lundi 27 novembre 2023

Quelle réforme éducative ? (deuxième partie)

 

 


 

Hédi Bouhouch

Le blog pédagogique poursuit cette semaine la publication de la    réflexion, de M° Farid Ben Slimane  sur la réforme du système scolaire. ( pour revenir à la première partie, cliquer ICI).



Cette réflexion très intéressante est le fruit d’une longue et riche carrière , le professeur  Ben Slimane  fut au début de sa carrière professeur d’enseignement secondaire puis il occupa le poste de censeur au  collège Sadiki , puis inspecteur de l’enseignement secondaire avant de rejoindre l’enseignement supérieur , c’est pour dire que nous sommes en face d’un fin  connaisseur du système éducatifs depuis les années soixante dix,  Le blog pédagogique est honoré de publier cette  intéressante réflexion    .

P.S. les notes de bas de page sont ajouté par le blog

 

 

I.            Les matières et les coefficients

 

§  L’interdisciplinarité est aujourd’hui un concept bien établi en sciences de l’éducation ; et il ne serait pas indiqué de traiter chaque discipline en entité indépendante ; mais il est préférable de penser en groupe de matières  comme le groupe des langues ou celui des sciences  exactes, ou encore les sciences sociales, le groupe des arts… On pourrait imaginer d’autres familles en fonctions des sections au niveau de l’enseignement secondaire.

§  L’avantage de cette approche réside dans la phase de la détermination de l’horaire et des coefficients ; elle permet de concevoir un système qui garantit un certain équilibre entre les familles de matière et assure un niveau acceptable de formation générale à tous les élèves,  surtout au niveau de l’enseignement de base ( 9 ans).

§   Au niveau de l’enseignement secondaire, on pourrait admettre une différentiation entre les disciplines selon les sections ( Lettres-  Sciences - Economie et Gestion…) à condition de ne pas avoir des écarts excessifs, tant au niveau de l’horaire que des coefficients ; cette option pourrait contribuer à limiter le  recours au cours particuliers qui sont  devenus - ces dernières années - un véritable fléau , qui s’explique par la lourdeur de certains programmes et par les forts coefficients de certaines matières  sans oublier le problème de l’orientation scolaire.

§  Beaucoup d’élèves des régions intérieures et d’autres régions, y compris quelques grandes villes, terminent leur scolarité sans qu’ils aient étudié certaines matières artistiques, et sans avoir pratiqué des activités sportives et physiques, donc leur formation est une formation tronquée et la construction de leur personnalité n’est pas équilibrée.

§  Il est temps d’arrêter de classer les disciplines scolaires en matières essentielles ou principales et matières secondaires,  alors que toutes les matières jouent un rôle aussi important dans la construction de la personnalité de l’enfant et dans sa formation ; certains directeurs ont pris la fâcheuse habitude réserver les heures de la matinée pour les matières « nobles »,  d’utiliser les matières secondaires pour boucher les trous des emplois du temps. Ceci est une pratique condamnable pédagogiquement dont rien ne justifie.

§  Il est nécessaire de réviser la liste des matières de tous les niveaux scolaires, soit en enlevant certaines matières ou en révisant leur contenu, ou en ajoutant de nouvelles matières ; la tendance actuelle en sciences de l’éducation est vers la réduction des disciplines et des contenus, car on n’a pas besoin de bourrer la tête de l’élève  de connaissances que chaque  élève  pourrait avoir facilement par d’autres moyens qui se trouvent hors de l’école .

§  Il est nécessaire d’adapter les contenus des programmes aux sections de l’enseignement secondaire, en axant la formation sur les matières spécifiques de chaque spécialité ; de cette manière, il serait possible de compresser la masse horaire qui est aujourd’hui trop chargée, ne laissant  pas aux élèves du temps libre pour s’adonner à des activités sportives et culturelles et pour réviser ses cours ; rappelons que la question n’est pas une question de quantité mais de qualité.

§  Le grand nombre de matières, la longueur des programmes, les écarts entre les coefficients, la prédominance des cours théoriques et la faible part  accordée aux exercices et aux applications pratiques,  tout cela explique  l’échec, le  redoublement et le recours aux cours particuliers ; il faudrait réduire les contenus théoriques et  consacrer le tiers de l’horaire officiel aux exercices et à leur correction.

§  Il est aujourd’hui nécessaire d’accorder plus d’attention aux sciences sociales et aux langues dans les sections scientifiques et techniques, et de rétablir la matière de la lecture des romans à l’école primaire et au collège, car toutes ces disciplines permettent de développer chez les enfants l’esprit critique et rationnel.

II.            Le temps scolaire

§  Le temps scolaire (les temps des études et les temps de congé)  varie  d’un pays à un autre, en fonction  de plusieurs facteurs, comme le climat, le système d’évaluation, l’organisation administrative ( centralisée ou décentralisée) ; la question du temps scolaire dans notre système scolaire a été au centre des débats depuis quelques années ; les avis étaient divergents ; certains étaient pour le statuquo, c’est  à dire le régime des doubles séances ; d’autres étaient pour le changement et l’adoption de la séance unique ; chaque camp avance ses arguments, c’est pourquoi il faudrait  temporiser et poursuive la consultation et éviter le suivisme , car le contexte n’est pas forcément le même.

§  Il faudrait tenir compte de la réalité tunisienne dans le choix du type de temps scolaire, car tout changement va avoir un impact sur plusieurs secteurs, car entre le régime de la séance unique et celui de la double séance et entre la semaine de 6 jours et celle de 5 jours ; il y a une énorme différence, la question est en même temps une question de quantité et de qualité ; on peut se trouver dans une situation où la première est d’un niveau élevé et de la deuxième d’un niveau moindre et vice  versa. 

§  Et si la décision de changement est arrêtée, il serait préférable soumettre le nouveau régime à une période d’essai et d’expérimentation dans un certain nombre d’établissements, suivi d’une évaluation aux termes de laquelle, il sera généralisé ou abandonné.

§  On pourrait opter pour un temps scolaire « mobile » ou « variable » selon les régions et les milieux, et selon les conditions propres à chaque région, si bien que certaines pourraient fonctionner selon le régime de la séance unique, alors que d’autres continueront de travailler selon l’ancien régime ; mais tout en unifiant les dates des congés pour le pays.

§  Le temps scolaire est aussi  le temps des vacances ( durée et fréquence) ; supposons qu’on s’est mis d’accord sur une année scolaire  de 40 semaines  de cinq  jours, ce qui nous fait 200 journées  de cours ; on pourrait, dans ce cas, maintenir l’organisation trimestrielle pour le contrôle continu et les vacances, ou bien l’organisation semestrielle, qui nous semble la meilleure, car elle permet de diviser l’année scolaire en deux périodes  de cours séparées par une vacance mi-annuelle relativement longue ( 3 semaines) et deux petites vacances de 4 jours  au milieu de chaque semestre ; dans ce cas , l’évaluation des acquis des élèves se fera selon le contrôle continu, au cours des deux trimestres, et par un examen à la fin de chaque semestre, les examens nationaux débuteront le 10 juin.

En résumé, la question du temps scolaire est d’une grande importance dans toute réforme du système éducatif ; c’est pour cette raison qu’il faudrait la traiter avec beaucoup de précaution et sans précipitation, et tenant compte de plusieurs facteurs avant de prendre la décision.

 

III.            Le manuel scolaire

§  Les sources de la connaissance se sont multipliées de nos jours, et l’école en a perdu le monopole, surtout dans le monde développé ; le phénomène a touché  notre pays bien que dans quelques régions l’école reste encore la principale  ressource du savoir grâce à l’instituteur et le manuel.

§  Dans la plupart de ces régions, le manuel scolaire est l’unique référence aussi bien pour l’instituteur et l’élève ; c’est un outil vital en dépit de ses défauts, lesquels il est facile de remédier dans le cadre d’une vision différente des manuels scolaires à l’occasion de la réforme éducative.

§  Dans le cas où l’enseignant dispose d’autres sources, il est appelé à se libérer du manuel et à le considérer comme une source parmi d’autres, quand il prépare ses leçons ; il doit être une source d’enrichissement pédagogique et scientifique, c’est à ce moment qu’on pourrait dire que l’enseignant s’est libéré de la tyrannie du manuel ; celui-ci est devenu pour un grand nombre d’enseignants l’unique outil de travail, et leurs leçons sont devenues de simples paraphrases  du manuel ; où est dans ces cas la personnalité de l’enseignant  et où est son esprit créatif ?

§  Le manuel scolaire souffre de plusieurs maux comme : des manuels volumineux, avec une tendance vers l’encyclopédisme, et  un manque d’esthétique … Pour remédier à tout cela , il serait préférable que :

-         L’essentiel du manuel soit constitué de supports pédagogiques (textes d’illustration, photos, tableaux et graphiques et dessins…) ;

-          Que la partie connaissances soit réduite (concision et précision) ;

-         Le manuel soit attrayant et de petite taille pour faciliter son transport surtout que les manuels sont aujourd’hui nombreux, car ils couvrent toutes les disciplines.

 

§  Enfin, il est nécessaire de poser le problème du manuel parascolaire et la prolifération des titres, au point de devenir un commerce lucratif qui attise la concurrence entre les éducateurs qui produisent et distribuent ce type d’ouvrages, sans qu’ils soient obligés de les soumettre auparavant à l’évaluation ; est-ce un phénomène positif ou au contraire s’agit-il d’une pratique négative ?  S’il s’avère que le manuel parascolaire constitue un enrichissement de la librairie scolaire et qu’il stimule la production intellectuelle et qu’il aide l’instituteur à mieux remplir sa mission, on ne peut qu’approuver et qu’encourager ce phénomène.

IV.            L’infrastructure

§  L’amélioration de l’infrastructure est une composante de la réforme éducative ; en plus, il faudrait garantir des conditions favorables à l’apprentissage, à savoir les moyes de transport, les routes et les cantines scolaires, surtout dans le milieu rural. 

§  Il est nécessaire d’équiper les établissements scolaires avec les salles spécialisées, les laboratoires et les espaces dédiés aux activités culturelles (théâtre, musique, dessin d’art) et les espaces dédiés aux activités sportives lesquels sot aussi importants que les autres disciplines littéraires et scientifiques.

§  L’autorité de tutelle, avec l’aide de la société civile, les pouvoirs locaux (municipalité et conseil régional) doit accorder à l’entretien un intérêt particulier ; c’est une action journalière et de longue haleine, car son absence entrainerait irrémédiablement une dégradation de l’infrastructure des établissements éducatifs.

§  Il faudrait que les opérations de maintenance et d’entretien ne soient pas sous la forme de campagnes occasionnelles et limitées dans le temps, mais une œuvre permanente, tout en veillant à développer une prise de consciente citoyenne qui touchera les parents et les élèves pour la protection des établissements scolaires. 

§  Il faudrait penser à des formules permanentes pour la maintenance et l’entretien des équipements et du matériel didactique, comme la création de centres spécialisés dans les différentes régions, ou charger les écoles de métiers de cette mission[1], après sa restructuration pour lui permettre de fabriquer certains équipements et d’assurer un service d’entretien et de maintenance ; dans la même optique, on pourrait penser à créer une imprimerie dédiée au ministère[2] pour imprimer les manuels scolaires dans le cadre de la bonne gouvernance et de la bonne gestion des ressources financières.

§  Le ministère est appelé à généraliser les cantines scolaire (avec la participation de la société civile), surtout dans le monde rural ou semi-rural, là où la dispersion de l’habitat et les conditions précaires de la majorité des familles posent le problème du transport entre l’école et les lieux d’habitation pour les élèves

§  Il faudrait penser aussi à équiper tous les collèges et les lycées de salles de révision (des salles de permanences),  afin  d’éviter aux  élèves d’être obligés de quitter leur établissements  durant les heures creuses, ou en cas d’absence  de leur professeur, on réduirait ainsi les risques de la rue qui sont devenus aujourd’hui de plus en plus nombreux.

§  Il faudrait penser à la question de la sécurité des établissements par la construction d’enceintes assez hautes et par le recrutement de vigiles (gardiens), ou même par l’installation d’équipements modernes de surveillance ; peut-être qu’ainsi nos établissements retrouveront-elles le respect et leur intégrité.  

V.            L’enseignement privé

Il y a une question centrale à laquelle on se doit de répondre : Pourquoi cette affluence cers l’enseignement privé au niveau de l’école primaire essentiellement[3] ? Dans la réponse à cette question, et dans l’énumération des causes, on retrouve en réalité les défauts et les maux dont souffre l’école publique ; parmi ces causes, on pourrait citer celles-ci :

§  Le temps scolaire adopté par les écoles privées répond mieux aux attentes des parents ; ces derniers cherchent un système qui peut assurer la garde de leurs enfants, pendant toute la journée,  et qui fournit le déjeuner du midi et le goûter de l’après-midi. D’autre part, le privé fonctionne selon la formule de la semaine de cinq jours qui est en symbiose avec la semaine de travail d’un grand nombre de parents.

§  Le faible taux d’absentéisme parmi les enseignants et la présence de remplaçants qui sont attachés à l’école, alors que dans le public, le remplacement, quand il est assuré, se fait avec beaucoup de retard, à cause de la lourdeur des procédures.

§  L’encadrement des enseignants qui est assuré par un  cadre permanent attaché à l’école qui s’occupe de l’assistance pédagogique  afin de garantir un meilleur rendement , alors que dans le privé, les visites d’inspection ou d’assistance s’effectuent à des intervalles très espacées[4] .

§  Dans le cadre de la concurrence, et pour attirer les clients, les écoles privées cherchent à se doter d’équipements pédagogiques et de matériels didactiques, et à offrir un cadre de vie attrayant.

§  Plusieurs institutions privées assurent un service de transport pour leurs élèves ; c’est un service déterminant parfois pour un certain nombre de parents dans le choix de l’établissement.

§  La programmation de l’apprentissage des langues étrangères ( le français et l’anglais) dès la première année, en utilisant des méthodes modernes et actives.[5]

§  Les résultats obtenus par ces écoles dans le concours d’entrée aux collèges pilotes constituent un facteur d’attraction déterminant dans le choix des parents.

§  Enfin, plusieurs parents voient que le choix de l’école privée va les débarrasser des cours particuliers ; c’est un peu vrai, mais cela ne veut pas dire que tous les élèves qui fréquentent ce type d’école ne suivent pas de cours particuliers.

 

Tous ces avantages, du point de vues des parents, ne doivent pas occulter les inconvénients de l’enseignement privé dont le principal est le coût très élevé (frais d’inscription, manuels scolaires, cantines …), et les écarts entre les écoles quant à la qualification et la professionnalisation des enseignants.

 

Farid Ben Slimane,  Professeur d'histoire à l'Université de Tunis.

Tunis, 2013.

Texte traduit par Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid

Pour accéder à la version, Ar, cliquer ICI



[1]  Ces écoles n’existent plus depuis plusieurs années déjà , et remplacées par les collèges techniques  qui  vont disparaitre  d’ici 2018 puisque cette année  ( 2016-2017 ), le ministère n’a pas orienté de nouveaux élèves en 1er année

[2] Le ministère a créé depuis les année soixante l’office pédagogique pour cette mission  qui est devenu plus le centre national pédagogique qui dispose d’un équipement moderne  et d’un personnel compétent pour assurer l’édition des manuels scolaires et autres outils pédagogiques

[3]  L’augmentation de la demande au cours des cinq dernières années  a boosté l’ouverture de nouvelles écoles privées , jusqu’a atteindre  324 écoles  qui ont accueilli 60313  élèves  à la rentrée 2015-2016 alors qu’on ne comptait que  au cours de l’année scolaire 2010-2011 que 109 écoles regroupant 24953 enfants.

 Source : l’éducation en chiffres, statistiques du mois d’octobre 2015, l’année scolaire 2015 2016- Ministère de l’éducation , Direction générale des études, de la planification et des systèmes d’information( en Arabe)

http://www.education.gov.tn/article_education/statistiques/stat2015_2016/Livret_StatAR.pdf

[4]  en réalité , ce ci est inexacte à l’heure actuelle , car depuis une dizaine d’année , l’inspection générale a institué une périodicité annuelle pour les visites d’inspection  et ce ci est devenu possible grâce  au renforcement de l’effectifs des inspecteurs  et des conseillers pédagogiques ( au cours de l’année scolaire 2015 - 2016 on comptait 528 inspecteurs soit un inspecteur pour 123 instituteurs et 898 conseillers )

Opt cité

[5]  Il nous semble que ce jugement est loin de la réalité

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