« La suppression du concours d'entrée aux écoles normales entraina son remplacement au sein des lycées d'une section dite " normale" où le rebut des élèves de la classe de troisième du secondaire se retrouvait. Ceux qui n'étaient pas retenus pour continuer le second cycle en classe de Mathématiques (les meilleures moyennes) ou en classe de sciences ou en classe littéraire, étaient "versés" en classe "normale", le plus souvent c'était des élèves qui n'avaient pas la moyenne et qui n'étaient même pas volontaires pour choisir la section "normale". Et c'est cette classe "normale" qui préparait les futurs instituteurs! C'étaient, en somme, la "poubelle" d'où devaient provenir les futurs formateurs de nouvelles générations.
Bien entendu, dès ma prise de fonction comme ministre de l'éducation nationale en 1972, je me hâtai de supprimer ces classes "normales" (qui étaient l'anormalité même) et de revenir à des pratiques saines et classiques en matière de formation des formateurs. J'ai donc réhabilité les écoles normales et réintroduit le volontariat».[1]
Commentaire 1- Il semble que M° Mzali ait oublié
l'ouverture de deux nouvelles écoles normales à l'époque de Messadi, la
première avait ouvert ses portes en 1960/1961, et la seconde en 1964/1965,
portant ainsi le nombre des écoles normales à 4, (il s'agit de l'E.N.des instituteurs
de Tunis, de l'E.N des institutrices de Tunis, de l'E.N des instituteurs de
Monastir et de l'E.N des institutrices de la Marsa) ce qui a permis
d'accueillir 1178 élèves au cours de l'année scolaire 1966/1967 alors qu'en
1956/1957 , on ne comptait que 337 inscrits dans les deux écoles existantes
avant l'arrivée de Messadi, mais
devant les limites de la capacité de ces 4 écoles, le manque de moyens
financiers pour en construire de nouvelles et les forts besoins du pays en
instituteurs, la réforme de 1958 a ouvert une section normale dans les lycées
à coté des autres sections, les élèves qui passent en 4 ème rejoignant l'une de ces sections par le
biais d'un système d'orientation . A la fin de l’année scolaire 1961-1962, avec l'arrivée de la première promotion de le réforme de 1958, le Secrétariat d’état
à l’éducation nationale avaient imposé
un quota, entre 20 et 30% [2] des élèves qui
passent en 4ème doivent
être orientés vers la section normale[3] . Cette politique a
permis de multiplier de nombre d'inscrits par 5 entre 1958/1959 et l'année
scolaire 1967/1968 qui est passé de 874 à 4447 et de multiplier les diplômés
par 8 (de 56 à 469). Mzali s'attribue le mérite de l'abandon du
système Messadi, il écrivait à ce propos ceci : «… dès ma prise de
fonction comme ministre de l'éducation nationale en 1972, je me hâtai de
supprimer ces classes "normales" … et de revenir à des pratiques
saines et classiques en matière de formation des formateurs. J'ai donc réhabilité les écoles normales et
réintroduit le volontariat…». Or la "suppression" des "classes "normales" a commencé bien avant 1972 c'est à dire avant l'arrivée de Mzali au ministère de l'éducation, et elle a pu se faire grâce à l'ouverture de 5 nouvelles écoles normales comme l'E.N.I de Sfax qui a ouvert ses portes en octobre 1967 pour accueillir les classes normales de la section B du lycée de garçons Route de Gabès ( Sfax) et les classes de la section A du lycée 15 novembre ( Sfax), quant aux classes normales de jeunes filles elles sont restées dans le lycée de jeunes filles . Pour le système de l'orientation forcée, tant décrié par Mzali, son abandon n'est pas son idée, c'est la Commission nationale chargée en 1967 d’évaluer les résultats de la réforme de 1958 , qui avait recommandé la « révision des méthodes d’orientation vers les écoles normales … afin de laisser le champ libre au choix spontané basé sur la conviction intime des intéressés et sur la noblesse attachée à la carrière d’enseignant et d’éducateurs[4] ." C'est peut être Mzali qui l'a appliquée en rétablissant au début des années soixante-dix le concours d'accès aux écoles normales, ce changement coïncide avec le premier et le 2ème passage de Mzali au Ministère de l'éducation (décembre 1969 –mai 1970 – et octobre 1971 – mai 78). |
Commentaire
2 Concernant
la qualité des élèves orientés vers "les classes normales" les
propos de Mzali renferment des vérités, mais aussi des informations moins
exactes: Il est vrai que plusieurs
élèves versées dans la section normale
" n'étaient même pas volontaires pour la
choisir " (J'étais
personnellement parmi ceux-là), il est aussi vrai qu'ils n'étaient pas
parmi les élèves les plus brillants, mais ils n'étaient pas " le
rebut des élèves de la classe de troisième", la circulaire n°95 du
17 avril 1961 relative à l'orientation précisait le profil du candidat qui
peut être orienté vers la section
normale , il s'agit : " d'élève
passable ou assez bon dans
toutes les disciplines, ayant du goût pour le dessin ou la musique ou les
deux à la fois,
des qualités morales et
sociales particulières, et une bonne santé", nous sommes loin des rebuts
et puis de "la poubelle"
dont parlait Mzali, sont sorties des générations d'enseignants de grandes
qualités et très compétents , sont
sorties aussi des dizaines de Docteurs Es lettres qui ont fait les beaux
jours des facultés tunisiennes , sont sorties enfin des dizaines de
hauts cadres du pays , le bilan ne fut pas aussi sombre que voulait nous
faire croire Monsieur Mzali. |
Pour
terminer son réquisitoire, Mzali , essaya de se justifier et rend hommage à
Mahmoud Messadi, l'enseignant mais pas le Ministre.
…Ces rappels peuvent paraitre sévères, ils reflètent, malheureusement, la triste réalité. Je les avais exposés du reste, avec plus de détails, en préambule au débat sur la mission, la réforme et la finalité du système éducatif, dans un discours repris par les journaux.[5] prononcé devant les commissions du plan chargées de l'éducation, de la formation et de l'emploi à Dar al Maghrébia à Carthage ( une maison au style marocain), le 3 avril 1980, personne à ma connaissance, n'avait démenti ce que j'ai avancé et Messadi avait observé un silence prudent.
A
partir de 1964/1965, tous les responsables ne manquaient pas dans leurs
discours de déplorer le nombre croissant de " déchets" de notre
système éducatif : 80.000 à 100.000 élèves du primaire et du secondaire sont
renvoyés chaque année ! les coutures du système Messadi craquaient de toutes
parts à telle enseigne que le président Bourguiba créa une commission nationale
pour évaluer la décennie Messadi et fit
dans un discours public le procès de sa réforme, Ben Salah fut le vice
président de cette commission. Les chercheurs qui s'intéressent aux travaux de
cette commission, pourraient aisément constater la sévérité des critiques
exprimées à cette occasion et la gravité du diagnostic émis par la majorité des
participants quant à l'avenir de nos enfants. D'ailleurs Messadi fut remplacé
par Ben salah pour essayer de sauver ce qui pourrait l'être! Heureusement pour
lui, la crise politique des coopératives
qui survint quelques mois plus tard, éclipsa le désastre de la décennie "
Messadi"!.
Que
l'on me comprenne bien, mon intention n'est pas de faire le procès d'un homme,
ou d'un ministre, je me suis contenté de rappeler certaines causes qui
expliquent la faiblesse du niveau de l'enseignement, non seulement en français
mais dans toutes les disciplines. Cependant parmi les centaines d'élèves et
d'étudiants quelques milliers ont pu acquérir un niveau excellent et certains
ont réussi brillamment les concours d'entrée aux écoles supérieures, en France
et ailleurs, surtout dans les sections scientifiques et techniques. Mais que de
fruits secs durant cette décennie!
Cela
étant, j'ai toujours respecté Messadi, le professeur et l'intellectuel, je me
suis parfois demandé si la politique ne l'avait pas ''perverti" et
détourné de la création littéraire.[6]».
Mongi
Akrout, inspecteur général de l'éducation et ancien élève de la "section
normale, promotion juin 1968 .
Tunis,
mars 2024
Pour accéder à la version Ar,
cliquer ICI.
Pour plus d'informations sur l'histoire des écoles normales des
instituteurs ( trices) , vous pouvez consulter les articles du Blog pédagogique
sur le sujet , publiés en février 2017.
Histoire
des écoles normales d’institutrices et d’instituteurs en Tunisie depuis
l’indépendance : 1er partie- 5 février
2017
https://bouhouchakrout.blogspot.com/2017/02/histoire-des-ecoles-normales.html
Histoire
des écoles normales d’institutrices et d’instituteurs en Tunisie depuis
l’indépendance : 2ème partie -13 février 2017
https://bouhouchakrout.blogspot.com/2017/02/histoire-des-ecoles-normales_13.html
[1] Driss Guiga, ministre de l'éducation ( de 1973 à 1976) supprima – hélas- l'école normale des institutrices à la faveur de la loi budgétaire . au cours des débats de l'assemblée nationale, la députée Fathia Mzali, ancienne directrice de cette école normale de Tunis, tenta vainement de s'y opposer ( cf journal officiel de l'assemblée).
[2] Mongi Bousnina . Développement scolaire et disparités régionales en Tunisie, publication de l’université de Tunis I, 1991
[3] Je fus parmi les élèves qui avait subi très mal cette orientation, toutes les tentatives que nous avons tenté pour changer de section n’ont pu aboutir et j’ai du poursuivre mes études secondaires dans la section normale contre mon gré, il faudrait reconnaitre que ma moyenne annuelle en 3ème était faible et j’ai du passé un examen de passage au mois de septembre pour passer à la classe supérieure.
[4] Rapport de la commission sur l’enseignement primaire, l’Action ,4/6/1967 - Annuaire de l’Afrique du nord, VI 1967, édition du centre national de la recherche scientifique – 1977.
[5] C f . par exemple Dialogue n°406 du 14 juin 1982.
[6] Dans Sadiki et les sadikiens paru dans les années 1970 et du à la
plume de professeur Ahmed Abdessalam, j'ai jugé ainsi Messadi l'enseignant que
j'ai en classe de seconde en 1954 : « avec lui on était dans les hauteurs, on
planait dans le royaume de l'idée. Peu
d'élèves peuvent se hisser à son niveau et à le suivre. Il utilisait la méthode
socratique: l'ironie. Il donnait des notes négatives. Il avait des expressions
très méchantes comme" mon garçon ,
il fait midi dans votre cerveau . Nous avons mis très longtemps à
comprendre qu'il voulait dire que les
choses étaient réduites à leur plus simple expression. Ou bien il faisait
dessiner à un élève un rond puis plus bas un
trait et le revoyait à sa place avec ces mots : " le rond c'est votre cerveau,
le trait c'est la bêtise qui irrésistiblement exerce un effet de
pesanteur"! J'ajoute que je n'ai pas oublié -le fait rare- que lors d'un
examen de rédaction arabe, j'ai réussi à avoir la note 11 sur 20 et j'étais
premier avec Brahim Khouadja!
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