La
fille tunisienne est plus présente à l’école
que les garçons, et elle réussit beaucoup
mieux. Alors, comment peut-on expliquer ce phénomène? S'agit-il d’un phénomène local,
spécifique au système éducatif tunisien, ou est-ce un phénomène mondial?
I: les manifestations de la présence de filles et de leur supériorité.
La
présence des filles et leur supériorité
se manifestent dans de nombreux aspects,
dont:
1 . Une croissance numérique remarquable
Aujourd'hui,Les filles représentent
plus de la moitié des élèves des établissements scolaires ,( les écoles
primaires , les collèges et les lycées)
, soit 50,69 %[1] , alors qu’elles ne
représentaient , au début du siècle dernier, ( 1903) que 1,31 %, soit quelques
dizaines (39 ) sur 2959 élèves inscrits ;
en bref, les statistiques montrent que les filles représentent aujourd'hui la majorité des
inscrits, après avoir été presque absentes de la scène scolaire , et la tendance est vers une consolidation de cette supériorité numérique
Seulement il faudrait préciser que la
présence de la fille varie selon les différents degrés de l’enseignement:
A l’école primaire les garçons représentent
encore la majorité des inscrits avec 51,94 %, mais leur proportion
connait une baisse alors que celle des filles tend vers la hausse, elle s'élevait à 48,06% au cours de l'année scolaire
2011 - 2012, alors qu’elle n’était que de
44,07 % au cours de l'année
scolaire 1984-1985. (Tableau 1).
Aux collèges et aux lycées la proportion des filles a dépassé, depuis l'année scolaire 1997 - 1998,
celle des garçons, elle était au cours de l'année scolaire 2011-2012 de 53,59 %.(Tableau 2).
2 – Supériorité des filles au niveau du rendement et les résultats scolaires
Tous les indicateurs adoptés par les
institutions concernées par l'étude de ce phénomène démontrent la suprématie des filles.
Parmi ces indicateurs, nous citons le taux d’obtention du diplôme ; le
taux de décrochage, le taux d'achèvement de la scolarité et le taux de réussite
aux examens nationaux (diplôme de fin des études de l’enseignement de base ou
le baccalauréat).
En effet Les filles enregistrent des taux de
réussite supérieurs à ceux des garçons, à tous les niveaux d’enseignement, la
différence entre les deux taux dépassent
les 15 points aux collèges, qui est considéré comme une étape très délicate pour les garçons. (Tableau 3)
Les filles s'accrochent plus que les garçons, leur taux de décrochage
est toujours inférieur à celui des garçons. Bien que la différence entre les
sexes était insignifiante, à l'école primaire, (0,3 points), elle dépasse les 6 points au collège et 4 points au lycée , ce qui explique la supériorité numérique des filles à ce
niveau. (Tableau 4)
Le
ratio de filles est supérieur au ratio
de garçons tant
au niveau des candidats qu’au niveau de
la réussite aux examens nationaux .Si
nous prenons la session 2011 du Baccalauréat, par exemple nous constatons
que les filles ont:
- représenté 57,3% des candidats. ce taux grimpe à 61,22 %si on considère les candidats des institutions publiques uniquement,
- formé la majorité des bacheliers (60,54 %) du total des bacheliers et 61,87 % des bacheliers des institutions publiques.
- réalisé au cours de cette session, comme lors des sessions précédentes, un taux de réussite meilleur que celui les garçons (67,48 %, contre 59,07 % pour les garçons), soit un écart de plus de 8 points. L’écart persiste, quoique dans une moindre marge, même si l'on ne considère que dans les élèves de l’enseignement public (72,76 % contre 70,78 %)
Au concours d’entrée aux collèges pilotes de 2013, par exemple, les filles représentaient 57,08 % des reçus .
Le taux d’achèvement des études secondaires avec succès était en 2004 pour les filles de 35,3%, contre 24,2 pour les garçons d’après une étude réalisée par l'Institut tunisien de la concurrence et des études quantitatives[2] qui nous fait remarquer note que ce taux[3] a triplé depuis 1984.
Le taux d’achèvement des études secondaires avec succès était en 2004 pour les filles de 35,3%, contre 24,2 pour les garçons d’après une étude réalisée par l'Institut tunisien de la concurrence et des études quantitatives[2] qui nous fait remarquer note que ce taux[3] a triplé depuis 1984.
Avec ces indicateurs, la Tunisie a
réalisé le cinquième but des objectifs de Dakar émanant de la Conférence
mondiale sur l'éducation 2000, qui vise à « éliminer les disparités entre les sexes dans l’enseignement primaire et
secondaire dans le courant l'année 2005 et l’instauration de
l'égalité entre les filles et les garçons d'ici 2015, en garantissant le libre
accès des filles à une éducation de qualité et les chances de succès[4].
Section II: tentatives d'explication du phénomène et ses conséquences
1. La supériorité les filles est un phénomène mondial
Le phénomène de la supériorité des filles
à l’école est un phénomène répandu dans de nombreux pays, le rapport de
l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur
l'éducation pour l'année 2012[5]
rapporte que « dans la plupart des pays de l’OCDE, le
pourcentage de filles qui
terminent leurs
études secondaires, dans les délais prévus est 74 %, alors qu’il n’est que de 66 % chez les garçons ». Une étude
française[6]
a montré " que les filles réussissent mieux à tous les niveaux dans le
système scolaire.... Il y a près de 8 filles sur 10 atteignent le niveau du baccalauréat ; alors
qu’il n’y a que 6 garçons sur 10.. Et le taux de réussite
des filles au Baccalauréat est de 84,4 % conte 79,9% chez les garçons, un garçon sur 5 quitte le système éducatif sans diplôme, alors
que ce chiffre tombe à 1 sur 7 pour les filles. " (Statistiques de 2006)
2. intérêt croissant des
chercheurs
La
propagation du phénomène a attiré l’attention de beaucoup de chercheurs dans le
domaine de l'éducation et de la sociologie, et plusieurs lectures furent avancées,
la plupart ont convenu que la
disparité entre les sexes à l’école n'est pas due à des raisons biologiques ou génétiques,
mais elle est le résultat de facteurs sociaux,
psychologiques et pédagogiques.
a. Les
facteurs explicatifs de la supériorité des filles
Le rapport de l'OCDE précédemment cité
avance une série de facteurs qui expliquent le taux d'abandon scolaire élevé chez
les garçons, ce sont : la pauvreté, l'attractivité du marché du travail, l’environnement
scolaire, les comportements des enseignants et la piètre performance des
garçons en lecture. )
La pauvreté et le besoin et l'attractivité du marché de
l'emploi
: au Honduras par exemple 6 garçons sur
10, âgés entre 15 et 17 ans, exercent un travail payé, seuls deux d'entre eux continuent
d'étudier, le rapport pour les filles
est de deux jeunes filles sur 10. Cette situation ne s'applique dans les sociétés
riches et développées, et au cas où elle existerait elle reste limitée aux
classes les plus pauvres.
L’environnement scolaire et l’attitude des enseignants dont les
comportements diffèrent selon
le sexe des élèves, ce qui pousse nombre
de garçons à déserter l’école. Cette explication, toutefois, ne résiste pas à
l'expérience : en effet quelques pays anglo-saxons, ont formé des classes non
mixtes et ont constitué des classes par niveau, les performances des élèves n’ont pas
enregistré des modifications significatives.
Les mauvaises performances des garçons en
lecture dans les évaluations internationales et locales par rapport aux filles : Les résultats de
l'évaluation PISA[7]
2009 ont montré" que les filles
manifestent une nette avance dans le domaine compréhension de
l’écrit " sur les garçons de 39 points
en moyenne, ce qui correspond à une année scolaire complète. " cette faiblesse expliquerait peut-être l’interruption précoce
des études par les garçons.
Un chercheur français dans un livre[8] sur la
question a avancé un certain nombre de
facteurs pour expliquer la différence entre
les sexes, parmi lesquels :
· les représentations sociales et les mentalités, qui croient que les enfants
mâles peuvent intégrer le marché du travail (travail manuel) facilement, même en
cas d’échec à l'école alors que les filles - elles- sont obligées de réussir
pour trouver un travail, ce qui pousse la famille à s’occuper d’avantage de leur scolarité.
· Décalage de l’âge de maturité entre les
sexes
: La fille atteint généralement la maturité avant que le garçon, alors qu'ils
partagent la même classe et cela à un grand impact sur leurs motivations respectives et sur l'avancement de leur projet professionnel futur.
· l'impact de la forte proportion de
femmes dans les professions de l'éducation en France : Depuis la deuxième année
de leur vie les enfants sont pris en
charge par des enseignants et des cadres dominés par l'élément féminin ,
donnant à la jeune fille une référence et un modèle, contrairement aux garçons
, toutes les professions qu’ils connaissent sont occupées par des femmes , et où ils ne se voient pas , réduisant ainsi sa motivation pour le travail et la réussite .
· le
rôle négatif de la stimulation par l’exemple du bon élève qui est souvent une jeune fille, le garçon ,en situation d' échec , n’est pas
tenté de suivre la brillante jeune fille , et voit dans cela une atteinte à sa virilité, en
particulier au niveau du collège et le début de l'adolescence, et il a plutôt tendance à imiter un élève du même sexe
, même si ses résultats étaient faibles, et il entre ainsi dans la spirale de
l’échec.
· L'application
des mêmes méthodes pédagogiques par les enseignants dans les classes mixtes,
bien que les chercheurs aient insisté sur les différences des modes d’apprentissage
et celle des approches selon le sexe[9]
En ce qui concerne les facteurs qui expliqueraient
la supériorité des filles dans les études en Tunisie, et bien que nous n’ayons pas eu connaissance d’études sur le sujet, on pourrait en plus des facteurs déjà étudiés évoquer certains facteurs spécifiques au cas
tunisiens, à savoir :
· L’ancienneté de l'éducation des filles en Tunisie: en effet les premières écoles de l'ère moderne ont vu le jour depuis
la première moitié du XIXe siècle (1840)[10], avec les
missionnaires chrétiens et des exilés italiens, et la première école pour
filles à ouvert ses portes en 1900 avec
cinq jeunes filles, leur nombre atteint 1045 filles
en 1950[11]. Ainsi
la scolarisation des filles est un phénomène très ancien, ce qui peut
expliquer son accélération, après l'indépendance, conformément aux revendications du mouvement des « jeunes
tunisiens » , depuis le début du XIX° siècle.
· Le soutien institutionnel et familial :
Depuis l’indépendance, l'Etat tunisien a annoncé son intention d'investir dans
l'éducation, pour les garçons et les filles sans discrimination (Généralisation,
obligation, et gratuité), et généralisation
des bourses pour tous les étudiants dans
un premier temps , et l’engagement les parents se sont engagés à ce projet – il
est vrai après un début difficile , l'éducation des enfants des deux sexes est devenue parmi les priorités de la famille
tunisienne .
· L’auto motivation : les jeunes filles et un grand nombre de parents ont pris
conscience que la seule garantie et la seule façon d’émancipation la jeune
fille passe, par le succès avec brio dans les études, car ceci permet de vaincre
les réserves de la famille quant à la poursuite des études de la
jeune fille, même loin de son village ou de sa ville natale et de sa famille.
conclusion
En
résumé, les multiples recherches multidisciplinaires , ont confirmé que le
phénomène de la supériorité des jeunes
filles qui tend à devenir un phénomène mondial, en dépit des spécificités des systèmes éducatifs, et
que les facteurs qui l’expliquent sont complexes
et très variés, certains sont d’ordre institutionnel , d’autres d’ordre sociétal lié
aux représentations , à
l’emploi et
au progrès social , certains sont d’ordre
pédagogique en rapport avec le
comportement des enseignants et leurs rapports avec les élèves
des deux sexes, ainsi que les approches pédagogiques adoptées .
Si
l'Etat tunisien a gagné le pari de la scolarisation pour les
filles et les garçons, sans discrimination fondée sur le sexe , chose qui
permis la libération de la femme de l'analphabétisme et de
l'ignorance et d’occuper une
place considérée
dans la société, ce succès ne doit pas
occulter la situation scolaire des garçons qui sont de plus en plus nombreux à décrocher et déserter les bancs de
l’école pour la rue et ses institutions (cours / cafés / salons de thé ... ) .
Comment la société pourrait elle réconcilier
les garçons avec l'école et assurer leur retour à l’école, et comment pourrait elle les motiver à apprendre, et les aider ainsi à assumer pleinement les rôles sociaux
et économiques qui leur sont assignés ?
Tableau 1 : Evolution de la population scolaire par sexe au 1° cycle de
l’école de base
|
||||
Année scolaire
|
garçons
|
filles
|
% des filles
|
Total
|
1997-1996
|
759 930
|
681 213
|
47,27%
|
1441143
|
1998-1997
|
759 084
|
681 395
|
47,30%
|
1440479
|
2009-2008
|
523477
|
483011
|
47,99%
|
1006488
|
2010-2009
|
524402
|
484198
|
48,01%
|
1008600
|
2011-2010
|
520884
|
482113
|
48,07%
|
1002997
|
2012-2011
|
527117
|
487719
|
48,06%
|
1014836
|
Tableau 2 : Evolution de la population scolaire par sexe au 2° cycle de
l’école de base et au lycée
|
||||
Année scolaire
|
garçons
|
filles
|
% des filles
|
Total
|
1997-1996
|
399 333
|
390 287
|
49,43%
|
789 620
|
1998-1997
|
414963
|
418409
|
50,21%
|
833372
|
2009-2008
|
467328
|
538815
|
53,55%
|
1006143
|
2010-2009
|
447369
|
520337
|
53,77%
|
967706
|
2011-2010
|
433814
|
502584
|
53,67%
|
936398
|
2012-2011
|
428109
|
494349
|
53,59%
|
922458
|
Tableau 3 :
taux de passage, de redoublement et d’abandon au 1° et 2° cycle de l’école de base et au lycée
Passage
|
redoublement
|
abondon
|
||||
ذكور
|
إناث
|
ذكور
|
إناث
|
ذكور
|
إناث
|
|
7°
|
55,6
|
75
|
27,8
|
17
|
16,6
|
8
|
8°
|
70,2
|
82,3
|
20,1
|
12,4
|
9,8
|
5,2
|
9°
|
79
|
87,3
|
14,2
|
8,8
|
6,8
|
3,9
|
Total collège
|
65,8
|
81
|
22,1
|
13,1
|
12,1
|
5,9
|
1°
|
61,3
|
71,5
|
21,4
|
17
|
17,3
|
11,5
|
2°
|
72,2
|
82,2
|
16,9
|
11,1
|
10,9
|
6,6
|
3°
|
80,4
|
88,9
|
10,9
|
6,7
|
8,7
|
4,4
|
4°
|
68,6
|
71,6
|
19,7
|
19,2
|
11,7
|
9,1
|
Total lycée
|
69,5
|
78
|
17,7
|
13,8
|
12,7
|
8,2
|
Total général
|
67,5
|
79,4
|
20,1
|
13,5
|
12,4
|
7,1
|
Tableau
4 :
taux de passage et d’abandon par cycle et par sexe
cycle
|
الفتيات
|
الذكور
|
الفارق
|
|
1° cycle
|
taux de passage
|
93,6
|
89,9
|
3,7
|
taux d’abandon
|
0,8
|
1,1
|
-0,3
|
|
2° cycle
|
taux de passage
|
81
|
65,8
|
15,2
|
taux d’abandon
|
5,9
|
12,1
|
-6,2
|
|
secondaire
|
taux de passage
|
78
|
69,5
|
8,5
|
taux d’abandon
|
8,2
|
12,7
|
-4,5
|
2010 -2011Source : Statistiques scolaires ;
Ministère de l’éducation tunisien
[1] Source :
statistiques scolaires – Ministère de l’Education – Année scolaire 2011- 2012
et l’annuaire statistique annuel de
l’Institut national de statistique
[2] Le système éducatif
tunisien : Enjeux et défis ; Institut Tunisien de la compétitivité et
des études quantitatives (ITCEQ) ;Septembre 2011- www.ieq.nat.tn/upload/files/.../education_medpr_final_syn_finale-F.pdf
[3] نسبة إنهاء الدراسة هي نسبة
خامة نتحصل عليها بقسمة عدد الناجحين في
نهاية المرحلة التعليمية المعنية دون اعتبار العمر على مجموع الأطفال في السن
القانونية لنهاية المرحلة ( انظر المرجع
أعلاه)
[4] Roser.Cusso : L’impact des politiques de scolarisation des filles ;Mauritanie,
Tunisie, Inde, Bangladesh et Sénégal ;Institut international de
planification de l’éducation / l’Unesco
http://www.unesco.org/iiep/PDF/G113.pdf
consulté 16 /O5/2013
[6]
Auduc .Jean-Louis : filles et garçons dans le système éducatif
français. Une fracture sexuée. www.cafepedagogique.net › L'expresso.
[7] Résultats du PISA 2009 : Synthèse- www.oecd.org/pisa/46624382.pd PISA est une enquête menée tous les trois ans
auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l'OCDE
[8] Auduc, Jean-Louis, Sauvons
les garçons, Descartes, 2009 ,Paris ,102 pages- Dossier : S.O.S. Garçons ! -
Entretien avec Jean-Louis Auduc Par
Jarraud, François.
[10] Mizouri Laroussi : L’enseignement européen en
Tunisie ; Actes du V° congrès d’histoire et de civilisation du Maghreb.
Les cahiers de Tunisie N° 157 - 158 ; 1991.FSHST
Article intéressant à plus d'un titre:
RépondreSupprimer- il pose un problème qu'on a occulté jusqu'ici dans notre pays,
- il présente une synthèse,parfois rapide, des différentes tentatives d’explication à travers la littérature réservée à cette question,
Cependant il y a lieu de signaler que les canadiens( surtout les québécois) ont développé une réflexion très avancée sur cette question; ils ont dépassé le stade du constat et celui de l'explication pour s’intéresser aux deux points suivants:
- quelles approches faut-il privilégier en classe et en dehors de le classe pour "booster" les garçons et réduire chez eux le refus de l'école,
- quel est l'impact- à moyen et à long termes- de ce phénomène sur le devenir des sociétés concernés.
Ces petites remarques ne diminuent en rien la valeur de cet article. Omrane Boukhari