dimanche 16 novembre 2025

Extraits du document le « Programme des programmes »

 


Hédi Bouhouch

Dans le souci de préserver la mémoire de l’école tunisienne et de mettre en valeur les apports des acteurs de l’éducation à travers les différentes époques, la présente publication propose à ses lecteurs des extraits d’un document de référence émis en septembre 2002 par la Direction générale des programmes et de la formation continue, à l’époque du ministre Moncer Rouissi.

Il s’agit du document intitulé « Programme des programmes », conçu comme un cadre de référence pour accompagner la réforme éducative de 2002.

Ce document commence par établir un diagnostic de l’état de l’école tunisienne à cette période, en mettant en lumière les nouveaux enjeux auxquels elle devait faire face. Il consacre ensuite l’essentiel de son contenu à la présentation de l’approche par compétences — une approche pédagogique importée de l’étranger et adoptée par le ministère de l’Éducation — en détaillant les rôles que devaient y jouer les différents acteurs : l’enseignant, l’élève et les parents. Le texte décrit également les types de compétences visés et dresse le profil de l’élève à former selon cette nouvelle vision.

Toutefois, cette ambition est restée lettre morte, freinée par de nombreux obstacles. Près d’un quart de siècle plus tard, force est de constater que l’école tunisienne demeure dans une situation comparable à celle décrite dans le diagnostic du Programme des programmes.

 

 

Notre ecole face a de nouveaux defis

Trois phénomènes interpellent aujourdhui l’école :

Il y a, dabord, la révolution scientifique et ce qu’elle entraîne comme explosion des savoirs et accélération vertigineuse du renouvellement des sciences  et des techniques.

Vient, ensuite, le surgissement des TIC dans tous les champs de lactivité humaine avec ce qu’elles  suscitent  comme  nouvelles  sources  de  connaissances  et  comme  nouveaux supports didactiques.

Il y a, enfin, lévolution rapide de la carte des métiers et lapparition de nouveaux modes de production qui requièrent des compétences et des aptitudes que les formes classiques de formation ne peuvent garantir aux jeunes.

Confrontés à ces transformations conjuguées, les systèmes éducatifs découvrent, partout dans  le  monde,  leur inadéquation avec  les  réalités nouvelles et  leur impréparation à satisfaire leurs exigences. Du coup, lEcole se trouve dans lobligation de tout remettre en question, ses fonctions, ses objectifs, ses moyens et, surtout, les savoirs et les compétences qu’elle  avait  lhabitude  doffrir  aux  apprenants et  qui  répondaient, jusqu’à  un  passé récent, à leurs besoins et à ceux de la société.

Alors que son rôle consistait exclusivement à garantir la pérennité des valeurs de la société et à préparer les nouvelles générations à s’y intégrer, lEcole est désormais appelée à assumer dautres fonctions dont les plus importantes sont :

-    Faire acquérir aux apprenants des compétences durables et laptitude à apprendre par eux-mêmes et tout au long de la vie.

-  Réviser les outils didactiques et les approches pédagogiques et les renouveler dans le sens d’une nouvelle relation entre le maître, lélève et le savoir.

-    Revoir le férentiel des aptitudes et des compétences qui lui servait à former les élèves et à les préparer à lavenir et ce dans le sens d’une meilleure adaptation aux changements, aux innovations et aux nouveaux métiers.

Nul doute que lEcole tunisienne a rendu dinsignes services au pays en lui fournissant les compétences scientifiques et les cadres administratifs dont il avait besoin pour sengager sur la voie du progrès.

Par ailleurs, notre école a connu une progression exponentielle de ses  effectifs due principalement à la gratuité et à lobligation scolaire qui ont contribué à la diffusion de linstruction parmi les enfants de toutes les catégories sociales et dans toutes les régions. Cette massification sest traduite par une grande hétérogénéité des profils des apprenants rendant inadaptés les parcours scolaires linéaires et uniformisés, et inopérants les modèles pédagogiques  qui  ne  tiennent  pas  compte  des  caractéristiques  de  chaque  catégorie délèves et de leurs besoins psychologiques et intellectuels conditionnés par leurs milieux sociaux.

Pour toutes ces raisons, les marches didactiques et les processus pédagogiques ont été soumis à des évaluations successives, tant externes et quinternes, et qui ont révélé de graves insuffisances que nous pouvons résumer comme suit :

La persistance du phénomène de l’abandon scolaire

Malgré lamélioration du taux de scolarisation qui atteint aujourdhui 99% des enfants de 6 ans, lampleur du phénomène de labandon scolaire qui touche un nombre important délèves à tous les cycles empêche lécole de mener à bien son œuvre éducatrice.

La situation devient insupportable quand labandon est précoce et que les élèves qui quittent lécole avant terme sont dépourvus des acquis les mettant à labri d’un retour certain à lillettrisme. Leur condition est dautant plus injuste que léchec qu’ils ont subi est souvent abusif.

Lécole se trouve donc dans lobligation didentifier les facteurs responsables de cette «mortalité scolaire », de revoir ses méthodes dapprentissage et de trouver les moyens denrayer labandon et dallonger la scolarité de lélève jusqu’à lui permettre de maîtriser les compétences et les aptitudes nécessaires à lapprentissage tout au long de la vie.

L’insuffisance des acquis des élèves qui réussissent

Lexamen attentif des profils de ceux qui sortent de lécole montre qu’un grand nombre dentre eux ne possèdent pas les compétences et les aptitudes nécessaires à lapprentissage tout au long de la vie.

Si  les facteurs responsables de ces insuffisances et du faible rendement quantitatif et qualitatifs de lécole sont multiples et sinterpénètrent, les programmes denseignement par leurs contenus, leur structure et les approches pédagogiques qu’ils induisent, en sont la cause principale.

La flexion autour de lécole de demain, lexplosion des savoirs et la multiplication de leurs  sources  et  des  modes  leur  transmission, et    le  questionnement des  expériences internationales les plus probantes en matière de forme éducative, tout cela rend nécessaire et urgent la rénovation de nos programmes conformément aux exigences du monde actuel afin de permettre à notre école dassumer au mieux   les principales responsabilités que la loi dorientation de léducation et de lenseignement scolaire lui a fixées et garantir, ainsi, à ceux qui en sortent des acquis de qualité et une large base de formabilité.

L’approche par les compétences :Fondements et concepts

Lapproche par les compétences se présente aujourdhui comme la solution la plus pertinente et la plus actuelle que plusieurs pays développés ont adoptée pour atteindre deux objectifs majeurs.

Le premier consiste à faire face efficacement aux probmes de léchec scolaire et celui de la baisse de la qualité des acquis des élèves. Le second vise à doter les apprenants d’une base souple de formation et à leur faire acquérir les compétences qui garantissent les conditions nécessaires à une employabilité durable dans un monde les savoirs et les métiers sont en perpétuel changement.

Lapproche par les compétences fère à plusieurs théories dont, principalement, le constructivisme  qui  se  fonde,  notamment,  sur  les  travaux  de  Vygotski et  ceux  de Piaget.

La caractéristique principale de cette approche est qu’elle sintéresse particulièrement à la nature du savoir et au rôle que joue lapprenant dans sa construction. Elle accorde également une importance capitale aux processus intellectuels, affectifs et sociaux qui accompagnent lacquisition de nouveaux savoirs et ce qu’ils supposent comme réminiscence et réorganisation continuelle des acquis antérieurs.

Le constructivisme attribue à lapprenant un rôle primordial dans le processus de maîtrise des connaissances et appelle à tenir compte de la logique des apprentissages qui ne peut se réduire à la logique des connaissances. Lactivité dapprentissage suppose, exige même, lintervention cognitive de lapprenant, la connaissance nétant que le résultat d’une construction  réalisée  par  le  sujet  connaissant.  Le  rôle  de  lenseignant  dans  cette construction  est  celui  dintermédiaire facilitateur plus  que  celui  d’un  dépositaire  des savoirs à transmettre. Lapprentissage nest pas, dans la logique constructiviste, un processus cumulatif de savoirs dispensés par lenseignant et sajoutant les uns aux autres, mais  plutôt  une  construction   réorganisation  continuelle  de  connaissances antérieurement acquises ponctuée de ruptures et dobstacles qu’on ne peut vaincre qu’en disposant de suffisamment de temps, tant pour lélève que pour lenseignant.

Lapprenant  est  appelé,  dans  cette  optique,  à  réaliser  deux  tâches  importantes.  La première est une opération dintégration consistant à assimiler les contenus que nous lui proposons et la seconde consiste à accommoder ces contenus à ses représentations et aux savoirs antérieurement maîtrisés.

Cette opération peut se révéler difficile en raison du hiatus qui sépare les connaissances acquises et celles que nous voulons lui faire apprendre. Cest on découvre le mérite de lévaluation formative qui aide à lever les obstacles par le diagnostic des erreurs, lanalyse de leur nature et la recherche des moyens pour y remédier.

Lapproche par les compétences repose sur un ensemble de concepts et de férences qui permettent  de  revoir  la  nature  des  relations  entre  les  différentes  composantes  du processus enseignement-apprentissage.


En effet, elle met les connaissances au service de la construction des compétences, fonde de nouvelles pratiques pédagogiques en rupture avec le modèle classique denseignement qui privilégie la transmission des savoirs et leur accumulation, instaure un modèle dapprentissage qui place lélève au centre de laction éducative et, pour finir, met lévaluation au service de lapprentissage.

La voie la mieux à même dinstaurer cette conception de lenseignement   passe par la construction de nouveaux programmes autour de la notion de compétence, une notion née de lévolution de lorganisation du travail et de la production et qui a révolutionné les modalités de la formation professionnelle avant dinspirer le monde de léducation et de lenseignement général dans sa recherche de nouvelles normes et méthodes pédagogiques. Les objectifs de lapprentissage étant daccompagner lélève dans la construction de ses propres compétences, il devient nécessaire de faire des connaissances des ressources au service de la construction de ces compétences.

Il nest, par conséquent, plus permis de faire acquérir des savoirs sans fléchir à lobjectif visé et à leur utilité car les connaissances valent par l’usage qu’ou en fait. En effet, « la connaissance est pertinente chaque fois qu’elle résiste à lépreuve de la vie, » comme le soutient le constructivisme.

De ce point de vue, les connaissances sont des ressources auxquelles on recourt pour dépasser une difficulté, comprendre une situation ou résoudre un probme. Lélève nadhère pleinement à un apprentissage que sil perçoit le bénéfice qu’il peut en tirer. Doù la nécessité détablir un rapport étroit entre les savoirs et ce qu’on attend deux à lécole et dans  la  vie  quotidienne,  sans  les  séparer  de  la  conscience  des  conditions    de  leur réalisation.


Les compétences transversales

Elles désignent    les compétences générales qui ne se rapportent pas à une situation particulière mais qui se déploient dans une gamme de situations multiples et variées. Il sagit de compétences qui traversent tous les champs dapprentissage et à la construction desquelles toutes les disciplines et les activités scolaires participent. Elles sont transposables d’un contexte à un autre, de lécole à la vie courante et peuvent, nous secourir pour résoudre des probmes imprévus, trouver des solutions alternatives à celles commument admises.

 Les compétences diffèrent les unes des autres par leur ampleur. Certaines ne sappliquent qu’à des situations spécifiques relatives à des champs particuliers du savoir ; alors que dautres couvrent plusieurs domaines et traversent une multitude de situations à la fois. Lon  peut, de  ce  fait, distinguer deux sortes de compétences, celles que lon désigne comme compétences disciplinaires et celles que lon appelle compétences transversales. Les compétences diffèrent les unes des autres par leur ampleur. Certaines ne sappliquent qu’à des situations spécifiques relatives à des champs particuliers du savoir ; alors que dautres couvrent plusieurs domaines et traversent une multitude de situations à la fois. Lon  peut, de  ce  fait, distinguer deux sortes de compétences, celles que lon désigne comme compétences disciplinaires et celles que lon appelle compétences transversales

 

Les compétences disciplinaires

 Ce sont les compétences spécifiques à lacquisition desquelles contribue l’une des matières scolaires ou l’une des activités pratiquées à lécole (éducation physique et sportive par exemple). Ce genre de compétence est déterminé par lampleur des savoirs et des savoir-faire qu’acquiert lélève dans le cadre d’une discipline appartenant à l’un des champs du savoir humain.

Lévaluation au service de l’enseignement apprentissage

Toute  approche  pédagogique induit  sa  propre  conception  de  lévaluation  et  les domaines qu’elle considère dignes dêtre évalués, ainsi que les procédures adéquates et les objectifs visés par cette opération.

Lévaluation que privilégie lapproche par objectif, par exemple, sintéresse plus aux productions observables et mesurables de lapprenant qu’aux processus suivis par lesprit soumis  à  lexamen  ou  aux  transformations  cognitives  et  intellectuelles produites  par lapprentissage dans lintellect de lapprenant et ses comportements.

Quant aux outils que cette approche utilise pour lévaluation, ils font appel à la mémorisation et à l’aptitude à la restitution. Lobjectif de lexaminateur est, avant tout, de mesurer le degré de maîtrise par lélève des connaissances et des savoir-faire, ce qui est certes important, sans se soucier de lintégration de ces savoirs ou la restructuration des acquis antérieurs dans une marche globale et un raisonnement clairement mené par lélève.

Pour ce qui est de lévaluation développée par lapproche par les compétences – celle désormais souhaitée elle vise en premier lieu à soutenir lapprentissage et à orienter laction de lenseignant. Dans cette optique, lévaluation na de sens que si elle est partie intégrante de lapprentissage, excluant la séparation entre situation dapprentissage et situation dévaluation. La vraie situation dévaluation est celle- qui mobilise lactivité cognitive de lélève et la met au service de ce qu’il cherche tout en fournissant   par la même occasion à lenseignant des indicateurs pertinents lui permettant dévaluer le degré de maîtrise par lélève de la compétence visée.

Ce genre dévaluation ne sintéresse pas à ce que lélève a ou na pas assimilé comme connaissances mais vise le processus même dacquisition des savoirs.

Cest pourquoi elle prend différentes formes pour réorienter les apprentissages. Cest lévaluation intégrée dans lactivité quotidienne de lélève et qui sert à diagnostiquer les erreurs et à indiquer à lenseignant les remédiations les plus efficaces. Elle est, par conséquent, au service de lenseignement et de lapprentissage et sy identifie.

Ainsi, lapprentissage devient une occasion pour évaluer, et lévaluation offre de nouvelles opportunités pour lapprentissage. Une telle évaluation est dite, à juste titre, formative.

Présentation et sélection de l’extrait par Mongi Akrout, inspecteur général de l’éducation

Tunis, mai 2025

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