lundi 28 octobre 2019

Réseau scolaire de base en Tunisie avant l'indépendance


Le blog pédagogique  présente à ses lecteurs un article écrit par l'historien et chercheur Mokhtar Ayachi sur le " réseau scolaire de base en Tunisie avant l'indépendance", dans lequel il fait l'histoire de ce réseau et de son évolution et  insiste sur la marginalisation des enfants nationaux qui ont été délibérément écartés , où seule une minorité avait pu profité de ce service public financé en le budget tunisien.
Le blog pédagogique , tient à remercier M° Ayachi qui  nous a aimablement permis de reproduire cette publication .
Le blog pédagogique tient aussi à remercier notre ami M° Habib Saadi , professeur d'histoire et de géographie et ancien directeur d'établissements secondaires qui a traité avec beaucoup de talent et de savoir faire les cartes qui accompagnent l'article.


M° Mokhtar Ayachi , est professeur d’histoire à l’université de Tunis,  et éminent historien de l’éducation en Tunisie , il a soutenu deux thèses, une thèse de  3ème cycle (en Juin 1979) sur les deux réformes scolaires de 1949 (Lucien Paye) et de 1958: étude comparative intitulée "Enseignement néo-colonial (1949-1958) et choix culturels de la Tunisie indépendante"; la seconde une thèse d'Etat soutenue à l'université de Tunis (en juin 1997) intitulée "Ecoles et Société en Tunisie (1930-1958)". Il a  publié  plusieurs livres sur l’éducation et l’école tunisienne  dont : un livre (réédité deux fois)  sur l’histoire des Zitouniens et la Zitouna "( (1881-1958". , en 2013  un livre traitant de l'école tunisienne dans la longue durée (1101 av.JC/ 2007) et intitulé, le dernier livre publié en 2015 qui  s'intitule "Etudes d'Histoire culturelle: histoire de l'éducation et mouvements de jeunes en Tunisie".. Il a également dirigé  et encadré  un certain nombre de mémoires de Master ou de DEA ainsi que des thèses traitant des questions de l’histoire de l’éducation  .

                  I.                       Importance de l'infrastructure scolaire au début de la période contemporaine
Dès le lendemain de l'occupation de l'Algérie, quelques établissements d'enseignement moderne de premier degré , relevant d'œuvres privées italiennes et françaises, existaient dans le pays et devaient répondre aux besoins de la communauté européenne installée dans la Régence. si la Communauté italienne du pays créa, sa première école primaire en Tunisie en 1831,la première école française de Garçons à TUNIS est fondée, quatre ans plus tard par l'Abbé Bourgade en 1835.

Dix ans plus tard le Vicaire apostolique dans la régence (Mgr.Sutter)fera ouvrir deux écoles à Tunis(dont une de jeunes filles) et une troisième à la Goulette.
A la veille de l'installation du protectorat en Tunisie, à part les établissements d'enseignement à caractère religieux, tels les Kouttabs et la Zaytouna  ou encore quelques écoles talmoudiques, la Régence ne possédait (après la fermeture en 1869 de l'école du Bardo, qui a fonctionné pendant près de trois  décennies) qu'un seul établissement d'enseignement moderne: le collège Sadiki .


C'est une institution beylicale où un corps enseignant européen dispensait, aux côtés, d'une éducation arabe assurée par des professeurs tunisiens de la Grande Mosquée, un enseignement et une formation de type occidental. Trois après l'ouverture de ce collège (1878), l'Alliance israélite créa une école moderne à Tunis.


Si l'école du Bardo fut jadis destinée à former les cadres militaire pour l'armée beylicale,le collège Sadiki fondé en 1875, (soit six ans après la fermeture de cette  première institution) devait, pour une part, préparer les enfants des classes dirigeantes de la régence (précoloniale) aux carrières libérales et administratives. Ces deux institutions étaient destinées à répondre aux attentes du pouvoir beylical qui, conscient du degré de développement technique et économique de l'Europe et de son rôle grandissant, pensait ainsi moderniser ses structures en se dotant d'une élite de formation moderne capable d'engager le pays dans la voie du progrès et de la prémunir, par la-même, contre les prétentions, de plus en plus manifestes, des puissances voisines française et italienne.

A la date du 6 mai 1883,(deux ans après l'installation du régime du protectorat , lors de la promulgation de décret beylical créant la DIP à Tunis,l'infrastructure scolaire dans le pays comprenait, outre les établissements d'enseignement musulman (Kouttab, Zitouna) et le collège Sadiki, 23 établissements privés européens[1] dispensant un enseignement primaire élémentaire et primaire supérieur ainsi que 20 écoles congréganistes et 3 écoles talmoudiques. Le collège saint Charles était pratiquement le seul établissement assurant un enseignement secondaire complet.[2]Après avoir adopté ou subventionné la plupart des écoles primaires privées existantes. qui devenaient ainsi des écoles publiques , la DIP  s'attachera à la rentrée 1883-1884 à étendre son infrastructure scolaire par l'ouverture de nouvelles écoles primaires françaises dans les principales localités de la Régence, où il y avait une concentration de la colonie française et européenne.
Au début du protectorat donc, à part quelques exceptions comme le collège sadikien ou de l'Université de la Zeytouna,l'enseignement arabe dispensé dans la régence était qualitativement presque négligeable. Quantitativement, les écoles coraniques (ou Kouttabs) de Tunis et de sa banlieue dépassaient la centaine d'unités, avec un effectif d'environ  deux milliers d'élèves. Il y aurait aussi plusieurs centaines d'autres écoles coraniques disséminées dans tout le pays. Dans ces institutions où l'on enseignait essentiellement la Coran, on dispensait aux élèves, au moyen de méthodes scolastiques, quelques rudiments de lecture, de calcul et d'orthographe usuelle de la langue arabe.
Si aucun établissement scolaire relevant de la DIP n'est théoriquement réservé aux seuls français ou aux seuls tunisiens , à part le collège Sadiki , institution tunisienne, et l'école Louise Renée Millet (réservée aux jeunes filles musulmanes des milieux aisés tunisiens), on notera cependant que les écoles franco-arabes [3] et les centres de formation professionnelle de garçons ne comptent pratiquement que des élèves tunisiens musulmans et que les écoles françaises pour leur part , ne sont fréquentées que par une infime minorité de jeunes nationaux.

La juxtaposition de l'enseignement officiel moderne au système d'enseignement traditionnel national, laissé en place par l'administration du protectorat , a produit un compartimentage ou une diversification du système scolaire en trois secteurs parallèles: l'enseignement français (moderne),réservé essentiellement aux enfants de  la colonie française et européenne.[4] , l'enseignement franco-arabe(ou bilingue) répondant aux besoins de l'administration coloniale, notamment et l'enseignement traditionnel coranique, apanage des classes populaires.
Faut-il souligner également qu'au niveau de cet enseignement traditionnel tunisien, l'administration coloniale favoriser ,peu à peu,de certaines institutions dispensant un enseignement réformé, telles que la Khaldounia, l'Ecole de langue et de littérature Arabe, les cours de droit tunisien et les Ecoles Coraniques Modernes.
               II.                       Le réseau scolaire du système du protectorat
En rapport direct avec les possibilités que peut offrir un édifice scolaire colonial , l'instruction publique a suivi en Tunisie une évolution en relation avec les aléas de la politique du système du protectorat . Parmi les critères essentiel commandant l'implantation d'écoles publiques, il y a notamment l'existence d'un centre de colonisation ainsi que les centres urbains importants, là où il y avait une concentration de population européenne[5] . L'évolution quantitative de l'instruction ne peut être appréhendée indépendamment   de celle de l'infrastructure scolaire elle-même, à la base de laquelle se situe l'enseignement primaire.

Selon une carte scolaire de la Tunisie dressée en 1906 par Louis Machuel , directeur de l'instruction publique [6] les 153 écoles publiques et privées que comptaient le pays (capitale non comprise) se répartissent géographiquement ainsi:
- 25 écoles sont localisées en banlieue de Tunis,
- 66 écoles se trouvent sur le littoral ( de Bizerte à Jerba),
-62 éparpillées, inégalement dans le reste des régions.



En effet, cette répartition scolaire inégale fait que ce « croissant fertile» Bizerte-Testour-Zaghouan, par exemple, compte à lui seul 75 écoles ,soit à peu près 50% de l'infrastructure scolaire. Le contraste avec le sud et le centre ouest du pays est également très grand : tout le sud à partir de l'axe Sfax-Gafsa , ne comte que 18 écoles , rejoint par le centre ouest à partir de l'axe Testour-Makthar , qui n'en compte que 17, soit un peu plus de 20%  d'écoles pour l'étendue des 75% du territoire.[7]

Si certaines régions de la Tunisie ont été ainsi relativement plus favorisées que d'autres dans la répartition inégale du réseau scolaire public, ceci est essentiellement liés à trois raisons principales : La première concerne l'importance économique de la région considérée qui commande la seconde raison concernant la densité de la population et notamment le peuplement français et européens ; la troisième raison, enfin, qui explique l'inégale densité scolaire au niveau national , est celle relative à l'importance de l'implantation régionale du mouvement  de libération .Ceci détermine à son tour l'importance de la revendication régionale. D'une façon générale ce sont donc les villes ainsi que les régions relativement riches qui soient plus favorisées  par l'extension de l'infrastructure scolaire que la campagne et les régions pauvres, présentant peu d'intérêt pour la colonisation.[8]


C'est donc la «Tunisie utile» , formée essentiellement de la région de la capitale, de la vallée de la méjerda, du Cap-Bon et du Sahel qui le plus  profité  de l'infrastructure scolaire. Ailleurs , avec le développement de la colonisation officielle, notamment au lendemain de la première guerre mondiale , un certain nombre d'école est créé dans les nouveaux centres de mise en valeur agricole à l'intérieur du pays.[9] chaque centre de colonisation dispose d'une école française dotée le plus souvent d'un internat accueillant les enfants de colons éloignés.[10]

Ces écoles françaises destinées aux enfants de la colonie (française et européenne) profitent aussi à une fraction de la population tunisienne, composée essentiellement de notables qui y envoient leurs enfants. Cependant , à partir des années vingt principalement notamment dans les régions côtières ont vu un développement important des écoles franco-arabes réservées principalement aux jeunes nationaux.



Mais dans l'ensemble et comparativement à l'évolution démographique de la Tunisie , l'évolution de l'infrastructure scolaire coloniale , tout degré confondu, se caractérise par une grande lenteur. C'est ainsi que la moyenne des écoles primaires et autres institutions d'enseignement primaires créées , se situe à moins d'une dizaine , entre 1885 et 1950,et  avec moins d'une soixantaine de nouvelles classes par an.


Pour leur part, les institutions d'enseignement primaire privées subventionnées et contrôlées par la DIP, à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale (en tant qu'auxiliaires des institutions officielles ) se répartissent en écoles privées françaises[11] et en Ecoles Coraniques  modernes . Les deux types d'écoles étaient de la même importance à la fin des années trente, (30 écoles catholiques essentiellement , de 167 classes , contre 32 Ecoles Coraniques Modernes de 162 classes) jusqu'au milieu des années cinquante. Le réseau scolaire privé français est restée relativement stable( 46 écoles et 398 classes , à raison d'une moyenne de 8.5 classe par école), vu la scolarisation totale, pratiquement, dont bénéficiaient les enfants français et européens. Par contre; le réseau des écoles tunisiennes (Ecoles Coraniques Modernes) a connu à partir des années cinquante une extension pour rattraper le retard de la scolarisation publique, passant ainsi de   118 écoles ( avec une moyenne de 4.5 classes par école).





Pour saisir davantage l'importance de l'édifice scolaire du Protectorat ainsi que son évolution, il faut tenter une répartition des institutions composant les divers degrés d'enseignement officiel .En effet, de part leur taux élevé parmi le nombre total des institutions scolaires publiques(99% des institutions scolaires en 1925,88.6% en 1950, etc…) les institutions scolaires publiques ont tendance à représenter toute la masse de cet édifice en formant ses neufs dixièmes. Ceci  montre que l'école publique est essentiellement primaire et qu'avec les autres institutions d'enseignement secondaire ou post secondaire , qui en constituent 10% de l'infrastructure , elle ne peut former une pyramide hiérarchisée des différents degrés d'enseignement.

En s'étendant en surface donc , l'infrastructure scolaire coloniale se compose essentiellement d'écoles primaires françaises et d'écoles franco-arabes réservées aux nationaux.[12] Cependant,à titre de comparaison,il est significatif de constater que les écoles franco-arabes ne représentent que 39.4% du nombre total des établissements scolaires publics en 1926( 165 écoles sur les 418 établissements existants).Vingt ans plus tard, ce taux atteint 45% . Et si en 1950,après 70 ans de présence coloniale, il est de l'ordre de 59.6%, la distorsion reste très sensible à ce niveau entre nationaux, pour qui il y a une moyenne d'une  seule  école primaire pour 10500 habitants alors que la communauté française bénéficie d'un rapport d'une école pour un millier d'habitants. La différence est donc de l'ordre de un à dix fois plus au profit de l'élément étranger.

A la fin des années 40, le littoral demeure la zone la plus favorisée par l'infrastructure scolaire avec 73% d'écoles primaires publiques (soit 396 établissements sur les 507 que compte le pays) contre 27% pour l'intérieur du pays; soit 138 écoles seulement. Le contraste entre les régions côtières et le pays« profond » ,comme il apparaît plus clairement en annexe sur la carte relative à la répartition du réseau scolaire primaire public, s'explique non seulement par les raisons économiques qui déterminent la concentration des centres de colonisation et la localisation des lieux d'habitat de la communauté européenne , mais surtout , comme nous l'avons souligné, par la forte demande scolaire nationale dans des régions où l'activité nationale est plus importante.




Trois grands ensembles scolaires se distinguent alors : la région de Tunis, qui compte à elle seule près de 200 établissements primaires publics, la région de Sousse , qui en compte une centaine et le Sud-Est (Sfax, Gabès) qui en compte une centaine(soit 70% du total des écoles primaires publics du pays).
Il s'agit donc d'une inégale diffusion du réseau scolaire à travers les différentes régions du pays ou les différents contrôles civils ,comme il est montré d'ailleurs ci-après, sur la carte géographique de la Tunisie à une dizaine d'années avant la décolonisation. C'est un réseau comme il est montré d'ailleurs , ci-après, sur la carte géographique de la Tunisies» à une dizaine d'années avant la décolonisation. C'est un réseau essentiellement citadin et littoral.

           III.                       Etat des lieux de la scolarisation de base durant la période coloniale
Alors que les portes ses écoles primaires étaient largement ouvertes , au début de chaque année scolaire aux enfants français, italiens et juifs tunisiens , elles étaient plutôt exigües devant les jeunes nationaux ,«faute de place» pour les recevoir ou pour âge limite(14 ans)   dépassé, estimait-on. En tout cas . les jeunes tunisiens ne seront à égalité(mais non proportionnelle) avec l'élément européen, du point de vue  effectifs scolaires, à l'école primaire publique, qu'au milieu des années trente(40.508 élèves sur un total de 80.966),[13] en dépit de l'importance démographique des nationaux.

A la fin des années vingt, les effectifs des élèves tunisiens de l'enseignement public arrivaient à franchir le cap des vingtaine de milliers pour atteindre pour la première fois en 1928,30.310 unités. en 1926-1927, par exemple , alors que 92% des français et européens de Tunisie sont à l'école primaire , 13% seulement des tunisiens (musulmans) fréquentaient l'enseignement primaire public; soit un coefficient de différence de 14.5(de moins).
La  situation de l'enseignement primaire public ne connaitra de changements notables jusqu'à la seconde guerre mondiale où, les effectifs , du fait de la guerre et des destructions
causées à l'infrastructure, subiront même une régression de quelques milliers. Les effectifs des élèves en 1944,par exemple, correspondent à peine à ceux enregistrés en 1934,une dizaine d'années auparavant, nous pouvons dire que la scolarisation a pratiquement stagné en Tunisie.
L'évolution des effectifs se situe, pour sa part, jusqu'à la veille de l'indépendance, à une moyenne annuelle de un à deux milliers d'unités accusant ainsi un décalage important par rapport aux taux annuels de la croissance démographique qui se situait à 30000 unités.[14]Autrement dit, la situation peut être lue de la manière suivante:

- Du milieu des années 1920 à la fin des années 1930, nous observons une progression d'un millier d'unités par an ( 28.000 élèves, contre 46.000) correspondant à des taux de 46% à 52% d'élèves scolarisés dans le pays.
-Au cours des années quarante; l'évolution annuelle des effectifs se situe à 20500 unités (46.000, contre 71.000) correspondant à un taux de scolarisation tendant vers 63% des effectifs totaux scolarisés par la DIP.
- Enfin, à la veille de l'indépendance (première moitié des années 1950), la progression annuelle des effectifs scolarisés des nationaux se situe à 12.400 unités(77.500 élèves , contre 139.000),correspondant à un taux évoluant vers les 75% des élèves scolarisés en Tunisie.
vue sous l'angle du bénéfice du service de l'instruction, l'école publique est une institution qui profite essentiellement aux enfants de la colonie. A titre comparatif, pour les trois années suivantes, correspondant à trois recensement de la population de 1926.1931 et 1936, nous trouvons les rapports suivants pour chaque millier d'habitants:

Taux comparés de scolarisation chez les deux principales communautés en Tunisie (1926-1936)[15]
Année
Population d'origine européenne
 (pour 1000habitants)
Population tunisienne
 (pour 1000habitants)
1926
192 élèves fréquentent l'école primaire publique
13 élèves fréquentent l'école primaire publique
1933
188 élèves fréquentent l'école primaire publique
16 élèves fréquentent l'école primaire publique
1936
192 élèves fréquentent l'école primaire publique
17 élèves fréquentent l'école primaire publique

Il convient de souligner également que la communauté française et européenne ne dispose seulement des services de l'école publique pas mais aussi de ceux des écoles privées françaises subventionnées .Celles-ci scolarisent, à elles seules environ le tiers des effectifs totaux des enfants de la colonie européenne.
Pour sa part  , le taux de scolarisation chez les enfants d'âge scolaire (entre 6 et 13 ans) dénombrés par divers recensements de la population entre 1921 et 1952, a connu l'évolution suivante:

Enfants tunisiens scolarisables et effectivement scolarisés entre 1921 et 1952[16]
Années
Enfants scolarisables
(de 6 à 13 ans)
Dont enfants scolarisés
 dans les écoles publiques
Taux  de scolarisation
1921
415.000
-
.-
1931
482.000
36.494
8.8%
1936
521.000
42.756
8.8%
1942
600.000
43.416
7.2%
1944
650.000
40.242
6.2%
1946[17]
710.000
55.461
8.8%
1952
850.000
106.276
12.5%


Ce tableau traduit le faible degré  de l'engagement de l'école publique, pourtant subventionnée par le contribuable tunisien, dans la scolarisation des jeunes nationaux, comme nous l'avons déjà signalé , il s'agit d'une «sous scolarisation» corrigée légèrement, cependant, par un effort des nationaux eux-mêmes au moyens des institutions d'enseignement traditionnel, telles les Kouttabs, la  Zeytouna et ses nombreuses annexes ou encore par les institutions privées, telles que les Ecoles coraniques Modernes.

D'ailleurs, sur les effectifs totaux de l'enseignement (tout ordre) , à la fin des années quarante, la DIP assure la scolarisation de 75.1% de la masse totale des élèves tunisiens, contre 18.1% des élèves fréquentant les institutions d'enseignement privé ou subventionné ( dont les ECM, notamment) et 6.7% fréquentant la grande Mosquée. Au niveau de l'enseignement primaire public, la DIP assure la scolarisation d'environ 79% des effectifs totaux des élèves de cet ordre d'enseignement, contre 21% du total des élèves qui relèvent de l'enseignement privé ou subventionné.

Conclusion
Au niveau du réseau scolaire de base en Tunisie avant l'indépendance , les régions les plus défavorisées par l'extension du service de l'instruction publique sont, d'un coté, les régions où l'habitat est plutôt dispersé(concentrations villageoises souvent rares) et de l'autre, celles qui ont le moins intéressé la colonisation ou la population européenne.[18] Ainsi, par exemple dans le Caïdat de Sousse, aux nombreux centres urbains et villageois et où le mouvement national dispose d'assises importantes, 60% de la population vont à l'école, à la veille des années cinquante, contre seulement 8% dans le Caïdat voisin de Souassi comparativement.[19]

Le facteur démographique explique , d'une manière générale , que les taux de scolarisation soient plus forts dans l'ensemble des régions à forte concentration urbaine ou villageoise que dans les régions à population plus ou moins flottante. Cette inégalité dans la répartition géographique de la scolarisation,à laquelle une thèse d'Etat a été déjà consacrée , [20] oppose ainsi « La Tunisie Utile» formée du littoral à la Tunisie de l'intérieur , celle qui a le moins intéressé la colonisation( Tajerouine,Ouled Aoun;Ouled Ayar, Thala, Sbeitla, Souassi, Kairouan, El Fahs ou Zlass, Gafsa, Hamamma).
Le facteur politique semble aussi, dans certains cas, jouer en faveur de la scolarisation  des nationaux dans quelques régions «périphériques». En effet, l'influence politique de quelques notables nationaux ( Grands Conseillers, notamment) explique l'ouverture de quelques écoles dans des zones rurales  bénéficiant de la « protection» de ces personnalités.

Mokhtat Ayachi, Chercheur Professeur  universitaire d'histoire.


















[1][1] Au moment de l'installation du protectorat, il n'y avait, d'après L.Arnoulet, que sept élèves musulmans fréquentant les établissements européens, cf. Arnoulet Louis, la pénétration intellectuelle en Tunisie avant le protectorat in «Revue Africaine».Tome 98(1954),n°438-439,pp.140-182.
[2] Pour d'amples détails sur la géographie scolaire , jusqu'à la veille de la première guerre mondiale, cf.Bachrouch Taoufik.- Co-instruction et géographie de scolarisation primaire élémentaire en Tunisie(1883-1909).«Les cahiers de Tunisie»;n°133-134,Tunis:Faculté des Lettres et Sciences Humaines.1985.pp.71-112.
[3] les écoles franco-arabes de garçons , crées par la DIP sur le modèles des écoles arabes-françaises algériennes instituées par le décret du 14 juillet 1850 sont des écoles primaires officielles destinées essentiellement aux tunisiens , et où l'enseignement de la langue arabe occupait près di tiers des horaires(9heures sur 30h d'enseignement hebdomadaire) et où l'enseignement de la langue française permettait aux élèves de se présenter avec les mêmes programmes que ceux des écoles françaises au certificat d'Etudes primaires et aux concours d'entrée en sixième. Les écoles franco-arabes rurales consacrent, d'autre part , deux à trois heures de leurs horaires hebdomadaire à l'enseignement pratique agricole. Pour les écoles «arabes -françaises» algériennes , cf. Turin Yvonne.- Affrontements culturels dans l'Algérie coloniale: Ecoles, médecines, religion(1830-1880).-Paris: François Maspéro,1971,434p.
[4] Peu à peu , les écoles françaises s'ouvraient aussi aux enfants juifs tunisiens et aux enfants des milieux aisés tunisiens musulmans
[5] En 1892, par exemple, il existait 73 écoles publiques relevant de la DIP et réparties en 44 localités du pays .cf.Bachrouch Taoufik, Co-instruction et géographie de la scolarisation…,op.cit.p.86.
[6] Machuel Louis.l'enseignement public en Tunisie (1883-1906).- Tunis :Imprimerie rapide , 1906,voir, notamment la partie annexe.
[7] cette ségrégation spatiale sera corrigée , au fur et à mesure , par la demande scolaire provoquée par le mouvement national notamment au profit de régions où ce dernier sera fortement implanté.
[8] une dizaine d'années après la création de la DIP , la configuration du réseau scolaire était déjà tracée; les plus fortes concentrations se trouvent dans le grand Sahel entre Sousse et Sfax (29%) des écoles , la ville de Tunis compte 26% d'écoles publiques , le Nord ouest 7% , le Sud-Est 5%,le Cap-Bon 4%, le Centre 2% et le Sud-ouest 1%; soit les 4/5 entre Bizerte et Sfax.Idem .p.87.
[9] Cf.DIP .- L'œuvre scolaire de la France en Tunisie: 1883-1930.- Tunis :Imprimerie V.Berthod.1931,217 p.pp19-20.
[10] Ces internats dont le plus important est à l'Ariana ,comptent au début des années vingt dejà 686 pensionnaires . Au début des années trente , on compte 18 internats primaires répartis à Aïn Drahem , Béja, Sousse, Sfax, etc…cf.Rapport sur la situation de l'enseignement primaire dans la régence , daté du mois d'octobre 1932,3p.dacty.Archives de l'Education Nationale (ressources du Musée de l'éducation).
[11] y compris les institutions juives d'enseignement qui sont comptabilisées, à partir de 1945,par les statistiques, comme faisan(t partie des institutions privées françaises (5 écoles et 67 classes)
[12] Il convient aussi de signaler l'existence d'un troisième type d'école primaires (moins répandus certes) qui celui des «écoles recettes» créées à la suite d'un accord établi entre la DIP et le service des postes et où l'instituteur est en même temps Receveur des postes.
Cette formule ayant paru avantageusement pour créer des écoles dans des centres où il était jugé relativement «prématuré d'introduire l'enseignement de la langue française dont l'usage pouvait ne pas paraître encore utile pour les populations indigènes».Cf. P.V de la conférence consultative, année 1907,p.573,in Ayachi Mokthar, Ecoles&société(1930-1958), Tunis: CERES:2003,p.461.
[13] CF. statistiques générales de la Tunisie et à partir de 1940 Annuaire statistique de la Tunisie.
[14] d'après les recensements de 1921,1931 et 1936, Idem. Cf. aussi, Seklani Mahmoud.- la population de la Tunisie.- Tunis: Société des Arts Graphiques, 1974,189p.
[15]  Statistiques Générales de la Tunisie et . Population de la Tunisie.-Idem.
[16] Seklani Mohamoud.- La population tunisienne - op .cit.
[17]  En 1946, d'après les recensements des jeunes tunisiens, de moins de 14 ans, représentent 42.1% de la population.
[18] D'après le recensement de 1946, par exemple, il y a 120 écoles françaises destinées aux enfants des colons essentiellement et qui fonctionnent avec une ou deux classes seulement en dehors des communes et des agglomérations de plus de 25 foyers.
[19] DIP .- semaine pédagogique d'avril 1949(brochure) , Tunis: Imprimerie officielle ,1944.Cf. Intervention de Jean Poncet , enseignant au collège Sadiki.
[20] Bousnina, M. Développement scolaire et disparités régionales en Tunisie: Essai  de géographie scolaire. - Thèse es-Lettres, Paris 1, Sorbonne.1983,3 vol,590p.dacty.

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