Dans
cette note qui introduit le cycle de notes que nous allons entamer, dès la
semaine prochaine, et qui seront consacrées à l’histoire des réformes éducatives en Tunisie, depuis le XIXème
siècle, nous avons fait une sélection d’écrits sur la question qui traitent des
différentes problématiques en rapport avec les réformes éducatives en guise de
prélude.
Deux
types de réformes
Le
premier extrait fait la distinction entre
deux types de réformes : « En réalité, dans le monde éducatif, le terme de « réforme »
recouvre deux significations : d'une part, des réformes institutionnelles
importantes (lois), d'autre part, des modifications pédagogiques et
administratives plus modestes (arrêtés, circulaires et notes de service) qui
sont rendues quasi obligatoires pour la gestion du système »[1] . C’est ainsi qu’on a
connu, en Tunisie, trois grandes réformes, celles de 1958, de 1991 et de 2002, mais
aussi une multitude de petites et moyennes réformes intermédiaires (celle de
Ben Salah, celle de Mzali, celle de Chelly et Khlil…
Le
processus des réformes est un processus qui ne s’arrête guère alliant continuité,
rupture et retour.
Les
deuxièmes extraits considèrent que le processus des réformes est
un processus répétitif, qui ne s’arrête guère ; à peine une réforme est-
elle mise en application, qu’une autre commence à se manifester ; mais
cela ne signifie pas qu’il y ait une rupture ; il y a plutôt une continuité entre les
réformes ; un chercheur canadien[2] parlant de la réforme en cours
dans son pays disait : « la réforme actuelle est en continuité avec toutes les réformes précédentes
et qu’elle annonce, dans un avenir indéterminé, une autre réforme…Parce que (…)
nous, les éducateurs, avons aussi une histoire. Et l’histoire, c’est plus que
des dates figées sur une ligne du temps. L’histoire est aussi faite
d’allers-retours fréquents, d’avancées, de replis et de détours. L’histoire
d’une collectivité et de son système d’éducation est un outil de régulation
puissant pour adapter nos actions d’aujourd’hui et leur donner tout leur sens.
Toutes ces réformes
qui se succèdent périodiquement, qui se complètent, se corrigent ; parfois
aussi se contredisent les unes les autres ; elles attestent à la fois les
difficultés et l’urgence du problème. La question, d’ailleurs, n’est pas
spéciale à notre pays. Il n’est pas de grand État où elle ne soit posée et dans
des termes presque identiques »
Perrenoud,[3] de son côté, rappelle,
sans équivoque, qu’aucune réforme, quelle qu’elle soit, ne résout tous les
problèmes qui étaient à l’origine de son adoption ; pour lui, « La
réforme n’est jamais permanente, stricto sensu. Toutefois, les systèmes
éducatifs, comme les autres organisations, ont appris qu’aucune réforme ne
réglera durablement les problèmes auxquels elle prétend répondre. On pressent
désormais qu’au moment où l’on met une réforme en œuvre, on jette déjà les
bases de la suivante qui, quelques années plus tard, la corrigera ou la
prolongera, à moins qu’elle n’en prenne le contre-pied, si la volonté politique
ou la conjoncture ont radicalement changé. Le rythme des réformes s’est
accéléré, les systèmes les enchaînent désormais à la manière dont un grand
fumeur allume une nouvelle cigarette, avec les derniers rougeoiements de celle
qu’il va jeter… Si bien qu’il y a toujours “ une réforme dans
l’air ”, la précédente, dont l’actualité s’efface progressivement au
profit de la suivante, dont la possibilité et l’opportunité captent peu à peu
les énergies."
Les réformes entre le
mythe du passé et la préparation pour un
avenir difficilement prévisible
Les
troisièmes extraits traitent du dilemme
vécu par les concepteurs des réformes éducatives qui se trouvent pris entre la
tentation d’un passé surestimé et érigé
en modèle et la nécessité de se projeter dans un avenir qu’ils n’arrivent pas à
cerner (quels savoirs nouveaux et quelles compétences nécessaires pour les
générations futures, quels nouveaux métiers vont-elles trouver ?) ;
notre collègue Bennour rappelle dans sa réflexion sur les réformes scolaire[4] « "Qu'il n’ya pas de place à la nostalgie du passé en éducation, même si ce passé est
glorieux, parce qu’à chaque génération
son école ; et à ce propos, on se
rappelle une citation attribuée à Ali ibn Abi Taleb[5], "Ne limiter pas ce que vous enseigner à vos enfants à ce que vous avez appris, car ils sont nés pour un temps différend du votre
" ; dire que l’école et l'éducation d’avant était meilleure que celle
d’aujourd’hui ne peut guère être
généralisée, la comparaison n’est pas valable parce que les sociétés évoluent
et les priorités et les objectifs changent." La commission Thélot qui a préparé en 2004
un rapport sur l’avenir de l’école en
France avait signalé la difficulté d’anticiper, on lit dans son rapport [6]« La prise en compte des évolutions de l’emploi : une tâche difficile et
incertaine … Les finalités de l’École sont diverses et difficiles à
hiérarchiser ; il est néanmoins incontestable que l’intégration professionnelle
de chacun constitue l’une d’entre elles. Le chômage, l’inadéquation entre
l’offre et la demande d’emploi, les difficultés de l’insertion professionnelle
des jeunes conduisent les familles et le monde du travail à développer des
attentes fortes vis-à-vis de l’École en matière de préparation à la vie professionnelle :
on lui demande de mettre en place des voies de formation adaptées au marché du
travail et d’éviter d’orienter les élèves vers des filières ou des études
dépourvues de débouchés. La Commission, sans nier la légitimité d’une telle
attente, entend cependant mettre en garde contre une illusion : la quête d’une
adéquation entre la formation et l’emploi se heurte, et se heurtera toujours
davantage dans l’avenir, d’une part aux difficultés de prévoir les besoins
futurs d’une économie dont le dynamisme repose essentiellement sur l’innovation
technologique et organisationnelle, d’autre part à la déconnexion croissante,
empiriquement constatée, , entre la formation initiale suivie et l’emploi
occupé… »
Une réforme ne fait
jamais l’unanimité
Les quatrièmes extraits
évoquent la question de la difficulté d’obtenir l’unanimité autour d’une
réforme ; l’histoire des réformes éducatives
révèlent qu’il est presque impossible de trouver une réforme qui a réussi à
faire l’unanimité, pire encore, certaines réformes ont été abandonnées avant
d’entrer en application ( réforme de Ben Salah), d’autres ont été stoppées après
le départ du Ministre qui l’a conçue ( Réforme Charfi) ; à ce propos, Perrenoud[7] rappelait qu’
« Aucune réforme ne saurait faire
l’unanimité. Elle a forcément des
adversaires, déclarés ou clandestins, qu’ils s’opposent activement ou
pratiquent la résistance passive » .Marc St-Pierre rapporte les propos de Jean-Pierre Proulx, professeur à la
Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal qui
écrivait ceci: « la mise en œuvre
de la réforme n’est pas encore terminée, quand s’amorce et s’intensifie une
nouvelle vague de mécontentement et de revendications contradictoires : au
même moment, les uns se plaignent que la réforme est improvisée ou va trop
vite, les autres clament que l’école est « en crise », ce qui
provoque évidemment un sentiment d’urgence contradictoire avec le premier
constat ».[8]
La succession des
réformes dérange et déstabilise le corps enseignant
Les cinquièmes extraits évoquent
la question des réactions des différentes parties, vis-à-vis de la
réforme nouvellement adoptée, paradoxalement,
ces différentes parties (
parents , enseignants,…) qui revendiquent et demandent la réforme de l’école et de ses programmes sont
souvent les premiers qui ouvrent le feu sur la réforme, une fois
celle-ci est adoptée ; certains chercheurs expliquent ces
réactions naturellement en rappelant que
« Certes, le renouveau que nous entendons
insuffler au système scolaire québécois pourra parfois déranger certaines
habitudes, provoquer parfois des réticences … »[9],
d’autres plus pessimistes[10] , ils vont jusqu’à dire à propos des réformes en France que «… toute volonté de réformer - c'est-à-dire sur le long terme à
l'issue d'un bilan raisonnable, circonstancié, établi avec méthode et dans la
sérénité - échoue….. Les réformes cumulées depuis une trentaine d'année, qui
ont en commun l'absence d'envergure et une juxtaposition souvent synonyme de
retour en arrière, déstabilisent et même démoralisent les enseignants… ».Un
autre auteur[11] partage la même attitude en disant qu’ « Il faut compter aussi avec
l'humiliation que ressent la communauté éducative de se voir sommée de répondre
à tout et n'importe quoi sur des injonctions ministérielles et collectives qui
se contredisent et décrédibilisent le travail des commissions précédentes. Car
à qui fera-t-on croire que ce qui était formidable en 2002 ou en 2008 doit être
jeté aux ordures en 2013 ? Avec quel mépris regarde-t-on les enseignants qui
font de perpétuels efforts pour se former et qui doivent s'adapter constamment
aux publics dont ils ont la charge, en leur imposant ce spectacle de
commissions, de conseils qui bavardent, vantent fièrement leurs programmes que
le ministre suivant va dézinguer.( Figuré : Démolir, mettre à mal,
critiquer violemment ) ».
Une réforme a besoin
de temps et de moyens
Les sixièmes extraits insistent
sur le fait qu’une réforme ne se conçoit pas dans l’urgence et qu’on ne fait pas
de réformes avec de petits moyens : « Il est clair
également qu’on ne fera de grande réforme avec de petits moyens … Il y a des mesures d’urgence à
prendre, mais l’urgence peut être l’ennemie de la réflexion et de la démocratie...
.»[12]
« La réforme
globale … ne pourra pas se faire du jour au lendemain : elle nécessitera un
travail préalable de préparation, d’appui et de formation des enseignants, de
réorganisation du système éducatif, une transformation progressive des réseaux et un travail de
longue haleine dans toutes les écoles qu’il faudra commencer aussi tôt que
possible, dans un maximum d’écoles volontaires, afin d’expérimenter et
d’évaluer en vue de généraliser. »[13] et , dans le
même ordre d’idées, Mohamed Mzali[14] , à l’époque où il occupait le poste de
ministre de l’éducation disait ceci :
« même si des commissions arrivent après ses réunions à mettre en
place un système éducatif qui bénéficie d’un large consensus et qui répond aux
besoins de la société en 1985 et même en
1990 , il faudrait une , deux ou trois années pour traduire les grandes orientations
sous la forme pédagogique adéquate et les transposer en séquences
d’apprentissage et dans des manuels scolaires , puis il faudrait une année ou
deux pour recycler les enseignants et les entrainer pour qu’ils assimilent les nouveaux programmes et les
nouvelles méthodes ».
La réforme doit être le produit d’un travail collaboratif, car « de nombreux acteurs se préoccupent de formation, et il faut que
chacun soit impliqué.»[15]et « Pour réussir la réforme, il
faut mobiliser toutes les énergies et les bonnes volontés disponibles, et elle
doit être conduite dans la continuité, sur la base d’un accord politique stable
résultant d’un large débat démocratique …au sein non seulement des milieux
politiques, mais aussi de la société tout entière ».[16]
Le rapport de concertation sur la refondation de l’école en France avait
insisté sur ce point en appelant à ce que « Les réformes doivent être désormais mieux préparées, selon un processus
participatif, associant les acteurs de terrain, personnels comme institutionnels. »[17]
La réforme perd
beaucoup une fois transposée sur le terrain
Les septièmes extraits évoquent l’écart entre la conception théorique de la
réforme, et la réalité du terrain ; en effet, les réformes conçues et préparées par les
experts de l’éducation, une fois transférée sur le terrain, sont souvent « défigurées » ; les auteurs des réformes ne les reconnaissent
plus ; cela est du généralement à la conjonction de plusieurs facteurs, (
déficit au niveau de la communication et ou du suivi et de l’accompagnement et
du pilotage) , Perrenoud parle de « la difficulté objective
d’anticiper ce que deviendra un changement sur le terrain, lorsque la réforme
rencontrera la réalité des établissements et des pratiques » ;[18] d’autres affirment que « Les réformes en matière éducative, …, sont souvent dévoyées – quand
elles sont, …, appliquées.
Ces échecs s’expliquent en partie
par le choix des instruments d’intervention publique mobilisés – trop
directifs, prenant insuffisamment en compte les besoins locaux – et, en partie,
par une absence de suivi garantissant leur mise en œuvre. »[19]
Conclusion
Telles sont les principales questions qu’affrontent les réformes
éducatives à travers le monde, nous avons voulu les évoquer brièvement pour
introduire les articles qu’on va publier à partir de la semaine prochaine qui
seront consacrés à l’histoire des réformes éducatives en Tunisie depuis le dix
neuvième siècle (les réformes de la Tunisie précoloniale, puis la période du
protectorat et enfin de l’indépendance)
Nous allons bien sûr nous focaliser sur
les grandes réformes (1958 , 1991, 2002 ) mais aussi sur les nombreuses
réformes qui avaient été engagées pour palier
les insuffisances de la réforme en cours et préparer le terrain à la réforme
suivante .
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, Novembre 2015
Des études sur le même thème
Bennour ,A.( 2015) « A propos de la réforme du système éducatif » Blog
pédagogique.
Bonneau
,F et al
. « Refondons
l’école de la république La réforme vue par le rapport de la
concertation », p 30, octobre 2012
Denommé, Jean et Marc ST-PIERRE. « Les réformes au Québec,
d’hier à aujourd’hui : une symphonie inachevée ». Dans Vie Pédagogique, [en
ligne], no. 146 février-mars 2008,
http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/146/index.asp?page=reformes
(page consultée le 6 mars 2009)
Perrenoud, Ph.( 1998)
Évaluer les réformes scolaires, est-ce bien raisonnable ?
Perrenoud, Ph. « Six
façons éprouvées de faire échouer une réforme scolaire »
Perrenoud, Ph . ( 2000) « L’évaluation des réformes
scolaires : autopsie ou source de régulation ? De l’expertise alibi au pilotage accompagné »
Thélot ,C.
et al( 2004) « Pour la
réussite de tous les élèves Rapport de la Commission du débat national sur
l’avenir de l’École » http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/044000483.pdf.
consulté le 2 novembre 2015.
Thomas
,F, (professeur agrégée, docteur en STAPS, Université Blaise-Pascal,
Clermont-Ferrand II). Le système éducatif
: grandes réformes et réajustements.
Articles publiés par le blog pédagogique sur le même thème
Bouhouch et Akrout . Les axes de la future réforme de
l’éducation aux yeux du nouveau ministre de l’éducation tunisien
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/03/les-axes-de-la-future-reforme-de.html
Bennour, A. A propos de la réforme du système éducatif -
Bennour, A. A propos de le réforme éducative : les références juridiques
Bouhouch et Akrout . Rapport de la commission sur l’enseignement secondaire[1] L’Action
18-9-1967
Jerbi,A. La politique éducative ou
quelle politique éducative pour quelle réforme de l'éducation?
Boukhari . O. la gouvernance du système
éducatif tunisien
Bennour, A : Les références de la réforme
scolaire : Deuxième partie
[1] Frédérique Thomas,
professeur agrégée, docteur en STAPS, Université Blaise-Pascal,
Clermont-Ferrand II. Le système éducatif
: grandes réformes et réajustements https://www.maif.fr/content/pdf/enseignants/votre-metier-en-pratique/systeme-educatif/maif-systeme-educatif.pdf
[2] « Denommé, Jean et Marc
ST-PIERRE. « Les réformes au Québec, d’hier à aujourd’hui : une symphonie
inachevée ». Dans Vie Pédagogique, [en ligne], no. 146 février-mars 2008,
http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/146/index.asp?page=reformes
(page consultée le 6 mars 2009)
M. Jean Denommé est
directeur général de la Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois, M. Marc
St-Pierre est directeur général adjoint à la Commission scolaire de la
Rivière-du-Nord et M. Guy Lusignan est consultant en éducation.
[3]
Perrenoud, Ph.( 1998)
Évaluer les réformes scolaires, est-ce bien raisonnable ?
[4] Bennour ,A.(
2015) « A
propos de la réforme du système éducatif » Blog pédagogique. http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/05/a-propos-de-la-reforme-du-systeme.html
[6] Thélot ,C.
et al( 2004) « Pour la
réussite de tous les élèves Rapport de la Commission du débat national sur
l’avenir de l’École » http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/044000483.pdf.
consulté le 2 novembre 2015.
[7] Perrenoud ,Ph. « Six
façons éprouvées de faire échouer une réforme scolaire »http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2003/2003_25.html
[9] Gouvernement du
Québec, L’école québécoise – Énoncé de politique et plan
d’action, Québec, Ministère de l’Éducation, 1979. (p. 12) , rapporté par
DENOMMÉ, Jean et Marc ST-PIERRE , opt cité
file:///C:/Users/MONGI/Downloads/127834.pdf
consulté le 31 octobre 2015
[10] François Dubet :
«L'école est en péril »
[11] Le billet de Gilles Fumey : Saint Dié 2013 : Programmes, programmes cafemensuel@cafepedagogique.net Octobre 2013 - Numéro 146
Gilles Fumey est professeur de
géographie culturelle à l’université Paris-Sorbonne et à l’IUFM de Paris. Il a
animé les Cafés géographiques jusqu’en 2010. Il est le rédacteur en
chef de la revue La Géographie
[13] Réflexions
en vue d’un système éducatif plus performant pour tous les enfants ;
Centre d’étude et de défense de l’école publique (CDEP) Communauté
française Belgique
[16] Réflexions en vue d’un système éducatif plus performant
pour tous les enfants ; Centre d’étude et de défense de l’école
publique (CDEP) Communauté française Belgique
[17] François
BONNEAU et al . « Refondons
l’école de la république La réforme vue par le rapport de la concertation », p 30, octobre 2012
[19] François
BONNEAU et al . « Refondons l’école de la
république La réforme vue par le rapport de la concertation », p 30,
octobre 2012
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