lundi 28 janvier 2019

Les réformes éducatives depuis l’indépendance : partie 10 : la loi d’orientation pour l’éducation et l’enseignement scolaire ou un système éducatif qui tend vers la professionnalisation et les critères internationaux.



Hédi Bouhouch
Cette note s’intéresse à la période  qui correspond au passage du Professeur Moncer Rouissi au ministère de l’éducation et de la formation entre le 25 janvier 2000 et le 25 août 2003 .
Il semble que l’apparition de nouvelles approches pédagogiques , l’intérêt porté aux grands projets éducatifs et le désir de placer le système éducatif tunisien  sur la voie des systèmes éducatifs  connus par l’efficacité  de leur  rendement et la qualité de leurs output , ont été parmi les facteurs qui accélérer la décision de remplacer la loi de l’enseignement de 1991 ( dix ans seulement après sa promulgation)[1] et qui n'a été modifiée qu'un fois[2] par une nouvelle loi qui a essayé de s’adapter aux  grandes mutations auxquelles est confronté le système éducatif tunisien au niveau de l’enseignement secondaire.


      I.            Le contexte général

Au moment où le pays connaissait  depuis l’année 2000 quelques mouvements à caractère social , et des  protestations de la presse  contre l’absence de liberté , le pouvoir en place n’a pas cessé de donner à l’élite des promesses tout en poursuivant la même politique , d’autre part cette période fut marquée par l’organisation d’un référendum le 27 mai 2002  pour approuver  la révision  de la constitution[3]  du 1er juin 2002 qui ouvre la voie à une «  consécration de la présidence à vie »[4] et accorde « au président de la république l’immunité juridictionnelle durant ses fonctions et après la fin de celles-ci  en ce qui concerne les actes qu’il accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions »[5]
Sur le plan socio économique, le modèle de développement économique commence à montrer des signes d’essoufflement,  en dépit de l’expansion de la consommation, le chômage est en augmentation, les décisions qui concernent le pays sont prises dans le cadre de la  famille du président et la corruption  a touché tous les secteurs de la vie économique.
Sur le plan éducatif , la consultation sur l’école de demain a permis de
produire un rapport qui traça les grandes lignes de la future  école attendue par les tunisiens  et approuvées par les autorités politiques et éducatives du pays, le ministère fut chargé de préparer un plan quinquennal pour la mise en œuvre des orientations du rapport , le résultat fut  le document connu sous le nom de « la nouvelle réforme du système éducatif tunisien : programme pour la mise en œuvre  du projet de l’école de demain (2002/2007)[6] »   sous la devise : « vers la société du savoir ».  
D’un autre coté , l’union européenne[7]  a accepté de financer  un programme qui vise l’amélioration de l’enseignement de base et le développement du l’efficacité su système éducatif , « les principaux objectifs fixés s’articulent autour des axes suivants :
§  améliorer l’efficacité du système éducatif en agissant sur l’échec scolaire 
§   généraliser les prestations éducatives en milieu rural ;
§  modifier les pratiques pédagogiques en instaurant une culture de l’évaluation ;
§   renforcer une réelle décentralisation/déconcentration pour encourager l’initiative et l’innovation au niveau des régions et des établissements scolaires ;
§   généraliser le recours aux supports pédagogiques modernes et aux technologies informatiques"[8].
   II.               Les défis de la nouvelle réforme et ses principaux axes.



Le programme pour la mise en œuvre  du projet de l’école de demain  (2002/2007) a établi dans  le chapitre intitulé «  le cadre stratégique de la nouvelle réforme éducative » une évaluation générale du système en place qui a permis de dégager les insuffisances suivantes[9] :
§  « La faiblesse du rendement des institutions éducatives
§  La prédominance de l’aspect quantitatif dans les programmes scolaires
§  La faiblesse des acquis des élèves en langues et en sciences
§  L’absence de la culture de l’évaluation
§  Le manque de professionnalisme des enseignants
§  Le centralisme de la gestion du système éducatif »[10].
Sur la base de ces constats, le projet avait fixé les nouveaux défis  suivants pour l’école tunisienne[11] :
§  Former des têtes bien faites ;
§  Maitriser les nouvelles technologies  de l’information et de communication ;
§   Préparer les jeunes à la vie active ;
§  Garantir une éducation de qualité pour tous ;
§  Inter agir positivement avec le milieu ;
§  Libérer les initiatives ;
§  Professionnalisation du système »[12]

 Enfin , le diagnostic et la prospective ont permis de déterminer ,le programme a déterminé six grandes orientations  pour la nouvelle réforme , il s’agit :
§  «  de placer l’élève qui l’acteur principal du système éducatif , au centre de l’action éducative ;
§  Mettre les nouvelles technologies de l’information et de la communication au service des activités d’enseignement-apprentissage ;
§  Professionnaliser le métier d’enseignant[13] ;
§  Centrer sur l’institution scolaire en tant cellule de base du système éducatif ;
§  Mettre en œuvre le principe d’équité entre les régions et les écoles ;
§  Moderniser le système éducatif et améliorer sa capacité à répondre aux demandes renouvelées de la société »[14].
Le programme a mis enfin un calendrier[15]  pour la mise en œuvre des  nouvelles mesures.

III.            La loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire

En juillet  2002 , la nouvelle loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire  est promulguée , cette loi a constitué le cadre législatif du système éducatif[16] .

1)   La structure de la nouvelle loi

La loi d’orientation est constituée de 70 articles répartis sur neuf chapitres (voir le tableau suivant)

Tableau comparatif des libellés des chapitres des lois 1991 et la loi 2002
Libellé des chapitres de loi d’orientation de 2002
Libellé des chapitres de la loi 1991
chapitre
De la mission de l'éducation et des fonctions de l'école
Principes de base
I
Des droits et obligations de l'élève
de l’enseignement de base et de l’enseignement secondaire
II
Du régime des études
de l’enseignement supérieur
III
Des établissements éducatifs
de l’enseignement privé
IV
Du personnel éducatif et administratif et de la communauté éducative
dispositions diverses
V
Du référentiel des enseignements

VI
De l'évaluation

VII
De la recherche et de l'innovation en éducation

VIII
Dispositions transitoires

IX

Les deux lois s’accordent sur l’enseignement de base et l’enseignement secondaire et l’enseignement privé auxquels la loi de 2002 consacre le chapitre III  libellé  sous le titre « Du régime des études » et le chapitre IV «  Des établissements éducatifs » ; on constate que la nouvelle loi a conservé la structure du système sans changements notables, ce qui signifie que les concepteurs  de la loi 2002 avaient jugé que la structure mise en place par la loi de 1991 est encore valable , mais la loi 2002 a amené plusieurs innovations , parmi celles-ci , on pourrait citer :
§  Le renouvellement du débat sur la mission et les fonctions de l’école, surtout  que certaines voix avaient divulgué des bruits sur l’intention de l’état de brader l’enseignement public  au temps de la   privatisation.
§  La réservation  d’un chapitre entier aux droits et aux devoirs de l’élève, ce qui traduit l’importance de la place attribuée à l’élève par la nouvelle loi.
§  L’introduction  du concept   de   la « communauté éducative ou de la famille éducative » la loi définit le concept, sa composition et sa mission.
§  L’introduction  du concept  de la vie scolaire considérée par la nouvelle loi comme un prolongement des apprentissages qui se passent en classe.
§  L’adoption de nouvelles structures de gestion et de consultation au niveau de l’établissement.
§  La précision des référentiels des enseignements  qui fixent pour chaque discipline les finalités de son enseignement afin   d’assurer sa complémentarité avec les autres disciplines.
§   La réservation d’un chapitre pour l’évaluation en tant qu’une composante essentielle du système ( les fonctions de l’évaluation , ses formes et ses outils)
§  Enfin  la recherche en éducation a eu droit à un chapitre qui précise ses objectifs et ses domaines
2)   La grille des objectifs et des concepts de la nouvelle loi d’orientation
§  Considérer que le nouveau cadre législatif est en même temps  un prolongement du mouvement éducatif tunisien dont les racines remontent au passé et une prospective qui permet au système éducatif tunisien de s’inscrire dans le mouvement mondial .
§  Rappeler que « l'éducation est une priorité nationale absolue »[17] ce qui signifie que le pays et la collectivité nationale s’engage à fournir au système éducatif tous les moyens qui lui sont nécessaires pour remplir sa mission et sa fonction, ce rappel et cette confirmation sont venus pour rassurer  tous ceux qui avaient des doutes quant à l’avenir de l’école publique.
§  Le 3ème principe concerne l’obligation de l’enseignement « L'enseignement est un droit fondamental garanti, l'enseignement est obligatoire de six à seize ans. » article premier
§  Le 4ème principe : « L'élève est au centre de l'action éducative »[18] (art2) ,et c’est pour lui que  les programmes et les manuels sont élaborés et que les enseignants sont recrutés et c’est pour eux que l’on a conçu et programmé les activités culturelles et sportives, la loi d’orientation  place l’élève  au cœur de l’action éducative c’est ce qui explique l’insistance de la loi sur ses droits  , comme le droit à l’enseignement , droit à une information diversifiée et complète sur tout ce qui a trait à l'orientation scolaire et universitaire »[19] (art 11)  et aussi le droit d’établir une relation avec les enseignants basée , d’une part , sur les principes de l’équité et le respect de sa personnalité , et d’autre part  sur ses devoirs comme « le devoir de respecter l'enseignant et tous les membres de la communauté éducative et … le respect dû à l'établissement scolaire., le respect des règles de la vie en collectivité et les règlements organisant la vie scolaire. Tout dépassement ou manquement à ces devoirs expose son auteur à des sanctions disciplinaires. Le respect de l'assiduité et l'accomplissement de ses devoirs scolaires »

Accorder aux enseignants une haute place car ils sont les dépositaires  et les garants de l’éducation des jeunes, et ils ont la mission de réaliser les objectifs de la politique éducative, c’est là une lourde responsabilité vis-à-vis de leurs élèves et de la nation en même temps[20].
L’école a trois fonctions qui sont l’éducation, l’instruction et de qualification  après  avoir été longtemps confinée dans la  fonction de l’instruction et elle est chargée entre autre de :
-         D’éduquer les jeunes générations à la fidélité à la patrie et au respect de l'ensemble des valeurs partagées par les Tunisiens
-         De garantir à tous les élèves un enseignement de qualité qui leur permette d'acquérir une culture générale et des savoirs théoriques et pratiques, de développer leurs dons et leur aptitude à apprendre
par eux-mêmes, et de s'insérer ainsi dans la société du savoir[21]. (Art. 9) ; l’école de demain est appelée à être efficace et équitable, elle se doit de respecter le rythme d’apprentissage des élèves et d’engager le processus de remédiation et d’accompagnement à temps , pour faire en sorte que le décrochage avant la fin de l’enseignement de base devient l’exception.

-  faire acquérir les compétences  qui préparent les apprenants  à participer à la vie économique et sociale et culturelle  …et  contribuer à la construction  d’une société libre, démocratique capable de suivre le rythme de la modernité et du progrès » art 48.
-  Leur faire acquérir une méthodologie de travail et la résolution des problèmes
§   Considérer « L'école en tant que  la cellule de base du système éducatif et une structure pédagogique à part entière. »[22] ( art 6) pour cela la loi  a créer «  le projet de l’école » qui constitue le cadre qui va accueillir un plan d’action éducative qui vise à réaliser les objectifs spécifiques à l’établissement qui tiennent compte de la réalité de l’école et de ses besoins , dans le cadre des finalités et des objectifs de l’éducation nationale, la loi a aussi mis en place deux structures consultatifs qui permettent aux différentes composantes de la famille éducative d’exercer leurs prérogatives , il s’agit du «  conseil de l’établissement » où siègent « des représentants de toutes les parties: communauté éducative, les représentants des parents et des élèves et  des associations concernées » ce conseil  est chargé d’élaborer le projet de l'école et d’en assurer le suivi et l’évaluation , la deuxième structure est « Le conseil pédagogique des enseignants » qui est chargé  de discuter des questions « relatives à l'organisation des enseignements, à l'évaluation continue, aux rythmes scolaires, aux modalités de soutien et d'accompagnement des élèves, et ce dans le cadre des normes nationales, et en tenant compte des spécificités de l'école. »[23] art 31 et 32.
§   Considérer les parents comme des partenaires de l’école et facteur actif, en effet la réalisation des objectifs éducatifs nationaux est le résultat d’un effort commun entre le cadre enseignant et les familles, l’école remplira sa mission   en collaboration avec la famille et en complémentarité avec elle »[24] (Art. 8.)
§  Considérer « la vie scolaire, avec toutes les activités comme  un prolongement naturel des apprentissages et un cadre permettant, outre l'apprentissage de la vie en collectivité, le développement de la personnalité de l'élève et de ses dons. »[25] (Art. 49)
§  La nécessité pour tous les membres du personnel éducatif et administratif de suivre, tout au long de leur carrière, une formation continue, qui est dictée par les mutations qui affectent le savoir et la société et par l'évolution des métiers » Art. 46
§  S’appuyer sur les référentiels professionnels pour évaluer les  performances du personnel enseignant et administratif ( art 63)
§  Assujettir toutes les composantes du système éducatif à  une évaluation périodique dont la mission est d’appuyer l’apprentissage, c’est pour cela l'évaluation des acquis des élèves doit  «  s'effectuer  de façon permanente tout au long des différents cycles d'enseignement, en complémentarité et en interaction avec l'activité d'apprentissage. L'évaluation revêt un caractère formatif et diagnostique au cours de l'apprentissage et un caractère certificatif au terme de l'apprentissage » (art 59).
§  Faire que la recherche pédagogique constitue un facteur  essentiel  d'amélioration de la qualité de l'apprentissage, du rendement de l'école et elle doit  aussi suivre les innovations et les diffuser.
Tels sont  les principaux principes et les bases qui ont été les fondements de la nouvelle réforme , et qui ont permis au système éducatif tunisien de s’inscrire dans la modernité et qui répond aux normes internationales, du moins théoriquement .

Fin de la première partie, A suivre
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs généraux de l'éducation retraités




[1] Certains voient dans la décision de changer la loi de 1991  par une nouvelle loi   est venue pour mettre fin à l’attribution de la réforme de l’école au feu Mohamed Charfi  suite à ses prises de position critique  en 2001 vis-à-vis de l’amendement de la constitution  pour permettre au président Ben ali de se présenter pour un troisième mandat .

[2] voir la loi n° 5 du 21 janvier 2002 relative à la modification de la loi 65 de l'année 1991 relative au système éducatif , l'amendement a concerné l'article 10 relatif qu DFEEB qui devient facultatif.

[3]  Éric Gobe, « Plasticité du droit constitutionnel et dynamique de l’autoritarisme dans la Tunisie de Ben Ali  », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 130 | février 2012, mis en ligne le 21 février 2012, consulté le 25 octobre 2015. URL : http://remmm.revues.org/7499
«  …Le projet de loi constitutionnelle présenté à la Chambre des députés, réunie en session extraordinaire, le 27 février 2002, prévoit de nombreux amendements à la Constitution. Mais la modification la plus importante, noyée dans le flot des nouvelles dispositions, concerne l’article 39 : elle rétablit de facto la présidence à vie en supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels à trois… »  In revue des mondes musulmans et de la méditerranée , n° 130 , février 2012 , consulté le 25 octobre 2014 , p. 215-232
«  L’usage par le président Ben Ali du référendum pour approuver la révision de la Constitution est là pour donner le label du suffrage populaire à une réforme présentée par le chef de l’État comme un « acquis historique ». Les résultats du référendum du 27 mai 2002 confirment que la consultation directe du peuple est conçue par les gouvernants tunisiens comme un plébiscite pour le président et sa politique puisque le texte du projet de loi constitutionnel aurait été approuvé par 99,52 % des votants et que le taux de participation se serait élevé à 99,59 % (Gobe, 2004). »
Opt cité
[5] Article 41, paragraphe 2 qui a été ajouté par l’article 2 de loi constitutionnelle n°2002-51  du 1er   juin 2002
[6] Ministère de l’éducation et de la formation ; la nouvelle réforme du système éducatif tunisien : programme pour la mise en œuvre  du projet de l’école de demain  (2002/2007) ; vers la société du savoir, octobre 2002, 120 p
[7]  L’accord fut signé par le représentant  de l’union européenne et le ministre tunisien de la coopération nationale le 11 janvier 2000  pour un financement de 40 millions d’Euros
le président de la Commission Européenne, Romano Prodi, et le ministre tunisien de la Coopération Internationale et de l’Investissement extérieur, Fehti Merdassi, ont signé le 11 janvier à Tunis un projet pour la période 2000-2002, bénéficiant de 40 millions d’euros pour promouvoir l’éducation de base
[8] Cécile de Bouttemont, « Le système éducatif tunisien », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 29 | avril 2002, mis en ligne le 25 novembre 2011, consulté le 25 octobre 2015. URL : http://ries.revues.org/1928
[9] Opt cité18-22
[10] Opt cité p 33 -25
[11] Opt cité p 25-33
[12] Opt cité p 105-109

[13] Opt cité p97
[14] Opt cité p51
[15] Opt cité p111-117
[16] Loi n°2002-80 du 23 juillet 2002 : la loi d'orientation de l'éducation et de l'enseignement scolaire.
[17]  La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article premier
[18] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  2
[19] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  11
[20] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  5
[21] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  48
[22] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  6
[23] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , articles  32 et 33
[24] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  8
[25] La loi d’orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire , article  49

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