Je crois que la grande importance que la plupart des tunisiens attachent au baccalauréat vient du fait qu'ils ont pris pleinement conscience que les clés du changement ne sont plus entre leurs mains et que toutes les richesses, qui les ont nourris de la faim pendant des décennies, sont devenues, aujourd'hui de simples « glands », qui suffisent à peine à garantir les salaires et les traitements de la fin du mois.
Ils ont également réalisé que leurs
dirigeants d'aujourd'hui, n'ont pas surpassé leurs mauvais prédécesseurs en persistant
dans les tromperies, en détournant leur attention, et en leur faisant croire
que le slogan est plus important que son contenu, et que le simple fait de le
déclarer est plus convaincant que de travailler à sa réalisation.
Partant
de cette prise de conscience spontanée, ils se sont construit un nouveau modèle, dont les plus importantes manifestations
sont: le désintérêt des choses publiques
et la concentration sur des affaires personnelles afin d'assurer leur survie
après avoir aspiré à vivre dignement à
un meilleur niveau de confort social... Ce
modèle se caractérise également par le fait de placer tous leurs espoirs, leurs ambitions et
leurs économies dans les études de leurs enfants et veiller à leur assurer le meilleur avenir. Ainsi, en
Tunisie, nous vivons ce qui ressemble à de la fièvre et à un bouillonnement populaire à l'occasion de chaque rentrée
scolaire et universitaire, et à
l'occasion de l'examen du baccalauréat, et la tentative de s'inscrire dans les
meilleures institutions, le choix des meilleurs professeurs, à l'occasion de la
réception des bulletins des notes et du choix des meilleures entreprises dans le
domaine des cours particuliers...
C'est
la raison pour laquelle, le baccalauréat est un sujet central dans la vie des
familles tunisiennes et un tournant décisif pour lequel d'énormes sacrifices
financiers sont consacrés et la mise à rude épreuve des nerfs, tout cela pour un lendemain meilleur.
A
travers cet article, j'espère présenter quelques éléments d'évaluation du
baccalauréat tunisien - d'autant que l'on vit ces jours-ci une synthèse de ce
que ce tournant ( le baccalauréat) allait ouvrir comme horizons pour les études
supérieures - dans le but de voir ses points faibles et ses points forts, en vue
d'un amendement qui pourrait intervenir
un jour.…Nous espérons que ceux sur qui vont se charger de cet amendement ou de cette révision tant attendus, c'est-à-dire ce qu'on
appelle dans le jargon des analystes les acteurs éducatifs et les bâtisseurs des
réformes et contributeurs, ne nous
surprennent par des mesures que personne
n'attend.
Les
phénomènes phares incontestables que j’ai personnellement observés , nous
pouvons les résumer dans les points
suivants :
Premièrement
: Le Baccalauréat ou le réveil tardif
Il
est ni acceptable, ni raisonnable qu'un
élève tunisien poursuit ses études
jusqu'à l'âge de 19 ans sans connaitre
une évaluation officielle et obligatoire tout au long de son parcours
scolaire, primaire, préparatoire et secondaire. De ce fait , d'abord, on
n'offre à l'élève et à ses parents aucune possibilité de revoir les
méthodes de travail et de connaitre ses faiblesses
pour y remédier à temps et ses
points forts qui doivent être renforcés, affinés et
développés... ensuite, c'est tout le système qui en a besoin pour qu'il puisse réajuster les parcours à la lumière des
résultats obtenus et ne pas obliger des élèves à poursuivre de longues études
qui nécessitent un premier noyau de formation solide, du souffle et un projet
d'études visionnaire qui anticipe l'avenir des études après le baccalauréat.
Deuxièmement
: il n’y a pas d’avenir pour un baccalauréat basé sur une carte tordue et
délabrée des parcours et des sections dans l’enseignement secondaire.
Aujourd'hui
plus que jamais, une révision de la
carte actuelle des sections et des parcours, devenus obsolètes, et même
destructrices des rêves de générations entières est devenue nécessaire. Nous
sommes en présence d'une situation anormale
où nous voyons des sections qui se muent en tumeur et des sections qui se
gonflent, tandis que d'autres s'atrophient, et des sections qui exercent une fausse fascination (comme les
sections des sciences informatiques et
des Sciences Expérimentales) parce elles revendiquent des horizons qu'ils
n'offrent réellement pas et cherchent à embrasser un avenir alors qu'elles ne se donnent pas les moyens d'y parvenir.
Troisièmement:
Un quart des bacheliers cette année (environ 15 000) ont déposé des demandes de
réorientation.
J'estime
personnellement, qu'il y a des dizaines de milliers d'étudiants qui ont été
orientés vers des parcours d'enseignement supérieur qu'ils n'ont pas rejoints soit parce que leur baccalauréat n'a rien à
voir avec le parcours proposé bien qu'ils l'avaient mis, sans conviction, dans leur fiche
d'orientation, soit que le parcours leur a été imposé arbitrairement en raison de
l'absence de places vacantes en dehors de celui-ci, soit en raison des
distances qui séparent leur lieu de résidence et les régions qui accueillent des
institutions universitaires où il restait encore quelques places vacantes... ou enfin, en
raison des difficultés que vivent les
diplômés de certaines filières, véhiculées par les anciens étudiants (comme les métiers
du patrimoine, les sciences humaines, et certaines spécialités en économie et
gestion...)
Si nous
calculons le nombre d'étudiants qui
rejoignent l'enseignement supérieur
privé, ou les filières de techniciens supérieurs
dans le secteur de la formation
professionnelle, ceux qui sont au
contact avec les bureaux spécialisés
dans l'envoi des étudiants à l'étranger,
et les participants au concours de réorientation (session d'août 2023 et session de mars 2024 à l'avenir), nous aurons
une idée précise de la masse du gaspillage provoqué par un baccalauréat minable en
grande partie.
Quatrièmement
: Un système national d’éducation et de formation décousu qui ne pourra pas
décoller
L'absence
d'une approche systémique, qui fait de l'intégration dans les spécialités qui mènent au Brevet de
Technicien Supérieur dans la formation professionnelle
après le baccalauréat, des perspectives réelles et prometteuses pour les
bacheliers, notamment dans les filières de l'enseignement secondaire, a
considérablement nui à l'efficacité de notre système éducatif et a entravé son
évolution vers un système dans lequel les dimensions formatives sont
équilibrées et offrent des passerelles
très larges pour les jeunes, indépendamment de leurs origines sociales
et du niveau de leurs acquis de bases pour rejoindre des secteurs professionnels
qui préservent la dignité de ceux qui les choisissent. (or, on ne peut pas
convaincre la plupart des citoyens avec qui j'ai parlé, quoi qu'on fasse, que
ce brevet est équivalent à la licence
nationale de l'enseignement Supérieur, non
seulement en termes d'efficacité de la formation, mais aussi en termes de son
équivalence au niveau juridique).
Cinquièmement : La crise du
baccalauréat dans les régions
intérieures est une crise double.
L'indifférence
et la négligence de l'État sont devenues flagrantes et scandaleuses à l'égard des régions
intérieures dont les résultats au
baccalauréat sont alarmants et où le nombre d'étudiants inscrits dans des
filières académiques relativement prometteuses baisse d'une manière qui suscite
de réelles inquiétudes. Cela, me surprend
de voir que , ni le ministère, ni des délégations, ni des responsables, n'évaluent pas l'ampleur des fractures causées par
le baccalauréat et tentent de déchiffrer ce qui s'est passé et faire une lecture
audacieuse de ces résultats pour anticiper la nouvelle rentrée et proposer des
solutions pour combler certaines failles (pas toutes) et sauver ce qui pourrait
être sauvé... Il m'est arrivé de
discuter avec certains d'entre eux, et je m'aperçoit qu'ils ne sont ni gênés, ni concernés par cet
état. Pour eux, tous ces
disfonctionnements, sont le résultat de
« la marginalisation héritée de ces régions », et qu'il faudrait attendre « la prochaine
la réforme éducative imminente », et que
la crise est complexe», etc.
Sixièmement : Trouver
des sections qui permettent une grande
employabilité dans les régions de
l'intérieur et l’équation changera.
Le moment est
venu de réparer la faiblesse qui a touché la carte universitaire tunisienne,
que nous avons héritée depuis des décennies des équilibres politiciens et
tribaux rétrogrades, qui ont donné des institutions improvisées avec des
spécialités vides et un environnement universitaire pauvre dans la plupart des régions internes,
ce qui a affecté négativement l'attractivité des «nouveaux pôles universitaires
».
Personnellement,
je ne vois pas ce qui empêche de faire des partenariats fructueux entre ces
institutions universitaires émergentes et les grandes universités
internationales, notamment en sciences informatiques, en sécurité de
l'information, en durabilité environnementale, robotique, transformation
numérique, métiers de la santé, etc., comme l'une des solutions qui peut être
adoptée afin de redorer le blason de ces institutions oubliées et de surmonter
l'isolement des études universitaires et académiques qui leur ont été imposées.
Septièmement :
Le système d’orientation universitaire aggrave la crise du baccalauréat au lieu
de l’atténuer
Le manque de
connaissances des spécificités de la formation dans l'enseignement secondaire
dans les différentes spécialités (du fait de l'absence de coordination entre
les inspecteurs des différentes disciplines et les responsables des commissions sectorielles
de l'enseignement supérieur) , la non-répartition des bacheliers sur les
différents parcours de formation universitaire d'une manière plus efficace et
plus objective, la capacité d'accueil limitée des parcours universitaires prometteurs
et le recours excessif aux critères quantitatifs au détriment des autres facteurs
comme la motivation, l'intérêt et l'ambition
des nouveaux étudiants... ce sont là - à
mon avis - les caractéristiques les plus importantes des lacunes du système
d'orientation actuel,
Moncef Khemiri, conseiller général en information et en orientation scolaire et universitaire
21 août 2023
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