Le blog pédagogique présente à ses lecteurs un article écrit par
l'historien et chercheur Mokhtar Ayachi sur le " réseau scolaire de base en
Tunisie avant l'indépendance", dans lequel il fait l'histoire de ce
réseau et de son évolution et insiste
sur la marginalisation des enfants nationaux qui ont été délibérément écartés
, où seule une minorité avait pu profité de ce service public financé en le
budget tunisien.
Le blog pédagogique , tient à
remercier M° Ayachi qui nous a
aimablement permis de reproduire cette publication .
Le blog pédagogique tient
aussi à remercier notre ami M° Habib Saadi , professeur d'histoire et de
géographie et ancien directeur d'établissements secondaires qui a traité avec
beaucoup de talent et de savoir faire les cartes qui accompagnent l'article.
|
M° Mokhtar Ayachi , est
professeur d’histoire à l’université de Tunis, et éminent historien de l’éducation en
Tunisie , il a soutenu deux thèses, une thèse de 3ème cycle (en Juin 1979) sur les deux
réformes scolaires de 1949 (Lucien Paye) et de 1958: étude comparative
intitulée "Enseignement néo-colonial (1949-1958) et choix culturels de
la Tunisie indépendante"; la seconde une thèse d'Etat soutenue à
l'université de Tunis (en juin 1997) intitulée "Ecoles et Société en
Tunisie (1930-1958)". Il a
publié plusieurs livres sur
l’éducation et l’école tunisienne
dont : un livre (réédité deux fois) sur l’histoire des Zitouniens et la Zitouna
"( (1881-1958". , en 2013 un livre traitant de l'école tunisienne
dans la longue durée (1101 av.JC/ 2007) et intitulé, le dernier livre publié en
2015 qui s'intitule "Etudes
d'Histoire culturelle: histoire de l'éducation et mouvements de jeunes en
Tunisie".. Il a également dirigé
et encadré un certain nombre de
mémoires de Master ou de DEA ainsi que des thèses traitant des questions de
l’histoire de l’éducation .
|
I.
Importance de l'infrastructure scolaire au début de la période
contemporaine
Dès le lendemain de l'occupation de
l'Algérie, quelques établissements d'enseignement moderne de premier degré ,
relevant d'œuvres privées italiennes et françaises, existaient dans le pays et
devaient répondre aux besoins de la communauté européenne installée dans la
Régence. si la Communauté italienne du pays créa, sa première école primaire en
Tunisie en 1831,la première école française de Garçons à TUNIS est fondée,
quatre ans plus tard par l'Abbé Bourgade en 1835.
Dix ans plus tard le Vicaire
apostolique dans la régence (Mgr.Sutter)fera ouvrir deux écoles à Tunis(dont
une de jeunes filles) et une troisième à la Goulette.
A la veille de l'installation du
protectorat en Tunisie, à part les établissements d'enseignement à caractère
religieux, tels les Kouttabs et la Zaytouna
ou encore quelques écoles talmoudiques, la Régence ne possédait (après
la fermeture en 1869 de l'école du Bardo, qui a fonctionné
pendant près de trois décennies) qu'un
seul établissement d'enseignement moderne: le collège Sadiki .
C'est une institution beylicale où un
corps enseignant européen dispensait, aux côtés, d'une éducation arabe assurée
par des professeurs tunisiens de la Grande Mosquée, un enseignement et une
formation de type occidental. Trois après l'ouverture de ce collège (1878),
l'Alliance israélite créa une école moderne à Tunis.
Si l'école du Bardo fut jadis destinée
à former les cadres militaire pour l'armée beylicale,le collège Sadiki fondé en
1875, (soit six ans après la fermeture de cette
première institution) devait, pour une part, préparer les enfants des
classes dirigeantes de la régence (précoloniale) aux carrières libérales et
administratives. Ces deux institutions étaient destinées à répondre aux attentes
du pouvoir beylical qui, conscient du degré de développement technique et
économique de l'Europe et de son rôle grandissant, pensait ainsi moderniser ses
structures en se dotant d'une élite de formation moderne capable d'engager le
pays dans la voie du progrès et
de la prémunir, par la-même,
contre les prétentions, de plus en plus manifestes, des puissances voisines française et
italienne.
A la date du 6 mai
1883,(deux ans après l'installation du régime du protectorat , lors de la
promulgation de décret beylical créant la DIP à Tunis,l'infrastructure scolaire
dans le pays comprenait, outre les établissements d'enseignement musulman
(Kouttab, Zitouna) et le collège Sadiki, 23 établissements privés européens[1] dispensant un enseignement
primaire élémentaire et primaire supérieur ainsi que 20 écoles congréganistes
et 3 écoles talmoudiques. Le collège saint Charles était pratiquement le seul
établissement assurant un enseignement secondaire complet.[2]Après avoir adopté ou
subventionné la plupart des écoles primaires privées existantes. qui devenaient
ainsi des écoles publiques , la DIP
s'attachera à la rentrée 1883-1884 à étendre son infrastructure scolaire
par l'ouverture de nouvelles écoles primaires françaises dans les principales
localités de la Régence, où il y avait une concentration de la colonie
française et européenne.
Au début
du protectorat donc, à part quelques exceptions comme le collège sadikien ou de
l'Université de la Zeytouna,l'enseignement arabe dispensé dans la régence était
qualitativement presque négligeable. Quantitativement, les écoles coraniques
(ou Kouttabs) de Tunis et de sa banlieue dépassaient la centaine d'unités, avec
un effectif d'environ deux milliers d'élèves. Il y aurait aussi
plusieurs centaines d'autres écoles coraniques disséminées dans tout le pays.
Dans ces institutions où l'on enseignait essentiellement la Coran, on
dispensait aux élèves, au moyen de méthodes scolastiques, quelques rudiments de
lecture, de
calcul et d'orthographe usuelle de la langue arabe.
Si aucun établissement scolaire
relevant de la DIP n'est théoriquement réservé aux seuls français ou aux seuls
tunisiens , à part le collège Sadiki , institution tunisienne, et l'école
Louise Renée Millet (réservée aux jeunes filles musulmanes des milieux aisés
tunisiens), on notera cependant que les écoles franco-arabes [3] et les centres de
formation professionnelle de garçons ne comptent pratiquement que des élèves
tunisiens musulmans et que les écoles françaises pour leur part , ne sont
fréquentées que par une infime minorité de jeunes nationaux.
La juxtaposition de l'enseignement
officiel moderne au système d'enseignement traditionnel national, laissé en place
par l'administration du protectorat , a produit un compartimentage ou une
diversification du système scolaire en trois secteurs parallèles: l'enseignement
français (moderne),réservé essentiellement aux enfants de la colonie française et européenne.[4] , l'enseignement
franco-arabe(ou bilingue) répondant aux besoins de l'administration coloniale,
notamment et l'enseignement traditionnel coranique, apanage des classes
populaires.
Faut-il souligner également qu'au
niveau de cet enseignement traditionnel tunisien, l'administration coloniale favoriser ,peu
à peu,de certaines institutions dispensant un enseignement réformé, telles que
la Khaldounia, l'Ecole de langue et de littérature Arabe, les cours de droit
tunisien et les Ecoles Coraniques Modernes.
II.
Le réseau scolaire du système du protectorat
En rapport direct avec les
possibilités que peut offrir un édifice scolaire colonial , l'instruction
publique a suivi en Tunisie une évolution en relation avec les aléas de la
politique du système du protectorat . Parmi les critères essentiel commandant
l'implantation d'écoles publiques, il y a notamment l'existence d'un centre de
colonisation ainsi que les centres urbains importants, là où il y avait une
concentration de population européenne[5] . L'évolution quantitative
de l'instruction ne peut être appréhendée indépendamment de
celle de l'infrastructure scolaire elle-même, à la base de laquelle se situe
l'enseignement primaire.
Selon une carte scolaire
de la Tunisie dressée en 1906 par Louis Machuel , directeur de l'instruction
publique [6] les 153 écoles publiques
et privées que comptaient le pays (capitale non comprise) se répartissent
géographiquement ainsi:
- 25 écoles sont
localisées en banlieue de Tunis,
- 66 écoles se trouvent
sur le littoral ( de Bizerte à Jerba),
-62 éparpillées, inégalement dans le reste
des régions.
En effet, cette répartition scolaire inégale fait
que ce « croissant fertile» Bizerte-Testour-Zaghouan, par exemple, compte à lui
seul 75 écoles ,soit à peu près 50% de l'infrastructure scolaire. Le contraste
avec le sud et le centre ouest du pays est également très grand : tout le sud à
partir de l'axe Sfax-Gafsa , ne comte que 18 écoles , rejoint par le centre
ouest à partir de l'axe Testour-Makthar , qui n'en compte que 17, soit un peu
plus de 20% d'écoles pour l'étendue des
75% du territoire.[7]
Si certaines régions
de la Tunisie ont été ainsi relativement plus favorisées que d'autres dans la
répartition inégale du réseau scolaire public, ceci est essentiellement liés à
trois raisons principales : La première concerne l'importance économique de la
région considérée qui commande la seconde raison concernant la densité de la
population et notamment le peuplement français et européens ; la troisième
raison, enfin, qui explique l'inégale densité scolaire au niveau national , est
celle relative à l'importance de l'implantation régionale du mouvement de libération .Ceci détermine à son tour
l'importance de la revendication régionale. D'une façon générale ce sont donc
les villes ainsi que les régions relativement riches qui soient plus favorisées par l'extension de l'infrastructure scolaire
que la campagne et les régions pauvres, présentant peu d'intérêt pour la
colonisation.[8]
C'est donc la «Tunisie utile» , formée
essentiellement de la région de la capitale, de la vallée de la méjerda, du
Cap-Bon et du Sahel qui le plus profité de l'infrastructure scolaire. Ailleurs , avec
le développement de la colonisation officielle, notamment au lendemain de la
première guerre mondiale , un certain nombre d'école est créé dans les nouveaux
centres de mise en valeur agricole à l'intérieur du pays.[9] chaque centre de
colonisation dispose d'une école française dotée le plus souvent d'un internat
accueillant les enfants de colons éloignés.[10]
Ces écoles françaises destinées aux
enfants de la colonie (française et européenne) profitent aussi à une fraction
de la population tunisienne, composée essentiellement de notables qui y
envoient leurs enfants. Cependant , à partir des années vingt principalement
notamment dans les régions côtières ont vu un développement important des
écoles franco-arabes réservées principalement aux jeunes nationaux.
Mais dans l'ensemble et
comparativement à l'évolution démographique de la Tunisie , l'évolution de
l'infrastructure scolaire coloniale , tout degré confondu, se caractérise par
une grande lenteur. C'est ainsi que la moyenne des écoles primaires et autres
institutions d'enseignement primaires créées , se situe à moins d'une dizaine ,
entre 1885 et 1950,et avec moins d'une
soixantaine de nouvelles classes par an.
Pour leur part, les institutions
d'enseignement primaire privées subventionnées et contrôlées par la DIP, à partir
de la fin de la deuxième guerre mondiale (en tant qu'auxiliaires des
institutions officielles ) se répartissent en écoles privées françaises[11] et en Ecoles Coraniques modernes . Les deux types d'écoles étaient de
la même importance à la fin des années trente, (30 écoles catholiques
essentiellement , de 167 classes , contre 32 Ecoles Coraniques Modernes de 162
classes) jusqu'au milieu des années cinquante. Le réseau scolaire privé
français est restée relativement stable( 46 écoles et 398 classes , à raison
d'une moyenne de 8.5 classe par école), vu la scolarisation totale,
pratiquement, dont bénéficiaient les enfants français et européens. Par contre;
le réseau des écoles tunisiennes (Ecoles Coraniques Modernes) a connu à partir
des années cinquante une extension pour rattraper le retard de la scolarisation
publique, passant ainsi de 118 écoles (
avec une moyenne de 4.5 classes par école).
Pour saisir davantage l'importance de
l'édifice scolaire du Protectorat ainsi que son évolution, il faut tenter une
répartition des institutions composant les divers degrés d'enseignement
officiel .En effet, de part leur taux élevé parmi le nombre total des institutions
scolaires publiques(99% des institutions scolaires en 1925,88.6% en 1950, etc…)
les institutions scolaires publiques ont tendance à représenter toute la masse
de cet édifice en formant ses neufs dixièmes. Ceci montre que l'école publique est essentiellement
primaire et qu'avec les autres institutions d'enseignement secondaire ou post
secondaire , qui en constituent 10% de l'infrastructure , elle ne peut former
une pyramide hiérarchisée des différents degrés d'enseignement.
En s'étendant en surface donc ,
l'infrastructure scolaire coloniale se compose essentiellement d'écoles
primaires françaises et d'écoles franco-arabes réservées aux nationaux.[12] Cependant,à titre de
comparaison,il est significatif de constater que les écoles franco-arabes ne
représentent que 39.4% du nombre total des établissements scolaires publics en
1926( 165 écoles sur les 418 établissements existants).Vingt ans plus tard, ce
taux atteint 45% . Et si en 1950,après 70 ans de présence coloniale, il est de
l'ordre de 59.6%, la distorsion reste très sensible à ce niveau entre
nationaux, pour qui il y a une moyenne d'une
seule école primaire pour 10500
habitants alors que la communauté française bénéficie d'un rapport d'une école
pour un millier d'habitants. La différence est donc de l'ordre de un à dix fois
plus au profit de l'élément étranger.
A la fin des années 40, le littoral
demeure la zone la plus favorisée par l'infrastructure scolaire avec 73%
d'écoles primaires publiques (soit 396 établissements sur les 507 que compte le
pays) contre 27% pour l'intérieur du pays; soit 138 écoles seulement. Le
contraste entre les régions côtières et le pays« profond » ,comme il apparaît
plus clairement en annexe sur la carte relative à la répartition du réseau
scolaire primaire public, s'explique non seulement par les raisons économiques
qui déterminent la concentration des centres de colonisation et la localisation des lieux d'habitat de
la communauté européenne , mais surtout , comme nous l'avons souligné, par la
forte demande scolaire nationale dans des régions où l'activité nationale est
plus importante.
Trois grands ensembles scolaires se
distinguent alors : la région de Tunis, qui compte à elle seule près de 200
établissements primaires publics, la région de Sousse , qui en compte une
centaine et le Sud-Est (Sfax, Gabès) qui en compte une centaine(soit 70% du
total des écoles primaires publics du pays).
Il s'agit donc d'une inégale diffusion
du réseau scolaire à travers les différentes régions du pays ou les différents
contrôles civils ,comme il est montré d'ailleurs ci-après, sur la carte géographique
de la Tunisie à une dizaine d'années avant la décolonisation. C'est un réseau comme
il est montré d'ailleurs , ci-après, sur la carte géographique de la Tunisies» à
une dizaine d'années avant la décolonisation. C'est un réseau essentiellement
citadin et littoral.
III.
Etat des lieux de la scolarisation de base durant la période
coloniale
Alors que les portes ses écoles
primaires étaient largement ouvertes , au début de chaque année scolaire aux
enfants français, italiens et juifs tunisiens , elles étaient plutôt exigües
devant les jeunes nationaux ,«faute de place» pour les recevoir ou pour âge
limite(14 ans) dépassé, estimait-on. En tout cas . les jeunes
tunisiens ne seront à égalité(mais non proportionnelle) avec l'élément
européen, du point de vue effectifs
scolaires, à l'école primaire publique, qu'au milieu des années trente(40.508
élèves sur un total de 80.966),[13] en dépit de l'importance
démographique des nationaux.
A la fin des années vingt, les
effectifs des élèves tunisiens de l'enseignement public arrivaient à franchir le
cap des vingtaine de milliers pour atteindre pour la première fois en
1928,30.310 unités. en 1926-1927, par exemple , alors que 92% des français et
européens de Tunisie sont à l'école primaire , 13% seulement des tunisiens
(musulmans) fréquentaient l'enseignement primaire public; soit un coefficient
de différence de 14.5(de moins).
La
situation de l'enseignement primaire public ne connaitra de changements
notables jusqu'à la seconde guerre mondiale où, les effectifs , du fait de la
guerre et des destructions
causées à l'infrastructure, subiront même une
régression de quelques milliers. Les effectifs des élèves en 1944,par exemple,
correspondent à peine à ceux enregistrés en 1934,une dizaine d'années
auparavant, nous pouvons dire que la scolarisation a pratiquement stagné en
Tunisie.
L'évolution des effectifs se situe, pour sa part, jusqu'à
la veille de l'indépendance, à une moyenne annuelle de un à deux milliers d'unités
accusant ainsi un décalage important par rapport aux taux annuels de la
croissance démographique qui se situait à 30000 unités.[14]Autrement dit, la
situation peut être lue de la manière suivante:
- Du milieu des années 1920 à la fin des années 1930, nous
observons une progression d'un millier d'unités par an ( 28.000 élèves, contre
46.000) correspondant à des taux de 46% à 52% d'élèves scolarisés dans le pays.
-Au cours des années quarante; l'évolution
annuelle des effectifs se situe à 20500 unités (46.000, contre 71.000)
correspondant à un taux de scolarisation tendant vers 63% des effectifs totaux
scolarisés par la DIP.
- Enfin, à la veille de l'indépendance (première moitié des
années 1950), la progression annuelle des effectifs scolarisés des nationaux se
situe à 12.400 unités(77.500 élèves , contre 139.000),correspondant à un taux
évoluant vers les 75% des élèves scolarisés en Tunisie.
vue sous l'angle du bénéfice du
service de l'instruction, l'école publique est une institution qui profite
essentiellement aux enfants de la colonie. A titre comparatif, pour les trois
années suivantes, correspondant à trois recensement de la population de
1926.1931 et 1936, nous trouvons les rapports suivants pour chaque millier
d'habitants:
Taux comparés de scolarisation chez les deux principales
communautés en Tunisie (1926-1936)[15]
Année
|
Population d'origine
européenne
(pour 1000habitants)
|
Population tunisienne
(pour 1000habitants)
|
1926
|
192 élèves fréquentent
l'école primaire publique
|
13 élèves fréquentent l'école
primaire publique
|
1933
|
188 élèves fréquentent
l'école primaire publique
|
16 élèves fréquentent l'école
primaire publique
|
1936
|
192 élèves fréquentent
l'école primaire publique
|
17 élèves fréquentent l'école
primaire publique
|
Il convient de souligner également que
la communauté française et européenne ne dispose seulement des services de
l'école publique pas mais aussi de ceux des écoles privées françaises
subventionnées .Celles-ci scolarisent, à elles seules environ le tiers des
effectifs totaux des enfants de la colonie européenne.
Pour sa part , le taux de scolarisation chez les enfants
d'âge scolaire (entre 6 et 13 ans) dénombrés par divers recensements de la
population entre 1921 et 1952, a connu l'évolution suivante:
Années
|
Enfants scolarisables
(de 6 à 13 ans)
|
Dont enfants scolarisés
dans les écoles publiques
|
Taux
de scolarisation
|
1921
|
415.000
|
-
|
.-
|
1931
|
482.000
|
36.494
|
8.8%
|
1936
|
521.000
|
42.756
|
8.8%
|
1942
|
600.000
|
43.416
|
7.2%
|
1944
|
650.000
|
40.242
|
6.2%
|
1946[17]
|
710.000
|
55.461
|
8.8%
|
1952
|
850.000
|
106.276
|
12.5%
|
Ce tableau traduit le faible
degré de l'engagement de l'école
publique, pourtant subventionnée par le contribuable tunisien, dans la scolarisation des jeunes nationaux,
comme nous l'avons déjà signalé , il s'agit d'une «sous scolarisation» corrigée
légèrement, cependant, par un effort des nationaux eux-mêmes au moyens des
institutions d'enseignement traditionnel, telles les Kouttabs, la Zeytouna et ses nombreuses annexes ou encore
par les institutions privées, telles que les Ecoles coraniques Modernes.
D'ailleurs, sur les effectifs totaux
de l'enseignement (tout ordre) , à la fin des années quarante, la DIP assure la
scolarisation de 75.1% de la masse totale des élèves tunisiens, contre 18.1%
des élèves fréquentant les institutions d'enseignement privé ou subventionné (
dont les ECM, notamment) et 6.7% fréquentant la grande Mosquée. Au niveau de
l'enseignement primaire public, la DIP assure la scolarisation d'environ 79%
des effectifs totaux des élèves de cet ordre d'enseignement, contre 21% du
total des élèves qui relèvent de l'enseignement privé ou subventionné.
Conclusion
Au niveau du réseau scolaire de base
en Tunisie avant l'indépendance , les régions les plus défavorisées par
l'extension du service de l'instruction publique sont, d'un coté, les régions
où l'habitat est plutôt dispersé(concentrations villageoises souvent rares) et
de l'autre, celles qui ont le moins intéressé la colonisation ou la population
européenne.[18] Ainsi,
par exemple dans le Caïdat de Sousse, aux nombreux centres urbains et
villageois et où le mouvement national dispose d'assises importantes, 60% de la
population vont à l'école, à la veille des années cinquante, contre seulement
8% dans le Caïdat voisin de Souassi comparativement.[19]
Le facteur démographique explique ,
d'une manière générale , que les taux de scolarisation soient plus forts dans
l'ensemble des régions à forte concentration urbaine ou villageoise que dans
les régions à population plus ou moins flottante. Cette inégalité dans la
répartition géographique de la scolarisation,à laquelle une thèse d'Etat a été
déjà consacrée , [20] oppose ainsi « La Tunisie
Utile» formée du
littoral à la Tunisie de l'intérieur , celle qui a le moins intéressé la
colonisation( Tajerouine,Ouled Aoun;Ouled Ayar, Thala, Sbeitla, Souassi, Kairouan,
El Fahs ou Zlass, Gafsa, Hamamma).
Le facteur politique semble aussi,
dans certains cas, jouer en faveur de la scolarisation des nationaux dans quelques régions
«périphériques». En effet, l'influence politique de quelques notables nationaux
( Grands Conseillers, notamment) explique l'ouverture de quelques écoles dans
des zones rurales bénéficiant de la « protection»
de ces personnalités.
Mokhtat Ayachi, Chercheur
Professeur universitaire d'histoire.
[1][1] Au moment de l'installation du
protectorat, il n'y avait, d'après L.Arnoulet, que sept élèves musulmans
fréquentant les établissements européens, cf. Arnoulet Louis, la pénétration
intellectuelle en Tunisie avant le protectorat in «Revue Africaine».Tome
98(1954),n°438-439,pp.140-182.
[2] Pour d'amples détails
sur la géographie scolaire , jusqu'à la veille de la première guerre mondiale,
cf.Bachrouch Taoufik.- Co-instruction et géographie de scolarisation primaire
élémentaire en Tunisie(1883-1909).«Les cahiers de
Tunisie»;n°133-134,Tunis:Faculté des Lettres et Sciences
Humaines.1985.pp.71-112.
[3] les écoles
franco-arabes de garçons , crées par la DIP sur le modèles des écoles
arabes-françaises algériennes instituées par le décret du 14 juillet 1850 sont
des écoles primaires officielles destinées essentiellement aux tunisiens , et
où l'enseignement de la langue arabe occupait près di tiers des
horaires(9heures sur 30h d'enseignement hebdomadaire) et où l'enseignement de
la langue française permettait aux élèves de se présenter avec les mêmes programmes que ceux des écoles françaises au
certificat d'Etudes primaires et aux concours d'entrée en sixième. Les écoles
franco-arabes rurales consacrent, d'autre part , deux à trois heures de leurs
horaires hebdomadaire à l'enseignement pratique agricole. Pour les écoles
«arabes -françaises» algériennes , cf. Turin Yvonne.- Affrontements culturels
dans l'Algérie coloniale: Ecoles, médecines, religion(1830-1880).-Paris:
François Maspéro,1971,434p.
[4] Peu à peu , les écoles
françaises s'ouvraient aussi aux enfants juifs tunisiens et aux enfants des
milieux aisés tunisiens musulmans
[5] En 1892,
par exemple, il existait 73 écoles publiques relevant de la DIP et réparties en
44 localités du pays .cf.Bachrouch Taoufik, Co-instruction et géographie de la
scolarisation…,op.cit.p.86.
[6] Machuel Louis.l'enseignement
public en Tunisie (1883-1906).- Tunis :Imprimerie rapide , 1906,voir,
notamment la partie annexe.
[7] cette ségrégation
spatiale sera corrigée , au fur et à mesure , par la demande scolaire provoquée
par le mouvement national notamment au profit de régions où ce dernier sera
fortement implanté.
[8] une dizaine d'années
après la création de la DIP , la configuration du réseau scolaire était déjà
tracée; les plus fortes concentrations se trouvent dans le grand Sahel entre
Sousse et Sfax (29%) des écoles , la ville de Tunis compte 26% d'écoles
publiques , le Nord ouest 7% , le Sud-Est 5%,le Cap-Bon 4%, le Centre 2% et le
Sud-ouest 1%; soit les 4/5 entre Bizerte et Sfax.Idem .p.87.
[9] Cf.DIP .- L'œuvre
scolaire de la France en Tunisie: 1883-1930.- Tunis :Imprimerie
V.Berthod.1931,217 p.pp19-20.
[10] Ces internats dont le
plus important est à l'Ariana ,comptent au début des années vingt dejà 686
pensionnaires . Au début des années trente , on compte 18 internats primaires
répartis à Aïn Drahem , Béja, Sousse, Sfax, etc…cf.Rapport sur
la situation de l'enseignement primaire dans la régence , daté du mois d'octobre
1932,3p.dacty.Archives de l'Education Nationale (ressources du Musée de
l'éducation).
[11] y compris les
institutions juives d'enseignement qui sont comptabilisées, à partir de
1945,par les statistiques, comme faisan(t partie des institutions privées
françaises (5 écoles et 67 classes)
[12] Il convient aussi de
signaler l'existence d'un troisième type d'école primaires (moins répandus
certes) qui celui des «écoles recettes» créées à la suite d'un accord établi
entre la DIP et le service des postes et où l'instituteur est en même temps
Receveur des postes.
Cette formule ayant paru avantageusement pour créer des écoles
dans des centres où il était jugé relativement «prématuré d'introduire
l'enseignement de la langue française dont l'usage pouvait ne pas paraître
encore utile pour les populations indigènes».Cf. P.V de la conférence
consultative, année 1907,p.573,in Ayachi Mokthar,
Ecoles&société(1930-1958), Tunis: CERES:2003,p.461.
[13] CF. statistiques
générales de la Tunisie et à partir de 1940 Annuaire statistique de la Tunisie.
[14] d'après les
recensements de 1921,1931 et 1936, Idem. Cf. aussi, Seklani Mahmoud.- la
population de la Tunisie.- Tunis: Société des Arts Graphiques, 1974,189p.
[15] Statistiques Générales de la Tunisie
et . Population de la Tunisie.-Idem.
[17] En 1946, d'après les recensements des jeunes
tunisiens, de moins de 14 ans, représentent 42.1% de la population.
[18] D'après le recensement
de 1946, par exemple, il y a 120 écoles françaises destinées aux enfants des colons
essentiellement et qui fonctionnent avec une ou deux classes seulement en
dehors des communes et des agglomérations de plus de 25 foyers.
[19] DIP .- semaine
pédagogique d'avril 1949(brochure) , Tunis: Imprimerie officielle ,1944.Cf.
Intervention de Jean Poncet , enseignant au collège Sadiki.
[20] Bousnina, M. Développement
scolaire et disparités régionales en Tunisie: Essai de géographie scolaire. - Thèse es-Lettres,
Paris 1, Sorbonne.1983,3 vol,590p.dacty.
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