dimanche 28 juillet 2024

Propos au sujet du baccalauréat tunisien.

 

 « Le baccalauréat est le premier titre de distinction,  c'est la première récompense et la première médaille. » (Victor Hugo)

 


Je crois que la grande importance que la plupart des tunisiens attachent au baccalauréat vient du fait qu'ils ont pris pleinement conscience que les clés du changement ne sont plus entre leurs mains et que toutes les richesses, qui les ont nourris de la faim pendant des décennies, sont devenues, aujourd'hui de simples « glands », qui  suffisent à peine à garantir les salaires et les traitements de la fin du mois.


 Ils ont également réalisé que leurs dirigeants d'aujourd'hui, n'ont pas surpassé leurs mauvais prédécesseurs en persistant dans les tromperies, en détournant leur attention, et en leur faisant croire que le slogan est plus important que son contenu, et que le simple fait de le déclarer est plus convaincant que de travailler à sa réalisation.

Partant de cette prise de conscience spontanée, ils se sont construit un nouveau  modèle, dont les plus importantes manifestations sont: le désintérêt  des choses publiques et la concentration sur des affaires personnelles afin d'assurer leur survie après avoir aspiré à vivre dignement  à un meilleur niveau de confort  social... Ce modèle  se caractérise  également par le fait de  placer tous leurs espoirs, leurs ambitions et leurs économies dans les études de leurs enfants et veiller  à leur assurer le meilleur avenir. Ainsi, en Tunisie, nous vivons ce qui ressemble à de la fièvre et à un bouillonnement  populaire à l'occasion de chaque rentrée scolaire et universitaire, et  à l'occasion de l'examen du baccalauréat, et la tentative de s'inscrire dans les meilleures institutions, le choix des meilleurs professeurs, à l'occasion de la réception des bulletins  des notes  et du choix des meilleures entreprises dans le domaine des cours particuliers...

C'est la raison pour laquelle, le baccalauréat est un sujet central dans la vie des familles tunisiennes et un tournant décisif pour lequel d'énormes sacrifices financiers sont consacrés et la mise à rude épreuve des nerfs, tout cela pour  un lendemain meilleur.

A travers cet article, j'espère présenter quelques éléments d'évaluation du baccalauréat tunisien - d'autant que l'on vit ces jours-ci une synthèse de ce que ce  tournant ( le baccalauréat)  allait ouvrir comme horizons pour les études supérieures  - dans le but de voir  ses points faibles et ses points forts, en vue  d'un amendement qui pourrait intervenir un jour.…Nous espérons que ceux sur qui vont se charger de  cet amendement ou de cette  révision tant attendus, c'est-à-dire ce qu'on appelle dans le jargon des analystes les acteurs éducatifs et les bâtisseurs des réformes et contributeurs, ne  nous surprennent par des mesures  que personne n'attend.  

Les phénomènes phares incontestables que j’ai personnellement observés , nous pouvons les  résumer dans les points suivants :

Premièrement : Le Baccalauréat ou le réveil tardif

Il est ni acceptable, ni raisonnable  qu'un élève  tunisien poursuit ses études jusqu'à l'âge de 19 ans sans  connaitre  une évaluation officielle et obligatoire tout au long de son parcours scolaire, primaire, préparatoire et secondaire. De ce fait , d'abord, on n'offre   à l'élève  et à ses  parents aucune possibilité de revoir les méthodes de travail et de  connaitre ses faiblesses pour y remédier à temps  et ses points  forts   qui doivent être renforcés, affinés et développés... ensuite, c'est tout le  système qui en a besoin  pour qu'il puisse  réajuster les parcours à la lumière des résultats obtenus et ne pas obliger des élèves à poursuivre de longues études qui nécessitent un premier noyau de formation solide, du souffle et un projet d'études visionnaire qui anticipe l'avenir des études après le baccalauréat.

Deuxièmement : il n’y a pas d’avenir pour un baccalauréat basé sur une carte tordue et délabrée des parcours et des sections dans l’enseignement secondaire.

Aujourd'hui plus que jamais, une révision  de la carte actuelle des sections et des parcours, devenus obsolètes, et même destructrices des rêves de générations entières est devenue nécessaire. Nous sommes en présence d'une situation   anormale où nous voyons des  sections qui  se muent en tumeur et des sections  qui  se gonflent, tandis que d'autres s'atrophient, et des sections  qui exercent une fausse fascination (comme les sections des sciences informatiques  et des Sciences Expérimentales) parce  elles revendiquent des horizons qu'ils n'offrent réellement pas et cherchent à embrasser un avenir alors qu'elles ne  se donnent pas les moyens d'y parvenir.

 

Troisièmement: Un quart des bacheliers cette année (environ 15 000) ont déposé des demandes de réorientation.

J'estime personnellement, qu'il y a des dizaines de milliers d'étudiants qui ont été orientés vers des parcours d'enseignement  supérieur qu'ils n'ont pas rejoints  soit parce que leur baccalauréat n'a rien à voir avec le parcours proposé bien qu'ils l'avaient  mis, sans conviction, dans leur fiche d'orientation, soit que  le parcours  leur a été imposé arbitrairement en raison de l'absence de places vacantes en dehors de celui-ci, soit en raison des distances qui séparent leur lieu de résidence  et les régions qui accueillent des institutions universitaires où il restait encore  quelques places vacantes... ou enfin, en raison des difficultés que vivent  les diplômés de certaines filières, véhiculées  par les anciens étudiants (comme les métiers du patrimoine, les sciences humaines, et certaines spécialités en économie et gestion...)

Si nous  calculons le nombre d'étudiants qui rejoignent  l'enseignement supérieur privé, ou les filières de techniciens  supérieurs  dans le secteur de la formation professionnelle, ceux qui  sont au contact avec les bureaux  spécialisés dans l'envoi des étudiants  à l'étranger, et les participants au concours de réorientation (session d'août 2023 et  session de mars 2024 à l'avenir), nous aurons une idée précise de la masse du gaspillage  provoqué par un baccalauréat minable en grande partie.

Quatrièmement : Un système national d’éducation et de formation décousu qui ne pourra pas décoller

L'absence d'une approche systémique, qui fait de l'intégration  dans les spécialités  qui mènent au Brevet de Technicien Supérieur dans la formation professionnelle après le baccalauréat, des perspectives réelles et prometteuses pour les bacheliers, notamment dans les filières de l'enseignement secondaire,   a considérablement nui à l'efficacité de notre système éducatif et a entravé son évolution vers un système dans lequel les dimensions formatives sont équilibrées et offrent des passerelles  très larges pour les jeunes, indépendamment de leurs origines sociales et du niveau de leurs acquis de bases pour rejoindre des secteurs professionnels qui préservent la dignité de ceux qui les choisissent. (or, on ne peut pas convaincre la plupart des citoyens avec qui j'ai parlé, quoi qu'on fasse, que ce brevet  est équivalent à la licence nationale de l'enseignement  Supérieur, non seulement en termes d'efficacité de la formation, mais aussi en termes de son équivalence  au niveau juridique).

Cinquièmement : La crise du baccalauréat  dans les régions intérieures est une crise double.

L'indifférence et la négligence de l'État sont devenues  flagrantes et scandaleuses à l'égard des régions intérieures  dont les résultats au baccalauréat sont alarmants et où le nombre d'étudiants inscrits dans des filières académiques relativement prometteuses baisse d'une manière qui suscite de réelles inquiétudes. Cela, me surprend  de voir que , ni le ministère, ni des délégations, ni  des responsables,  n'évaluent pas l'ampleur des fractures causées par le baccalauréat et tentent  de déchiffrer ce qui s'est passé et faire une lecture audacieuse de ces résultats pour anticiper la nouvelle rentrée et proposer des solutions pour combler certaines failles (pas toutes) et sauver ce qui pourrait être  sauvé... Il m'est arrivé de discuter avec certains d'entre eux, et je m'aperçoit   qu'ils ne sont ni gênés, ni concernés par cet état.  Pour eux, tous ces disfonctionnements, sont le résultat   de « la marginalisation héritée de ces régions », et qu'il faudrait attendre « la prochaine la réforme éducative imminente », et  que la crise est complexe», etc.  

Sixièmement : Trouver des sections  qui permettent une grande employabilité  dans les régions de l'intérieur et l’équation changera.

Le moment est venu de réparer la faiblesse qui a touché la carte universitaire tunisienne, que nous avons héritée depuis des décennies des équilibres politiciens et tribaux rétrogrades, qui ont donné des institutions improvisées avec des spécialités vides et un environnement universitaire  pauvre dans la plupart des régions internes, ce qui a affecté négativement l'attractivité des «nouveaux pôles universitaires ».

Personnellement, je ne vois pas ce qui empêche   de  faire des partenariats fructueux entre ces institutions universitaires émergentes et les grandes universités internationales, notamment en sciences informatiques, en sécurité de l'information, en durabilité environnementale, robotique, transformation numérique, métiers de la santé, etc., comme l'une des solutions qui peut être adoptée afin de redorer le blason de ces institutions oubliées et de surmonter l'isolement des études universitaires et académiques qui leur ont été imposées.

Septièmement : Le système d’orientation universitaire aggrave la crise du baccalauréat au lieu de l’atténuer

Le manque de connaissances des spécificités de la formation dans l'enseignement secondaire dans les différentes spécialités (du fait de l'absence de coordination entre les inspecteurs des différentes disciplines  et les responsables des commissions sectorielles de l'enseignement supérieur) , la non-répartition des bacheliers sur les différents parcours de formation universitaire d'une manière plus efficace et plus objective, la capacité d'accueil  limitée des parcours universitaires prometteurs et le recours excessif  aux  critères quantitatifs au détriment des autres facteurs comme la  motivation, l'intérêt et l'ambition des nouveaux étudiants...  ce sont là - à mon avis - les caractéristiques les plus importantes des lacunes du système d'orientation actuel,

  Moncef Khemiri, conseiller général  en information et en orientation scolaire et universitaire

21 août 2023

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