dimanche 2 novembre 2025

Un avis sur une épreuve qui refuse de finir


Adel Hadded

Le blog pédagogique reproduit une réflexion sur les cours particuliers  publiée par  l’inspecteur général Adel Hadded le 13 juillet 2025.

D’après lui, le fléau   des cours particuliers n’est pas une anomalie isolée,  mais il s’agit  d’un symptôme d’un système éducatif profondément inégalitaire, ce n’est pas un simple dysfonctionnement du système, mais il témoigne d’une crise profonde d’une école qui reproduit les inégalités sociales.


 Pour lutter contre ce fléau qui menace la gratuité de l’enseignement public, M° Hadded plaide pour une approche radicale qui s’attaquera  à la racine du mal. D’après lui, seule une réforme de fond est capable d’éradiquer  ce mal et restaurer l’équité et l’humanité dans l’éducation.

 

Les cours particuliers persistent tant que persistent les conditions de leur apparition. Maintenant que l’année scolaire a « déposé ses armes», que les résultats scolaires et universitaires sont connus de tous, que certains d’entre nous s’en réjouissent pendant que d’autres reportent leur joie à une date ultérieure ; maintenant que les pourcentages ont été établis, les tableaux dressés, les comparaisons effectuées, les constantes dégagées, les écarts confirmés, l’étonnement provoqué par la rupture de la monotonie... N’ai-je pas le droit de poser une question à ceux qui s’intéressent réellement à la question éducative, au-delà du rythme de ses occasions officielles ?

J’ai suivi la colère de beaucoup contre les cours particuliers, perçus comme un grave fléau qui ronge l’éducation dans notre pays… Je partage cette opinion, car j’y vois une dérive générale, un mal plus nuisible qu’utile, une porte d’entrée vers la fraude désormais acceptée, voire encouragée, par une large frange de bénéficiaires... J’ai aussi suivi les conseils de ceux qui ont appelé à limiter ce phénomène et les mesures officielles visant à l’encadrer et à le maîtriser. Mais j’ai aussi constaté leur échec : elles n’ont ni freiné le phénomène ni protégé nos enfants des dérives qui réapparaissent chaque fois qu’un effort est consenti pour y mettre fin.

Le phénomène continue donc de s’aggraver, promettant un mal croissant qui menace nos jeunes de bien de façons. Je vois même certains se préparer déjà à relancer les cours particuliers, sous de nouveaux noms séduisants, en attendant la rentrée scolaire.

Mais je fais aussi partie de ceux qui croient en ce principe : « Être radical, c’est prendre les choses à la racine, et la racine de l’Homme, c’est l’Homme lui-même. » À partir de là, je me pose la question suivante : Comment espérer enrayer le fléau des cours particuliers dans un système éducatif qui n’est pas équitable, qui ne garantit pas l’égalité des chances, qui impose aux élèves un ensemble d’injonctions déséquilibrées, de contenus hypertrophiés et figés, à traiter dans des délais impossibles, dans des classes surchargées, sans équipement adéquat, et qui soumet leur avenir à une compétition féroce, et à une inflation injuste des moyennes pour obtenir l’orientation vers des filières souvent choisies selon les désirs des parents et non les aspirations, les talents ou les capacités réelles des élèves ?

Un système qui ne tient pas compte, ou si peu, des mutations du monde du travail — entre métiers émergents et la disparition d’autres — et qui ne répond que rarement aux, espoirs, ambitions et aux compétences des jeunes, les condamnant à vivre des rêves comme si elles étaient les leurs  ; alors leur plus grand espoir serait de rejoindre l’élite et l’émigration définitive au-delà des mers ; ou ils seront obligés de déserter en masse les bancs de l’école, parce qu’ils sont incapables de supporter  toute cette injustice, ou encore de courir derrière des chimères semblables à un fil de fumée…

 

Ajoutons à cela l’incapacité du système éducatif dans son ensemble à suivre les évolutions mondiales dans tous les domaines (scientifique, pédagogique, technologique ou le développement des compétences).

Oui, l’école est un ascenseur social… mais les ascenseurs n’existent que dans des bâtiments luxueux et élevés. Or, nos écoles sont, pour la plupart, ni luxueuses, ni élevées ; elles sont à même le sol, sans électricité, et l’eau y est un luxe rare.

Les cours particuliers n’ont pas corrompu la gratuité de l’enseignement public seulement; ils ont ruiné aussi sa dimension démocratique et sociale, lui retirant sa vocation publique authentique, pour en faire un système hybride : « semi-public, semi-privé ».

Soyons donc radicaux : Comment un système aussi déséquilibré, aussi pauvre en humanité, pourrait-il former un être humain équilibré ?

 

Pardon pour la longueur de ma question… Elle est à la mesure de la longueur de ma souffrance avec et pour l’éducation.

 

Adel Hadded, Inspecteur général de l’enseignement

Tunis, Juillet 2025

Traduction : Mongi Akrout, inspecteur général de l’éducation

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