Afin de contribuer à enrichir le débat que le
Ministère de l’éducation compte engager[1],
nous présentons dans un style télégraphique un ensemble de propositions et de remarques
portant sur diverses questions en rapport avec l’éducation en Tunisie.
I.
Le concept de réforme
§ La réforme est
une opération compliquée et complexe ; c’est une œuvre à long terme qui
doit commencer par une évaluation précise du système éducatif en cours, afin de remédier à ses insuffisances au vu des
résultat d’une profonde consultation qui
doit aboutir à une conception claire, dont la mise en œuvre nécessite une
forte volonté politique et d’importants moyens matériels.
§ Tout système
éducatif est constitué de plusieurs composantes complémentaires qui forment un
ensemble ; or la réforme pourrait se réaliser d’un seul trait touchant
toutes les composantes, ou selon des étapes successives, à condition que celles-ci
s’inscrivent dans le cadre d’une vision globale qui assure la cohérence entre
les différentes compositions en cours de la réalisation.
§ La temporisation
et la non précipitation sont nécessaires
dans ce type de réformes profondes qui touchent non seulement le secteur
de l’éducation, mais cela concerne les différents domaines de la société ;
c’est pour cette raison pour laquelle nous insistons sur l’approfondissement de
la consultation au niveau local , régional et national qui doit s’effectuer
auprès de tous les acteurs sans exclusion (enseignants, inspecteurs,
administrateurs, société civile, organisations nationales, parents et élèves…)
§ Réformer ne signifie pas détruire tout le système en
place et repartir de zéro ; c’est plutôt partir des acquis positifs du
passé et remédier aux insuffisances et aux défauts qui ont affectés plusieurs
composantes du système en cours (programmes, temps scolaire, orientation,
infrastructure, matières, coefficients, manuels scolaires…)
§ La réforme ne
signifie pas non plus revenir aux expériences du passé, et en premier celle du
professeur Mahmoud Messadi comme le réclament certaines voix ; il nous
semble que cela relève de la nostalgie tout simplement, et ce n’est guère rationnel,
car la dite expérience avait réussi dans un contexte bien défini (le pays
venait juste d’accéder à l’indépendance, un sentiment national très fort,
engouement pour la science et pour le savoir …) ; cette époque est révolue .
§ Parmi les
conditions de la réussite de la réforme, en plus de la bonne préparation et de
la clarté de la conception et la forte volonté
politique, il faudrait que ceux qui sont
chargés de la mise en œuvre soient convaincus et enthousiastes ; mais
l’observateur averti peut constater que
le corps enseignant et l’appareil administratif sont très hétérogènes ;
ils sont d’une grande dissemblance
scientifique, professionnelle , intellectuelle et idéologique ; il
arrive même que cela se manifeste par une lutte déclarée au sein et en
dehors de l’établissement.
§ La réforme concerne
aussi l’infrastructure qui souffre d’une grave dégradation ( les bâtiments et
les équipements) ; il est nécessaire d’assurer les conditions adéquates
pour apprendre, à commencer par les conditions matérielles ; or à l’heure
actuelle, les salles de classe ne sont ni convenables ni dignes d’être un lieu
du savoir ; certaines écoles ne disposent pas des équipements basiques, tels
que l’eau courante propre à la consommation, les équipements sanitaires, sans oublier
l’absence des moyens de transport , l’état des pistes et des routes dans le
milieu rural , les cantines scolaires et bien sûr l’indigence des équipements
didactiques et scientifiques.
§
La réforme concerne aussi l’amélioration des
conditions matérielles des enseignants, des cadres administratifs et du corps
de l’inspection, car leur prestige et corollaire du prestige de l’état ; cette
amélioration pourrait aider à réduire les cours particuliers qui n’ont cessé de se développer
ces dernières années, pour devenir l’une
des tares de notre système éducatif dans
tous les cycles y compris l’enseignement supérieur.
§
Enfin, le principal objectif de la réforme est à notre
avis, de faire de l’école un lieu de savoir qui développe chez l’enfant l’esprit
critique et la capacité de jugement , un lieu qui éclaire les esprits et qui enracine les valeurs
républicaines et la fierté d’appartenir à une nation qui a une civilisation
millénaire.
En résumé, nous aspirons à ce que nos écoles, nos
lycées soient des institutions modernes et en harmonie avec notre époque ;
certains diront qu’il s’agit là d’un rêve ; nous répliquons en disant que
les rêves font partie de l’histoire de tout peuple qui aspire au progrès et au
développement.
II.
Le système éducatif
§ On entend ici
par système éducatif, les différents cycles scolaires qui sont actuellement au
nombre de trois : l’école primaire ( 6 ans) , le collège ( 3 ans) et le
lycée ( 4 ans) ; nous pensons qu’il serait préférable de maintenir cette
organisation par la réforme attendu, avec la possibilité d’introduire quelques
modifications de détails en cas de nécessité. Comme, par exemple :
-
L’introduction d’une année préscolaire d’une façon
officielle à l’école primaire ; cet enseignement sera confié à des
éducateurs spécialisés.
-
Ou la généralisation de l’apprentissage des
disciplines artistiques (éducation artistique, musicale et danse…) dans toutes
les écoles primaires et dans les collèges, soit dans le cadre de clubs ou dans
l’emploi du temps avec les autres disciplines ; cet apprentissage devrait
être assuré par des spécialistes car aujourd’hui, de nombreux
élèves terminent leur enseignement de base sans avoir eu l’occasion de
pratiquer une activité artistique à l’école.
-
Ou encore prendre toutes les mesure pour aider Le baccalauréat tunisien de retrouver sa
place et son rayonnement , aussi bien à l’échelle nationale et
qu’internationale, parmi ces mesures, on pourrait citer celles-ci : L’abandon
de l’intégration des résultats du contrôle continu dans le calcul de la moyenne
finale (les fameux 25% puis 20%)[2] ;
et la révision des critères et des conditions du rachat ou penser à le
supprimer totalement.et enfin instituer une note éliminatoire comme le zéro ou imposer
une note minimale dans les matières spécifiques.
§ Nous appelons au
rétablissement des écoles normales des instituteurs et des écoles normales
supérieures ; pour les premières, on y orientera les élèves à la fin de la
première année de l’enseignement secondaire ; pour les deuxièmes, le
recrutement se fera parmi les bacheliers ; dans les deux cas, il faudrait
sélectionner les meilleurs élèves, mais si cette option s’avèrera irréalisable,
il faudrait soumettre tous les nouveaux recrus à une longue période de
formation psychopédagogique assurée par les conseillers pédagogiques et les
inspecteurs, au cours des premières années
d’exercice ; et en attendant, il est urgent de s’occuper des
enseignants qui viennent de réintégrer l’enseignement suite à l’amnistie
législative générale sans avoir de qualification professionnelle.
§ Il faudrait
penser, d’une façon sérieuse, à encourager l’enseignement professionnel au niveau
du deuxième cycle de l’enseignement de base (collège), et à la fin de l’école
primaire, pour les élèves qui rencontrent des difficultés à suivre
l’enseignement général, car il est inutile recourir au redoublement répété pour
ceux et celles dont les moyens intellectuels sont limités.
§ L’orientation
universitaire est l’une des problématiques du système éducatif, surtout avec la
crise de l’employabilité de plusieurs cursus universitaires ; il devient
urgent de réfléchir à de nouvelles filières qui forment les jeunes dans des
métiers dont le pays et le marché de l’emploi en sont demandeurs ; il
faudrait aussi réduire le nombre d’étudiants dans certaines spécialités ;
enfin, il faudrait rétablir les écoles normales supérieures en tant que seules voies
pour former les professeurs de collèges et de lycées.
§ Se fixer un objectif suprême pour le système
éducatif et choisir la démarche qui garantirait pour la jeunesse une formation
éclairée basée sur le développement de l’esprit critique et la pensée
rationnelle, et l’affermissement et au respect des valeurs de la
république ; en un mot, un système éducatif moderne qui s’intègre à son
époque.
III.
Les ressources humaines
§ On entend par
ressources humaines tous les acteurs directs
de la réforme éducative, et qui représentent un facteur déterminant dans son
succès ou son échec, en raison de leur masse importante d’une part, et de leur rôle
déterminant dans la mise en application d’autre part ; or parmi les
principaux défauts de ces ressources, c’est sa grande hétérogénéité tant sur le plan de la formation que sur les
plans des compétences professionnelles ; les orientations intellectuelles
voire idéologiques qui amènent parfois à des conflits déclarés ;
cette hétérogénéité s’est accentuée après la révolution du 14 janvier
2011 , suite à l’arrivée d’un grand nombre de nouvelles recrues parmi les
personnes qui ont profité de l’amnistie législative, soit pour enseigner, soit
pour diriger les établissements, bien qu’elles n’avaient l’expérience
nécessaire, ce qui n’a pas manqué de se répercuter négativement sur le niveau de l’enseignement
et sur l’homogénéité du corps au sein des établissements scolaires.
§
Aujourd’hui, nul ne nie la baisse du niveau de l’enseignement dans
notre pays et la dégradation du niveau des aptitudes pédagogiques des enseignants formés dans les différentes
facultés ou autres instituts d’enseignement supérieur, devant l’absence
d’institutions spécialisées dans la
formation initiale des enseignants comme ce fut le cas des écoles normales des
instituteurs ou des instituts supérieurs de formation des maîtres et de l’école
normale supérieure. Aujourd’hui, les centres de formation continue doivent
remédier à cette situation en se chargeant de la formation des enseignants en
exercice, et les inspecteurs pédagogiques doivent intensifier l’encadrement
pédagogique. Quant à la dégradation du niveau de la gestion administrative des
établissements scolaires, elle est le résultat du mode de choix des directeurs
en fonction de l’appartenance partisane, et non selon les compétences et des
critères clairs. Nous proposons qu’il en soit autrement et que la désignation
et le choix du directeur se fassent parmi les personnes qui ont gravi avec
succès les différents postes de responsabilités en passant par le censorat, puis
la direction du collège, et qui ont donné la preuve de leurs qualités selon des
évaluations faites par leurs subordonnés.
§
Les ressources humaines semblent pléthoriques ;
mais en réalité, le secteur a besoin de nouveaux recrutements , car les sciences
de l’éducation recommandent de travailler avec des classes de 20 élèves, et
puis le ministère compte généraliser l’enseignement de toutes les disciplines y
compris celles qui sont actuellement
négligées, comme les spécialités artistiques ( éducation artistique,
musicale et théâtrale) et l’éducation physique ; l’absence de ces matières
a eu des effets négatifs sur la formation de la personnalité de l’élève
tunisien ( développement de l’obscurantisme, et de l’extrémismes, absence de
l’esprit critique et rationnel ).La généralisation de l’enseignement de ces
matières et le recrutement de personnes qualifiées pour cela sont à notre avis
des investissements rentables à court et long termes.
§
La nécessité de considérer l’amélioration des
conditions matérielles des enseignants est des leviers pour que l’école puisse
retrouver sa place dans la société ; cette école qui n’a cessé de fournir
au pays des ressources humaines d’une grande valeur dont le rayonnement et la
renommée ont dépassé les frontières du pays.
§
Il est devenu nécessaire de moderniser les méthodes et
les pratiques pédagogique à l’ère de l’internet, de l’ordinateur, des tablettes
et des tableaux interactifs ; le ministère doit organiser des sessions de
formation au profil les différents acteurs de l’éducation et en premier les
enseignants pour les initier aux nouvelles technologies de l’information (TIC) ;
seulement, cette tendance mondiale ne doit pas nous éloigner de notre réalité
que nous devons faire évoluer progressivement.
En résumé, il faudrait être conscient du fait que
l’investissement dans les ressources humaines est aussi important que tout
investissement dans le secteur économique, surtout dans un pays comme le nôtre,
qui ne renferme pas de grandes richesses naturelles.
Fin de la première partie, A SUIVRE , pour aller à la 2ème partie, cliquer ICI
Farid Ben
Slimane, Professeur d'histoire à
l'Université de Tunis.
Tunis,
2013.
Texte
traduit par Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid
Pouraccéder à la version, Ar, cliquer ICI
[1] Cette réflexion a été
écrite par l’auteur au moment du démarrage du dialogue
national sur l’éducation , il n’est pas donc étonnant de trouver
certaines recommandations qui semblent maintenant dépassées après la parution
du livre blanc et la mise en application de certaines réformes
comme celle du temps scolaire …
[2] A partir de la session 2016- 2017 , le calcul
de la moyenne du baccalauréat se fera sur la base des seules notes obtenus à
l’examen final ( sauf pour l’épreuve de technique pratique pour les candidats
de la section sciences techniques
Arrêté du ministre de l’éducation du 12 août 2016 modifiant l’arrêté du 24 avril 2008 relatif à l’organisation de l’examen du
baccalauréat
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