Le blog pédagogique poursuit, cette semaine, la publication d’une étude réalisée par Dr. Mustapha Chikh Zaouali qui traite d'une problématique très importante en rapport avec le devenir des innovations pédagogiques en partant de deux cas d'innovations introduites en Tunisie avec la réforme de 2002, à savoir les apprentissages optionnels et la réalisation de projet.(Pour revenir à la 1er partie, cliquer ICI) Cette deuxième partie s'intéresse au cadre théorique et au cadre
pédagogique des deux innovations (apprentissages optionnels et de l’option
« réalisation de projet). Rappelons que Dr. Chikh Zaouali, nous présente dans son étude, ces deux
innovations et leur importance respective dans la formation de l’apprenant et
puis il nous décrit minutieusement leurs dérives et ce qu'il appelle leurs " effets pervers " et nous
explique le pourquoi de l'échec en insistant sur trois facteurs principaux
:Le style unilatéral du ministère, le
faible engagement des enseignants et l'opposition de leur syndicat. Cet
échec était inéluctable, car ces innovations ont été "parachutées",
plusieurs auteurs avaient déjà souligné le destin de ce type de réformes ou
d'innovations pédagogiques, L'Unesco (2019)
dans son " Guide pour
l’élaboration d’une politique enseignante" évoque la danger de la «non-participation des enseignants
aux réformes», en constatant que «les réformes sont trop souvent conçues et
mises en place par les autorités éducatives de manière unilatérale ou avec
une contribution minimale des parties prenantes.
Or
les personnes les plus directement concernées et les plus importantes pour la
réussite des réformes sont les enseignants et leurs représentants. Au mieux,
ces réformes imposées du sommet vers la base ne sont que partiellement
efficaces, parce qu’elles n’ont pas pleinement impliqué les professionnels
qui sont responsables de leur mise en œuvre. Au pire, elles sont parfois si
fortement contestées par les enseignants et leurs représentants qu’elles
échouent totalement.»[2].
Le blog pédagogique tient à remercier Dr. Chikh Zaouali
pour sa confiance en nous autorisant à publier cette étude très intéressante. |
3. Le cadre théorique
Le concept de projet est au cœur de tous les apprentissages optionnels et de la réalisation de projet. . Le terme de "projet” vient du latin
"projiere" et signifie "jeter en avant". On lit dans le
"Petit Dictionnaire de la Langue Française" que le mot projet
signifie "le but que l'on cherche à atteindre, l'idée que l'on se fait de
ce que l'on va faire et des moyens que l'on va utiliser". Le sens plus
général du terme projet d'après le même
dictionnaire est ce qu'on projette de faire à l’avenir".
Le terme «
projet » est apparu pour la première fois au début du XXe siècle aux États-Unis
d'Amérique, dans le cadre des tentatives de règlement des problèmes
d'intégration nés à la suite des grandes vagues d'immigration
vers ce pays. Les tenants de
l'école comportementale en psychologie, ainsi que les théoriciens de
l'éducation et de la pensée pragmatique, comme
John Dewey, ont jeté les bases scientifiques du concept de projet, et on peut dire que « sans le concept
de projet, on ne peut comprendre le pragmatisme" (Boutinet 1993 p.127).[3]
Quant à l'usage contemporain du terme projet, il est «
très répandu de nos jours et englobe toute la vie sociale et tous les domaines
des sciences humaines » (Boutinet 1993 p.270).
Trois raisons peuvent être identifiées qui font que la
sociologie, et toute société moderne se laissant étudier par cette science,
contraintes de s’intéresser au concept de projet, à savoir:
1- La nécessité de s'adapter aux mutations permanentes
de la société postindustrielle.
2- la nécessité de réduire le poids de la domination
bureaucratique générée par les sociétés modernes.
3- Une homogénéité moindre des valeurs de référence
qui modifient le jeu social, ce qui signifie l'absence de consensus sur un
projet sociétal global[4],
car la société moderne est constamment menacée par ce que Durkheim appelait un
état "d'anomie"[5]
(Boutinet 1993 p.143).
Quant à la psychologie, et plus particulièrement dans
la psychologie de l'orientation, on constate que la rédaction de projets donne
un sens au travail scolaire et à la vie en général. L'idée du projet permet à
l’élève qui atteint une certaine étape de son parcours scolaire d'anticiper l'étape suivante et de donner du
sens à son avenir.
Pour clarifier le rapport entre le concept de projet
et le concept d'innovation, nous nous référons à l'une des
expressions utilisées fréquemment en
sociologie de l'action –qui est une
spécialité qui accorde une attention particulière à ce sujet - la sociologie de l'action considère le
projet comme la force créatrice
d'une façon permanente de l'innovation chez les individus et les groupes. Dès lors, il
n'est pas étonnant que l'idée de projet soit présente dans toutes les
innovations institutionnelles. Françoise Cros évoque le phénomène de
remplacement de la notion de l'innovation
par la notion de projet, on parle alors parfois de « projet d'innovation
» (Cross1994, p.529). Dans cette optique, toutes les innovations initiées par
le ministère de l'Éducation en Tunisie sont des "projets d'innovation
", y compris ceux axés directement sur l'idée de "projet".
4. Le cadre pédagogique :
Nous le verrons avec les documents pédagogiques de
référence relatifs à la réalisation de projet et aux apprentissages
optionnels. Nous allons
extraire les points de similitude et les points de divergence en revenant aux
deux dernières éditions des documents pédagogiques
Nous entamons la comparaison avec le tableau N°1 qui
présente les différences entre les deux innovations:
Tableau N° 1 : Les différences entre la réalisation de
projet et les apprentissages optionnels
La réalisation de projet |
Les apprentissages optionnels |
|
Leur nombre est très réduit. C'est l'élève qui
choisit la réalisation de projet en tant que matière optionnelle au début de
la 3ème année secondaire et la
poursuit en 4ème année. L'option est entrée en vigueur en 2006 avec 1042
élèves inscrits en 3ème. |
L'expérimentation a été lancée auprès de l'ensemble
des élèves de 8e durant l'année scolaire 2003-2004, puis aux élèves de 9e et
de 1ère année secondaire les années suivantes. (plus d'un quart de million chaque année) |
Bénéficiaires |
Le document pédagogique n'a pas précisé le nombre
d'élèves par groupe |
Chaque groupe est composé de 15 à 20 élèves, chaque
groupe est subdivisé en équipes de 5 élèves, chacune d'entre elles travaille
sur une composante du projet et participe avec les autres à l'évaluation du
produit final. |
Répartition des élèves |
Un seul enseignant / 2h/semaine, l’enseignant doit
faire en sorte qu'il y ait une interdisciplinarité |
Deux enseignants/2hpar semaine à condition que les
deux matières enseignées se complètent. |
L'animation |
Tous les
domaines du savoir sans restrictions |
5 domaines : l'arabe, sciences naturelles,
techniques et métiers, art et humanité, science et technologie. |
Les domaines |
Préparer l'élève à s'habituer aux activités de la
recherche scientifique qu'il sera appelé à entreprendre au cours des études
supérieures |
Doter l'élève des moyens de réussir son orientation
scolaire en l'initiant aux choix par la découverte des différents parcours de
formation qui lui ouvrent des horizons sur les métiers qui pourraient
l'attirer plus tard. |
Les objectifs spécifiques |
Quant aux points de convergences et de similitudes
entre les deux innovations, ils se manifestent dans leurs éléments pédagogiques
essentiels, qu'on peut résumer ci-dessous:
On note l'existence de 4 objectifs communs aux deux
parmi les 5 objectifs généraux qu’on trouve à la page 6 des deux documents
pédagogiques, à savoir :
-
Développer
l'esprit d'initiative chez l'élève…
-
L'initier
à chercher l'information…
-
Approfondir
la formation de l'élève dans un des domaines du savoir de son choix,
-
Gérer
positivement les différences entre les élèves.
Viennent
ensuite dans le même ordre dans les 2 documents les compétences transversales
visées qui sont au nombre de huit (8), il s'agit (d') :
-
Réaliser
par l'apprenant un projet,
-
Adopter
une méthode de travail efficace,
-
Exploiter
les données,
-
S’exprimer
avec les moyens adéquats pour communiquer,
-
Utiliser
les nouvelles technologies,
-
Résoudre
les problèmes,
-
Exploiter
la communication pour vivre et travailler avec les autres.
-
Pratiquer
l'esprit critique
Quant
aux approches qui devraient aider à développer les compétences et les capacités
citées plus haut, elles sont :
- l'interdisciplinarité,
-
L'utilisation des TIC,
-
Le travail de groupe,
-
L'ouverture sur l'environnement,
-
La démarche expérimentale,
-
La gestion positive des différences entre les élèves (la pédagogie
différenciée).
La
réalisation du projet passe par les étapes suivantes :
Premièrement
: la préparation (choix du projet, définir les ressources nécessaires,
organisation du travail, déterminer les difficultés possibles).
Deuxièmement
: la réalisation (la recherche des sources des informations, le choix et
la classification des plus pertinentes d'entre elles, l'étude de ces sources et
les partager avec les membres du groupe, engager une concertation pour choisir les sources qui
sont utiles pour le projet et la coordination entre les différentes contributions).
Troisièmement
: l'évaluation (évaluation du travail des membres individuellement et du
groupe en entier pendant la réalisation ainsi que l’évaluation du produit
final.)
La
séance de réalisation d’un projet n'est pas une leçon classique et conventionnelle
où l’enseignant présente un contenu prêt en rapport avec une discipline
particulière faisant partie d'un programme prédéfini, mais ce dernier encadre
et fait le suivi de ce que réalisent les élèves afin de les amener à mobiliser
des acquis précédents et à utiliser des capacités qu'ils ont acquises dans les
différents cours.
Le
tableau N° 2 résume le rôle de l'élève et celui de l’enseignant tels qu'ils
sont définis dans les pages 8,9et 10 du document pédagogique de la réalisation
du projet et dans les pages 28, 29,31 et 32 des apprentissages optionnels.
Tableau N°2 : Le rôle de l'élève et le rôle de
l’enseignant au cours de la réalisation du projet
Le rôle de l’enseignant |
Le rôle de l'élève |
Les étapes |
Participe à l'organisation du travail |
Participe au choix de l'activité |
Avant la réalisation |
Accompagne les élèves dans leurs travaux |
Cherche et exploite l'information |
Au cours de la réalisation |
Encourage les élèves dans leurs travaux |
Conçoit des solutions pour les problèmes rencontrés |
|
Participe à l'évaluation intermédiaire |
Coopère avec ses pairs |
|
Corrige les parcours et des relations en cas de
besoin |
Participe à l'évaluation de son travail |
|
Participe à l'évaluation du produit final |
Participe à l'évaluation de son travail |
Après la réalisation |
En résumé, l'option
de réalisation d’un projet - ainsi que « les apprentissages
optionnels » - ne sont pas de
simples innovations pédagogiques, mais plutôt des innovations très complexes,
car elles comportent à la fois des innovations nombreuses et intensives. L'enseignement selon
l'approche du projet nécessite de passer de la logique d'une discipline fermée sur elle-même à une interconnexion
entre plusieurs disciplines à la fois et à une complémentarité entre elles dont
l'élève aurait besoin pour réaliser son projet. Cet enseignement nécessite
également le recours à de nouvelles méthodes d'animation et de nouvelles
démarches pédagogiques non conventionnelles dans le modèle traditionnel
dominant, et appelle, en particulier, l'emploi des technologies de
l'information et de la communication dans l'apprentissage.
Fin de la deuxième partie, à suivre, pour revenir à la 1er
partie, cliquer ici.
Dr. Mustapha Chikh Zaouali, Conseiller général en information
et en orientation scolaire et universitaire.
Traduction Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation
Pour accéder à la version arabe, cliquer Ici
[1]Cette étude a été publiée en langue arabe dans la
revue «"Al
Hayat Athaqafia"
(la vie culturelle) n°264 – octobre 2015.Revue du ministère des affaires culturelles -Tunisie
[2] Guide pour l’élaboration d’une
politique enseignante. UNESCO 2019
https://www.open.edu/openlearncreate/mod/oucontent/view.php?id=165476§ion=1.3
[3]Le projet est un concept sans lequel le pragmatisme est
inintelligible. Le pragmatisme est un
courant qui prend en compte la valeur
scientifique des choses comme un indicateur de la vérité, parmi ses
principes aussi le changement permanent et la relativité des valeurs.
[4]Communiste, laïc, chrétien, musulman…
[5]Anomie: absence d'organisation sociale
résultant de l'absence de normes communes dans une société.qui régissent les
comportements
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