dimanche 21 décembre 2025

Pour assurer une meilleure efficacité de l'inspecteur

  


Dans la rubrique « mémoire d’un inspecteur des années 80 et 90 », le blog pédagogique reprend le texte d’une communication présentée

par Mongi Akrout, inspecteur principal lors du colloque de l’Amicale des inspecteurs de l’enseignement secondaire tenu à  Sfax les 17et18 avril 1993.

Cette communication explore les conditions pour optimiser l'efficacité du travail des inspecteurs pédagogiques dans le système éducatif tunisien.

Sachant qu’une réforme passe par trois phases: le diagnostic, la définition des orientations et enfin la mise en œuvre de la réforme, où l'inspecteur joue un rôle clé en accompagnant  les enseignants dans cette mise en œuvre. Toutefois, le travail de l’inspecteur est confronté à une complexité croissante en raison de la diversité de ses tâches : inspection, encadrement pédagogique, formation et conception de programmes…

L’analyse faite dans la communication  repose sur les trois sources qui encadrent les fonctions de l’inspecteur en Tunisie : le décret de 1973, la loi de 1991 et la réalité pratique du terrain.

Or la réalité du terrain est marquée par plusieurs  freins : un ratio inspecteurs-professeurs très élevé, une répartition géographique déséquilibrée et l’absence de formation initiale et continue suffisante,   une marginalisation  de plus en plus ressenties…

Pour une efficacité des inspecteurs, il est proposé d'augmenter leur nombre, de spécialiser certains d'entre eux dans des domaines précis, de renforcer leur formation continue et de valoriser leurs rapports pour une meilleure exploitation des recommandations

 

 

 

Toute réforme éducative s’articule autour de trois étapes fondamentales :

1.   Une 1er étape de diagnostic : Elle permet d’évaluer l’état du système éducatif, d’en analyser les performances et d’apprécier son adéquation aux besoins de la société à un moment donné. Des commissions spécialisées, internes ou externes à l’institution éducative, mènent ce travail.

2.   Une 2ème étape de conception : Des experts formulent des choix et des principes qui seront traduits en mesures (organisation des structures, programmes, horaires, etc.) à travers des commissions supérieures.

3.   Une 3ème étape de mise en œuvre : Le succès de cette phase repose en grande partie sur l’action conjointe de l’enseignant et de l'inspecteur. Ce dernier se voit confier le rôle de clarifier les objectifs de la réforme, de veiller à sa bonne application et de former et encadrer les enseignants.

L’inspecteur pédagogique, en première ligne pour mettre en œuvre la réforme, voit ses responsabilités s'accroître en l'absence des commissions (qui ont terminé leur mission)  après la promulgation des lois et des textes d'application.

Cette communication s’interroge sur l’efficacité réelle de l’inspecteur aujourd’hui et examine les moyens d’optimiser son action.

Complexité et diversité des tâches de l’inspecteur

Le rôle de l'inspecteur est défini par plusieurs sources : le statut de l'inspection pédagogique (décret 110 de 1973), la loi de 1991 sur le système éducatif, et la pratique.

1-   le statut particulier de l'inspection pédagogique de 1973 a défini les tâches selon les grades des inspecteurs, comme le montre le tableau suivant :

 

Le grade

Les attributions

L’inspecteur général

-        mission de conception ils peuvent être chargés notamment de l'orientation pédagogique de l'enseignement

-        l'animation et de l'exploitation des travaux des commissions permanentes de l'éducation nationale

-        participer à toute réunion à caractère pédagogique concernant l'enseignement supérieur

L’inspecteur principal

-        la conception, la définition des réformes des programmes et des méthodes d'enseignement de leur discipline

-        la coordination des activités de groupes d'inspecteurs de leur spécialité

-        coordination des activités et de groupes d'inspecteurs de la spécialité

-        diriger un service ou un groupe de service d'enseignement

L’inspecteur

-        assurer l'assistance pédagogique et l'inspection du personnel enseignant de leur discipline;

-         promouvoir toute étude et recherche pédagogiques et proposer toutes mesures de nature à définir, rénover et améliorer les programmes et les méthodes d'enseignement

-        donner leur avis sur l'organisation pédagogique des établissements dans le cadre de leur discipline

-        diriger un service ou un groupe de services d'enseignement, conseiller les directeurs d'établissement, effectuer toute en quête d'ordre administrative ou disciplinaire ; animer les groupes d'études de recherche ou les séminaires organisés dans leur discipline

 

 

les inspecteurs de l'enseignement général sont chargés d'assurer l'assistance pédagogique et l'inspection du personnel enseignant de leur discipline; à cet effet ils doivent promouvoir toutes études et recherches pédagogiques, proposer toutes mesures de nature à  rénover et améliorer les programmes et les méthodes d'enseignement, de donner leur avis sur l'organisation pédagogique des établissements dans le cadre de leur discipline. Ils peuvent être chargés de diriger un service,  de conseiller les directeurs des établissements scolaires,   d'effectuer des enquêtes administrative ou disciplinaire, d'animer les groupes d'études de recherche…

 

Le statut reconnait une sorte de spécialisation selon le grade, ainsi l’inspecteur général se retrouve au dessus de sa spécialité d’origine pour s'occuper des questions générales alors que l’inspecteur de l’enseignement secondaire   est l’homme de la spécialité et du terrain, il suit le travail de l’enseignant. Cette spécialisation est formelle car dans la pratique nous ne voyons pas de différence entre les trois grades.

 

2-  La loi relative au système éducatif de 1991 consacre l’article 17 au corps de l’inspection pédagogique et elle définit sa mission dans les termes suivants : « le corps des inspecteurs est chargé :

-       de veiller à l'application des programmes fixés par le ministère ;

-        d'inspecter les  enseignants ;

-        de superviser l'exécution des mesures relatives à leur vie professionnelle ;

-       de participer à la prise des décisions relatives aux programmes, aux matériels didactiques et à la formation des enseignants,

-        il  peut également être chargé par l'autorité de tutelle de toute autre mission rentrant dans le cadre de ces attributions.

3-   En plus de ces tâches prescrites par les textes officiels, l’inspecteur est appelé à remplir de multiples autres  tâches comme la formations des stagiaires, participer à l’élaboration de manuels et de guides, présider les jurys des examens professionnels et scolaires…

Pour récapituler nous pouvons présenter les tâches du corps des inspecteurs dans le tableau suivant :

 

L’inspection et le contrôle

La conception

La formation

-        Inspecter les enseignants

-        Suivi de l’application des programmes –

-        Inspecter les établissements scolaires

-        Des programmes  scolaires

-        Des sujets des examens

-        Des programmes de formation

-        Les outils didactiques et les méthodes pédagogiques

-        La formation initiale et continue des enseignants

 

Ainsi, L’inspecteur est chargé de multiples fonctions qui s'étendent de l’inspection et du contrôle à la conception de programmes et à la formation des enseignants, mais la réalité montre que ces tâches se diversifient et se complexifient, soulevant la question de l’efficacité de l’inspecteur à les accomplir pleinement.

Facteurs limitant l’efficacité de l'inspecteur.

Plusieurs obstacles structurels et conjoncturels freinent la pleine efficacité des inspecteurs dans leurs tâches :

1.   La multiplicité et la complexité des tâches : Les exigences modernes nécessitent de plus en plus de spécialisation, comme pour l’évaluation ou la formation continue ou encore la conception des  programmes. Quant à nous, en Tunisie, nous voulons que l'inspecteur puisse assurer  toutes ces spécialités  et les réussir, or vouloir tout faire va  provoquer une dispersion de  l’effort et la négligence  de certaines tâches au profit  d'autres. Nous pensons  que nous devons  réfléchir  dans deux voies :

-       Premièrement, penser à la spécialisation des inspecteurs dans certaines branches, notamment dans le domaine de la formation pour que nous ayons  des spécialistes dans l'un des domaines pédagogiques. Ces spécialistes pourraient intervenir auprès de tous les enseignants de toutes les spécialités.

-        Deuxièmement transférer certains tâches  vers des institutions spécialisées, et c'est ce qui s'est produit dans de nombreux pays arabes ou occidentaux oùla fonction de formation initiale  et de formation continue est  assurée par  instituts spécialisés.

 

2.   Formation incomplète : Bien que des progrès aient été faits avec des sessions de formation pour les nouveaux inspecteurs, une formation plus complète et continue semble nécessaire pour répondre aux exigences de la fonction, mais nous pensons que cela n'est pas suffisant pour permettre au futur inspecteur de faire face avec succès aux multiples tâches qui l’attendent. Nous pensons donc qu'il est nécessaire de mettre  en place  un cycle de  formation initiale  pour les futurs  inspecteurs, qui comprend une formation de base complète avant de passer  le concours, cette formation pourrait être confiée à l'Institut Supérieur de Formation Continue et une  formation continue qui va permettre  à l'inspecteur d’être à jour et d’enrichir ses compétences.

3.   Charge excessive et répartition géographique inéquitable : Le nombre élevé d’enseignants par inspecteur, les disparités géographiques, rendent difficile un suivi pédagogique efficace et équitable. Une augmentation du nombre d’inspecteurs pourrait améliorer cette situation.

Les statistiques  (voir le tableau en annexe), mettent  en évidence deux aspects :

-       La moyenne générale toute discipline confondue  est environ de 152 professeurs par inspecteur.

-       Le second  est l’écart entre les disciplines ;  le taux se situe entre 125 en anglais et 241 en philo, il faut signaler que le taux est supérieur à la moyenne dans la plupart des disciplines (Sciences naturelles 160, Arabe 164, Mathématiques 161…).

Ces taux  sont parmi les plus importants obstacles  qui  affectent négativement l'efficacité du travail de l'inspecteur. La situation se complique si l'on aborde son étude sous un deuxième angle, celui du champ géographique dans lequel exerce l’inspecteur, dans ce cas nous nous trouvons face à des réalités ingérables parmi les quelles nous pouvons citer celles-ci.

-        l'immensité  du champ géographique pour certaines  disciplines  c’est  le cas du génie mécanique où il y a un inspecteur pour tous les lycées du pays, de même pour les 3ème langues étrangères. Nous trouvons également deux inspecteurs  de philo et deux inspecteurs  d'économie et  3 inspecteurs d’éducation musicale, d’éducation artistique et d’éducation civique  qui se partagent les lycées du pays.

-        Un déséquilibre entre les inspecteurs d’une même discipline,  nous retrouvons cela  dans de très nombreuses disciplines, je me contente de citer  deux exemples, l’un dans les disciplines  littéraires, et l’autre dans les  disciplines  scientifiques, ainsi en sciences  physiques , nous trouvons un inspecteur qui exerce dans un seul gouvernorat qui compte 133 professeurs, et un autre  qui exercent  dans quatre gouvernorats qui comptent 162 professeurs  ( ce sont les gouvernorats du Sud-est).  

Pour les matières littéraires, spécifiquement  pour l’anglais, nous retrouvons le même phénomène : un inspecteur exerce dans le cadre d’un seul gouvernorat avec 105 professeurs et un  autre couvre quatre gouvernorats  avec 126 professeurs.

Cette situation, caractérisée par le nombre élevé de professeurs  par inspecteur d'une part et le déséquilibre de la répartition géographique, ne permet pas d'atteindre une couverture satisfaisante, même si le taux est un indicateur important, il est insuffisant  pour assurer l’équité entre les inspecteurs, il est nécessaire   de tenir compte de l’espace géographique,  car L'efficacité de l'inspecteur décroit   avec l’augmentation du nombre des professeurs à sa charge,  l’étendue géographique de son activité, et la multiplicité  des tâches.

4.    Suivi des recommandations : L’inspecteur se trouve souvent marginalisé dans le processus décisionnel, ce qui réduit l’impact de son travail sur l’évolution des pratiques éducatives.

           La loi de 1991 met l'accent sur le rôle de l'inspecteur dans « la supervision  de la mise en œuvre des procédures liées à la vie professionnelle du professeur, notamment pour sa nomination, sa titularisation, sa mutation et ses promotions »,  mais dans les faits l'inspecteur est souvent la dernière personne qui est informée des nominations et des mutations  … L'inspecteur rédige des centaines de rapports qui s’entassent dans les bureaux et ne sont exploités que pour la titularisation , le renouvellement du recrutement et les concours professionnels.

Cette situation ne contribue pas à donner  au  travail de l’inspecteur  toutes les dimensions qui contribuent à consolider  les bases solides du système éducatif.

5 - L’aspect  financier et le problème du déplacement

L’aspect financier est devenu depuis des années un véritable problème. Les inspecteurs sont obligés de se déplacer pour effectuer leurs tâches en utilisant leur propre voiture. Tout déplacement entraîne des dépenses or l'inspecteur ne récupère qu'une partie qui ne couvre même pas le coût du carburant, car l’indemnité kilométrique  n'a pas été mise à jour  depuis environ  14 ans, c’est-à-dire depuis 1973, alors que les éléments qui sont à la base du calcul de cette indemnité ont augmenté à des taux qui  dépassent parfois 200% et même 400%. De ce fait, l’inspecteur  se trouve souvent obligé  de limiter ses déplacements  pour les cas urgents (la titularisation, examen professionnel) ce qui a un impact négatif sur l’encadrement des enseignants qui travaillent dans des établissements situés loin du lieu de résidence de l’inspecteur.

Conclusion

Ces constats appellent à un renforcement des moyens accordés aux inspecteurs pour garantir l’efficacité de leur travail, dans le cadre d’un système éducatif en réforme. Un recrutement plus adapté, un plan de formation continue et spécialisée, de meilleures conditions de travail et une meilleure exploitation des rapports d’inspection sont des pistes essentielles pour faire de l'inspecteur un acteur central et efficace de la réforme éducative.

 

Mongi Akrout, inspecteur principal de l’enseignement secondaire d’histoire et de géographie.

Sfax 1993

Pour accéder à la version Arabe, cliquer ICI

 

Annexe statistique

Spécialité

Nombre d’enseignants

Nombre d’inspecteurs

Taux de couverture

Arabe

3938

24

164

E, religieuse

1869

14

135.4

E.civique

523

3

174.3

Philo

482

2

241

Hist-Geo

1854

16

115.6

Français

3578

24

149

Anglais

1232

12

102.5

Autres L.V

160

1

160

Mathématiques

3390

21

161.4

S.physiques

1533

10

153.3

S.naturelles

2250

14

160.7

E.artistique

456

3

152

E.musicale

365

3

121.6

Informatiques

93

0

….

Mécanique

457

1

457

Electricité

286

9*

45.1

E.technique

2931

25*

117.2

Economie

297

2

148.5

Total

26097

174

149.9

 

 

 

 

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