dimanche 21 juillet 2024

Extrait d'un rapport d'étude sur les résultats du baccalauréat (session 2015) dans le gouvernorat de Kairouan ( 2ème partie)

 


 

 

D.M.C Zaouli
Le blog pédagogique poursuit cette semaine la présentation des extraits de l'étude réalisée par le Docteur Zaouli en 2015 sur les résultats du baccalauréat (session 2015).



Ce deuxième extrait s'intéresse aux facteurs de réussite et d'amélioration des résultats et nous présente un ensemble de recommandations et de propositions pratiques à même de résoudre le problème des mauvaises performances de la région. ( POUR REVENIR A LA 1er PARTIE CLIQUER

Le blog pédagogique remercie Si Mustapha pour toutes ses contributions.

 

 

L'action participative fait la différence et crée le succès

« Tout ce que vous faites pour moi sans moi est contre moi. » Gandhi(

- Le lycée Farhat Hached  de Haffouz arrive en deuxième position au niveau régional avec un taux de réussite de 53,9%, dépassant – tant au niveau régional que national – de nombreux lycées situés dans des zones où  le niveau de ressources matérielles et le niveau de la capacité à financer des cours particuliers sont élevés. Cela signifie que les facteurs objectifs – économiques et sociaux – n’expliquent pas à eux seuls les résultats. Le directeur du lycée Farhat Hached, de  Haffouz, M. N. A,  nous a précisé que 53 enseignants sur 56, qui vivent dans la région, font, bénévolement- chaque année une heure de cours supplémentaire. Ils se distinguent par leur efficacité, leur fidélité et leur enthousiasme. Ils aiment leur travail et leur discipline et les enseignent selon une méthode  qui plaît aux élèves. Ceci explique les notes élevées (par rapport à la moyenne régionale et nationale) obtenues par les élèves au baccalauréat dans certaines matières, comme la philosophie, l'histoire, la géographie et les sciences physiques,(comme l'a confirmé un inspecteur présent).

Le même directeur  a souligné l'importance de la participation de tous pour créer les conditions propices à la réussite des élèves, d'une manière humaine et avec de bonnes et fortes relations humaines, dans une atmosphère de spontanéité et de sens des responsabilités, « loin des formalités et de la langue de bois ». Sans discrimination et sans rigidité dans l'exercice des fonctions officielles, au point qu'un des visiteurs de du lycée (un inspecteur financier et administratif) n'a pas fait la distinction, lors de sa visite, entre le directeur, le surveillant général et le censeur. .. Ce trio n'hésite pas à multiplier les tournées des classes terminales pour encourager les élèves, leur remonter le moral et les motiver pour les études universitaires,  tout cela pour  les aider à faire face aux situations de désespoir, de désintéressement  qu'ils peuvent avoir  ou  la peur de l'examen.

 

Il semble que le facteur décisif pour affronter les difficultés du milieu environnant et des conditions de travail soit l'incarnation réelle et non formelle du processus d'institutionnalisation, l'esprit de l'équipe éducative, le principe du travail participatif et la valeur du volontariat dans les différents domaines. Dans ce contexte, la recherche pédagogique s'accorde pour considérer « le travail collectif et l'équipe coopérative comme le facteur le plus important de réussite de l'innovation pédagogique » (Tadlaoui 1991, p. 162). Cela transparaît clairement dans ce que les participants ont évoqué sur les traditions de travail au lycée Farhat Hached de Haffouz : échanges, préparation commune des cours et des examens, cours de soutien gratuits, aide financière aux élèves dans le besoin, travail en dehors des heures officielles requises, accompagnement pédagogique et briefing psychologique avec les élèves de l'établissement auquel participent la plupart des enseignants, et les cadres administratifs (directeur, surveillant général, …)

  La réussite du travail participatif et l’accumulation de l'expérience dans ce domaine sont autant de facteurs capables de transformer la pratique pédagogique en une institution, comme l’explique le chercheur marocain Mustafa Mohsen : « Par institution, nous n’entendons pas ici son cadre formel, structurel, matériel et codifié, mais nous entendons plutôt par là,  ce système intégré d'expertise, de connaissances, d'expériences et de modèles d'intervention et d'action... Et parmi les normes, les symboles, les coutumes ou les traditions professionnelles... qui peuvent être considérés comme des cadres de référence ou des paradigmes orientés à  la réflexion, à la  pratique , à l'échange, et à la prise  d'initiatives dans tous les domaines du système éducatif tels que l'enseignement, l'encadrement, l'administration éducative, la planification et la programmation, l'orientation scolaire et professionnelle, etc... (Mohsen 2006, p. 51) .

 

Remarques de base

1. L’évaluation des résultats du baccalauréat sur la base du seul critère du nombre des admis, ne permet pas une lecture approfondie de la qualité des outputs du processus éducatif et cache le problème de la disparité entre les régions  et même entre les établissements de la même région. Les régions  et les établissements ayant le plus petit nombre d'admis sont  aussi ceux qui  enregistrent des taux de rachats  élevés. Il a été précisé dans le projet régional pour l'éducation à Kairouan (page 66) que le plus faible taux de réussite au baccalauréat en 2009 a été enregistré dans la délégation de Oueslatia (28%), qui est la même délégation dans laquelle on retrouve le pourcentage le plus élevé d'admis grâce au rachat  (47%), tandis qu'à Kairouan Nord, le taux de réussite était de 55% et le pourcentage de réussite avec rachat  était de 17%. La qualité de la réussite au baccalauréat se reflète dans le degré de compétitivité pour conquérir des places « très précieuses » dans l’orientation universitaire, et c’est ce qui contribue à reproduire les conditions sociétales existantes ou à les modifier.

Notre collègue Moncef Khemiri a évoqué cette question dans un article publié dans le journal Al-Shorouk le 24 août 2015, sous le titre « Les résultats du baccalauréat de la condensation quantitative au tri qualitatif », où il a montré, à travers l'indicateur de l'entrée aux facultés de médecine par région, l'ampleur de la disparité dans ce domaine.

Pour approfondir l'évaluation des résultats du baccalauréat, nous pourrons exploiter  les résultats de l'orientation universitaire de l'année 2015 pour regarder la répartition des bacheliers de Kairouan et d’autres régions, entre les différentes filières universitaires, notamment les « très valorisées ». L'examen qualitatif des résultats du baccalauréat et l'explication de leurs implications sur l'orientation universitaire permettent de stimuler et de mobiliser toutes les forces actives internes et externes du lycée afin de changer ce qui apparaît comme des « fatalités géographiques » ou des « contraintes sociologiques ». .»

2. Il est souhaitable que l'évaluation ne se concentre pas tant sur les résultats finaux que sur les parcours et les distances parcourus entre le point de départ diagnostiqué et les points d'arrivée, c'est-à-dire les objectifs fixés dans le cadre du projet de l'établissement et du projet de la région. C'est l'essence même de l'équité dans les processus d'évaluation des élèves et du cadre d'encadrement administratif et pédagogique. En l’absence de cela, les chiffres et les résultats finaux du lycée seront une fin en soi, et la motivation sera absente et les dérives comportementaux et les phénomènes négatifs augmenteront à différents niveaux, y compris parmi les élèves et tous les acteurs éducatifs. Dans un tel contexte, un sentiment d'infériorité et de l'accusé se développe chez tous ceux dont le lycée se trouvait mal classé. Des pratiques malsaines font alors leurs apparitions telles que « le gonflement des notes », « la fraude  aux examens », « les abus liés aux cours particuliers », « priver les bons élèves de la liberté de choisir l'orientation scolaire qu'ils désirent et les obliger à poursuivre leurs études dans les seules sections disponibles au lycée afin qu'un autre lycée ne récolte pas leurs excellents résultats au baccalauréat....

3. Au milieu du dialogue sur les raisons du succès et de l'échec ou sur la réforme éducative attendue, une analyse globale est souvent absente et nous constatons une exagération et une surestimation  du rôle de l'école dans la société pour  la tenir responsable de l'échec en occultant  les causes qui échappent à l'autorité du ministère de l'Éducation et même à l'autorité de l'État. La société traverse actuellement une crise globale qui affecte tous les aspects de la vie sociale, et les valeurs du marché investissent tous les domaines et tous les groupes sociaux.

Le rôle des médias et de moyens de la communication modernes, avec leur large diffusion et leurs hautes technologies, est de plus en plus grand  pour  influencer l'esprit et la conscience des élèves. Ils reformulent les relations sociales, les rôles, les fonctions, les systèmes et les institutions dans les divers domaines. Dans ce contexte actuel de mondialisation et de postmodernisme, l'enseignant (ni le parent) n'est plus le seul à qui l'on confie l'éducation comme ce fut le cas par le passé, et il n'est plus non plus la première source d'information, et l'élève lui-même ne ressemble plus beaucoup à l'élève d'hier... Le paradoxe  est que, malgré tout cela, la culture élitiste prédomine toujours dans la société, beaucoup parlent encore de recettes simples et toutes faites pour résoudre des problèmes complexes et infiniment compliqués. L'image de l'éducateur traditionnel, l'exemple de l'élève discipliné et obéissant et le modèle de l'école traditionnelle qui donne une image rassurante pleine de compétence, de précision et de fermeté, sont encore fortement présents dans l'esprit de nombreux enseignants et dans la culture d'un grand nombre de parents et de fonctionnaires.

 

4. « L'évaluation n'est pas seulement les résultats d'une étude, mais c'est une situation psychologique et sociale », comme le confirme le directeur du lycée Farhat Hached  de Haffouz, qui a rappelé le cas de « l'élève  El A. M, classé premier dans la section  de mathématiques à Haffouz (avec une moyenne de 18/20 au premier trimestre) et qui allait passer l'examen du baccalauréat en 2015, mais il a été attiré par l'idéologie de l'Etat islamique et a participé à la fusillade  contre deux militaires au bureau de vote de l'école d'Ain Zana à Haffouz lors des élections présidentielles de fin décembre 2014». En l’absence d’une vision globale de l’évaluation, et à la lumière du vide spirituel et de l’absence de formation dans les aspects psychologiques, sociaux et moraux, l’idéologie de l’E.I réussit, grâce à l’utilisation intensive d’Internet, à conquérir les esprits, les cœurs et en attirant les bons élèves, étudiants, enseignants  et ingénieurs...

Initiatives collectives et recommandations pratiques

1. M. M.CH, inspecteur d'arabe, a parlé lors de l'entretien de groupe d'une initiative de « la conférence de la langue arabe de Kairouan », qui « vise à reconsidérer les approches de l'enseignement de la langue arabe ». Trois sessions ont été réalisées (en mai 2012, mai 2013, et décembre 2014). Il a également parlé de l'initiative de la Délégation Régionale de l'Éducation de Kairouan qui a organisé la première session des Journées des Langues de Kairouan du 15 avril au 15 mai 2015. Ces journées visaient à enseigner les langues selon une méthode différente et originale qui adopte l'approche culturelle de l'enseignement des langues. Elles comportaient notamment une animation culturelle de la vie scolaire avec   l'organisation d'expositions, de soirées culturelles et d'ateliers d'initiation à l'expression écrite, à l'écriture de la poésie et des récits, ainsi que des activités théâtrales... Les participants ont souligné la nécessité de poursuivre et de renforcer cette expérience et de la reproduire auprès des différentes régions.

2. L'une des propositions les plus importantes qui ont émergé de l'entretien de groupe, et qui a été bien accueillie par les participants, était la proposition de M. A.W., l'inspecteur concerné.

3 -  Autres suggestions et recommandations pratiques :

Instaurer le concept des mutations des enseignants pour nécessité pédagogique (au sein d'une même ville pour commencer(.

Institutionnaliser la valeur du volontariat en incluant des heures de service social à tous les niveaux scolaires (participation à des campagnes de propreté, aux saisons de la cueille des olives ou de la moisson, ou organisation de conférences nationales et internationales...)

Institutionnaliser les excursions scolaires, les rendre obligatoires, motiver les élèves du secondaire à y participer et les exploiter dans des cours de langue afin qu'ils contribuent à élargir l'horizon de compréhension et de perception  de la vie et à développer les  capacités  d'expression et d'écriture.

Inclure le soutien scolaire et les cours de rattrapage dans le curriculum et réserver du temps pour réviser  les devoirs au sein de l'établissement.

Suppression de la semaine bloquée et l'adoption du régime  semestriel au lieu du régime trimestriel

Impliquer le cadre d'enseignement et d'encadrement du primaire dans ces rencontres et diversifier les occasions de construire des projets communs avec eux.

Sortir les acteurs éducatifs de toutes catégories le l'état d'isolement  en consacrant le principe du travail en commun face à des situations professionnelles difficiles ou en consacrant le principe de recoupement et d'intégration entre les disciplines dans la mise en œuvre des programmes nationaux de formation continue.

Capitaliser les expériences réussies - comme celle du lycée Farhat Hached - les détecter, les valoriser, les évaluer soigneusement, et les publier dans divers médias, encourager financièrement et moralement leurs auteurs et les exploiter dans des activités de formation...

 

 

Élaborer des plans et des stratégies d'intervention urgente basés sur la réalité sur laquelle ils s'appuient et impliquer les forces actives dans cette réalité.

Flexibilité dans la gestion et accroitre la capacité à concilier les caractéristiques de la centralisation et les caractéristiques de la décentralisation dans l'élaboration, la conception  des plans et  dans leur évaluation.

Former les forces actives à travailler selon la méthodologie du projet de l'établissement et du projet de la région.

Créer une matière d'éducation aux médias ou «  de l'éducation numérique » pour s'adapter aux exigences de l'époque et faire face aux dangers imminents du monde des chaînes satellitaires et d'Internet (notamment l'idéologie de l'EI).

Conclusion

Cette étude n'a pas comme priorité d'apporter un complément de données, car le projet régional de l'éducation de Kairouan (2016-2020) est disponible, et il contient beaucoup d'informations et un diagnostic complet de la réalité éducative de la région et les objectifs qu'elle cherche à atteindre au cours de la période susmentionnée.

Dans ce travail, nous avons cherché à produire à partir des informations recueillies une « connaissance pertinente » au sens défini par Edgar Morin, pionnier de l'interdisciplinarité, c'est-à-dire « lier les relations, cadrer, contextualiser et reconnaître les liens entre le macro et le micro… » (Morin 2004) et de formuler quelques observations générales et  des conclusions susceptibles d’aider à approfondir la compréhension et l’interprétation des résultats du baccalauréat 2015 dans la région de Kairouan et de la réalité éducative tunisienne en général, en utilisant notre expérience de terrain et quelques études antérieures, et oscillant entre généralisation et spécification, c'est-à-dire entre la théorisation et l'abstraction générale des phénomènes d'une part, et l'examen des détails et les témoignages de la réalité vivante d'autre part.

L'expérience a montré que les différents projets et les réformes qu'avait connus le ministère de l'Éducation comportaient les meilleurs diagnostics et les plus beaux plans, mais leur efficacité et leur efficience sont  restées limitées. Au contraire, la réalité des institutions éducatives allait dans le sens inverse des objectifs fixés par documents officiels (Cheikh Al-Zawali 2015). Notre précédente étude sur ce sujet concluait que la réalité sociale ne change pas en adoptant des approches techniciennes ou simplement en diagnostiquant et en formulant de beaux paris, comme ce fut le cas avec la réforme de 2002. Nous ne manquons pas d’outils de recherche, ni de techniques statistiques. Ce ne sont pas non plus les propositions, les idées ou les valeurs qui manquent dans notre monde, mais ce sont les personnes qui manquent de valeurs et qui n’ont pas suffisamment de détermination et d’initiatives sincères et efficaces pour provoquer les changements souhaités.

Il est temps de dépasser les aspects négatifs des approches techniciennes pour les  approches culturelles. Il est nécessaire d’adopter l’approche de communication pour le développement, de mettre en avant le rôle stratégique de la fonction des médias et de communication et d’en faire une priorité pour le ministère de l’Éducation. L'un des sens du recours à cette approche est : l'incarnation réelle - et non pas formelle- de l'institutionnalisation, de l'esprit de l'équipe éducative et du principe du travail participatif, qui imposera la coexistence des rôles et le lien étroit entre les revendications des droits, l'accomplissement des devoirs[1] et l'utilisation optimale des ressources disponibles, aussi limitées soient-elles. La première tâche, et la plus difficile, est de convaincre les citoyens, en particulier les acteurs de la communauté éducative, qu'ils sont capables de faire la différence et de réaliser des changements pour le mieux, pour leur propre intérêt  et pour celui de leurs enfants et de la société. Il est donc utile que les mesures que le ministère prendra à la lumière des différents rapports soient accompagnées d'une campagne médiatique ou d'un plan global d'information et de communication garantissant l'implication des médias nationaux pour convaincre l'opinion publique des mesures proposées. , notamment à travers la télévision nationale, et avec la large participation d'éducateurs et d'experts qui font la distinction entre plaidoyer sincère et la propagande.

 

 

Cheikh Al-Zaouali, MustaphaConseiller Général Expert de la Vie Scolaire chez Ministère de l'Éducation nationale de la Tunisie

Traduction Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation

 Tunis, Juin, 2024

 

Pour accéder à la version AR, CLIQUER ICI



[1]  L'un des présent au focus, qui est un responsable syndical, a affirmé qu'il est temps de régler la boussole pour donner la priorité aux droits de ses adhérents et à leur confort pour s'occuper des droits des élèves et leur confort.

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