dimanche 14 juillet 2024

Extrait d'un rapport d'étude sur les résultats du baccalauréat (session 2015) dans le gouvernorat de Kairouan ( 1er partie)

 


D.M.C.Zaouli

Le blog pédagogique réserve le billet de cette semaine et celui de la semaine prochaine pour présenter à ses lecteurs des extraits d'une étude réalisée par le Docteur Zaouli en 2015 sur les résultats du baccalauréat (session 2015). 


Le blog a choisi de publier des extraits de cette étude pour la pertinence et l'originalité  de l'approche suivie par le chercheur pour traiter cette question et aussi pour les recommandations qui gardent toute leur valeur bien dix ans se sont écoulés depuis la réalisation de l'étude.

En lisant attentivement les  recommandations, nous nous sommes demandés pourquoi les choses n'ont-elles pas changé puisque le taux de réussite au baccalauréat Kairouan est encore en deçà de la moyenne nationale.

 

Dans le cadre de l'évaluation et du suivi des résultats du baccalauréat (session 2015) dans le gouvernorat de Kairouan, nous avons entrepris une série d'actions pour essayer de connaitre les facteurs qui empêchent la région  de Kairouan d'avoir de bons résultats, parmi ces actions :

 L'organisation d'entretiens :

Le premier entretien a eu lieu le 28 aout 2015, c'était un entretien de groupe avec 15 éducateurs (3 directeurs : les directeurs  du lycée Rakkada, du lycée F.Hached, Haffouz et du lycée de Chbika) , quelques enseignants des deux premiers lycées,  2inspecteurs (l'inspecteur de Mathématiques et l'inspecteur d'arabe), et un conseiller d'orientation.

L'entretien  était spontané et positif, au cours duquel j'ai pu recueillir des données utiles pour le rapport de l'étude, nous avons  cherché à dégager  les points de faiblesses et les facteurs de la réussite et à motiver les participants à fournir des suggestions et des initiatives pratiques à même d'améliorer les résultats des différents niveaux scolaires.

L'entretien nous a également permis de dialoguer et de faire la connaissance avec des enseignants  sur lesquels on peut compter pour assurer le suivi et la mise en œuvre des propositions et des initiatives issues de l'entretien.

Le même jour, nous avons pu obtenir des données partielles pour la grille d'évaluation des résultats du baccalauréat  et nous avons demandé qu'on nous fournisse d'autres données complémentaires relatives aux aspects suivants :  

-         L'ensemble des données relatives aux deux établissements de l'échantillon de l'étude cités plus haut (lycée Rakkada de Kairouan et lycée Farhat Hached  de Haffouz)

-         La liste des professeurs des classes terminales au cours de l'année scolaire 2014/2015.

-         La liste des suppléants qui exercent dans les collèges et dans les lycées du gouvernorat,

-         La pyramide des classes des collèges et des lycées par niveau  scolaire,

-         Les résultats du baccalauréat pour les sessions 2002-2006-2010 et 2014

Le mercredi 9 septembre 2015, nous avons reçu par courrier électronique plusieurs données statistiques incluses dans  le projet éducatif régional de Kairouan " 2016-2020".

Résumé des résultats  de la session 2015  du baccalauréat dans la région de Kairouan

- Le taux régional de réussite au baccalauréat en 2015 dans le gouvernorat  de Kairouan était de 31,04%, ce taux est deçà  du taux  national de 4,09 points, les taux  enregistrés par 18 lycées, sur un total de 25,  étaient inférieurs au taux national.

- En 2015, le taux de réussite au baccalauréat à Kairouan a régressé par rapport aux sessions précédentes, en effet  en  2014,  ce taux était de 46,9%, en 2012 de  44,51%, en 2011  de 64,78% (taux très proche du taux national), et en 2009 de  42%.

 

-         Le taux de réussite le plus faible a été enregistré par le lycée Rakkada (10,61%), c'est le taux le plus bas, jamais enregistré depuis sa création, il y a 11 ans. Ce taux classe le lycée de Rakkada  parmi les cinq derniers établissements du pays (immédiatement avant les lycées  cité Sidi Abdelkader à Redeyef (4,55%), lycée Hassi Frid à Kasserine (5,45%), lycée Dhiba (7,14%)  et lycée  El-Ghazali au Nadhour (9,48%. ).

- Le lycée Farhat Hached de Kairouan arrive à la deuxième place régionale (après le lycée pilote) avec un taux de réussite de 53,90%, c'est pourquoi nous l'avons choisi, avec le lycée Rakkada dans l'échantillon de notre étude.

-         Le taux de réussite régional le plus faible a été enregistré par la section Lettres (20,43%), suivie par la section Economie et Gestion, (26,51%.). Ces deux sections attirent plus de la moitié des effectifs des bacheliers (54%) et elles sont connues, au niveau national, par leurs taux de réussite les plus bas.

-          Les matières qui étaient à l'origine de la faiblesse des résultats au niveau régional sont : le français, l'anglais et l'économie (88 % des candidats n'ont pas obtenu la moyenne en français et en anglais). Les sources de faiblesses et les facteurs du succès

Le directeur du lycée de Rakkada, M. M, a déclaré qu'il dirige l'établissement depuis sa création, il y a 11 ans, « c'est un lycée rural bien qu'il se trouve à 6 km du centre de la ville de Kairouan », et qu'à l'exception de ces dernières années, le lycée  a toujours brillé  par l'excellence de ses résultats au baccalauréat, le taux  a dépassé les 60 % au cours de l'une des sessions. Le lycée est connu aussi par la stabilité du cadre pédagogique et administratif, contrairement à la réalité de la région de Kairouan, qui est considérée généralement comme une zone de transit des compétences, que ce soit dans le secteur de l'éducation ou même dans les autres secteurs, puisque Kairouan occupe la 21ème place sur 26 délégations en termes d’ancienneté moyenne de tous les enseignants » (p. 33 du projet régional de l’éducation).

Le directeur se félicite de l’existence « d’un climat de convivialité et de coopération entre l'administration et les enseignants » et que « la plupart des devoirs de contrôle sont organisés en commun et sont donc unifiés ». Le  lycée compte trois sections qui sont: Lettres, Sciences expérimentales et Sciences informatiques, si bien que les élèves, qui souhaitent suivre une autre section, sont obligés de changer d'établissement.

Parmi,  les causes  évoquées par la majorité des participants pour expliquer la faiblesse du taux de réussite au baccalauréat 2015 enregistré par le lycée de Rakkada est « le faible niveau des élèves venant du seul   collège de Rakkada », qui  recrute, à son tour, ses élèves  des 10 écoles primaires. Il semble que la plupart des élèves  de ces établissements souffrent  d'un niveau très médiocre en langues et en sciences. M. M. le sous directeur de l'évaluation et la qualité, a déclaré ce ci : « À partir de la troisième année primaire, la faiblesse des élèves en langues commencent à se manifester, et rapidement  elle se transforme en faiblesse en sciences. » Comme le savent tous ceux qui s'intéressent aux  questions éducatives tunisiennes, la situation devient « catastrophique » lorsque la langue de l’enseignement des sciences passe de l’arabe au français, dès la première année du secondaire. Nous lisons à la page (40) du Projet Educatif Régional de Kairouan au sujet de la faiblesse des bases dans les matières scientifiques et dans les  langues, ce qui suit : « …la synthèse des résultats en arabe et en  français au primaire commencent  entre la deuxième et la cinquième année, ce qui impacte progressivement les matières scientifiques, notamment les mathématiques, qui passe de 80 % à moins de 40 %.».

 

Les faiblesses se transforment en problèmes très graves

Les participants, administrateurs et enseignants, ont souligné l'importance de certains facteurs et phénomènes liés à l'établissement  ou provenant du dehors, qui affectent négativement les résultats scolaires des élèves au baccalauréat et avant. Nous en citons quelques exemples  en les reliant à ce qui a été dit dans le projet régional, avec nos  ajouts et nos commentaires :

1   - La détérioration du service de transport scolaire et l'absence d'installations appropriées pour accueillir et protéger les élèves  des dangers de la rue : « Les élèves  arrivent au lycée avant le lever du jour et rentrent chez eux après le coucher  », c'est l'expression qui est reprise par tous les participants à l'entretien . En raison du caractère rural de la plupart des établissements de la région de Kairouan, qui « occupe la première place nationale en termes de population rurale (non communale) » (p. 7), le pourcentage d'élèves qui parcourent plus de 5 km atteint, dans la plupart des établissements, 62 % du nombre total des élèves du collège de Sbikha, et, nous constatons que «les établissements ne sont pas préparés à accueillir ce type d'élèves  qui quittent leur domicile tôt le matin pour y revenir tard dans la nuit (cantine, internat, salles d'études, surveillants... ..)". (p. 120(.

2- En l'absence des installations mentionnées ci-dessus et de l'encadrement nécessaire, des centaines de milliers d'élèves passent les périodes libres entre les cours ou entre la séance du matin et celle de l'après midi, de longues heures devant les collèges et les lycées et dans les rues et les cafés adjacents (dans les villes) ou dans les vergers et les espaces naturels qui se trouvent à proximité  de l'établissement  (à la campagne). L'ennui et le désintérêt commencent à toucher le savoir scolaire, et  l'attractivité de l'école diminue face à l'attractivité des salles de jeux et les espaces publics d'internet qui ont commencé à se répandre devant les établissements scolaires.

3- Le phénomène croissant de séparation des familles et la démission des parents qui ne soucient plus de la scolarité de leurs enfants,  d'où « un faible suivi et d'encadrement  par les parents en dehors de l’école » (p. 140(. 

4- La souffrance causée par  des programmes très longs et le fardeau des examens : En raison de la densité des programmes officiels et de la domination de la culture de l'évaluation sommative, l'un des paris de la réforme éducative de 2002, qui était de « former des têtes  pensants plutôt que des têtes pleines» n'a pas été réalisé, au contraire on a vu se poursuivre et se développer  ce que la réforme avait voulu combattre comme : «  le fait de continuer à " inculquer aux élèves  des masses de connaissances, dans un nombre considérable de disciplines, à un rythme  qui favorise  la mémorisation et l’application quasi mécanique des règles plutôt que la mise en action des processus  d’analyse, de synthèse et de résolution de problèmes… » (Programme pour la mise en œuvre du projet " Ecole de demain" (2002/2007, p. 23).

Le temps alloué aux différents types de tests accapare une grande partie du temps scolaire et du travail de l’enseignant à l’intérieur et à l’extérieur de la classe. Le spectre de l'examen dominait le psychisme de l'élève et l'empêche de  découvrir le plaisir de la connaissance et de s'y engager, au contraire, il l'en révulse  et on le voit  attendre la fin de "la semaine bloquée" et la fin de l'année scolaire pour pouvoir oublier  les connaissances qu’il avait accumulées et « retourner à la vraie vie ». L'un des participants à l'entretien de groupe a mentionné  ce ci : «Pour fêter la fin de chaque semaine bloquée, il est devenu une coutume récurrente au lycée  que les filles se mettent à lancer des youyous et les garçons à danser de joie. » Nous ajoutons à cela ce que nous observons, à la fin de chaque année scolaire, quand  les  élèves se mettent à déchirer leurs cahiers et autres documents devant les collèges et les lycées.

5- L'aggravation  du phénomène des cours particuliers : Plusieurs facteurs se sont joints pour contribuer à l'exacerbation des cours particuliers. La lourdeur des programmes et la prédominance des examens sur le temps scolaire et sur le rôle de l'enseignement en  général, avec l'augmentation  de la scolarisation formelle et l'accumulation de lacunes  dans la formation de base des élèves  en raison du passage  quasi automatique dans les différents niveaux scolaires en application  « des mesures », des « instructions » et  de la politique de « prolongation de l'espérance de vie  scolaire » (Al-Bukhari 2001).  À tout cela s'ajoute l'impact de la diffusion des valeurs de la société du marché et de la consommation et le désir du gain  rapide... Obtenir des notes élevées aux tests dans les matières de base est devenu un objectif en soi, et les compétences les plus recherchées chez l'enseignant sont devenues sa compétence à  préparer  les élèves  à passer les examens et obtenir les bonnes notes  , quel que soit le niveau réel de l'élève et la formation de sa personnalité dans ses différentes dimensions, la séance de cours  s'est  transformée par des «entrepreneurs de l'enseignement » en un moyen de pression sur les élèves et les mobiliser pour les attirer vers  les cours particuliers, Les parents n'ont pas le choix  , ils se soumettent  au fait accompli.

6-  Le vide et l'artificialité qui caractérisent la vie scolaire : «L'activité culturelle dans les établissements connait une paralysie quasi totale de,  et  l'absence de cohérence entre le nombre de clubs culturels "déclarés" au sein des établissements  et leur activité réelle, l'absence de cadres spécialisés  dans les collèges et les lycées  pour animer les clubs culturels" (p. 140). Nous avons abordé cette question dans le cadre d'une étude publiée précédemment sur "Les obstacles à la réforme éducative de 2002 en Tunisie..." (Cheikh Al-Zawali 2014(..

7- L'absence d'accompagnement psychologique et social des apprenants et le nombre limité de bureaux d'écoute et d'orientation : toute la région  de Kairouan compte 14 bureaux seulement, avec l'absence de coordination entre les différents acteurs, voire la démission totale de certains d'entre eux. (p. 119).  On peut consulter notre évaluation de l’expérience des bureaux d’écoute et d’orientation  dans notre étude publiée sur « Le corps des   conseillers  en  information et en orientation scolaire et universitaire : problèmes et perspectives » (Cheikh Al-Zawali 2014b).

Les facteurs mentionnés ci-dessus peuvent être considérés comme des problèmes majeurs qui affectant la réalité éducative et sociale tunisienne et ils ont des effets négatifs sur le rythme de vie quotidienne des élèves et sur leur rapport aux études, à eux-mêmes, aux autres et à la vie en général. Il s'agit de caractéristiques structurelles liées aux conditions de travail dans les établissements scolaires et à l'environnement social de l'école dans la plupart des régions du pays. Les différences fondamentales entre les établissements scolaires résident dans la l'aptitude et le degré de  s'en affecter, dans les initiatives visant à s'en prévenir ou à les confronter, elle réside aussi dans les ressources disponibles à l'intérieur et à l'extérieur de l'institution et dans l'étendue de la capacité à les employer. Ces problèmes et leurs effets négatifs forment des anneaux liés l'un à l'autre dans lesquels les causes sont liées aux résultats d’une manière séquentielle qui illustrent  et expliquent la perte de l’école d’une grande partie de son statut social, de son symbolique et de son rôle dans la réussite sociale. L'un des participants à l'entretien de focus a déclaré, se basant sur son expérience professionnelle, que « l'un de ses élèves, qui était premier de sa classe, travaille aujourd'hui comme 'éboueur', tandis que l'élève classé dernier dans la  même classe, travaille actuellement comme acteur de théâtre en Italie".

 


Fin de la 1er partie ( à suivre) -Pour accéder à la 2ème partie- cliquer ICI

 

D.Mustapha CHIKH ZAOUALI

 

Conseiller général en Information et Orientation Scolaire et Universitaire.

Pour accéder à la version Arabe, cliquer ICI

 

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