Le 12
Février 2024 dernier, le Ministère de l’Economie et de la
Planification (MEP), l’Institut National de la Statistique (I.N.S) et le Fonds
des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) ont présenté les résultats de
l’enquête nationale par grappes à indicateurs multiples (MICS) réalisée en
2023.
Qu'est-ce
la MICS : "La MICS (Multiple Indicator Cluster Surveys)
est un programme mondial d'enquêtes auprès des ménages, visant l'évaluation de
la situation des enfants et des femmes ainsi que les progrès accomplis dans la
réalisation des objectifs nationaux et les objectifs de développement durable
(ODD)."
La
Tunisie en a déjà effectué 4 : en 2000, 2006, 2012 et 2018. Cette
cinquième édition (2023) a touché 11 000 ménages dont 7326 en milieu urbain et
3674 en milieu rural. Le taux de réponse est très bon puisqu'il était de 90%.
L'enquête a dégagé 183 indicateurs concernant
la situation de la mère et de l'enfant.
Dans ce billet, le blog pédagogique va
s'intéresser aux indicateurs relatifs à l'éducation, il s'agit :
- des taux de participation de l'éducation préscolaire
(les enfants de 3 à 5 ans et l’apprentissage formel pour les enfants âgés de 5
ans) ;
- des taux nets de scolarisation[2]
au primaire, au collège et au lycée ;
- des
taux d'achèvement des études au primaire, au collège et au lycée;
- des
compétences de base en lecture et en calcul.
L'analyse
des résultats de l'enquête nous ont permis de dégager un certain nombre de
conclusions, dont certaines sont inquiétantes et d'autres satisfaisantes.
Les
aspects alarmants
L'enquête
a confirmé l'évolution très inquiétante de l'état de l'école tunisienne ces
dernières années. La comparaison des résultats de l'enquête de 2023 avec ceux
de 2018 montre une dégradation de la majorité des indicateurs.
Premier
aspect : le recul des performances du système qui se manifeste par :
1) le recul de la
scolarisation au niveau primaire et au collège.
L'enquête
de 2023 a montré un recul des taux net de scolarisation[3]
par rapport à 2018 de 4.7 points dans la scolarité au niveau du 1er
cycle de l'enseignement de base (l'école primaire) et de 5.7 points au niveau
du deuxième cycle de l'enseignement de base (collège). Ce recul a touché tous
les milieux : urbain et rural, les familles les plus riches et les plus
pauvres, les élèves dont les mères avaient poursuivi des études supérieures
ainsi que ceux dont la mère n'avaient pas suivi d'études. Enfin le recul a
touché aussi bien les garçons que les filles.
Seul le
cycle secondaire fait l'exception puisque nous constatons une
stabilisation de ses taux.
2) le
recul des taux d'achèvement de la scolarité.
Le taux
d'achèvement[4]
des études a enregistré un recul entre 2018 et 2023. Ce recul a touché les 3
cycles de l'enseignement, mais s'il était minime et peu significatif au niveau
de l'école primaire et du collège (respectivement -2.5 points et -1.4 points),
il est important au niveau de l'enseignement secondaire (-13.3 points).
Le recul
du taux d'achèvement des études au niveau des lycées entre 2018 et 2023 a touché toutes les
catégories, mais c'est chez les familles
les plus riches qu'on enregistre la plus grande baisse (le taux est passé de
79.8% à 59.4% soit – 20.4 points), il
est plus élevé dans le milieu urbain
(-15.7 points) qu'en milieu rural (- 6.8 points) ; enfin, il est plus élevé chez les garçons que
chez les filles (-15 points contre -10.6
points).
Cela
constitue un grave problème social (trop de jeunes quittent les lycées sans
diplôme) et économique (un investissement de l'état à fond perdu : les
statistiques du ministère de l’Éducation montrent que le coût par élève à
l’école primaire est passé de 1 090,1 dinars en 2010 à 2 014,7 dinars en 2023
et le coût par élève au collège et au lycée est passé de 1 658,7 dinars en 2010
à 3 532,3 dinars en 2023.[5]).
3) le
recul du niveau de maitrise des compétences en lecture
L'enquête
a cherché à évaluer les compétences de base en lecture et en calcul chez les
jeunes enfants âgés de 7 à 14 ans. Les résultats ont montré une très légère
baisse du pourcentage des jeunes qui possèdent des compétences de base en
lecture en 2023 par rapport à 2018. Ce pourcentage est passé de 66% à 64% soit
(– 2 points). Cette baisse n'a pas affecté les enfants issus des familles les
plus pauvres qui ont gagné 1.6 points, passant de 45.2 en 2018 à 46.8% en 2023.
Ainsi, l'enquête de 2023 vient de confirmer l'une des
contradictions de notre système
éducatif et l'une des manifestations de son échec. Nous avons évoqué plus haut
que les taux très élevés d'achèvement des études primaires dépasse les 90%, or
l'enquête vient de nous montrer que seuls 64% des enfants âgés de 7 à 14 ans
(c'est-à-dire ayant terminé théoriquement l'enseignement primaire) possèdent
des compétences de base en lecture et que seuls 31.7% ont les compétences de
base en calcul, c'est à dire que presque 7 enfants sur 10 ne les possèdent pas.
Or chacun sait qu'un élève qui entame ses études au
collège sans qu'il soit capable ni de lire ni de comprendre un texte simple,
est un potentiel décrocheur qui finira par quitter les bancs de l'école sans
avoir acquis les compétences fondamentales nécessaires pour la vie. D'ailleurs,
l'enquête nous dit que seuls 7 élèves sur 10 achèvent les études du collège et
que seuls moins de 4 élèves sur 10 achèvent leurs études secondaires. Les
statistiques officielles du ministère de l'éducation corroborent ces données
puisqu’à la fin de l'année scolaire 2021/2022 34.7% des élèves de 7ème
année sont en situation d'échec. (23.9 % ont redoublé et 10.8% ont quitté le
collège, soit environ 24.230 élèves).
" Plusieurs observateurs et acteurs
du secteur révèlent un certain analphabétisme des élèves atteignant le cycle
préparatoire et dénoncent le manque de mesures d’accompagnement lors de
l’adoption de l’option du passage quasi-automatique d’une année à l’autre au
primaire et d’accès au collège réduisant artificiellement les taux d’abandon,
mais au prix d’une insuffisante qualification. Les problèmes de la réussite scolaire
commencent à partir du cycle préparatoire où le quart des élèves n’achève pas
le cycle et s’accentuent au secondaire où la moitié des élèves ne termine pas
le cycle. Les filles réussissent mieux que les
garçons avec un écart de performance qui s’élargit en passant de 17% au cycle
préparatoire à 43% au secondaire. Cela traduit aussi la forte déperdition scolaire
des garçons entre le collège et le lycée. Les disparités en termes de réussite par
milieu et par niveau de vie, qui restent modestes au primaire se manifestent
et s’accentuent au cycle préparatoire et au secondaire. Ainsi l’élève issu
des ménages les plus pauvres a pratiquement une chance sur deux de terminer
le collège et une chance sur quatre d’achever les études secondaires. Ces
proportions sont respectivement de 95% et de 75% pour l’élève issu des
ménages les plus riches. Ainsi, les disparités socio-économiques
caractérisent fortement la réussite scolaire et les performances des élèves.
Cette iniquité est entretenue par les phénomènes des établissements pilotes
et de l’inextricable problématique des cours particuliers qui sont analysés
ci-après. Unicef - Mission d’appui au Ministère de
l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique-
Analyse sectorielle – novembre 2022 |
Fin de la 1er partie, à suivre
Mongi Akrout &
Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis, Février 2024
Pour accéder à la version AR, cliquer ici
[1]https://www.ins.tn/evenements/atelier-pour-la-diffusion-des-resultats-de-lenquete-mics et https://ins.tn/sites/default/files/2021-03/Education-snap-A4.pdf
[2] Taux net total de scolarisation est le
nombre d'étudiants ayant l’âge officiel de fréquenter un niveau d’enseignement
donné qui sont inscrits dans n’importe quel niveau d’enseignement, exprimé en
pourcentage de la population du groupe d'âge officiel correspondant.https://uis.unesco.org/fr/glossary-term/taux-net-total-de-scolarisation
[3]
le taux net de scolarisation c'est l'Effectif
total à un niveau d'enseignement spécifique, quel que soit l'âge, exprimé en
pourcentage de la population d'âge scolaire officielle éligible correspondant
au même niveau d'enseignement au cours d'une année scolaire donnée.
[4]Le taux d'achèvement indique le nombre de
personnes dans un groupe d'âge donné qui ont achevé le niveau d'enseignement
pertinent.
[5]https://www.leconomistemaghrebin.com/2023/09/11/education-leleve-coute-de-plus-en-plus-cher/#
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