dimanche 3 mai 2015

A propos de la réforme du système éducatif





Avant propos

A l’occasion du démarrage du dialogue national sur l’éducation, le blog pédagogique publie une réflexion sur la réforme de l’école  de notre collègue Amor Bennour , Inspecteur général et Directeur de l’Inspection générale  depuis sa création au début des années quatre vingt dix , contribuant à la mise en place de cette noble  institution.
  Nous souhaitons que d’autres collègues suivent l’exemple de Si Amor  pour enrichir la scène nationale  de leurs expériences, le blog pédagogique leur est toujours ouvert.
Hédi Bouhouch  et Mongi Akrout




Toutes ces réformes qui se succèdent périodiquement, qui se complètent, se corrigent, parfois aussi se contredisent les unes les autres; elles attestent à la fois les difficultés et l’urgence du problème. La question, d’ailleurs, n’est pas spéciale à notre pays. Il n’est pas de grand État où elle ne soit posée et dans des termes presque identiques.

Les réformes au Québec, d’hier à aujourd’hui : une symphonie inachevée

 Jean Denommé et Marc St-Pierre Collaboration à la rédaction, Guy Lusignan



La semaine  passée le ministère de l’éducation a annoncé le démarrage du dialogue national sur l’éducation Je vais essayer de faire quelques remarques à propos de ce qui dit aujourd'hui sur la nécessité de réformer le système éducatif tunisien, et sur le dialogue que le ministère vient de lancer  [1].

Si la nécessité  de réformer le système éducatif semble être tout à fait  légitime, la précipitation risque d’entraver la réalisation des objectifs souhaités, si  la réforme n’est pas  précédée par un diagnostic précis de toutes les composantes  du système afin  d’identifier ses forces et ses faiblesses, et de trouver les moyens d’y remédier, et si on ne prend pas en compte les principes fondamentaux communs à tous les systèmes éducatifs d'aujourd'hui, qui aspirent à la  qualité et à la rentabilité ; ces principes sont les suivants :


§  Que l’éducation et l’enseignement subissent les effets des changements et des mutations que connait le monde ; la réforme se doit d’en tenir compte, car les ignorer et se renfermer sur soi, quelques soient les raisons, pourraient conduire à une rétrogradation et à une mise  en marge de la civilisation universelle ; c’est, d’ailleurs, ce qui est arrivé à certains pays qui ont ignoré cet aspect.
§  Que des valeurs universelles sont actuellement reconnues et partagées par tous les peuples, et aucun système éducatif qui vise l’excellence et la qualité ne peut les ignorer.

§  Que les pays qui cherchent à se développer, comme la Tunisie, doivent coopérer avec les organisations régionales et internationales,  "comme l'UNESCO" et " l’UNICEF" et d'autres, qui peuvent leur offrir  l'expertise et le soutien, et leur permettent  de  s’ouvrir  sur les expériences réussies des autres, et de s’en inspirer.

§  Que l’examen attentif des composantes du système doit se baser sur la recherche en éducation et les évaluations scientifiques ; la précipitation dans la prise de décisions, ou les mesures prises à la hâte, les changements très fréquents ne peuvent conduire qu’à l'opposé de ce que l’on a souhaité ; d’un autre coté l’inertie ne sert pas l'intérêt de l'éducation ; nous ne devrions pas glorifier une période caractérisée par la stabilité dans l'histoire de l'éducation, comme on l’entend dire aujourd’hui, mais nous devons nous opposer aux changements précipités et irréfléchis.
§  Que la mission de l'école est une mission en perpétuel renouvellement, pour être à jour, et pour suivre les changements de la société et l’évolution dans  le monde.


§  Que l'école reste le principal lieu de formation et d’enseignement, un lieu indispensable, malgré l’apparition d’autres espaces d’apprentissage,  mais tous les autres espaces resteront toujours en deçà du rang de l'école ; mais l’école  ne devrait pas les ignorer parce que leur impact  sur les jeunes est  important aujourd'hui, en Tunisie, comme partout ailleurs dans le monde.

§  Qu'il n’ya pas  de place à la nostalgie du passé  en éducation, même si ce passé est glorieux,  parce qu’à chaque génération son école ; et à ce propos,  on se rappelle  une citation  attribuée à Ali ibn Abi Taleb[2], "Ne limiter pas ce que vous  enseigner à vos enfants  à ce que vous avez appris, car  ils sont nés pour un temps différend du votre " ; dire que l’école et l'éducation d’avant étaient meilleures que celles  d’aujourd’hui  ne peut guère être généralisée, la comparaison n’est pas valable parce que les sociétés évoluent et les priorités et les objectifs changent.
§  Qu’aujourd'hui, les progrès des peuples, se mesurent par le niveau de leurs écoles et non par l’abondance de leurs ressources et leurs richesses.

Telles sont  les observations que  j’ai  voulu faire à double titre : premièrement  en tant que citoyen, produit de la première réforme éducative (1958), et deuxièmement en tant qu’acteur dans les deux autres réformes, celle de 1991 et celle de 2002.  Et, c’est peut-être, à ce  deuxième titre, que j’ai voulu  participer au débat,  tout en sachant que la plupart des anciens de l’éducation  ont le plus souvent rompu tout lien  avec l’éducation, et ils ont choisi de ne plus en parler, en dépit de leur expertise et leurs compétences qui les qualifieraient pour étudier et évaluer  le système éducatif   ; au moment où  la scène national est envahi par  des gens qui parlent de l'éducation et jugent l'école , parfois en connaissance de cause,  mais la plupart du temps en ignorant de quoi  ils parlent.


Nous ne nions pas que l'éducation est une affaire  nationale, et que tout citoyen a le droit de connaître la politique éducative de son pays, et de  contribuer à la définition de ses finalités, qui sont d’ordre   politique par excellence ; et c’est  là  le rôle des partis politiques, des organisations nationales compétentes,  loin des enchères  politiciennes et des querelles  de chapelle ;  mais on se demande si ces différentes parties sont prêtes , aujourd'hui,  pour se mettre d’accord  sur un projet national, pour une école qui forme  le citoyen  souhaité et la société de demain? Mais à la lumière des tiraillements  et  des joutes qui marquent la scène politique, nous pensons que la tâche ne sera pas aisée, même si certains pensent le contraire, en avançant  que la  nouvelle Constitution a tranché  les  questions litigieuses ; il nous semble que ce n’est pas tout à fait exact, car la liste des questions litigeuses est encore longue,  et chaque partie a sa propre opinion sur les caractéristiques du futur citoyen.
C’est pour cela que tout le monde devrait savoir que le dialogue autour de l’école, de ses enjeux et de ses problèmes, des préoccupations des enseignants, de l'avenir des élèves et de leurs attentes n’est ni un luxe ni une vaine joute politique.

Aujourd’hui, le progrès et le développement des peuples ne se mesurent plus par les richesses naturelles, mais plutôt  par l’intelligence et par  le développement de l'éducation ; c’est cette dernière  qui constitue  la véritable  richesse, ce fait n'a plus besoin d’être démontré ; aujourd'hui l’investissement  le plus lucratif, est l'investissement  dans l'éducation  et dans la formation des esprits créatifs  qui sont capables contribuer au développement de  la civilisation humaine. Il n’est guère surprenant de voir aujourd’hui la course  effrénée  entre les pays développés pour le développement de l'école, et pour  attirer les talents et  les compétences du monde entier ; aujourd'hui,  la patrie des  grands savants  et des grands  penseurs  est celle qui leur offre le meilleur environnement  pour avancer leurs recherches .
À une époque où les pays développés misent sur les ressources humaines, nous trouvons les pays du tiers monde après l'indépendance, y compris les pays africains, qui cherchent à constituer des armées et à les équiper ; et ils se sont enlisés dans une spirale de coups d'état et guerres qui n’ont entrainé que plus sous-développement et de décadence.
 La Tunisie a heureusement opté pour l’éducation, et les gouvernements en ont fait un choix stratégique pour le développement. Et c’est pour cela que la société tunisienne d’aujourd’hui, 60 années après l'indépendance, et après  l’instauration d’ une école tunisienne moderne, n’accepte pas de voir de jeunes analphabètes fréquentant les centres d'éducation pour adultes,  ou  que ceux qui terminent avec succès leurs études supérieures ne représentent qu’une infime minorité parmi ceux qui  se sont inscrits en première année de l’enseignement de base.  Mais malgré tout ce qui est  consenti par la nation,  et en dépit de tout ce qui a été réalisé, la question  de l’éducation a toujours besoin d’une réflexion  et de réformes :  ceux qui  redoublent, et ceux  qui décrochent et abandonnent les bancs de l’école,  sont trop nombreux  (cent mille par an en 2013 - 2014) ; ceux qui désirent avoir plus de précision sur cette question, ils peuvent  consulter  les statistiques publiées par le ministère  de l’éducation chaque année.
Au final,  cet état  semble nous indiquer  qu’il ya quelque chose dans le fonctionnement de l’école qui a besoin d’être revu ; car aujourd'hui, la mission de notre école n’est plus d’assurer l’éducation pour tous, mais d’assurer une éducation de qualité pour tous ; tel est le défi que l’école tunisienne   ? Pourquoi trouve-elle des difficultés à le relever ? et où est le problème ?

Est-il dans les finalités , les orientations et les objectifs, ou dans la gestion et l'administration, ou dans les programmes et les méthodes, ou dans les équipements et les espaces scolaires , ou dans les ressources humaines, ou dans les apprenants et leurs parents ou dans  tout cela ?

Toute réforme qui ne donnerait pas des réponses aux questions  posées ci-dessus sera vouée à l’échec.

Omar Bennour, Inspecteur général de l'éducation

Traduction : Hédi bouhouch et Mongi Akrout


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Fathi Jarray donnait le signal du démarrage  du dialogue sociétal































[1]   Le dialogue national sur l’éducation a démarré officiellement le 23 avril 2015 par une grande cérémonie sous le haut patronage du chef du gouvernent   ,signalons que la 29 janvier 2015   le ministre de l’éducation Fathi Jarray donnait le signal du démarrage  du dialogue sociétal sur l’éducation sous le thème : la marche éducative continue pour réformer le système éducatif »   ce dialogue devrait  s’étaler sur l’année de 2015 .

 [2] Ali ibn Abi Taleb : quatrième khalife  (v. 600 - 661)

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