Les cours particuliers persistent tant que
persistent les conditions de leur apparition. Maintenant que l’année scolaire a
« déposé ses armes», que les résultats scolaires et universitaires sont connus
de tous, que certains d’entre nous s’en réjouissent pendant que d’autres
reportent leur joie à une date ultérieure ; maintenant que les pourcentages ont
été établis, les tableaux dressés, les comparaisons effectuées, les constantes
dégagées, les écarts confirmés, l’étonnement provoqué par la rupture de la
monotonie... N’ai-je pas le droit de poser une question à ceux qui
s’intéressent réellement à la question éducative, au-delà du rythme de ses
occasions officielles ?
J’ai suivi la colère de beaucoup contre les
cours particuliers, perçus comme un grave fléau qui ronge l’éducation dans
notre pays… Je partage cette opinion, car j’y vois une dérive générale, un mal
plus nuisible qu’utile, une porte d’entrée vers la fraude désormais acceptée,
voire encouragée, par une large frange de bénéficiaires... J’ai aussi suivi les
conseils de ceux qui ont appelé à limiter ce phénomène et les mesures
officielles visant à l’encadrer et à le maîtriser. Mais j’ai aussi constaté
leur échec : elles n’ont ni freiné le phénomène ni protégé nos enfants des
dérives qui réapparaissent chaque fois qu’un effort est consenti pour y mettre
fin.
Le phénomène continue donc de s’aggraver,
promettant un mal croissant qui menace nos jeunes de bien de façons. Je vois
même certains se préparer déjà à relancer les cours particuliers, sous de
nouveaux noms séduisants, en attendant la rentrée scolaire.
Mais je fais aussi partie de ceux qui croient
en ce principe : « Être radical, c’est prendre les choses à la racine, et la
racine de l’Homme, c’est l’Homme lui-même. » À partir de là, je me pose la
question suivante : Comment espérer enrayer le fléau des cours particuliers
dans un système éducatif qui n’est pas équitable, qui ne garantit pas l’égalité
des chances, qui impose aux élèves un ensemble d’injonctions déséquilibrées, de
contenus hypertrophiés et figés, à traiter dans des délais impossibles, dans
des classes surchargées, sans équipement adéquat, et qui soumet leur avenir à
une compétition féroce, et à une inflation injuste des moyennes pour obtenir l’orientation
vers des filières souvent choisies selon les désirs des parents et non les
aspirations, les talents ou les capacités réelles des élèves ?
Un système qui ne tient pas compte, ou si peu,
des mutations du monde du travail — entre métiers émergents et la disparition
d’autres — et qui ne répond que rarement aux, espoirs, ambitions et aux compétences
des jeunes, les condamnant à vivre des rêves comme si elles étaient les leurs ;
alors leur plus grand espoir serait de rejoindre l’élite et l’émigration
définitive au-delà des mers ; ou ils seront obligés de déserter en masse
les bancs de l’école, parce qu’ils sont incapables de supporter toute cette injustice, ou encore de courir
derrière des chimères semblables à un fil de fumée…
Ajoutons à cela l’incapacité du système
éducatif dans son ensemble à suivre les évolutions mondiales dans tous les
domaines (scientifique, pédagogique, technologique ou le développement des
compétences).
Oui, l’école est un ascenseur social… mais les
ascenseurs n’existent que dans des bâtiments luxueux et élevés. Or, nos écoles
sont, pour la plupart, ni luxueuses, ni élevées ; elles sont à même le sol,
sans électricité, et l’eau y est un luxe rare.
Les cours particuliers n’ont pas corrompu la
gratuité de l’enseignement public seulement; ils ont ruiné aussi sa dimension
démocratique et sociale, lui retirant sa vocation publique authentique, pour en
faire un système hybride : « semi-public, semi-privé ».
Soyons donc radicaux : Comment un système aussi
déséquilibré, aussi pauvre en humanité, pourrait-il former un être humain
équilibré ?
Pardon pour la longueur de ma question… Elle
est à la mesure de la longueur de ma souffrance avec et pour l’éducation.
Adel Hadded, Inspecteur général de
l’enseignement
Tunis, Juillet 2025
Traduction : Mongi Akrout, inspecteur
général de l’éducation

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