Nous entamons cette semaine la partie consacrée aux
réformes éducatives de la Tunisie indépendante et nous commençons par la période ( 1955-58) qui fut une étape transitoire entre un système scolaire mise en place par le
régime du protectorat et le système scolaire national avec la réforme de 1958.
1.
Le contexte général
La période qui s’étend entre la
proclamation l’autonomie interne (1° juin 1955 ) et la parution de la première loi sur l’éducation le 4
novembre 1958, était une période transitoire qui fut marquée par plusieurs événements , dont :
-
Le retour des chefs du mouvement national et la
manifestation d’un schisme entre deux
clans ; le camp des partisans de Salah ben Youssef qui étaient opposés à l’autonomie
interne qui représente d’après eux[1] « un pas en arrière
et une trahison », et appellent à
la poursuite de la lutte armée, et reprochent à Bourguiba son penchant pour
l’occident. Ce clan a refusé de participer au congrès du parti du Néo- Destour qui s’est tenu à Sfax, et a considéré que l’exclusion de leur chef du
bureau national est une décision nulle et illégale. Le différent s’est terminé par
l’exil personnel de Salah Ben Youssef, en janvier 1956.
-
Le départ massif des Français, des européens et d’un nombre
importants de juifs ; seuls quelques milliers ont décidé de rester au pays,
alors qu’on dénombrait, en février 1956,
plus de 255300 dont 180000 français, 67000 italiens et 58000 israélites.
-
L’élection de conseil constitutionnel le 25 mars 1956.
-
La promulgation du code du statut personnel (13 août 1956) qui contribua à l’émancipation de
la femme tunisienne et abolit la
polygamie[2] .
-
Habib Bourguiba est nommé président du gouvernement,
après la démission du gouvernement présidé par Tahar Ben Ammar le 19 avril 1956 .
-
L’abolition du
régime royal et la proclamation de la république le 25 juillet 1957 .
1.
L’état du
paysage éducatif
Le paysage éducatif était caractérisé par la
coexistence de plusieurs systèmes dont certains remontent à l’époque pré-coloniale ;
en effet, on trouvait en Tunisie :
§ L’enseignement Zitounien, assuré par la grande mosquée Azzaitouna et
ses annexes, qui a connu une évolution
depuis le règne d’Ahmed Bey, qui s’est poursuivie sous le régime du protectorat. Des réformes successives avaient
touché les programmes, les méthodes d’enseignement et le système des examens,
et elles ont permis d’introduire les
« sciences profanes » à coté des sciences religieuses.
§ Le réseau des écoles coraniques modernes
qui utilisent la langue arabe pour l’enseignement et enseignent le français en
tant que langue étrangère ; ces écoles avaient, elles aussi, connu
quelques réformes, comme la prise en charge des salaires des enseignants par l’état,
l’intensification de l’inspection pédagogique …
§ Le réseau des écoles et des lycées publics français : il s’agit
d’établissements fréquentés essentiellement par les enfants des français et des européens et par une faible
minorité de Tunisiens ; ils utilisent le français comme langue
d’enseignement, et appliquent les programmes français.
§ Le réseau des écoles et des lycées
destinés aux enfants tunisiens dont les écoles franco -arabes conçues et
mises en place par le directeur de
l’instruction publique, Machuel. Ces
écoles adoptent le bilinguisme avec une
suprématie de la langue française ; et dont les collèges d’enseignement technique et
professionnel …
§ Le réseau des écoles libres dont les
écoles gérées par les congrégations religieuses ou les communautés étrangères (
italiens , maltais ) et la communauté israélite.
2. Les
principales mesures de la période transitoire
En dépit de la courte durée de la
période transitoire , le nouveau ministère de l’instruction publique, créé
en 1955, a connu deux ministres ;
le premier fut Jallouli Farès ( 17
septembre 1955 - 14 avril 1956 ) , le
second fut Mohamed Lamine Chebbi ( 15 avril 1956 - 6 mai 1958) ; ces deux
ministres ont maintenu le statut quo , les différents réseaux ont continué à
fonctionner comme avant , tout en tunisifiant l’administration, [3] et en promulguant quelques
réformes dont :
a.
La nationalisation des écoles coraniques modernes : en 1956 , un décret beylical[4] précisa que ces
écoles « seront nationalisées » ( art 1) …
le mobilier et le matériel existant dans tous les locaux nationalisés
constitués Habous - ainsi que ceux construits par les collectivités …les
établissements appartenant à des particuliers pourraient faire l’objet de dons
au bénéfice de l’état ou cédés sous
forme locative au Ministère de l’éducation nationale » ; le décret de
nationalisation précise que
« l’enseignement …, les horaires, programmes, règlement scolaire, congés
et vacances scolaires en vigueur dans les établissements scolaires de l’Etat
seront étendus aux écoles coraniques nationalisées » (art 3) . Enfin la
gratuité de l’enseignement dans ces écoles fut décidée par le même texte.
b.
La tunisification du certificat de fin d’études
primaires[5] en avril 1956 , et ceci à titre
transitoire ; le décret du 26 Avril 1956[6], qui a institué l’examen
de fin d’études primaires, a précisé qu’ « en attendant la refonte
des programmes d'enseignement en Tunisie, et à titre transitoire , Les
études primaires seront sanctionnées par un examen de fin d’études ,donnant lieu
,en cas de succès ,à la délivrance d’un
diplôme dit : certificat de fin des études primaires .
Ce certificat
comportera les trois types suivants :
type A
réservé aux candidats issus des
classes où l’enseignement est donné dans
les deux langues (arabe et français)
Le type B
réservé aux candidates issues des
écoles des filles musulmanes.
Le type C
réservé aux candidats issus des
classes où l’enseignement est donné
uniquement en langue française. »
- La tunisification du certificat d’aptitude à
l’enseignement primaire (Août 1956), il s’agit d’un certificat qui
permet de titulariser les maîtres et les maîtresses, ces derniers
appartenaient à trois catégories
qui sont la catégorie A qui
regroupe les maîtres et les maîtresses intérimaires bilingues, la
catégorie B qui regroupe les maîtres et les maîtresses intérimaires
unilingues d’arabe et la catégorie C qui regroupe les maîtres et les
maîtresses de français[7].
d.
La réforme de l’enseignement de la
grande mosquée
L’année 1956 fut marquée par une série
de mesures qui avaient concerné l’enseignement zaitounien avec la
publication de trois décrets[8] portant modernisation et réorganisation de
l’enseignement Zitounien ; ces différents décrets avaient entraîné plusieurs importants changements, dont :
§ Le passage de l’enseignement zitounien « sous
la tutelle du ministère de l’éducation
nationale, directement », qui nomme le Cheikh recteur de l’université
de la Zitouna - (Mohamed Tahar Ben Achour[9] fut le premier recteur de
la nouvelle université)- et les directeurs des annexes de la grande mosquée.
§ La mise en place d’une nouvelle organisation
de l’enseignement zitounien : « l’enseignement dispensée par la grande mosquée et ses
annexes est réparti en un enseignement
supérieur et en un enseignement secondaire ; ce dernier comporte 2 cycles ( 1 et
2ème cycle) ; chaque
cycle comporte 3 sections qui sont la section
psalmodies, la section El Ouloum et la section moderne .
L’enseignement secondaire est assuré par
les annexes de la grande mosquée qui sont érigés en établissements secondaires ( 1 et 2ème cycle) .
Quant à l’enseignement supérieur, il est
assuré par l’université Az-zaytûna et comporte 5 sections qui sont : la section
Psalmodies, la section théologie, la section juridique, la section littéraire
et la section philologie qui prépare
deux licences[10] : une licence ( El Alamia )de langue et de littérature arabe, et une licence es sciences charaïques et
psalmodies .
§ La fixation des diplômes de
l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur.
Le décret de mars 1956 a établi la liste complète des diplômes qui
sanctionnaient l’enseignement Zitounien de la façon suivante :
-
Le premier cycle de l’enseignement secondaire est
sanctionné par le diplôme El Ahlia dans trois sections ( la section sciences ou Ouloum , la section
Psalmodies et la section moderne) ;
-
Le deuxième cycle de l’enseignement prépare au diplôme
Et- Tahcil dans les sections psalmodies et Oloum, la première partie Et Tahcil
( section moderne) et la deuxième
partie du diplôme Et Tahcil ( section moderne philosophie et la section
moderne mention mathématiques).
-
Pour l’enseignement supérieur : selon le décret
de Mars 1956, les études de l’université de la Zitounan sont sanctionnées par le diplôme Al
Alimia dans 5 spécialités ( Psalmodies,
théologie, juridique, littéraires et philologie)[11], mais le décret d’avril
1956 a limité le nombre de spécialités à deux en fusionnant certaines
spécialités, pour donner une licence de langue et de littérature arabes et une
licence de sciences charaïques et psalmodies.[12]
§ L’adoption d’un nouveau régime de congé
( décret du 15 avril 1956) aligné sur le calendrier des école publiques et caractérisé
par l’allongement des grandes vacances ou congé de l’été ( du 30 juin au 30 septembre), et la
programmation des vacances d’hiver et du printemps de 11 jours chacune ; en contre partie, le
congé au cours du mois de Ramadan est supprimé
e.
La création de quelques institutions d’enseignement
supérieur comme l’école normale supérieure[13] pour former les futurs
enseignants pour l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur ou l’école nationale d’administration,
l’institut supérieur de la magistrature , le centre
d’études économiques et l’ institut des beaux arts
f.
L’institution d’un baccalauréat tunisien
En 1957, un décret du premier ministre
président du conseil institua le baccalauréat tunisien[14].
Conclusion
Au cours de la période transitoire, les
efforts du jeune gouvernement s’étaient orientés vers la réorganisation de
système d’enseignement tunisien existant, en essayant de le moderniser, soit
par la nationalisation des écoles coraniques modernes dans un premier temps,
puis par la réorganisation de l’enseignement secondaire et supérieur zitounien, en les mettant sous tutelle du
secrétariat de l’éducation nationale, après avoir été durant longtemps sous la
tutelle du premier ministère directement ; on peut dire que la grande
réalisation de la période transitoire fut la nationalisation de l’enseignement
classique qui était un enseignement privé et payant et qui est devenu un
enseignement public , gratuit et géré par l’état.
A coté de cela, le gouvernement tunisien
a choisi de garantir la poursuite du bon fonctionnement du système scolaire
moderne mise en place à l’époque du protectorat , mais dans un
nouveau cadre jurdique national .Enfin, des efforts furent entrepris
pour mettre en place un noyau d’enseignement supérieur ( création de
l’université Az-zaytûna et de quelques
instituts d’enseignement supérieurs ).
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout ,
Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, octobre 2014
Articles publiés par le blog pédagogique sur le même thème
Bennour, A. « A propos de le réforme éducative : les
références juridiques : première partie ». ; Blog pédagogique
Bennour, A : « A propos de le réforme éducative :les références de la réforme scolaire : deuxième partie » ; Blog pédagogique
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/11/histoire-des-reformes-educatives-en.html#more
Bouhouch et Akrout . Rapport de la commission sur l’enseignement
secondaire[1] L’Action 18-9-1967, ; Blog pédagogique
Jerbi,A. La politique éducative ou quelle politique
éducative pour quelle réforme de l'éducation?
Boukhari . O. la gouvernance du système éducatif tunisien
Bennour, A : Les références de la réforme scolaire :
Deuxième partie
Bouhouch et Akrout. Histoiredes réformes éducatives en Tunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours :les réformes de la période précoloniale (1ère partie) . Blog pédagogique
Bouhouch et Akrout.Histoire des réformes éducatives enTunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours : les réformes de la période précoloniale(2ème partie) ; Blog pédagogique
Bouhouch et Akrout. Histoire des réformes scolaires : les réformes à l’époque du protectorat :première partie : Les réformes l’enseignement Zitounien; Blog pédagogique.
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/11/histoire-des-reformes-scolaires-les.html#more
Bouhouch et Akrout. Histoire des reformes scolaires : les réformes à l’époque du protectorat : Deuxième partie : La mise en place d’un enseignement public moderne ; Blog pédagogique .
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/12/histoire-des-reformes-scolaires-les.html
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/12/histoire-des-reformes-scolaires-les_14.html
[1] « Salah Ben Youssef,
secrétaire général du Néo-Destour, s’était opposé à la signature des
conventions franco-tunisiennes préconisant une indépendance obtenue
pacifiquement «à travers des étapes, avec l’aide de la France et sous son
égide». Une position sur laquelle Ben Youssef a campé même après les
«concessions» des autorités coloniales après l’éclatement de la révolution
algérienne. «Nous étions sûrs que les conventions de l’autonomie interne
étaient un pas en arrière», a indiqué M. Triki. Le secrétaire général du
Néo-Destour a réaffirmé, lors d’un discours qu’il a prononcé à l’époque à la
mosquée «Ezzitouna», son attachement à l’indépendance totale » .Témoignage du militant
Hassine Triki , «Les conventions de l’autonomie interne : séminaire de la
mémoire nationale : Origine et évolution de l’opposition», Fondation
Témimi http://www.tunisia-today.com/archives/30521
[3] Nomination Mohamed Abed
Mzali comme d’un secrétaire
général du ministère, inspecteur général
de l’instruction publique , Ahmed Bakir, directeur de l’enseignement
primaire , Mahmoud Messadi , directeur de l’enseignement secondaire et Ali
Zaououi directeur de l’enseignement technique.
[4] Décret du 22 février 1956 ( jort du 27 novembre 1956) qui a modifié le
décret du 15 octobre 1953 relatif au statut des écoles coraniques modernes .
[6] Décret du bey Mohamed Lamine bey du 26 avril 1956 portant institution d’un examen de fin
d’études primaires ; Jort n°34 – 74 année ; daté du 27 avril 1956.
[7] Décret du premier ministre, président du
conseil du 31 Août 1956 instituant un nouvel examen dit « certificat d’aptitude à
l’enseignement primaire »
[8] Décret
du 26 avril 1956 portant réorganisation de l’enseignement zitounien, jort n° 34 du 27 avril 1956 et décret du 29 mars 1956 relatif à la
modernisation de l’enseignement de la grande mosquée et de ses annexes, et le
décret du 15 mars 1956 modifiant le décret du « à mars 1933
relatif à la réorganisation de la grande mosquée az- zitouna
et ses annexes
[10] Le
décret du 29 mars 1956 relatif à la modernisation de l’enseignement de la
grande mosquée et de ses annexes parle de 5 licences : une par section ( al
alimia)
[11] Le décret du 29 mars 1956 relatif à la modernisation de
l’enseignement de la grande mosquée et de ses annexes parle de 5
licences : une par section ( El alimia section psalmodies, section
théologie, section juridique, section littéraire, section philologie)
[13] Décret
101 -1958 du 13 décembre 1958 , jort n° 74 du 16 décembre 1958 , mais l’école
fonctionnait depuis 1956.
[14] Décret du premier ministre, président
du conseil du 17 avril 1957, instituant
un nouvel examen dit «
Baccalauréat de l’enseignement
secondaire, jort n° 32 du 19 avril 1957
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