La Tunisie a mis en
place dès la deuxième moitié des années soixante dix et surtout au début des
années quatre vingt les dispositions de la formation continue (FC) qui a
commencé à se structurer, et cela s’est traduit par la création
d’une direction chargée de la formation continue en 1976 [8] il s’agit de la direction des programmes qui est
devenue en 1981[9] une direction générale des programmes et de la
formation continue ( DGPFC)[1] avec une sous direction de la
formation continue et trois
services : un pour l’enseignement primaire et deux pour l’enseignement
secondaire, technique et professionnel et puis par la création de structures
régionales pour rapprocher la FC des enseignants , il s’agit des centres régionaux de l’éducation
et de la formation continue[2] .
Ce
dispositif a permis la qualification d’un grand nombre d’enseignants en
compensant le manque de formation initiale et de proposer une importante
offre de formation.
Mais
depuis 2011 la FC connait une crise multiple (baisse du budget, absentéisme,
structures en veille…)
L’état
des lieux
Les objectifs
La formation continue a toujours
cherché à répondre à la diversité des
profils du personnel éducatif en favorisant leur perfectionnement professionnel
et en les engageant dans un processus de professionnalisation tout au long de
leur carrière. Elle ambitionne également d'améliorer l'efficacité du système
éducatif grâce à une gestion optimisée des ressources humaines, en élevant le
niveau de qualification et de compétences des enseignants et en les impliquant
dans leur développement professionnel.
Les formations proposées couvrent
une large gamme de thèmes, destinés à des groupes sélectionnés par les
inspecteurs dans leurs circonscriptions. Ces actions s’inscrivent dans une
logique d’offre ponctuelle, souvent définie par les inspecteurs eux-mêmes.
Un Plan national de formation
est élaboré par la DGPFC à partir des rapports synthétiques des inspecteurs.
Les thèmes sont transmis aux 24 Centres Régionaux de l’éducation et de la Formation Continue.
(CREFOC) pour mise en œuvre, en
tenant compte des besoins des enseignants identifiés par les inspecteurs et des
orientations des différentes directions ministérielles. Par exemple, le
Programme national 2015/2016 incluait six thèmes :
- Intégration des élèves aux
besoins spécifiques,
- Langue française,
- Langue arabe,
- Projet d’établissement,
- Formation pédagogique,
- Utilisation des outils
numériques à l’école primaire.
Ces thèmes ont été appliqués dans
les 18 disciplines par les inspecteurs auprès des enseignants du primaire et du
secondaire. Cependant, les thématiques de formation sont principalement dictées
par les orientations ministérielles ou choisies par les inspecteurs, sans
consultation directe des enseignants.
Certains thèmes s’étendent sur
deux ou trois ans, tandis que d'autres sont renouvelés annuellement selon les
besoins identifiés par les inspecteurs lors de leurs visites de classe. Les
formations, généralement organisées dans les CREFOC, durent une journée (4
heures) et les enseignants participent à environ 3 à 5 journées par an.
La répartition des thèmes est
estimée ainsi :
Ruptures juridiques À l’échelle nationale, des disparités subsistent dans la mise en œuvre de
ces formations. En 2016, seulement 1 350 journées sur les 2 650 programmées ont
été réalisées, bénéficiant à 27 675 participants. Les retards sont attribués à
divers facteurs :
- Retard dans l’envoi du programme national,
- Réticence de certains inspecteurs,
- Manque de coordination entre les structures,
- Absence de suivi des absences.
Un Programme régional,
complémentaire au programme national, est établi par une commission régionale
qui identifie les besoins spécifiques. Par exemple, à Zaghouan, où de nombreux
enseignants sont des suppléants (50 %) manquent de formation pédagogique, des
sessions hebdomadaires de 4 heures ont été mises en place avec l’appui des
assistants pédagogiques. En 2016, 75 % du programme régional a été réalisé,
avec un taux de participation de 80 %.
Des formations spécifiques,
organisées par les inspecteurs selon les besoins identifiés lors des visites de
classe, complètent l’offre. Ces formations, ponctuelles et personnalisées, sont
particulièrement fréquentes dans le primaire, où elles sont définies par
l’équipe pédagogique de circonscription.
Cependant, la majorité des
formations restent axées sur des perfectionnements ou des actualisations
ponctuelles, souvent dispensées sous forme magistrale ou participative
(questions-réponses, brainstorming, ateliers). Elles manquent d’un suivi
structuré ou d’un parcours cohérent pour permettre un développement
professionnel continu.
Enfin, les leçons-témoins,
conçues par les inspecteurs, sont perçues comme éloignées de la réalité des
enseignants, qui peinent à les adapter à leur contexte.
Les moyens et les ressources mobililsés pour la F.C
ET l’évaluation des actions de formation
Les ressources dédiées à la
formation continue sont jugées insuffisantes par tous les acteurs :
- Les CREFOC, souvent installés dans des locaux vieillissants et
inadaptés, n’ont pas bénéficié de travaux de maintenance depuis 20 ans.
- Les budgets, tant au niveau régional que national, sont en diminution,
limitant ainsi la portée des actions de formation.
Le budget et
les moyens
En 2017, le budget total de
fonctionnement du Ministère de l’Éducation (ME) s’élevait à 4 659,762 millions
de dinars, dont seulement 0,4 % était alloué à la formation continue, contre
1,6 % en 2006. Cette diminution des ressources a impacté les capacités des
CREFOC.
Globalement, les budgets des
CREFOC ont été réduits à environ 20 000 dinars par centre pour couvrir la
logistique, la maintenance et l’organisation des formations.
L’évaluation
des actions de formation et les avis des différents acteurs
Les inspecteurs effectuent
généralement une évaluation « à chaud » en recueillant les avis des
participants via des questionnaires de satisfaction à la fin des sessions.
Cependant, ces questionnaires ne sont ni centralisés ni analysés au niveau
régional ou national. De plus, ils ne mesurent pas l’impact réel des formations
sur le terrain.
Aucun mécanisme systématique de
suivi n’existe pour évaluer l’efficacité des formations sur les pratiques des
enseignants ou sur les apprentissages des élèves. Quelques visites en classe
permettent parfois d’observer des retombées, mais elles restent rares et peu
formalisées.
Tous les acteurs (inspecteurs,
enseignants, directeurs des CREFOC) s’accordent sur les limites de la F.C
actuelle et expriment des préoccupations récurrentes. Parmi les insuffisances
relevées, ils évoquent le caractère théorique de la formation qui est souvent
déconnectée des réalités pratiques des classes, ainsi que le caractère
répétitif des thèmes et l’absence
d’innovation, enfin ils remarquent
l’absence de suivi et d’évaluation pour mesurer les retombées des formations.
Les inspecteurs s’accordent sur
la nécessité de lier la formation continue à une promotion basée sur le mérite.
Quant aux directeurs des CREF0C
ils déplorent leur marginalisation
puisque leur rôle est réduit à la gestion administrative (ils sont de
simples relais de l’administration centrale,
sans autonomie pour initier des actions régionales adaptées).
Les enseignants ajoutent que le rôle de l’inspecteur, à la fois
formateur et évaluateur, crée une dynamique peu propice à l’expression de leurs
difficultés et qu’ils ont besoin de
formations qui leur apportent des alternatives et les aide à gérer leurs
problèmes en classe.
La problématisation des discours, des observations et des documents
·
La formation
continue des enseignants est perçue comme un phénomène ambigu, à la fois
attractif et repoussoir. Les enseignants viennent dans l'espoir de découvrir de
nouvelles approches pédagogiques, de nouveaux contenus ou des méthodes
innovantes susceptibles d'améliorer leur pratique et d'aider leurs élèves à
mieux réussir. Cependant, cette formation suscite aussi de la répulsion, car
elle peut apparaître comme une remise en question de leurs méthodes éprouvées,
avec un désir de stabilité dans leurs pratiques pédagogiques.
·
Ainsi, la
formation continue se caractérise par un statut ambivalent : elle est à la fois
perçue comme un levier d'innovation et d'amélioration, mais aussi comme une
contrainte qui pourrait perturber l'équilibre des pratiques pédagogiques en
place.
Les questionnements liés aux
constats
Au niveau des structures
·
Les 24 CREFOC,
bien que répondant à une volonté de décentralisation de la formation continue,
sont confrontés à des infrastructures vieillissantes et parfois obsolètes,
malgré les efforts des Directeurs et de leurs équipes. La question se pose de
savoir comment ces centres peuvent se développer, notamment en attirant des
financements externes, afin de rénover leurs infrastructures et de rendre la
formation plus dynamique.
·
Les Conseils
consultatifs des CREFOC, qui devraient jouer un rôle actif dans la gestion et
l’évaluation des formations, sont souvent perçus comme des organes passifs,
avec des réunions peu fréquentes et un manque de participation. Comment ces
Conseils peuvent-ils être réactivés pour influencer l’élaboration et
l’évaluation des actions de formation continue ?
Les formateurs et leur professionnalisation
Actuellement, les formateurs dans les CREFOC sont principalement des
inspecteurs, qui ne bénéficient pas de formation continue et sont souvent
éloignés des recherches pédagogiques actuelles. Il est nécessaire de diversifier le corps des
formateurs en intégrant des formateurs spécialisés, des universitaires ou des
professionnels formés à l’ingénierie de formation.
Le manque de collaboration et de
travail d’équipe
Le travail en équipe entre inspecteurs et enseignants reste insuffisant.
Les inspecteurs travaillent dans leur propre discipline sans échanges
interdisciplinaire, et il n’y a pas de culture de la collaboration. Une
réflexion sur la mise en place de réseaux de travail collaboratif, tant au
niveau des inspecteurs qu’au sein des écoles, est essentielle pour faire face
aux défis éducatifs actuels.
Le modèle de formation et l’ingénierie
de formation
Les formations
actuelles ne sont pas certifiantes, ce qui remet en question leur pertinence et
leur impact sur l’évolution de carrière des enseignants. L’idée de lier la
formation continue à l’évolution professionnelle des enseignants, notamment par
un système de promotion ou de valorisation financière, mérite d’être explorée.
Diagnostic de la situation de la FC actuelle
Depuis 2011, le processus est « en
panne » à plusieurs niveaux, des « ruptures », des faiblesses,
des freins mais aussi des points forts
ont été identifiées. Les personnes interrogées, acteurs de la formation
continue ont porté un regard critique mais constructif en témoignant d’un réel
désir d’améliorer le dispositif actuel insatisfaisant.qui se caractérise par des
points faibles et des points forts.
De multiples ruptures
Ø Ruptures structurelles
Il existe une
certaine confusion entre les différentes structures et leurs missions, ce qui
engendre des chevauchements d’attributions et des inefficacités dans l’organisation
de la formation. Les textes juridiques concernant les CREFOC et autres
institutions doivent être révisés pour clarifier les rôles et éliminer les
redondances.
Ø Rupture entre formation et réalité de la classe
Un décalage
persiste entre la formation théorique dispensée et les réalités rencontrées par
les enseignants en classe. Cela crée un manque de motivation pour les
enseignants, qui se sentent souvent déconnectés des problématiques réelles de
leurs pratiques quotidiennes. Il est essentiel de repenser la formation pour
qu’elle soit davantage en phase avec les besoins concrets des enseignants et
des élèves.
Ø Rupture entre le contenu des formations et les
pratiques pédagogiques
Les formations
sont souvent trop théoriques et ne répondent pas aux défis pratiques des
enseignants. Il est nécessaire de repenser les formations pour qu'elles se
concentrent sur des problèmes réels rencontrés dans la classe, tout en
favorisant l'intégration de contenus disciplinaires et pédagogiques.
Ø Manque de collaboration entre acteurs de la
formation
Il n’existe pas
de véritable culture de coopération entre les différents acteurs de la
formation continue, qu’il s’agisse des inspecteurs, des formateurs ou des
enseignants. Un travail collaboratif est indispensable pour améliorer la
qualité de la formation et la rendre plus efficace.
Ø Une rupture entre l’objectif de
professionnalisation et la réalité de la formation
La formation
actuelle est souvent perçue comme un processus descendant, où les inspecteurs
transmettent des contenus aux enseignants sans véritable interaction ou prise
en compte de leurs besoins. Pour professionnaliser réellement l’enseignement,
il est nécessaire de revoir le modèle de formation, en favorisant des approches
plus interactives et collaboratives, centrées sur les pratiques et les analyses
réflexives.
Trois grandes faiblesses
- Un manque de coordination : Les
structures existantes (CREFOC, IMEF, etc.) sont mal articulées, avec des
chevauchements de responsabilités et un manque de vision partagée. Cela
nuit à l'efficacité de la formation continue.
- Une insuffisance de ressources humaines : Les formateurs actuels sont principalement des inspecteurs,
surchargés de travail et ne parvenant pas à répondre aux besoins de
formation de manière adéquate.
- Un manque de suivi et d'évaluation : Il n'y
a pas de suivi systématique des formations, ce qui empêche de mesurer leur
impact réel sur les pratiques pédagogiques.
Les points forts
Les expertes en ont cité trois :
§
Une prise de
conscience de la nécessité d'une formation continue professionnelle,
§
une réforme de
l'école en cours,
§
des structures existantes qui pourraient être
consolidées.
Les freins
Les deux
expertes ont relevé les nombreux freins suivants dont certains ont été signalés
par les différents acteurs, la liste suivante montre l’ampleur des freins qui
limitent l’efficacité de la FC
actuelle :
§ Discontinuité des actions,
§ Absence de culture de la formation continue,
§ Manque de collaboration et de suivi,
§ Absence
quasi-totale de la recherche,
§ Des
structures vides, ou en veilleuse,
§ Une
vision classique académique, hiérarchique de la formation non renouvelée,
§ Des actions ponctuelles, décontextualisées,
sans accompagnement, Pas de vision stratégique partagée,
§ Absence
d’harmonie entre les actions de formation faute de références communes, des
actions répétitives pour l’enseignant faute de base de données, et pas de suivi
des actions, et d’évaluation d’impact,
§ Absence de culture de la Redevabilité
(accountability),
§ Omniprésence
des inspecteurs, pas de formateurs professionnels, pas d’ingénieurs de
formation, pas d’implication des enseignants aux différentes étapes de la
formation et pas de valorisation, de promotion au mérite,
Recommandations
pour améliorer la formation continue :
§
Révision de la
politique de formation continue : Passer d'une
logique d'offre à une logique de demande, en impliquant davantage les
enseignants dans le processus de formation.
§
Formation de
proximité : Développer des formations centrées sur les
pratiques de classe, en favorisant le travail collaboratif entre enseignants et
l'apprentissage collectif.
§
Hiérarchisation
des priorités : Clarifier les fonctions des
structures existantes et renforcer l'utilisation du numérique pour la formation
continue.
§
Coordination
entre structures : Articuler la formation
initiale et continue, avec un focus sur le développement des compétences
professionnelles des enseignants tout au long de leur carrière.
§
Valorisation de
la profession : Revaloriser le métier d'enseignant,
améliorer les conditions de travail et de rémunération, et promouvoir
l'innovation pédagogique.
§
Renforcement
des formateurs : Développer un corps de formateurs
professionnels en coordination avec les
inspecteurs et assurer leur formation continue.
§
Suivi et
évaluation : Mettre en place des mécanismes d'évaluation
systématique de la formation continue, en intégrant la culture de l'évaluation
et de la responsabilité.
Conclusion
La formation continue des
enseignants en Tunisie est confrontée à plusieurs ruptures et
dysfonctionnements qui affectent son efficacité. Les défis sont nombreux, mais
il existe une volonté de les surmonter
.Il est temps de repenser le modèle même de la formation
Continue en en révisant les structures,
en diversifiant les formateurs, en impliquant davantage les enseignants dans
l’élaboration des formations.
Le système de formation continue
en Tunisie doit évoluer pour devenir un véritable moteur de
professionnalisation des enseignants. Cela implique de passer d'une formation
réactive à une formation proactive, centrée sur les besoins réels des
enseignants et sur le développement d'une culture collaborative et innovante.
La mise en œuvre de ces recommandations pourrait contribuer à une réforme
réussie du système éducatif tunisien.
Mongi Akrout, inspecteur général
de l’éducation
Tunis, janvier 2025
Pour consulter la version ARABE, cliquerICI
[1]
Décret 76-829 daté du 13 septembre 1976 relatif à la création de la
direction des programmes
Décret 81-1460 daté du 6 novembre 1981 portant modification du décret 80-955 en date du 19 juillet 1980 relatif à la réorganisation de l’administration centrale du MEN.
[2] Loi 107- 1990
du 20/11/1990 relative à la transformation les centres pédagogiques
régionaux en centres régionaux
pédagogique et de formation continue (
CREFOC),
Décret 2548-2003 du 9/12/2003 portant l’organisation
administrative et financière et le mode de fonctionnement des CREFOC dépendants
du MEF
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