lundi 30 décembre 2013

La suprématie des filles dans les études ?



La fille tunisienne  est plus présente à l’école que les garçons, et elle  réussit beaucoup mieux. Alors, comment peut-on expliquer ce phénomène? S'agit-il d’un phénomène local, spécifique au système éducatif tunisien, ou est-ce un phénomène mondial?

I: les manifestations de la présence de filles et de leur supériorité.

La présence des filles et leur supériorité  se manifestent  dans de nombreux aspects, dont:

1  . Une croissance numérique remarquable

Aujourd'hui,Les filles représentent plus de la moitié des élèves des établissements scolaires ,( les écoles primaires , les collèges et les  lycées) , soit 50,69 %[1] , alors qu’elles ne représentaient , au début du siècle dernier, ( 1903) que 1,31 %, soit quelques dizaines (39 ) sur 2959 élèves  inscrits ; en bref, les statistiques montrent que les filles  représentent aujourd'hui la majorité des inscrits, après avoir été presque absentes de la scène scolaire , et la tendance est vers une consolidation de cette supériorité numérique 
Seulement il faudrait préciser que la présence de la fille varie selon les différents degrés de l’enseignement:
A l’école primaire les garçons représentent encore la majorité des inscrits avec 51,94 %, mais leur proportion connait une baisse alors  que celle des filles tend vers la hausse, elle s'élevait à 48,06% au cours de l'année scolaire 2011 - 2012, alors qu’elle n’était que de  44,07 %  au cours de l'année scolaire 1984-1985. (Tableau 1).
Aux  collèges et aux lycées la proportion  des filles  a dépassé, depuis l'année scolaire 1997 - 1998, celle des garçons, elle était au cours de l'année scolaire 2011-2012 de  53,59 %.(Tableau 2).

2 – Supériorité des filles  au niveau du  rendement et les résultats scolaires

Tous les indicateurs adoptés par les institutions concernées par l'étude de ce phénomène démontrent  la suprématie  des  filles. Parmi ces indicateurs, nous citons le taux d’obtention du diplôme ; le taux de décrochage, le taux d'achèvement de la scolarité et le taux de réussite aux examens nationaux (diplôme de fin des études de l’enseignement de base ou le baccalauréat).
En  effet Les filles enregistrent des taux de réussite supérieurs à ceux des garçons, à tous les niveaux d’enseignement, la différence entre les deux taux  dépassent les 15 points aux collèges, qui est considéré comme une étape  très délicate pour les garçons. (Tableau 3)
Les filles s'accrochent  plus que les garçons, leur taux de décrochage est toujours inférieur à celui des garçons. Bien que la différence entre les sexes était insignifiante, à l'école primaire, (0,3 points), elle dépasse les  6 points au collège  et 4 points au lycée , ce qui explique  la supériorité numérique des filles à ce niveau. (Tableau 4)
Le ratio de filles  est supérieur au ratio de garçons  tant au niveau des candidats  qu’au niveau de la  réussite aux examens nationaux .Si nous prenons la session 2011 du Baccalauréat, par exemple nous constatons que  les filles ont:

  •  représenté 57,3% des candidats. ce taux grimpe à 61,22 %si on considère  les candidats des institutions publiques uniquement,
  •    formé la majorité des bacheliers (60,54 %) du total des bacheliers  et 61,87 %  des bacheliers des institutions publiques.
  •  réalisé au cours de cette session, comme lors des sessions précédentes, un taux de réussite meilleur  que  celui les garçons (67,48 %, contre 59,07 % pour les garçons), soit un écart de plus de 8 points. L’écart persiste, quoique dans une moindre marge, même si l'on  ne considère que dans les élèves de l’enseignement public (72,76 % contre 70,78 %)
Au concours d’entrée aux  collèges  pilotes de 2013, par exemple, les filles  représentaient 57,08 % des  reçus .
  Le taux d’achèvement  des études secondaires avec succès était en 2004 pour les filles  de 35,3%, contre 24,2 pour les garçons d’après une étude réalisée par l'Institut tunisien de la concurrence et des études quantitatives[2] qui nous fait remarquer note que ce taux[3] a triplé depuis 1984.

Avec ces indicateurs, la Tunisie a réalisé le cinquième but des objectifs de Dakar émanant de la Conférence mondiale sur l'éducation 2000, qui vise à « éliminer les disparités entre les  sexes dans l’enseignement primaire et secondaire dans le courant l'année 2005 et l’instauration  de l'égalité entre les filles et les garçons d'ici 2015, en garantissant le libre accès des filles à une éducation de qualité et les chances de succès[4].

Section II: tentatives d'explication du phénomène et ses conséquences

1.    La supériorité les filles est un phénomène mondial

Le phénomène de la supériorité des filles à l’école est un phénomène répandu dans de nombreux pays, le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l'éducation pour l'année 2012[5]  rapporte que  « dans la plupart des pays de l’OCDE, le pourcentage de filles qui terminent leurs études secondaires, dans les délais prévus  est 74 %, alors qu’il n’est que de  66 % chez les garçons ». Une étude française[6] a montré " que les filles réussissent mieux à tous les niveaux dans le système scolaire.... Il y a près de 8 filles sur 10  atteignent le niveau du baccalauréat ; alors qu’il n’y a que 6 garçons sur 10.. Et le  taux de réussite des filles  au  Baccalauréat  est de 84,4 % conte 79,9% chez les garçons, un garçon sur 5  quitte le système éducatif sans diplôme, alors que ce chiffre tombe à 1 sur 7 pour les filles. " (Statistiques de 2006)

2.    intérêt croissant des chercheurs

La propagation du phénomène a attiré l’attention de beaucoup de chercheurs dans le domaine de l'éducation et de la sociologie, et plusieurs lectures furent avancées, la plupart ont  convenu que ​​la disparité entre les sexes à l’école n'est pas due à des raisons biologiques ou génétiques, mais  elle est le résultat de facteurs sociaux, psychologiques et pédagogiques.

a.    Les facteurs explicatifs de la supériorité des filles

Le rapport de l'OCDE précédemment cité avance une série de facteurs qui expliquent le taux d'abandon scolaire élevé chez les garçons, ce sont : la pauvreté, l'attractivité du marché du travail, l’environnement scolaire, les comportements des enseignants et la piètre performance des garçons en lecture. )
La pauvreté et  le besoin et l'attractivité du marché de l'emploi : au Honduras  par exemple 6 garçons sur 10, âgés entre 15 et 17 ans, exercent un travail payé, seuls deux d'entre eux continuent d'étudier, le  rapport pour les filles est de deux jeunes filles sur 10. Cette situation ne s'applique dans les sociétés riches et développées, et au cas où elle existerait elle reste limitée aux classes les plus pauvres.
L’environnement  scolaire et l’attitude des enseignants dont les comportements diffèrent selon le sexe des élèves,  ce qui pousse nombre de garçons à déserter l’école. Cette explication, toutefois, ne résiste pas à l'expérience : en effet quelques pays anglo-saxons, ont formé des classes non mixtes  et ont constitué  des classes par niveau,  les performances des élèves n’ont pas enregistré des modifications significatives.
Les mauvaises performances des garçons en lecture dans les évaluations internationales et locales par rapport aux filles : Les résultats de l'évaluation PISA[7] 2009  ont montré" que les filles manifestent une nette avance dans le domaine compréhension  de l’écrit " sur les garçons  de 39 points en moyenne, ce qui correspond à une année scolaire complète. "  cette faiblesse expliquerait  peut-être  l’interruption  précoce  des études par les garçons.

 Un chercheur français dans un livre[8] sur la question a avancé  un certain nombre de facteurs  pour expliquer la différence entre les sexes, parmi lesquels :
·    les représentations  sociales et les mentalités, qui croient que les enfants mâles peuvent intégrer le marché du travail (travail manuel) facilement, même en cas d’échec à l'école alors que les filles - elles- sont obligées de réussir pour trouver un travail, ce qui pousse la famille à  s’occuper d’avantage de leur scolarité.
·    Décalage de l’âge de maturité entre les sexes : La fille atteint généralement la maturité avant que le garçon, alors qu'ils partagent la même classe et cela à un grand impact sur leurs  motivations respectives  et sur l'avancement de leur  projet professionnel futur.
· l'impact de la forte proportion de femmes dans les professions de l'éducation en France : Depuis la deuxième année de leur vie  les enfants sont pris en charge par des enseignants et des cadres dominés par l'élément féminin , donnant à la jeune fille une référence et un modèle, contrairement aux garçons , toutes les professions qu’ils connaissent sont occupées par des femmes , et où ils ne se voient pas , réduisant ainsi  sa motivation pour le travail et la réussite .
·   le  rôle négatif de la stimulation  par l’exemple du bon élève qui est  souvent une jeune fille,  le garçon ,en situation d' échec , n’est pas tenté de suivre la brillante jeune fille , et voit dans  cela une atteinte à sa virilité, en particulier au niveau du collège et le début de l'adolescence, et  il a  plutôt tendance à imiter un élève du même sexe , même si ses résultats étaient faibles, et il entre ainsi dans la spirale de l’échec.
· L'application des mêmes méthodes pédagogiques par les enseignants dans les classes mixtes, bien que les chercheurs  aient insisté sur les différences des modes d’apprentissage et celle des approches selon le sexe[9]

          En ce qui concerne les facteurs qui expliqueraient la supériorité des filles dans les études en Tunisie, et bien que nous  n’ayons pas eu connaissance d’études sur le sujet, on pourrait en plus des facteurs déjà étudiés  évoquer certains facteurs spécifiques au cas tunisiens, à savoir :
· L’ancienneté  de l'éducation des filles en Tunisie: en effet  les premières  écoles de l'ère moderne ont vu le jour depuis la première moitié du XIXe siècle (1840)[10], avec les missionnaires chrétiens et des exilés italiens, et la première école pour filles à ouvert  ses portes en 1900 avec cinq jeunes  filles, leur nombre atteint  1045  filles en 1950[11]. Ainsi la scolarisation des filles est un phénomène très ancien,  ce qui peut expliquer son accélération, après l'indépendance, conformément aux revendications du mouvement des  « jeunes tunisiens » , depuis le début du XIX° siècle.
·  Le soutien institutionnel et familial : Depuis l’indépendance, l'Etat tunisien a annoncé son intention d'investir dans l'éducation, pour les garçons et les filles sans discrimination (Généralisation, obligation, et gratuité), et  généralisation des bourses  pour tous les étudiants dans un premier temps , et l’engagement les parents se sont engagés à ce projet – il est vrai après un début difficile , l'éducation des enfants des deux sexes  est devenue parmi les priorités de la famille tunisienne .
·   L’auto motivation : les jeunes filles  et un grand nombre de parents ont pris conscience que la seule garantie et la seule façon d’émancipation la jeune fille passe, par le succès avec brio dans les études, car ceci permet de vaincre les réserves  de la  famille quant à la poursuite des études de la jeune fille, même loin de son village ou de sa ville natale et de sa famille.

conclusion

En  résumé, les  multiples recherches  multidisciplinaires , ont confirmé que le phénomène de la supériorité  des jeunes filles qui tend à devenir un phénomène mondial, en dépit  des spécificités des systèmes éducatifs, et que les facteurs qui l’expliquent  sont complexes et très variés, certains sont d’ordre  institutionnel , d’autres d’ordre sociétal lié aux représentations , à l’emploi et au progrès  social , certains sont d’ordre pédagogique en rapport avec  le comportement des enseignants et leurs rapports  avec les  élèves  des deux sexes, ainsi que les approches  pédagogiques adoptées .

Si   l'Etat tunisien  a gagné le pari de la scolarisation pour les filles et les garçons, sans discrimination fondée sur le sexe , chose qui permis la libération  de  la  femme de l'analphabétisme et de l'ignorance   et d’occuper  une place considérée dans la société,  ce succès ne doit pas occulter la situation scolaire des garçons  qui sont de plus en plus  nombreux à décrocher et déserter les bancs de l’école pour la rue et ses institutions (cours / cafés / salons de thé ... ) . Comment la société pourrait elle  réconcilier  les garçons  avec l'école et assurer leur retour  à l’école, et comment pourrait elle  les motiver à apprendre, et les aider  ainsi à assumer pleinement les rôles sociaux et économiques qui leur sont assignés ?

Tableau 1 : Evolution de la  population scolaire par sexe au 1° cycle de l’école de base
Année scolaire
garçons
filles
% des filles
Total
1997-1996
759 930
681 213
47,27%
1441143
1998-1997
759 084
681 395
47,30%
1440479
2009-2008
523477
483011
47,99%
1006488
2010-2009
524402
484198
48,01%
1008600
2011-2010
520884
482113
48,07%
1002997
2012-2011
527117
487719
48,06%
1014836

Tableau 2 : Evolution de la  population scolaire par sexe au 2° cycle de l’école de base et au lycée
Année scolaire
garçons
filles
% des filles
Total
1997-1996
399 333
390 287
49,43%
789 620
1998-1997
414963
418409
50,21%
833372
2009-2008
467328
538815
53,55%
1006143
2010-2009
447369
520337
53,77%
967706
2011-2010
433814
502584
53,67%
936398
2012-2011
428109
494349
53,59%
922458

Tableau 3 : taux de passage, de redoublement et d’abandon au 1° et 2° cycle de l’école de base et au lycée

Passage
redoublement
abondon

ذكور
إناث
ذكور
إناث
ذكور
إناث
55,6
75
27,8
17
16,6
8
70,2
82,3
20,1
12,4
9,8
5,2
79
87,3
14,2
8,8
6,8
3,9
Total collège
65,8
81
22,1
13,1
12,1
5,9
61,3
71,5
21,4
17
17,3
11,5
72,2
82,2
16,9
11,1
10,9
6,6
80,4
88,9
10,9
6,7
8,7
4,4
68,6
71,6
19,7
19,2
11,7
9,1
Total lycée
69,5
78
17,7
13,8
12,7
8,2
Total général
67,5
79,4
20,1
13,5
12,4
7,1

Tableau 4 : taux de passage et d’abandon par cycle et par sexe

cycle
الفتيات
الذكور
الفارق
1° cycle
taux de passage
93,6
89,9
3,7
taux d’abandon
0,8
1,1
-0,3
2° cycle
taux de passage
81
65,8
15,2
taux d’abandon
5,9
12,1
-6,2
secondaire
taux de passage
78
69,5
8,5
taux d’abandon
8,2
12,7
-4,5

2010  -2011Source : Statistiques scolaires   ; Ministère de l’éducation tunisien




[1] Source : statistiques scolaires – Ministère de l’Education – Année scolaire 2011- 2012 et l’annuaire statistique annuel  de l’Institut national de statistique
[2]  Le système éducatif tunisien : Enjeux et défis ; Institut Tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ) ;Septembre 2011- www.ieq.nat.tn/upload/files/.../education_medpr_final_syn_finale-F.pdf
[3]  نسبة إنهاء الدراسة هي نسبة خامة  نتحصل عليها بقسمة عدد الناجحين في نهاية المرحلة التعليمية المعنية دون اعتبار العمر على مجموع الأطفال في السن القانونية لنهاية المرحلة  ( انظر المرجع أعلاه)
[4] Roser.Cusso : L’impact des politiques de scolarisation des filles ;Mauritanie, Tunisie, Inde, Bangladesh et Sénégal ;Institut international de planification de l’éducation / l’Unesco  http://www.unesco.org/iiep/PDF/G113.pdf consulté 16 /O5/2013
[5] OCDE, Regards sur l’éducation.2012- Les indicateurs de l’OCDE. www.oecd.org/fr/edu/rse2012.ht
[6] Auduc .Jean-Louis : filles et garçons dans le système éducatif français. Une fracture sexuée. www.cafepedagogique.net › L'expresso.
[7] Résultats du PISA 2009 : Synthèse- www.oecd.org/pisa/46624382.pd  PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l'OCDE
[8]  Auduc, Jean-Louis, Sauvons les garçons, Descartes, 2009 ,Paris ,102 pages- Dossier : S.O.S. Garçons ! - Entretien avec Jean-Louis Auduc   Par Jarraud, François.
[9] Fize Michel : les pièges de la mixité scolaire. Éd. Presse de la renaissance, 2003 (274 p.)
[10]  Mizouri  Laroussi : L’enseignement européen en Tunisie ; Actes du V° congrès d’histoire et de civilisation du Maghreb. Les cahiers de Tunisie N° 157 - 158 ; 1991.FSHST
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1 commentaire:

  1. Article intéressant à plus d'un titre:
    - il pose un problème qu'on a occulté jusqu'ici dans notre pays,
    - il présente une synthèse,parfois rapide, des différentes tentatives d’explication à travers la littérature réservée à cette question,
    Cependant il y a lieu de signaler que les canadiens( surtout les québécois) ont développé une réflexion très avancée sur cette question; ils ont dépassé le stade du constat et celui de l'explication pour s’intéresser aux deux points suivants:
    - quelles approches faut-il privilégier en classe et en dehors de le classe pour "booster" les garçons et réduire chez eux le refus de l'école,
    - quel est l'impact- à moyen et à long termes- de ce phénomène sur le devenir des sociétés concernés.
    Ces petites remarques ne diminuent en rien la valeur de cet article. Omrane Boukhari

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