Dans le cadre de l'évaluation et du suivi
des résultats du baccalauréat (session 2015) dans le gouvernorat de Kairouan,
nous avons entrepris une série d'actions pour essayer de connaitre les facteurs
qui empêchent la région de Kairouan d'avoir
de bons résultats, parmi ces actions :
L'organisation
d'entretiens :
Le premier entretien a eu lieu le 28 aout
2015, c'était un entretien de groupe avec 15 éducateurs (3 directeurs : les
directeurs du lycée Rakkada, du lycée
F.Hached, Haffouz et du lycée de Chbika) , quelques enseignants des deux
premiers lycées, 2inspecteurs (l'inspecteur de Mathématiques et l'inspecteur
d'arabe), et un conseiller d'orientation.
L'entretien était spontané et positif, au cours duquel
j'ai pu recueillir des données utiles pour le rapport de l'étude, nous avons cherché à dégager les points de faiblesses et les facteurs de
la réussite et à motiver les participants à fournir des suggestions et des
initiatives pratiques à même d'améliorer les résultats des différents niveaux scolaires.
L'entretien nous a également permis de
dialoguer et de faire la connaissance avec des enseignants sur lesquels on peut compter pour assurer le
suivi et la mise en œuvre des propositions et des initiatives issues de l'entretien.
Le même jour, nous avons pu obtenir des
données partielles pour la grille d'évaluation des résultats du
baccalauréat et nous avons demandé qu'on
nous fournisse d'autres données complémentaires relatives aux aspects suivants :
-
L'ensemble des données relatives aux deux
établissements de l'échantillon de l'étude cités plus haut (lycée Rakkada de
Kairouan et lycée Farhat Hached de
Haffouz)
-
La liste des professeurs des classes
terminales au cours de l'année scolaire 2014/2015.
-
La liste des suppléants qui exercent dans
les collèges et dans les lycées du gouvernorat,
-
La pyramide des classes des collèges et des
lycées par niveau scolaire,
-
Les résultats du baccalauréat pour les
sessions 2002-2006-2010 et 2014
Le mercredi 9 septembre 2015, nous avons reçu par
courrier électronique plusieurs données statistiques incluses dans le projet éducatif régional de Kairouan "
2016-2020".
Résumé
des résultats de la session 2015 du baccalauréat dans la région de Kairouan
-
Le taux régional de réussite au baccalauréat en 2015 dans le gouvernorat de Kairouan était de 31,04%, ce taux est
deçà du taux national de 4,09 points, les taux enregistrés par 18 lycées, sur un total de 25,
étaient inférieurs au taux national.
-
En 2015, le taux de réussite au baccalauréat à Kairouan a régressé par rapport
aux sessions précédentes, en effet en 2014, ce taux était de 46,9%, en 2012 de
44,51%, en 2011 de 64,78% (taux
très proche du taux national), et en 2009 de 42%.
-
Le taux de réussite le plus faible a été enregistré
par le lycée Rakkada (10,61%), c'est le taux le plus bas, jamais enregistré
depuis sa création, il y a 11 ans. Ce taux classe le lycée de Rakkada parmi les cinq derniers établissements du
pays (immédiatement avant les lycées
cité Sidi Abdelkader à Redeyef (4,55%), lycée Hassi Frid à Kasserine (5,45%),
lycée Dhiba (7,14%) et lycée El-Ghazali au Nadhour (9,48%. ).
-
Le lycée Farhat Hached de Kairouan arrive à la deuxième place régionale (après le
lycée pilote) avec un taux de réussite de 53,90%, c'est pourquoi nous l'avons
choisi, avec le lycée Rakkada dans l'échantillon de notre étude.
-
Le taux de réussite régional le plus faible a été
enregistré par la section Lettres (20,43%), suivie par la section Economie et
Gestion, (26,51%.). Ces deux sections attirent plus de la moitié des effectifs
des bacheliers (54%) et elles sont connues, au niveau national, par leurs taux
de réussite les plus bas.
-
Les matières
qui étaient à l'origine de la faiblesse des résultats au niveau régional sont :
le français, l'anglais et l'économie (88 % des candidats n'ont pas obtenu la
moyenne en français et en anglais). Les sources de faiblesses et les
facteurs du succès
Le directeur du lycée de Rakkada, M. M, a déclaré
qu'il dirige l'établissement depuis sa création, il y a 11 ans, « c'est un lycée
rural bien qu'il se trouve à 6 km du centre de la ville de Kairouan », et qu'à
l'exception de ces dernières années, le lycée a toujours brillé par l'excellence de ses résultats au
baccalauréat, le taux a dépassé les 60 %
au cours de l'une des sessions. Le lycée est connu aussi par la stabilité du
cadre pédagogique et administratif, contrairement à la réalité de la région de
Kairouan, qui est considérée généralement comme une zone de transit des
compétences, que ce soit dans le secteur de l'éducation ou même dans les autres
secteurs, puisque Kairouan occupe la 21ème place sur 26 délégations en termes
d’ancienneté moyenne de tous les enseignants » (p. 33 du projet régional de
l’éducation).
Le directeur se félicite de l’existence « d’un
climat de convivialité et de coopération entre l'administration et les enseignants
» et que « la plupart des devoirs de contrôle sont organisés en commun et sont
donc unifiés ». Le lycée compte trois sections
qui sont: Lettres, Sciences expérimentales et Sciences informatiques, si bien
que les élèves, qui souhaitent suivre une autre section, sont obligés de changer
d'établissement.
Parmi, les causes
évoquées par la majorité des
participants pour expliquer la faiblesse du taux de réussite au baccalauréat
2015 enregistré par le lycée de Rakkada est « le faible niveau des élèves
venant du seul collège de Rakkada », qui recrute, à son tour, ses élèves des 10 écoles primaires. Il semble que la
plupart des élèves de ces établissements
souffrent d'un niveau très médiocre en
langues et en sciences. M. M. le sous directeur de l'évaluation et la qualité,
a déclaré ce ci : « À partir de la troisième année primaire, la faiblesse des
élèves en langues commencent à se manifester, et rapidement elle se transforme en faiblesse en sciences. »
Comme le savent tous ceux qui s'intéressent aux questions éducatives tunisiennes, la situation
devient « catastrophique » lorsque la langue de l’enseignement des sciences
passe de l’arabe au français, dès la première année du secondaire. Nous lisons
à la page (40) du Projet Educatif Régional de Kairouan au sujet de la faiblesse
des bases dans les matières scientifiques et dans les langues, ce qui suit : « …la synthèse des
résultats en arabe et en français au
primaire commencent entre la deuxième et
la cinquième année, ce qui impacte progressivement les matières scientifiques,
notamment les mathématiques, qui passe de 80 % à moins de 40 %.».
Les faiblesses se transforment en problèmes
très graves
Les participants, administrateurs et
enseignants, ont souligné l'importance de certains facteurs et phénomènes liés
à l'établissement ou provenant du dehors,
qui affectent négativement les résultats scolaires des élèves au baccalauréat
et avant. Nous en citons quelques exemples
en les reliant à ce qui a été dit dans le projet régional, avec nos ajouts et nos commentaires :
1 - La détérioration du service de transport
scolaire et l'absence d'installations appropriées pour accueillir et protéger
les élèves des dangers de la rue : «
Les élèves arrivent au lycée avant le
lever du jour et rentrent chez eux après le coucher », c'est l'expression qui est reprise par
tous les participants à l'entretien . En raison du caractère rural de la
plupart des établissements de la région de Kairouan, qui « occupe la
première place nationale en termes de population rurale (non communale) »
(p. 7), le pourcentage d'élèves qui parcourent plus de 5 km atteint, dans la
plupart des établissements, 62 % du nombre total des élèves du collège de
Sbikha, et, nous constatons que «les établissements ne sont pas préparés à
accueillir ce type d'élèves qui quittent
leur domicile tôt le matin pour y revenir tard dans la nuit (cantine, internat,
salles d'études, surveillants... ..)". (p. 120(.
2- En l'absence des installations mentionnées ci-dessus et de
l'encadrement nécessaire, des centaines de milliers d'élèves passent les
périodes libres entre les cours ou entre la séance du matin et celle de l'après
midi, de longues heures devant les collèges et les lycées et dans les rues et
les cafés adjacents (dans les villes) ou dans les vergers et les espaces
naturels qui se trouvent à proximité de
l'établissement (à la campagne). L'ennui
et le désintérêt commencent à toucher le savoir scolaire, et l'attractivité de l'école diminue face à
l'attractivité des salles de jeux et les espaces publics d'internet qui ont
commencé à se répandre devant les établissements scolaires.
3-
Le phénomène croissant de séparation des familles et la démission des
parents qui ne soucient plus de la scolarité de leurs enfants, d'où « un faible suivi et
d'encadrement par les parents en dehors
de l’école » (p. 140(.
4- La souffrance causée par des programmes très longs et le fardeau des
examens : En raison de la densité des programmes officiels et de la
domination de la culture de l'évaluation sommative, l'un des paris de la
réforme éducative de 2002, qui était de « former des têtes pensants plutôt que des têtes pleines» n'a
pas été réalisé, au contraire on a vu se poursuivre et se développer ce que la réforme avait voulu combattre comme
: « le fait de continuer à "
inculquer aux élèves des masses de connaissances,
dans un nombre considérable de disciplines, à un rythme qui favorise la mémorisation et l’application quasi mécanique
des règles plutôt que la mise en action des processus d’analyse, de synthèse et de résolution de
problèmes… » (Programme pour la mise en œuvre du projet " Ecole de demain"
(2002/2007, p. 23).
Le temps alloué aux différents types de
tests accapare une grande partie du temps scolaire et du travail de
l’enseignant à l’intérieur et à l’extérieur de la classe. Le spectre de
l'examen dominait le psychisme de l'élève et l'empêche de découvrir le plaisir de la connaissance et de s'y
engager, au contraire, il l'en révulse et on le voit attendre la fin de "la semaine bloquée"
et la fin de l'année scolaire pour pouvoir oublier les connaissances qu’il avait accumulées et «
retourner à la vraie vie ». L'un des participants à l'entretien de groupe a
mentionné ce ci : «Pour fêter la fin
de chaque semaine bloquée, il est devenu une coutume récurrente au lycée que les filles se mettent à lancer des youyous
et les garçons à danser de joie. » Nous ajoutons à cela ce que nous observons,
à la fin de chaque année scolaire, quand
les élèves se mettent à déchirer
leurs cahiers et autres documents devant les collèges et les lycées.
5- L'aggravation du phénomène des
cours particuliers : Plusieurs facteurs se sont joints pour contribuer à l'exacerbation des
cours particuliers. La lourdeur des programmes et la prédominance des examens
sur le temps scolaire et sur le rôle de l'enseignement en général, avec l'augmentation de la scolarisation formelle et l'accumulation
de lacunes dans la formation de base des
élèves en raison du passage quasi automatique dans les différents niveaux
scolaires en application « des mesures »,
des « instructions » et de la politique
de « prolongation de l'espérance de vie scolaire » (Al-Bukhari 2001). À tout cela s'ajoute l'impact de la diffusion
des valeurs de la société du marché et de la consommation et le désir du gain rapide... Obtenir des notes élevées aux tests
dans les matières de base est devenu un objectif en soi, et les compétences les
plus recherchées chez l'enseignant sont devenues sa compétence à préparer les élèves à passer les examens et obtenir les bonnes
notes , quel que soit le niveau réel de
l'élève et la formation de sa personnalité dans ses différentes dimensions, la
séance de cours s'est transformée par des «entrepreneurs de l'enseignement
» en un moyen de pression sur les élèves et les mobiliser pour les attirer vers
les cours particuliers, Les parents n'ont
pas le choix , ils se soumettent au fait accompli.
6- Le vide et
l'artificialité qui caractérisent la vie scolaire : «L'activité
culturelle dans les établissements connait une paralysie quasi totale de, et
l'absence de cohérence entre le nombre de clubs culturels "déclarés"
au sein des établissements et leur
activité réelle, l'absence de cadres spécialisés dans les collèges et les lycées pour animer les clubs culturels" (p.
140). Nous avons abordé cette question dans le cadre d'une étude publiée
précédemment sur "Les obstacles à la réforme éducative de 2002 en
Tunisie..." (Cheikh Al-Zawali 2014(..
7- L'absence d'accompagnement psychologique et social des
apprenants et le nombre limité de bureaux d'écoute et d'orientation : toute la
région de Kairouan compte 14 bureaux
seulement, avec l'absence de coordination entre les différents acteurs, voire
la démission totale de certains d'entre eux. (p. 119). On peut consulter notre évaluation de
l’expérience des bureaux d’écoute et d’orientation dans notre étude publiée sur « Le corps des conseillers en
information et en orientation scolaire et universitaire :
problèmes et perspectives » (Cheikh Al-Zawali 2014b).
Les facteurs mentionnés ci-dessus peuvent
être considérés comme des problèmes majeurs qui affectant la réalité éducative
et sociale tunisienne et ils ont des effets négatifs sur le rythme de vie
quotidienne des élèves et sur leur rapport aux études, à eux-mêmes, aux autres
et à la vie en général. Il s'agit de caractéristiques structurelles liées aux
conditions de travail dans les établissements scolaires et à l'environnement
social de l'école dans la plupart des régions du pays. Les différences
fondamentales entre les établissements scolaires résident dans la l'aptitude et
le degré de s'en affecter, dans les
initiatives visant à s'en prévenir ou à les confronter, elle réside aussi dans
les ressources disponibles à l'intérieur et à l'extérieur de l'institution et
dans l'étendue de la capacité à les employer. Ces problèmes et leurs effets
négatifs forment des anneaux liés l'un à l'autre dans lesquels les causes sont
liées aux résultats d’une manière séquentielle qui illustrent et expliquent la perte de l’école d’une grande
partie de son statut social, de son symbolique et de son rôle dans la réussite
sociale. L'un des participants à l'entretien de focus a déclaré, se basant sur
son expérience professionnelle, que « l'un de ses élèves, qui était premier de
sa classe, travaille aujourd'hui comme 'éboueur', tandis que l'élève classé
dernier dans la même classe, travaille
actuellement comme acteur de théâtre en Italie".
Fin de la 1er partie ( à suivre) -Pour accéder à la 2ème partie- cliquer ICI
D.Mustapha CHIKH ZAOUALI
Conseiller général en Information et Orientation Scolaire et
Universitaire.
Pour accéder à la version Arabe, cliquer ICI
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