« Le projet de réforme du nouveau
ministre ( M. Messadi) n’est d’ailleurs autre chose qu’une copie remaniée du
projet de réforme syndicale élaborée en 1948 et présentée comme une alternative
à la réforme proposée par Lucien Saint. »
Ayachi, M. « Ecoles et société en
Tunisie 1930-1958 »(Thèse d'Etat). (Ronéotypé, Éd.)p 607
« Il est curieux de constater que le Ministre de
l’éducation nationale، M. Lamine Ach-Châbbî، fut démis de ses fonctions، parce qu’il aurait été favorable à l’arabisation de l’enseignement، et néfaste à l’application du «projet de
la réforme de l’enseignement en Tunisie ».
Ce fameux projet a été élaboré par M. Jean Debiesse… Mahmoud Al-Messadi,
directeur de l’enseignement secondaire au Ministère, fut appelé à la place
d’Ach-Châbbî pour exécuter le projet de réforme de M. Debiesse … »
Abdelmoula, M. (1971). L’université zaitounienne et
la société tunisienne. Tunis, Tunisie .
« Quand le pays accède à l’indépendance
et que l’état sera entre nos main, il faut commencer par traiter les problèmes
de l’enseignement, car tous les autres secteurs en dépendent ;
l’enseignement est le véritable moteur de l’homme … La question de l’enseignement
était notre première préoccupation vu son importance dans l’édification de
l’état et la consolidation du régime républicain. » [1]
Habib
Bourguiba, extraits du discours prononcé le 25 juin 1958 au collège Sadiki à
l’occasion de la clôture de l’année scolaire.
Avant propos
Le 3 mai 1958[2] , Mahmoud Messadi , l‘inspecteur
général de l’instruction publique, est nommé
Secrétaire d’état à l’éducation
nationale , à la jeunesse et aux sports [3] ; le 4 novembre 1958 ,
c’est à dire 7 mois après la nomination du nouveau secrétaire d’état , une
nouvelle loi de l’enseignement est promulguée ; c’est la loi 118 -1958
[4] qui va constituer les bases du système éducatif national.
I.
Le contexte général
1.
Sur le plan politique
Sur le plan de la politique intérieure : le contexte général ne différait
pas beaucoup du contexte de la période transitoire ; le schisme
yousséfiste a laissé de profondes blessures ; le différent s’est
transformé, pour certains, en une lutte entre le nationalisme arabe et le
nationalisme « tunisien » ; pour d’autres, c’est une lutte entre
une orientation orientale (arabo- musulmane) et une orientation occidentale.
Sur le plan de la politique
étrangère : Le contexte était marqué par une grande
tension entre la Tunisie et la France, à cause de la guerre d’Algérie où la
Tunisie était impliquée indirectement, en accueillant les chefs de la
révolution algérienne, et en soutenant la lutte armée. La France réagit en
bombardant le village de Sakiet sidi Youssef, le 8 février 1958.
Sur le plan administratif : C’était aussi une période de
construction et de mise en place des institutions de la jeune république et de
la tunisification de l’administration dont certaines ont commencé à être
arabisée, comme le ministère de la justice et de l’intérieur.
2.
Dans le domaine de l’enseignement,
La période de 1954 - 1958 fut une
période de réflexions et de débats, à travers les conférences, les écrits dans
les revues et les articles de journaux ; tous étaient d’accord sur la nécessité
de réformer le contenu de l’enseignement ; [5] mais il y avait des divergences
sur trois questions fondamentales qui sont : la question de la langue d’enseignement,
la question du rythme de la généralisation de la scolarisation et la question
du modèle d’enseignement.
a.
La question de la langue d’enseignement : c’est une question récurrente depuis la
fondation de l’école polytechnique, des écoles franco-arabes et des écoles
coraniques modernes ; à l’époque, elle fut tranchée au profit du bilinguisme,
mais la question fut de nouveau posée à l’occasion de la préparation de la
nouvelle loi et de la mise en place du système éducatif de la jeune république ; deux tendances
s’étaient opposées :
-
La première milite pour une arabisation totale et
immédiate de l’enseignement
Mohamed Mzali, qui était le chef de cabinet du
ministre de l’éducation nationale, Lamine Chebbi, en 1955, disait :
« qu’en 1955, la Tunisie avait réussi à arabiser l’enseignement primaire
jusqu’à la quatrième année, tout en enseignant le français en tant que deuxième langue » ;[6] mais la question qui se posait à cette époque
était le choix entre la poursuite de l’arabisation jusqu’à la classe de sixième
puis à l’enseignement secondaire, ou le maintien du statut -quo en attendant la
formation des enseignants qualifiés nécessaires.
Le nouveau secrétaire d’état Mahmoud
Messadi n’était pas à l’origine contre l’arabisation de l’enseignement ;
n’a-t- il pas écrit en 1947 que « le courant qui porte la nation
tunisienne vers la constitution d’un enseignement primaire et secondaire arabe,
musulman et moderne se consolide d’un jour en jour. »[7].
-
La deuxième voulait maintenir le bilinguisme au moins
provisoirement
En 1957, le rapport de la délégation
Tunisienne au 20° conférence internationale sur l’instruction publique, à
Genève en 1957, précise que « l’enseignement primaire (tunisien) se donne
actuellement en deux langues, soit en arabe, soit en français … on continuera à
maintenir le bilinguisme … dans l’enseignement secondaire, technique et
professionnel ; le français est la langue véhiculaire » conclut le rapport. »[8]
Il semble que c’est le président
Bourguiba qui ait tranché la question, dans son discours au collège Sadiki, le
25 Juin 1958, quand il annonçait ceci :« je veux vous faire
remarquer que l’enseignement secondaire sera orienté vers l’arabisation ;
la langue arabe sera la langue d’enseignement de toutes les matières, sauf si
les conditions et la nécessité nous obligent à utiliser la langue française
pour profiter des conditions qui nous sont offertes, , et ce provisoirement, en
attendant que les écoles de formation préparent des cadres nécessaires
capables d’enseigner toutes les
disciplines en arabe ».[9] Il faudrait faire
remarquer que Bourguiba était, à cette époque, la cible de violentes critiques
venant de l’orient arabe et de l’intérieur du pays, de la part des partisans de
l’enseignement classique, qui lui reprochaient son penchant exagéré pour
les langues étrangères, et plus particulièrement pour la langue française.
b.
La question de la généralisation de
l’enseignement.
La généralisation de la scolarisation était l’une des revendications du mouvement
national, à l’époque du protectorat ; cette question était parmi les
questions débattues au cours des premières années de l’indépendance ; les
nouveaux dirigeants étaient devant deux choix : ou bien répondre aux
attentes et aux désirs des citoyens et prendre les mesures nécessaires pour
garantir la scolarisation de tous les enfants en âge d’être scolarisés, ou bien
temporiser en attendant surtout, face
aux besoins énormes et au manque de
locaux et de cadres enseignants qualifiés.
Si le premier ministre de l’éducation,
Jallouli Fares, se fixait comme objectif d’étendre la scolarisation le plus
largement possible, (Ayachi),[10] Il semble que son successeur, Mohamed
Lamine Chebbi, avait des réserves quant à une généralisation de la scolarisation,
telle qu’elle est exigée par l’élite tunisienne et les partis politiques. A la
fin, le choix qui fut retenu était de répondre aux attentes de la population,
et d’accélérer la scolarisation du plus grand nombre d’enfants en âge de l’être,
malgré les moyens très limités matériels et humains, disponibles à l’époque.
c.
La question du modèle d’école et
d’enseignement
La question du modèle d’école et
d’enseignement oppose l’ancien, (
classique), au nouveau, ( la modernité),
au moment où le pays était encore sous le choc du différent entre Bourguiba et
Ben Youssef, qui a eu des conséquences négatives sur les rapports politiques
entre la Tunisie et les pays de l’orient
arabe, et plus particulièrement avec l’Egypte et son régime nationaliste
nassérien ; et, au moment où les réserves continuent à se manifester, vis
à vis du code du statut personnel, dans cette ambiance très tendue, les voix de
ceux qui appellent à consolider et à
étendre l’enseignement classique n’ont pas cessé de se manifester, et les voix
des réformateurs influencés par les idées de Mohamed Abdou et de celles du Cheikh
Mohamed Tahar IBen Achour ; toutes
ces voix insistent sur le caractère arabo- musulman de la Tunisie, et veulent
faire de la grande Mosquée le foyer du rayonnement spirituel, le berceau de la
langue arabe, et le cœur vivant de la culture tunisienne ; elles aspirent
à contrecarrer les excès des partisans de la civilisation occidentale et de la
culture étrangère.
En face du parti conservateur, se trouvait
le courant partisan de la modernité qui
ne considérait pas que l’indépendance est une rupture avec les valeurs et les idées européennes, qui nous sont transmises
par la langue française et la culture française, et par les autres langues étrangères ;
les partisans de la modernité ne voyaient pas de contradiction entre l’attachement
au patrimoine national et le désir de la modernité, c’est ce qui explique leur appel à la mise en place
d’un système scolaire moderne ; Jallouli Farès , le premier ministre de l’instruction,
avait exprimé cette position dans une entrevue quand il disait : « mon
but est de donner à la Tunisie un enseignement uniforme » ;
cet enseignement … comportera une
culture religieuse générale, et sera ouvert sur l’esprit moderne .» (Ayachi,
p. 423).
Le dirigeant syndicaliste Ahmed Ben
Salah va dans le même choix ; pour lui, la réforme des structure de
l’enseignement doit être guidée de deux idées : la première consiste à
donner un caractère tunisien au contenu qui prend ses sources dans la tradition
culturelle arabo- musulmane du pays ; la deuxième est la nécessité de
faire sortir la Tunisie du sous développement et lui permettre de jouer un rôle
dans les échanges internationaux, et particulièrement méditerranéens ;
« il faut concevoir un enseignement capable de s’adapter continuellement au
monde et aux exigences du développement économique », écrivait-il[11] en 1956 .
A la fin, c’est le courant moderniste
qui l’emporta, surtout que la majorité de l’élite et de la classe politique au
pouvoir étaient le produit de la formation sadikienne, et que le pays était en
situation de dépendance très étroite de la coopération internationale, et
surtout française, dans les domaines économiques, politiques et culturels. Le
préambule du projet de la loi de 1958 disait
que « le souci était de donner au système éducatif un caractère moderne
et scientifique, loin des traditions désuètes » (Ayachi) ; le
président de la république déclara le 25 juin 1958, dans un discours à la
cérémonie de la clôture de l’année scolaire, au collège Sadiki, que la nouvelle réforme éducative entrera en
application à la rentrée prochaine ( 1958-59), et il a esquissé ses grandes
orientations dont les principales étaient de donner un caractère national au système
éducatif, de l’unifier et de le généraliser, un système ouvert continuellement
sur le monde et sur les mutations scientifiques et techniques ».
En résumé , tout le monde était d’accord
que la réforme de l’enseignement constituait la pierre angulaire de tout développement
et de toute modernité ; la divergence tournait autour de certaines
questions comme la langue, le rythme de
la scolarisation, le type d’école ; cette divergence se trouvait entre les membres de l’équipe au
pouvoir , Mohamed Lamine Chebbi penchait vers la poursuite de l’arabisation de
tout le système, mais avait des réserves quant à la généralisation immédiate de
la scolarisation ; son successeur, Mahmoud Messadi, penchait lui vers
accélération de la scolarisation et vers
le maintien du bilinguisme, tel qu’il fut introduit par Ahmed Bey avec l’école militaire, puis par Khair-Eddine
au collège Sadiki, et par Machuel dans
l’école franco-arabe.
Mais,
il nous semble, contrairement à certaines hypothèses, que la différence entre
les deux ministres était d’ordre tactique et non d’ordre stratégique.
A la fin, la commission chargée de la
réforme adopta le plan de Messadi, qui est pour le maintien du statu -quo quant
aux langues d’enseignement, l’accélération de généralisation de la scolarisation,
et la révision des contenus des programmes, pour leur donner un caractère
national et moderne.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout ,
Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, octobre 2014
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A. « A propos de le réforme éducative : les références
juridiques : première partie ».; Blog pédagogique
Bennour, A : « A propos de le
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partie » ; Blog pédagogique
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Bouhouch et Akrout . Rapport
de la commission sur l’enseignement secondaire[1] L’Action 18-9-1967, ; Blog pédagogique
Jerbi,A. La
politique éducative ou quelle politique éducative pour quelle réforme de
l'éducation?
Boukhari . O. la
gouvernance du système éducatif tunisien
Bennour, A : Les
références de la réforme scolaire : Deuxième partie
Bouhouch et Akrout. Histoiredes réformes éducatives
en Tunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours :les réformes de la période
précoloniale (1ère partie) . Blog pédagogique
Bouhouch et Akrout.Histoire des réformes éducatives
enTunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours : les réformes de la période
précoloniale(2ème partie) ; Blog pédagogique
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scolaires : les réformes à l’époque du protectorat :première
partie : Les réformes l’enseignement Zitounien; Blog pédagogique.
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http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/12/histoire-des-reformes-scolaires-les.html
Les réformes scolaires depuis l’indépendance
1ère partie : les réformes de la période transitoire 1955 - 1958
[1] Voir les extraits du discours reproduit
par Mahmoud Messadi, dans son ouvrage « Notre renaissance éducatif depuis
l’indépendance : réforme de l’enseignement et planification
éducative ; publié par l’office pédagogique , 1968 , pp 18/28.
[3] Le 1° mai 1958 le secrétariat d’état à
l’éducation nationale devient le secrétariat à d’état à l’éducation nationale,
à la jeunesse et aux sports - Jort N° 36 du 6 mai 1958.
[5] Plusieurs personnalités avaient participé à
ce débat comme les professeurs Ahmed Abdessalam, Ahmed El Fani, Ahmed Ben Salah
et bien d’autres
[6] Mohamed
Mzali , la presse du 1° mars 2009, il faudrait préciser que Mzali qui fut
ministre de l’éducation nationale n’avait pas la même vision que Bourguiba
quant à la question de la culture et de l’identité , il qualifiant Mahmoud Messadi de «
fanatique » de la modernité et lui fait assumer l’échec du projet de
Lamine Chebbi , qui était l’expression (
d’après Mzali) d’une demande populaire soutenue par l’élite.
[7] Messadi .M, nos problèmes actuels, la
politique d’enseignement, revue Al Mabaheth n° 42/43, septembre, octobre 1947,
in l’œuvre complète, maison d’édition du sud, décembre 2000, P 206.
[8] Document du
secrétariat de l’éducation nationale, la nouvelle conception de l’enseignement
en Tunisie, rapporté par Ayachi .M. Enseignement néo
colonialiste (1949 -1958) et choix culturel de la Tunisie indépendante. p 430
(manuscrite bibliothèque du CNIPRE)
[10] Mokhtar, A. (s.d.). Enseignement néo colonial (1949-1958) et
choix culturel de la Tunisie indépendante ( Doctorat 3° cycle). (t.
réonotypé, Éd.)
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