Hédi Bouhouch |
Le blog pédagogique consacre une série d'articles dédiés à la plus vieille institution d'enseignement qui remonte au moyen âge, il s'agit du Kouttab qui était l'unique lieu où les jeunes tunisiens musulmans apprenaient le Coran et les rudiments de la langue arabe. Cette vieille institution a bien résisté au temps malgré l'apparition de nouvelles institutions modernes surtout avec le protectorat français.
Le Koutteb : la plus ancienne institution
d'enseignement en Tunisie
A l'origine, cette appellation "Koutteb" est
la plus courante. Mohamed Taher Ben Achour écrivait dans son ouvrage "Alayça
Assobhou bi Karib" : « les musulmans avaient appelé la maison où on
enseignait le Coran Al Maktab ou Al Koutteb … alors que l'appellation de
Medrassa est apparue avec les Hafsides qui avaient installé des Medrassa pour les sciences et
avaient désigné à sa tête un "Alem " (un savant ) pour assurer
l'enseignement".
En plus de ces deux appellations ( Koutteb -
Medrassa), on trouve dans les écrits et
dans les usages d'autres appellations
comme celle d'école coranique " Al Mektab Al Koraani". Taher
Ben Achour écrivait dans le même ouvrage en parlant de l'enseignement
traditionnel : "l'enseignement est constitué de trois cycles … son commencement se fait à l'école
coranique (Al Mektab Al Koraani)… cet enseignement a continué à exister à
l'état décrit par Ibn Khaldoun du temps des Hafsides. Ces établissements ont
continué à assurer l'enseignement primaire et à préparer les étudiants pour
poursuivre leurs études à la Mosquée Az-Zaitouna et ses annexes."
Mais l'appellation qui est restée aujourd'hui, c'est
Al Koutteb qui est l'appellation officielle adoptée par le Ministère des
affaires religieuses.
Les Kouttebs sont les plus anciens lieux d'enseignement en Tunisie
Les Kouttebs peuvent être considérés comme les plus
anciennes institutions d'enseignement en Tunisie[1]
malgré l'apparition des écoles modernes avec l'arrivée des communautés
européennes au milieu du XIXe siècle ( les écoles congréganistes, italiennes ,
maltaises), puis les écoles publiques fondées par le protectorat français (les
écoles françaises et les écoles franco-arabes) et puis les Kouttebs
modernes appelés aussi les Kouttebs réformés ou encore les écoles
coraniques modernes; le Koutteb traditionnel a survécu en continuant à
accueillir les enfants des classes populaires surtout dans les campagnes où
l'école publique n'est pas arrivée, mais aussi dans les villages et les villes.
AL
Koutteb à l'époque moderne précoloniale
Le
fonctionnement des Kouttebs
L'enseignement
élémentaire se donnait dans les Kouttebs qui accueillaient les enfants âgés de
cinq à quinze ans. C'était une sorte d'école privée à une seule classe de 12 à
20 garçons. L'enseignement y était assuré par un Moueddeb. Khairallah Ben
Mustapha[2]
en a fait une description dans des termes peu élogieux : " local exigu
et insalubre et absence d'hygiène et des méthodes d'enseignement archaïques,
les enfants apprennent l'alphabet arabe et le coran par cœur. L'enseignement
donné au kouttab ne met à contribution que la mémoire. Pendant tout son séjour
à l'école coranique, l'enfant ne fait qu'accumuler dans sa mémoire les versets
du livre sacré, sans en comprendre le sens".
Le
Moueddeb était payé directement par les parents. " Sa rétribution
varie, suivant la situation de fortune de ceux-ci, de soixante centimes à trois
francs par mois. Dans certaines localités, il reçoit du blé, de l'orge, de
l'huile, mais fort peu d'argent."[3]
Tentatives de réformer les kouttebs avant le
protectorat.
Au milieu du XIXème siècle, avec le courant réformiste
qu'avait connu la Tunisie qui s'est traduit par la fondation de l'école
militaire et puis du collège Sadiki, plusieurs tentatives de réformes de l'enseignement à la Mosquée Az-Zaitouna
ont été initiées. C'est dans ce cadre que le gouvernement du Bey a commencé à
s'intéresser aux Kouttebs au moment où le besoin se faisait de plus en plus
pressant pour assurer une meilleure préparation aux futurs étudiants de la
grande Mosquée et ses annexes. Et, pour préparer la réforme des Kouttebs, le
gouvernement avait lancé en 1875 une
enquête pour connaitre l'état des lieux
en demandant aux différents Caïds ( l'équivalent des gouverneurs actuels) de
lui faire un rapport sur l'état de l'enseignement de leur région. Ces rapports
ont montré que seuls 14000 enfants fréquentaient les Kouttebs, avec une moyenne
de 20 élèves par Koutteb et que certaines régions en manquaient comme les
régions du nord et de l'ouest. Les rapports ont montré aussi que la plupart des
Moueddebs qui exerçaient dans ces Kouttebs n'avaient pas les qualifications
nécessaires pour assurer l'enseignement des enfants.
Suite à ce diagnostic, le gouvernement a décidé qu'à
partir de janvier 1876 les candidats à la fonction de Moueddeb devraient
présenter une attestation délivrée par le syndicat des Moueddebs ou par les
parents. Ce fut là les seules mesures décidées pour améliorer l'enseignement
dans le Kouttebs.
La réforme ne s'était pas poursuivie en raison peut
être des événements qui sont survenus à cette époque qui avaient précédé
l'occupation française.
Il semble que
les choses n'ont guère évolué. Un témoignage d'un étranger le confirme. Voici
ce qu’écrivait Pierre Foncin[4]
(1882), l'inspecteur général de l'éducation, à propos des Kouttebs: « Sous
la direction d’un vieillard impassible armé d’une longue baguette, des enfants
accroupis presque tout le jour dans une chambre basse crient à tue-tête dans un
vacarme assourdissant, chacun ayant sur les genoux une planchette sur laquelle
sont inscrits des versets du Coran. Ils s’époumonent à les répéter sans en
comprendre un mot, jusqu’à ce qu’ils les sachent imperturbablement par cœur. Ce
genre d’étude n’appartient à aucune classification connue. Il n’offre aucun
danger politique, mais il est aussi contraire à l’hygiène qu’abêtissant…»[5].
Fin de la
première partie- A suivre.
Mongi Akrout
& Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation.
Tunis,
février 2023.
Pour accéderà la version AR, cliquer ICI
[1][1] Abû-l- Hasan ‘Ali ibn Muhamed
ibn Halaf al Ma’afiri al-Qâbisi al-Faqîh al-qayrawâni naquit en 324 H / 935 A J-C probablement à Kairouan, et passa sa vie
dans cette métropole et y exerça la fonction de mufti ; il fut le chef de
l’école malikite d’occident musulman et
nous a laissé un ouvrage très intéressant sur les Kouttabs appelé : "
Epitre détaillée sur les situations des élèves, leurs règles de conduite et
celles des maîtres » traduit
par Ahmed Khaled.
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2016/11/la-retribution-qui-revient-de-droit-au.html
blog pédagogique - 7 novembre 2016
[2]
Khairallah Ben Mustapha:l'enseignement primaire des indigènes en Tunisie, rapport
présenté au congrès de l'Afrique du nord tenu à Paris, du
6 au 10 octobre 1908." Souvent le kouttab, surtout dans les villages, est
installé dans un local situé au rez-de-chaussée, mal éclairé et mal aéré.
Aussi, l'humidité suinte-t-elle aux murs, et une demi-obscurité y règne-t-elle
toujours. Quelquefois, il se trouve au premier étage, dans une salle élevée sur
un magasin ou un passage voûté et à la laquelle on accède par des escaliers
étroits et rapides. De forme généralement carrée et peu spacieuse, cette salle,
au plafond bas, reçoit l'air par l'entrée et la lumière par une fenêtre vitrée
qui, malheureusement, reste presque toujours close. Point de cour de récréation
"
[3] Khairallah Ben Mustapha .opt
cité
[4] Pierre Foncin,
Professeur des lycées (1863-1873). - Agrégé d'histoire et de géographie (1863).
- Professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux
[5] Cité par
Manzano, F. Le français en Tunisie, enracinement, forces et fragilités
systémiques : rappels historiques, sociolinguistiques, et brefs éléments de
prospective.
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