême pour le système éducatif et choisir la démarche qui garantirait pour la jeunesse une formation éclairée basée sur le développement de l’esprit critique et la pensée rationnelle, et l’affermissement et au respect des valeurs de la république ; en un mot, un système éducatif moderne qui s’intègre à son époque.

 

III.            Les ressources humaines

§  On entend par ressources humaines  tous les acteurs directs de la réforme éducative, et qui représentent un facteur déterminant dans son succès ou son échec, en raison de leur masse importante d’une part, et de leur rôle déterminant dans la mise en application d’autre part ; or parmi les principaux défauts de ces ressources, c’est sa grande hétérogénéité  tant sur le plan de la formation que sur les plans des compétences professionnelles ; les orientations intellectuelles voire  idéologiques  qui amènent parfois à des conflits déclarés ; cette hétérogénéité s’est accentuée après la révolution du 14 janvier 2011 , suite à l’arrivée d’un grand nombre de nouvelles recrues parmi les personnes qui ont profité de l’amnistie législative, soit pour enseigner, soit pour diriger les établissements, bien qu’elles n’avaient l’expérience nécessaire, ce qui n’a pas manqué de se répercuter  négativement sur le niveau de l’enseignement et sur l’homogénéité du corps au sein des établissements scolaires.     

§  Aujourd’hui, nul ne nie  la baisse du niveau de l’enseignement dans notre pays et la dégradation du niveau des aptitudes pédagogiques  des enseignants formés dans les différentes facultés ou autres instituts d’enseignement supérieur, devant l’absence d’institutions spécialisées  dans la formation initiale des enseignants comme ce fut le cas des écoles normales des instituteurs ou des instituts supérieurs de formation des maîtres et de l’école normale supérieure. Aujourd’hui, les centres de formation continue doivent remédier à cette situation en se chargeant de la formation des enseignants en exercice, et les inspecteurs pédagogiques doivent intensifier l’encadrement pédagogique. Quant à la dégradation du niveau de la gestion administrative des établissements scolaires, elle est le résultat du mode de choix des directeurs en fonction de l’appartenance partisane, et non selon les compétences et des critères clairs. Nous proposons qu’il en soit autrement et que la désignation et le choix du directeur se fassent parmi les personnes qui ont gravi avec succès les différents postes de responsabilités en passant par le censorat, puis la direction du collège, et qui ont donné la preuve de leurs qualités selon des évaluations faites par leurs subordonnés.

 

§  Les ressources humaines semblent pléthoriques ; mais en réalité, le secteur a besoin de nouveaux recrutements , car les sciences de l’éducation recommandent de travailler avec des classes de 20 élèves, et puis le ministère compte généraliser l’enseignement de toutes les disciplines y compris celles qui sont actuellement  négligées, comme les spécialités artistiques ( éducation artistique, musicale et théâtrale) et l’éducation physique ; l’absence de ces matières a eu des effets négatifs sur la formation de la personnalité de l’élève tunisien ( développement de l’obscurantisme, et de l’extrémismes, absence de l’esprit critique et rationnel ).La généralisation de l’enseignement de ces matières et le recrutement de personnes qualifiées pour cela sont à notre avis des investissements rentables à court et long termes.

§  La nécessité de considérer l’amélioration des conditions matérielles des enseignants est des leviers pour que l’école puisse retrouver sa place dans la société ; cette école qui n’a cessé de fournir au pays des ressources humaines d’une grande valeur dont le rayonnement et la renommée ont dépassé les frontières du pays.

 

§  Il est devenu nécessaire de moderniser les méthodes et les pratiques pédagogique à l’ère de l’internet, de l’ordinateur, des tablettes et des tableaux interactifs ; le ministère doit organiser des sessions de formation au profil les différents acteurs de l’éducation et en premier les enseignants pour les initier aux nouvelles technologies de l’information (TIC) ; seulement, cette tendance mondiale ne doit pas nous éloigner de notre réalité que nous devons faire évoluer progressivement.

En résumé, il faudrait être conscient du fait que l’investissement dans les ressources humaines est aussi important que tout investissement dans le secteur économique, surtout dans un pays comme le nôtre, qui ne renferme pas de grandes richesses naturelles.

 

Fin de la première partie, A SUIVRE , pour aller à la 2ème partie, cliquer ICI

Farid Ben Slimane,  Professeur d'histoire à l'Université de Tunis.

Tunis, 2013.

Texte traduit par Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid

Pouraccéder à la version, Ar, cliquer ICI

 



[1] Cette réflexion a été écrite par l’auteur au  moment du démarrage du dialogue national sur l’éducation , il n’est pas donc étonnant de trouver certaines recommandations qui semblent maintenant dépassées après la parution du livre blanc et la mise en application de certaines  réformes  comme celle du temps scolaire …

[2]  A partir de la session 2016- 2017 , le calcul de la moyenne du baccalauréat se fera sur la base des seules notes obtenus à l’examen final ( sauf pour l’épreuve de technique pratique pour les candidats de la section sciences techniques

Arrêté du ministre de l’éducation  du 12 août 2016  modifiant l’arrêté du 24 avril 2008  relatif à l’organisation de l’examen du baccalauréat

 

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