II. Exemples d’effets pervers des deux innovations en
question
A partir de notre compréhension de l'une des
caractéristiques épistémologiques des sciences de l'éducation, comme le dit le
chercheur français "Bernard Charlot", qui appelle
"à confronter le discours
des finalités à la réalité des institutions, des situations et des pratiques"...
et aussi à "mettre les
finalités et les pratiques à l'épreuve
des connaissances et inversement..." (Charlot 1995 p.19).
Donc à partir de cela, nous avons cherché à découvrir
la réalité du terrain pour les innovations pédagogiques institutionnelles en Tunisie, ainsi que les réactions des enseignants et enfin les "effets pervers" des
apprentissages optionnels et de la réalisation de projet.
Pour collecter des données sur l'objet de la
recherche, nous avons adopté l'approche quantitative et l'approche
qualitative : pour ce faire, nous avons diversifié nos sources
d'information et les outils de recherche. Ainsi nous avons utilisé le questionnaire
basé principalement sur la technique Q-Sort (n=162), nous avons mené des
entretiens « focus group » (n=3), et nous avons vécu une observation
directe sur le terrain. Nous avons également adopté les récits de vie (n=9), et nous nous sommes référés aux
documents pédagogiques et aux statistiques officielles du ministère de
l'éducation, ainsi qu'aux données et documents des syndicats.
Nous passons ici en revue une partie des données
produites par la recherche et portons notre attention sur ce que le sociologue
français Raymond Boudon (1977) appelle « les effets inattendus ou les effets
pervers de l'action sociale », qui
généreraient des attitudes négatives vis-à-vis de l'innovation institutionnelle. De manière générale, nous
pouvons définir « l'effet pervers »
comme un résultat négatif, néfaste et indésirable d'une action qui se
détourne contre les intentions de son
auteur[2],
qu'il soit une personne, une institution ou la société en général. Selon
Raymond Boudon : «on
peut dire qu'il y a effet pervers lorsque deux individus (ou plus) en
recherchant un objectif donné engendrent un état de choses non recherché et qui
peut être indésirable du point de vue de chacun des deux, soit de l'un deux». (Boudon, 1977 p.20).
1. Résultats de la recherche sur les apprentissages
optionnels
1.1 L'état de la recherche
Les résultats de notre recherche sur les
apprentissages optionnels concordent
avec les résultats de l'enquête menée par le Ministère de l’éducation en
2005. Cette étude est un rapport interne de 420 pages sous le titre "Suivi
des apprentissages optionnels dans les collèges
2004 -2005" produit par la
Direction de la Recherche et des Etudes de l'Inspection Générale de
l'Education. L'étude susmentionnée a utilisé la technique du questionnaire, en
fait il s'agit de 4 questionnaires, chaque questionnaire est destiné à une
partie concernée par le sujet : les élèves (n = 1829), les enseignants (n =
1172), les directeurs (n = 744) et les inspecteurs (n = 229).
Nous rejoignons cette étude dans l'énumération des défaillances
et pour confirmer l'absence de conditions propices à la réussite de
l'innovation. Cependant, nous ne sommes pas d'accord avec l’étude de
l'inspection générale quand elle a négligé
une des questions les plus importantes pour lesquelles les apprentissages
optionnels étaient conçus et introduits, à savoir la question de l'éducation
aux choix et la préparation à l'orientation scolaire.
Selon l'étude du ministère de l’Éducation (2005), 76,7
% des enseignants interrogés déclarent avoir été affectés à l'encadrement des
apprentissages optionnels sans leur volonté. Alors que 81,56% d'entre eux ont
déclaré ne pas avoir été consultés pour choisir le collègue qui participerait
avec eux dans l'encadrement des groupes. Quant aux directeurs, on constate que 78,89
% d'entre eux ont choisi les enseignants pour encadrer les apprentissages
optionnels, en fonction des emplois du temps pour compléter l'horaire dû
officiellement.
Nous avons également trouvé deux études réalisées par
Magid Al-Nakachi (2006) et Farida Ben Mahmoud (2007) dans le cadre de leur
mastère spécialisé en conseil, information et orientation scolaire et
universitaire. Tous les deux se sont intéressés à la question des rapports entre les apprentissages optionnels et
l'orientation scolaire, car ces rapports
représentaient "les véritables objectifs pour lesquels les
apprentissages optionnels furent
introduits ", pour
tenter de combler la lacune de l'étude
du ministère de l'éducation susmentionnée.
L'étude de Magid Al-Nakachi, est parvenue à confirmer
« la contribution des apprentissages optionnels à réaliser deux compétences : la
compétence de concevoir un projet
d'orientation, à le rédiger et à le réaliser, et la compétence de la prise de décision » (Al- Nakachi
2006, p. 60). L'étude a indiqué que « le succès du projet d'orientation de
l'élève ne repose pas seulement sur des décisions et des recommandations, mais
repose principalement sur le travail sur
des approches pédagogiques remarquables, comme les apprentissages optionnels».
Au final, le chercheur
a confirmé qu'il y a un besoin urgent des apprentissages optionnels au
niveau du fonctionnement du système d'orientation en particulier et du système
éducatif en général. En l'absence de « l'éducation au choix » comme mécanisme
d'accompagnement et de préparation des élèves
à construire des projets d'avenir mûrs, les apprentissages optionnels pourraient servir de passerelle
par laquelle le système d'orientation scolaire
s'ouvre sur le système pédagogique (Al-Nakachi 2006, p. 61).
Quant à l'étude de Farida Ben Mahmoud, elle a confirmé
la relation supposée entre les apprentissages optionnels et la question de l'orientation scolaire, car
elle a montré que « les apprentissages optionnels avaient
un effet significatif sur la maturité dans la prise de décision chez les
élèves, en leur permettant une meilleure connaissance de leurs centres d'intérêt, de leurs valeurs et de
leurs aptitudes d'une part, et une bien meilleure connaissance des différentes sections
et des métiers d'autre part » (Ben Mahmoud, 2007.p.95).
Les deux études précédentes - Al-Nakachi et Ben
Mahmoud - ont traité de questions importantes liées aux apprentissages
optionnels en relation supposée avec le thème de l'orientation scolaire et ses
dimensions distinctives et l'étendue de l'influence de certaines variables
indépendantes liées aux participants à la recherche, qui sont autant de
questions abordées dans la littérature de la
psychologie de l'orientation et la sociologie scolaire. Nous pensons que
traiter ces questions et ces spécialités est une contribution essentielle à
leur diffusion et à leur implantation dans notre pays. Avec notre considération
pour les efforts déployés par les deux chercheurs, nous faisons part du
commentaire critique suivant sur les deux études :Les deux chercheurs ont
accordé un intérêt exagéré aux aspects positifs et aux réussites avec une
référence passagère aux difficultés et
aux obstacles (en se limitant aux
difficultés matérielles et organisationnelles), bien que les deux
chercheurs aient commencé leurs recherches après la décision de l'abandon des apprentissages
optionnels. Cette décision est survenue à la suite de plusieurs difficultés et
d’effets pervers, comme le montrera notre étude actuelle.
Il existe une
certaine confusion entre le rôle du chercheur - qui est appelé à la prudence
scientifique et qui doit garder de la distance vis-à-vis de l'objet de sa recherche - et le rôle de l'enthousiaste pour diffuser
l'innovation, orles deux chercheurs étaient des enseignants chargés de la
formation au sujet des
apprentissages optionnels dans leur
région respective, avant de rejoindre les études en vue d'obtenir un mastère
spécialisé dans le conseil, l'information et l'orientation scolaire et
universitaire .Les deux chercheurs ont
pris une défense inconditionnelle de l'innovation , malgré l'escalade
des formes de rejet et de résistance .Nous nous demandons ici, suffisait-il que
l'innovation soit bonne pour qu'elle réussisse, quel que soit le contexte dans
lequel elle s'inscrit ? Ou bien « suffisait-il d'adopter un discours
innovant pour que s'instaure l'innovation que nous prônons »comme le
suggèrent les approches technicistes de l'innovation (Tomasetto;C. &
Carugati F. 2002). Et nous nous demandons aussi par rapport au degré
d’objectivité des conclusions citées par la chercheuse Farida Ben Mahmoud quand
elle parle "de vide après la
suppression des apprentissages optionnels" et quand elle considère
"cette décision comme une régression par rapport aux objectifs de la
réforme de 2002" et "une pénalisation des élèves ",
estimant que " le retrait des apprentissages optionnels était soudain et inattendu ". (Ben
Mahmoud, 2006, p.2) ... Comment peut-on dire tout cela, si l'on sait que le
contexte général caractéristique de l'expérience des apprentissages optionnels
depuis son origine est un contexte hostile de rejet ferme de la part des
syndicats, sans oublier la polémique
qu'ils ont provoquée dont les répercussions avaient dépassé le cadre des
apprentissages optionnels pour toucher le reste des innovations
institutionnelles initiées par le ministère de l'Éducation, nous disons que ces répercussions avaient dépassé
le cadre éducatif et le cadre national pour toucher le domaine politique et le cadre arabe et
musulman, comme nous le verrons dans les paragraphes suivants de cette étude.
1.2 Les apprentissages optionnels et la question de
l'orientation et de l'éducation au choix
Nous avons constaté, selon de nombreux indicateurs,
que les apprentissages optionnels
s'inspirent d'expériences similaires : comme les "itinéraires de
découverte"[3] en
France, qui ont débuté en 2001, ou " l'éducation au choix" au Canada.
Nous avons relevé des indices de similitude avec l'expérience française dans ce
domaine en comparant le contenu du document pédagogique des apprentissages
optionnels avec le contenu de plusieurs références rédigées en français, comme
l'ouvrage de Castincaud et Zakhartchouk (2002)[4].
Il était prévu
que les apprentissages optionnels constitueraient une opportunité d'incarner le
principe de l'éducation à l'orientation et au choix à grande échelle, en raison
de la coopération directe qu’elle autorise avec un grand nombre d'enseignants.
Ainsi, ils représentaient également une réelle opportunité pour consolider la
formation de base que les conseillers en information et en orientation scolaire et universitaire ont reçue, et pour
stimuler la demande sociale vis-à-vis de leurs services et les missions qui
leur incombent face aux élèves, aux
enseignants et aux parents.
Ce corps est
l'une des innovations institutionnelles apparues dans les textes officiels en
1993 dans le cadre de la réforme de 1991 avec le ministre Mohamed Charfi. La
première promotion remonte à janvier 1996, mais ce corps rencontre encore
aujourd'hui des difficultés représentées principalement parle fait qu'il se
trouve chargé de tâches faiblement liées à la formation théorique et pratique
dont il a bénéficié en sciences de l'éducation en général et en psychologie de
l'orientation en particulier[5].
Au cours de la
première année des apprentissages optionnels, plusieurs conseillers en information et en
orientation scolaire et universitaire ont été chargés de former et d'encadrer les enseignants sélectionnés
pour animer les apprentissages optionnels, un projet de "Guide de
l'enseignant sur les apprentissages optionnels " a également été préparé.
La majeure partie du guide contenait des propositions pratiques et une série
d'exercices qui incarnent le principe de l'éducation au choix et à la
préparation à l'orientation scolaire et professionnelle. Une partie importante de ce
guide est une traduction en arabe d'une source française intitulée
"Le projet chez les jeunes de
Pleumartin (Daniel), Légers (Jacques, (1988). Cependant, ce
guide a suscité un grand tollé et une grande polémique à cause de deux exercices, le premier est intitulé « le
divorce » et l'autre « le salut ». Chaque exercice fournit des instructions qui
appellent à faire différents mouvements
et à utiliser des membres du corps...[6]
.
L'une des manifestations de la vaste controverse
autour des apprentissages optionnels,
est bel et bien ce qu'on trouve -
depuis le mois d'octobre 2003 jusqu'à nos jours - surale site "Ikhwan
Online" de Palestine – sous le titre
: Le gouvernement tunisien encourage la débauche morale et publie un plan
pour encourager le "contact physique" entre les élèves garçons et
filles", on y lit dans l'introduction de l'article : "Le ministère
a publié un document intitulé "Le guide de l'enseignant pour les
apprentissages optionnels", qui a été distribué aux enseignants au début
de cette année scolaire, pour l'utiliser
comme document méthodologique…" . Nous trouvons dans le site un
rappel de la position du syndicat de
l'enseignement secondaire et des déclarations du leader du mouvement Ennahda,
Rached Ghannouchi, dans lesquelles on dénonce
les apprentissages optionnels en affirmant ceci : « Elles représentent
une insulte à la patrie, au peuple tunisien, à la religion et la
constitution... »
Il est important de préciser que le guide susmentionné
n’était pas dans sa version finale tant
dans le fond que dans la forme et il était destiné aux formateurs et ne
devrait pas être distribué ni aux enseignants ni aux
élèves, en plus de cela, il a été totalement
abandonné après environ un mois du démarrage des apprentissages
optionnels. Malgré tout cela, l'accent a été mis sur ce guide et non sur
d'autres documents pour discréditer "les apprentissages optionnels".
La polémique a contribué à renforcer le contexte de
rejet et de résistance à l'innovation, et a notamment provoqué la rupture de
l'interdépendance entre les apprentissages optionnels et la question de l'orientation et de
l'éducation au choix. L'expérience a connu depuis le début de sa deuxième année
- en septembre 2004 –la désignation d’un groupe d'inspecteurs de l'enseignement
secondaire pour en assurer le suivi à la place des conseillers en information
et en orientation scolaire et universitaire.
1.3 La position du syndicat vis-à-vis des
apprentissages optionnels
Le Syndicat général de l'enseignement secondaire a
publié trois communiqués appelant les enseignants au boycott des apprentissages
optionnels. Le premier a été publié le 10 octobre 2003 appelant explicitement
les enseignants à "... s'abstenir d'assurer les séances réservées aux
apprentissages optionnels car ils ne font pas partie d'après le syndicat"
des prérogatives et de la mission des
enseignants et portent atteinte à leurs aspirations éducatives et aux
perspectives de l'école auxquelles ils aspirent". Le même communiqué
précise que cet appel se fonde sur la connaissance des "contenus des documents organisant
les apprentissages optionnels", et
de conclure que ces documents
contiennent "des concepts et des valeurs non pédagogiques qui
discréditent le savoir, l'apprentissage, l'enseignant et l'établissement
d'enseignement et propager la délinquance
et la dépravation ».
Notons ici que cette dernière conclusion s'appuyait
sur la polémique soulevée par les deux exercices précités et non sur le
contenu du document officiel organisant les apprentissages optionnels. Sur la
base du jugement sur le contenu des exercices "le divorce " et
le "salut" susmentionnés, une
généralisation est vite faite à l'ensemble des contenus des documents
officiels.
Le deuxième communiqué sur les apprentissages
optionnels a été publié le 6 septembre 2004, pour rappeler la position du syndicat rejetant les
apprentissages optionnels depuis le début
et appelant le ministère à "ouvrir des négociations sérieuses à
ce sujet, surtout après avoir constaté qu'il y avait des contenus
pédagogiquement et scientifiquement inacceptables… et suite à la confusion et aux réactions causées par l'expérience au cours de l'année dernière dans les rangs
des enseignants."
Quant au troisième communiqué, publié le 9 septembre
2005, il a continué d'exiger l'ouverture
d'une négociation sérieuse à leur sujet
et une évaluation de l'expérience, reprochant au ministère d'« aller de
l'avant dans la généralisation de l'expérience
en première année secondaire, malgré les méfaits de l'expérience et ses effets sur le système éducatif ». le
communiqué soulignait que " les apprentissages
optionnels sont facultatifs donc l'administration n'a pas le droit d'obliger
un enseignant de s'en charger, tout comme l'enseignant a le droit de n'enseigner que sa spécialité et rien d'autre".
Au niveau de l'analyse statistique utilisant la
technique de tri Q-Sort, nous avons constaté qu'il n'existait pas, parmi les enseignants de l'échantillon de
recherche (n = 162), une unanimité autour de la position du syndicat, ni dans
le rejet ni dans l'accord. Le taux le plus élevé était enregistré pour les
réponses neutres. Quant aux observations de terrain et aux focus et entretiens
individuels, nous avons constaté que la position du syndicat n'a pas été un
facteur d'aide pour les enseignants face aux difficultés de mise en œuvre
rencontrées par l'expérimentation depuis son démarrage jusqu'à la date de sa
suspension.
Nous avons remarqué l'émergence de plusieurs formes de
rejet des apprentissages optionnels chez certains enseignants, selon nos
interactions avec les directeurs des collèges et les formateurs. Parmi les
formes de protestation déployées par les enseignants qui adhèrent à la position
syndicale, on peut citer les formes suivantes :
·
Il y eu le
boycott des formations programmées et le refus de se présenter aux centres
régionaux d'éducation et de formation continue, et quand certains se présentent aux séances de
formation, c'est pour les transformer en
une tribune de protestation pour
exprimer la position syndicale.
·
Il y a eu
aussi le refus de coopérer avec l'administration pour tout ce qui concerne les
apprentissages optionnels.
·
Enfin, il y a
eu les grèves (la suspension des
apprentissages optionnels était l'une des revendications syndicales qu'on
trouvait dans les communiqués du Syndicat général de l'enseignement secondaire
à l'occasion des journées de grève).
Les résultats de la recherche nous ont révélé
l'existence d'une contradiction entre la position syndicale rejetant les
apprentissages optionnels et ce qu'on trouvait dans un document produit par le
même syndicat où il défend l'un des principes de base sur lesquels reposent les
apprentissages optionnels, à savoir le
principe de l'interdisciplinarité. Dans son diagnostic de la réalité des
programmes officiels, la Commission des programmes, des curricula et des outils
pédagogiques (septembre 2002) a fait un constat de fond lié à l'un des traits
distinctifs du savoir aussi bien à l'échelle mondiale que tunisienne, qui est «
le manque d'articulation et d'intégration entre les différentes matières
scolaires , ce qui empêche l'accumulation des connaissances et conduit
inévitablement à l'assimilation des valeurs de consommation» (p. 7). Le
Syndicat était conscient de la gravité du cloisonnement des matières scolaires
et il s'est rendu compte que cela
contribuait à la consolidation des valeurs de consommation et empêche de
former un être humain doté d'une large culture générale, mais le syndicat a rejeté - après moins d'un an de la
publication de ce document, comme nous l'avons vu - l'innovation qui visait à atténuer l'impact
du cloisonnement des matières scolaires : les apprentissages optionnels.
Pour donner un
exemple d’effet pervers concernant les enseignants, nous citons ici un cas que
nous avons vécu dans la région de Mahdia
avec un enseignant qui était fortement engagé dans l'innovation lors de
sa première année, mais ensuite, il a
refusé de poursuivre car le succès qu'il
a réalisé avec ses élèves est devenu gênant et a suscité la colère des
syndicalistes à son égard et les a incités à ne pas l'aider lorsqu'il a demandé
sa mutation vers sa région d'origine
dans le cadre des «cas humanitaires »
lors de l'année scolaire 2004/2005.
Qu'il s'agisse de l’attitude à l’égard des
apprentissages optionnels ou à d'autres
innovations pédagogiques institutionnelles, il semble que les efforts des
cadres syndicaux étaient orientés vers la protestation et le rejet
total de toutes les innovations initiées par le ministère. Le syndicat justifie
cette protestation par « le caractère obligatoire de la réforme pédagogique
de 2002 imposée d'en haut » et par « son désaccord avec les choix
idéologiques sur lesquels se fondent les innovations envisagées », et il considère que toutes ces innovations
étaient « soumises à l'idéologie des structures et des organisations internationales ».
."
Le rôle du syndicat de l'enseignement secondaire
apparaît ici comme un mouvement social contre la mondialisation, « qui
défend l'école publique et s'oppose à sa privatisation ». Nous avons relevé, à la suite de l'analyse de nombreux
textes syndicaux, un "rejet des fondements du 'projet civilisationnel
occidental'" et "des valeurs de la société de consommation qui
le caractérise et de la prédominance du
pragmatisme". Nous avons
constaté aussi l'existence de
jugements de valeur généraux sur les apprentissages optionnels fondés sur
certaines polémiques qui ont eu lieu sur des aspects marginaux de
l'innovation et non suite à un examen profond du contenu du document
pédagogique relatif à l'innovation .
En effet, à partir des séances de formation et des
visites du terrain que nous avons réalisées au profit des enseignants des
collèges de la région de Mahdia - d'octobre 2003 à mai 2004 -, nous avons eu
des discussions avec des syndicalistes fortement opposés aux apprentissages
optionnels, et nous avons découvert que la plupart d'entre eux n'avaient pas
une connaissance du contenu du document pédagogique. .
Ces faits
sur l'attitude du syndicat envers les innovations institutionnelles sont analogues
à ce qui a été rapporté par la chercheuse bolivienne « Maria Luisa Talavera »
(2002) dans son étude intitulée : «
Innovation et résistance aux changements dans les écoles boliviennes. » où elle
avait étudié les formes de résistance à
l'innovation poussées par les conditions de travail des enseignants et le
soutien de cette résistance par les syndicats. Nous reprenons ici
les conclusions de la chercheuse, d'après elle: « L'enseignant est généralement
soumis à la pression du programme de réforme pédagogique, car le contexte des
changements génère des sentiments d'impuissance, de malaise, d'ambiguïté et de
perplexité. Les programmes de réformes se retrouvent isolés et coupés des
acteurs qui sont appelés à les mettre en œuvre, la réforme scolaire apporte peu
à l'enseignant et lui demande beaucoup... Les responsables syndicaux ne cessent
d'appeler les enseignants à s'opposer à la réforme pédagogique, sans présenter
de projets pédagogiques alternatifs, comme si la question de l'innovation ne faisait pas partie du travail ou de la
responsabilité de l'enseignant».(Talavera2002p.9).
Nous clôturons la discussion des résultats de la
recherche sur les apprentissages
optionnels avec le tableau N°3, qui résume les aspects les plus
importants des contradictions entre les attentes du ministère et la réalité de
l'expérience vécue par les apprentissages
optionnels:
Tableau N° 3 : L'expérience des apprentissages
optionnels entre les attentes du ministère de l'éducation et les "effets
pervers''
Les attentes du ministère |
Les effets pervers |
L'une des
finalités des apprentissages optionnels était d'encourager les initiatives
individuelles et de pousser les enseignants à utiliser de nouvelles méthodes
d'animation et des approches pédagogiques peu familières dans le modèle
traditionnel dominant : travail de groupe, ouverture à l'environnement,
intégration des technologies de l'information et de la communication dans
l'apprentissage, intensification de la coopération et de la complémentarité entre enseignants de
différentes disciplines |
Nous avons constaté des faits et des pratiques
contraires à ceux que recommandent les
apprentissages optionnels : l'absence d'initiative individuelle des élèves et
des enseignants, seul un petit nombre d'élèves participent réellement
à la réalisation des activités et des tâches demandées, et les autres se
contentaient de s'inscrire au groupe, la propagation de la facilité et de la
dépendance vis-à-vis des amis et des parents, l'exploitation négative
d'Internet (plagiat), plus de cloisonnement
disciplinaire |
On s'attendait à ce que les apprentissages
optionnels soient la locomotive des innovations apportées par la réforme de
2002 et « les meilleures d'entre elles » au vu de l'ampleur et de
la qualité des changements pédagogiques souhaités ». Cette expérience devait inciter les enseignants à
s'engager dans l'innovation pédagogique et à faire réussir d'autres
innovations proposées par le Ministère. |
Face aux défis de la mise en œuvre rencontrées par
les apprentissages optionnels, le ministère de l'Éducation a décidé de «
faire marche arrière » et de suspendre les apprentissages optionnels. C’est
le premier projet d'innovation que le ministère a reconnu s'être empressé de
mettre en œuvre. Avec le renoncement du ministère, le sentiment de doute et
de méfiance des enseignants à l'égard de toutes les innovations présentées
par le ministère s’est accru. |
Parmi les principaux objectifs des apprentissages
optionnels est « de donner à l'élève les moyens de la réussite de son
orientation scolaire. » On espérait que le succès des apprentissages optionnels conduirait à terme à
l'établissement d'une culture de l'orientation et de l'éducation au choix et
à l'amélioration du système d'orientation scolaire et professionnelle. Et
qu'elles représentent une réelle
opportunité pour relancer la formation initiale des conseillers d’information et d'orientation scolaire et universitaire,
et pour stimuler la demande sociale pour leurs services. |
Dès la première année de l'expérience, la tentative
de lier les apprentissages optionnels et la question de l'orientation et de
l'éducation au choix a été perturbée, et les conseillers d’information et d'orientation scolaire et universitaire
ont été écartés de l'encadrement de l'expérience et se sont de plus en plus
isolés au sein du système éducatif |
L'une des raisons indirectes des apprentissages
optionnels est d'améliorer l'image du
régime et de le présenter comme un "pionnier dans le domaine de la
réforme, de l'innovation, du changement social pour suivre la voie de la modernité et des progrès
technologiques..." (les apprentissages optionnels sont une copie
conforme du modèle français " " les itinéraires de
découverte " IDD) |
Les apprentissages optionnels étaient parmi les
innovations contre lesquelles des
campagnes anti- ministère et anti
régime orchestrées par les syndicats
et l'opposition politique (ce que l'on
trouve sur le site «Ikhouan Online Palestine » sous le titre : «Le
gouvernement tunisien encourage la corruption morale … » reprend les positions du Syndicat de l'Enseignement
Secondaire et du leader du parti Mouvement Ennahda, et une exploitation de la
position d'Om Zied…[7] |
Fin de la troisième partie, à suivre- pour revenir à
la 1er partie, cliquer ICI et à la 2ème partie, cliquer
ICI.
Dr. Mustapha Chikh Zaouali, Conseiller général en information
et en orientation scolaire et universitaire.
Traduction Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation
Pour accéder à la version arabe, cliquer Ici
[1]Cette étude a été publiée en langue arabe dans la
revue «"Al
Hayat Athaqafia"
(la vie culturelle) n°264 – octobre 2015.Revue du ministère des affaires culturelles -Tunisie
[2]Ce sens se rapproche de l'expression répandue : le
chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions
[3]IDD : itinéraires de découverte
[4]Plusieurs
sites français ont traité cette question, on peut citer à titre indicatif :
www.eduscol.education.fr/cid46756/itineraires-de-decouverte
www.ac-creteil.fr/mission-college/IDD
www.cafepedagogique.net/lesdossiers....
[5]Pour plus de détails,
voir notre étude dans la revue –"Al Hayat
Athaqafia" (la vie culturelle)
n°250- avril 2014 sous le titre : le corps des conseillers en information, en orientation scolaire et universitaire : problématiques et
perspectives (http://archivebeta.sakhrit.com/newPreview.aspx?PID=2660974&ISSUEID=16340&AID=367941)
[6]Les deux exercices ont été traduits littéralement sans tenir compte des
recommandations suivantes des auteurs
français qui accompagnaient tous les exercices : "il faut être vigilant dans les sociétés où les contacts
physiques sont habituellement prohibés et aussi avec les groupes mixtes"
(Pemartin, et Legres, 1988).
[7]Om Zied est le pseudonyme Néziha Rjiba, enseignante d’arabe et militante de gauche
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