lundi 21 décembre 2015

Les réformes scolaires depuis l’indépendance 1ère partie : les réformes de la période transitoire 1955 - 1958


Nous entamons cette semaine la partie consacrée aux réformes éducatives de la Tunisie indépendante et nous commençons par la période ( 1955-58) qui fut une étape transitoire  entre un système scolaire mise en place par le régime du protectorat et le système scolaire national  avec la réforme de 1958.

1.    Le contexte général
La période qui s’étend entre la proclamation l’autonomie interne (1° juin 1955 ) et la parution  de la première loi sur l’éducation le 4 novembre 1958, était une période transitoire qui fut marquée par plusieurs événements , dont :
-         Le retour des chefs du mouvement national et la manifestation d’un  schisme entre deux clans ; le camp des partisans de Salah ben Youssef qui étaient opposés à l’autonomie interne qui représente d’après eux[1] «  un pas en arrière et une trahison   », et appellent à la poursuite de la lutte armée, et reprochent à Bourguiba son penchant pour l’occident. Ce clan a refusé de participer au congrès du parti  du Néo- Destour qui s’est tenu à Sfax,  et a considéré que l’exclusion de leur chef du bureau national  est une décision nulle  et illégale. Le différent s’est terminé par l’exil personnel de Salah Ben Youssef, en janvier 1956.   
-         Le départ massif  des Français, des européens et d’un nombre importants de juifs ; seuls quelques milliers ont décidé de rester au pays, alors qu’on dénombrait, en février 1956,  plus de 255300 dont 180000 français, 67000 italiens et 58000 israélites.
-         L’élection de conseil constitutionnel  le 25 mars 1956.
-         La promulgation du code du statut personnel (13 août 1956) qui  contribua à l’émancipation de la femme tunisienne  et abolit la polygamie[2] .
-         Habib Bourguiba est nommé président du gouvernement, après la démission du gouvernement présidé par Tahar Ben Ammar le 19 avril 1956 .
-          L’abolition du régime royal et la proclamation de la république  le 25 juillet 1957 .

1.    L’état du  paysage éducatif
 Le paysage éducatif était caractérisé par la coexistence  de plusieurs systèmes  dont certains remontent à l’époque pré-coloniale ; en effet, on trouvait en Tunisie :
§  L’enseignement Zitounien,  assuré par la grande mosquée Azzaitouna et ses annexes,  qui a connu une évolution depuis le règne d’Ahmed Bey, qui s’est poursuivie sous le régime du  protectorat. Des réformes successives avaient touché les programmes, les méthodes d’enseignement et le système des examens, et  elles ont permis d’introduire les « sciences profanes » à coté des sciences religieuses.  
§  Le réseau des écoles coraniques modernes qui utilisent la langue arabe pour l’enseignement et enseignent le français en tant que langue étrangère ; ces écoles avaient, elles aussi, connu quelques réformes, comme la prise en charge des salaires des enseignants par l’état, l’intensification de l’inspection pédagogique …
§  Le réseau des écoles et des lycées  publics français : il s’agit d’établissements fréquentés essentiellement par les enfants des  français et des européens et par une faible minorité de Tunisiens ; ils utilisent le français comme langue d’enseignement, et appliquent les programmes français.
§  Le réseau des écoles et des lycées destinés aux enfants tunisiens  dont les écoles franco -arabes conçues et mises en place par  le directeur de l’instruction publique, Machuel.  Ces écoles adoptent le bilinguisme  avec une suprématie de la langue française ; et dont les collèges d’enseignement technique et  professionnel …
§  Le réseau des écoles libres dont les écoles gérées par les congrégations religieuses ou les communautés étrangères ( italiens , maltais ) et la communauté israélite.
   
2.    Les principales mesures de la période transitoire
En dépit de la courte durée de la période transitoire , le nouveau ministère de l’instruction publique,  créé en 1955,  a connu deux ministres ; le premier fut Jallouli Farès  ( 17 septembre 1955 - 14 avril 1956 )  , le second fut Mohamed Lamine Chebbi ( 15 avril 1956 - 6 mai 1958) ; ces deux ministres ont maintenu le statut quo , les différents réseaux ont continué à fonctionner comme avant , tout en tunisifiant l’administration, [3] et en promulguant quelques réformes dont :

a.     La nationalisation des écoles coraniques modernes : en 1956 , un décret beylical[4] précisa que ces écoles   « seront nationalisées » ( art 1) …  le mobilier et le matériel existant dans tous les locaux nationalisés constitués Habous - ainsi que ceux construits par les collectivités …les établissements appartenant à des particuliers pourraient faire l’objet de dons au bénéfice  de l’état ou cédés sous forme locative au Ministère de l’éducation nationale » ; le décret de nationalisation précise  que « l’enseignement …, les horaires, programmes, règlement scolaire, congés et vacances scolaires en vigueur dans les établissements scolaires de l’Etat seront étendus aux écoles coraniques nationalisées » (art 3) . Enfin la gratuité de l’enseignement dans ces écoles fut décidée par le même texte.
b.    La tunisification du certificat de fin d’études primaires[5] en avril 1956 , et ceci à titre transitoire ; le décret du 26 Avril 1956[6], qui a institué  l’examen  de fin d’études  primaires,  a précisé qu’ « en attendant  la refonte  des programmes d'enseignement en Tunisie, et à titre transitoire , Les études primaires  seront sanctionnées  par un examen de fin d’études ,donnant lieu ,en cas de succès ,à la délivrance   d’un diplôme dit :  certificat de fin des études primaires . 
 Ce certificat comportera les trois types suivants :
   type A  réservé  aux candidats issus des classes où l’enseignement  est donné dans les deux langues (arabe et français)
   Le type B  réservé  aux candidates issues des écoles des filles musulmanes.
   Le type C  réservé  aux candidats issus des classes où l’enseignement  est donné uniquement en langue française. »
  1. La tunisification du certificat d’aptitude à l’enseignement primaire (Août 1956), il s’agit d’un certificat qui permet de titulariser les maîtres et les maîtresses, ces derniers appartenaient à trois catégories  qui sont la catégorie A  qui regroupe les maîtres et les maîtresses intérimaires bilingues, la catégorie B qui regroupe les maîtres et les maîtresses intérimaires unilingues d’arabe et la catégorie C qui regroupe les maîtres et les maîtresses de français[7].
d.    La réforme de l’enseignement de la grande mosquée
L’année 1956 fut marquée par une série de mesures qui avaient concerné l’enseignement zaitounien avec la publication de trois décrets[8] portant  modernisation et réorganisation de l’enseignement Zitounien ; ces différents  décrets  avaient entraîné plusieurs  importants changements, dont :
§  Le passage de l’enseignement zitounien « sous  la tutelle du ministère de l’éducation nationale, directement », qui nomme le Cheikh recteur de l’université de la Zitouna - (Mohamed Tahar Ben Achour[9] fut le premier recteur de la nouvelle université)- et les directeurs des annexes de la grande mosquée.
§  La mise en place d’une nouvelle organisation de l’enseignement zitounien :  « l’enseignement  dispensée par la grande mosquée et ses annexes est réparti en  un enseignement supérieur et en un enseignement secondaire ;    ce dernier comporte 2 cycles  ( 1  et 2ème cycle) ;  chaque cycle comporte 3 sections  qui sont  la section  psalmodies, la section El Ouloum et la section moderne .
L’enseignement secondaire est assuré par  les annexes de la grande mosquée qui sont  érigés en établissements secondaires ( 1  et 2ème cycle)  .
Quant à l’enseignement supérieur, il est assuré par l’université Az-zaytûna et comporte 5  sections qui sont : la section Psalmodies, la section théologie, la section juridique, la section littéraire et la section philologie   qui prépare deux licences[10] : une licence  ( El Alamia )de langue et de littérature arabe,  et une licence es sciences charaïques et psalmodies .
§  La fixation des diplômes de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur.
Le décret de mars 1956  a établi la liste complète des diplômes qui sanctionnaient l’enseignement Zitounien  de la façon suivante :
-         Le premier cycle de l’enseignement secondaire est sanctionné par le diplôme El Ahlia dans trois sections  ( la section sciences ou Ouloum , la section Psalmodies et la section moderne) ;
-         Le deuxième cycle de l’enseignement prépare au diplôme Et- Tahcil dans les sections psalmodies et Oloum, la première partie Et  Tahcil  ( section moderne)  et la deuxième partie du diplôme Et  Tahcil  ( section moderne philosophie et la section moderne mention mathématiques).
-         Pour l’enseignement supérieur : selon le décret de Mars 1956, les études de l’université de la Zitounan  sont sanctionnées par le diplôme Al Alimia  dans 5 spécialités ( Psalmodies, théologie, juridique, littéraires et philologie)[11], mais le décret d’avril 1956 a limité le nombre de spécialités à deux en fusionnant certaines spécialités, pour donner une licence de langue et de littérature arabes et une licence de sciences charaïques et psalmodies.[12]
  
§  L’adoption d’un nouveau régime de congé ( décret du 15 avril 1956) aligné sur le calendrier des école publiques et caractérisé par l’allongement des grandes vacances ou congé de l’été (  du 30 juin au 30 septembre), et la programmation des vacances d’hiver et du printemps de  11 jours chacune ; en contre partie, le congé au cours du mois de Ramadan est supprimé

e.     La création  de quelques institutions d’enseignement supérieur  comme l’école normale supérieure[13] pour former les futurs enseignants pour l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur ou l’école nationale d’administration, l’institut supérieur de la magistrature  , le  centre d’études économiques et l’ institut des beaux arts
f.      L’institution d’un baccalauréat tunisien
En 1957, un décret du premier ministre président du conseil institua le baccalauréat tunisien[14]
Conclusion
Au cours de la période transitoire, les efforts du jeune gouvernement s’étaient orientés vers la réorganisation de système d’enseignement tunisien existant, en essayant de le moderniser, soit par la nationalisation des écoles coraniques modernes dans un premier temps, puis par la réorganisation de l’enseignement secondaire et supérieur  zitounien, en les mettant sous tutelle du secrétariat de l’éducation nationale, après avoir été durant longtemps sous la tutelle du premier ministère directement ; on peut dire que la grande réalisation de la période transitoire fut la nationalisation de l’enseignement classique qui était un enseignement privé et payant et qui est devenu un enseignement public , gratuit et géré par l’état.
A coté de cela, le gouvernement tunisien a choisi de garantir la poursuite du bon fonctionnement du système scolaire moderne mise en place à l’époque du protectorat ,  mais dans un  nouveau cadre jurdique national .Enfin, des efforts furent entrepris pour mettre en place un noyau d’enseignement supérieur ( création de l’université Az-zaytûna  et de quelques instituts d’enseignement supérieurs ).

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, octobre 2014


Articles publiés par le blog pédagogique sur le même thème
Bennour, A.  « A propos de le réforme éducative : les références juridiques : première partie ». ; Blog pédagogique

Bennour, A :  « A propos de le réforme éducative :les références de la réforme scolaire : deuxième partie » ; Blog pédagogique 

http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/11/histoire-des-reformes-educatives-en.html#more
Bouhouch et Akrout . Rapport de la commission sur l’enseignement secondaire[1] L’Action 18-9-1967, ; Blog pédagogique

Jerbi,A.  La politique éducative ou quelle politique éducative pour quelle réforme de l'éducation?
Boukhari . O.  la gouvernance du système éducatif tunisien
Bennour, A :  Les références de la réforme scolaire : Deuxième partie

Bouhouch et Akrout.  Histoiredes réformes éducatives en Tunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours :les réformes de la période précoloniale (1ère partie) . Blog pédagogique


Bouhouch et Akrout.Histoire des réformes éducatives enTunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours : les réformes de la période précoloniale(2ème partie) ; Blog pédagogique


Bouhouch et Akrout. Histoire des réformes scolaires : les réformes à l’époque du protectorat :première partie : Les réformes l’enseignement Zitounien; Blog pédagogique.

http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/11/histoire-des-reformes-scolaires-les.html#more

Bouhouch et Akrout. Histoire des reformes scolaires : les réformes à l’époque du protectorat : Deuxième partie : La mise en place d’un enseignement public moderne ; Blog pédagogique .

http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/12/histoire-des-reformes-scolaires-les.html
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/12/histoire-des-reformes-scolaires-les_14.html







[1] « Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, s’était opposé à la signature des conventions franco-tunisiennes préconisant une indépendance obtenue pacifiquement «à travers des étapes, avec l’aide de la France et sous son égide». Une position sur laquelle Ben Youssef a campé même après les «concessions» des autorités coloniales après l’éclatement de la révolution algérienne. «Nous étions sûrs que les conventions de l’autonomie interne étaient un pas en arrière», a indiqué M. Triki. Le secrétaire général du Néo-Destour a réaffirmé, lors d’un discours qu’il a prononcé à l’époque à la mosquée «Ezzitouna», son attachement à l’indépendance totale » .Témoignage du  militant Hassine Triki , «Les conventions de l’autonomie interne : séminaire de la mémoire nationale :  Origine et évolution de l’opposition», Fondation Témimi  http://www.tunisia-today.com/archives/30521

[2] Jort n° 66 du 17 aout 1956 le code du statut personnel.
[3] Nomination Mohamed Abed Mzali   comme d’un secrétaire général  du ministère, inspecteur général de l’instruction publique , Ahmed Bakir, directeur de l’enseignement primaire , Mahmoud Messadi , directeur de l’enseignement secondaire et Ali Zaououi directeur de l’enseignement technique.
[4] Décret du 22 février 1956  ( jort du 27 novembre 1956) qui a modifié le décret du 15 octobre 1953 relatif au statut des écoles coraniques modernes .
[5] Blog pédagogique : Certificat de fin d’études primaires .
[6] Décret du bey Mohamed Lamine bey du 26 avril  1956 portant institution d’un examen de fin d’études primaires ; Jort n°34 – 74 année ; daté du 27 avril 1956.
[7]  Décret du premier ministre, président du conseil du 31 Août 1956 instituant un nouvel examen dit  «  certificat d’aptitude à l’enseignement primaire »
[8] Décret du 26 avril 1956 portant réorganisation de l’enseignement  zitounien, jort n° 34  du 27 avril 1956  et décret du 29 mars 1956 relatif à la modernisation de l’enseignement de la grande mosquée et de ses annexes, et le décret du  15 mars 1956    modifiant le décret du « à mars 1933 relatif à la réorganisation de la grande mosquée az-  zitouna  et ses annexes
[9] Le décret du 26 AVRIL  1956
[10] Le décret du 29 mars 1956 relatif à la modernisation de l’enseignement de la grande mosquée et de ses annexes parle de 5 licences : une par section ( al alimia)
[11] Le décret du 29 mars 1956 relatif à la modernisation de l’enseignement de la grande mosquée et de ses annexes parle de 5 licences : une par section ( El alimia section psalmodies, section théologie, section juridique, section littéraire, section philologie)
[12] le décret d’avril 1956  
[13] Décret 101 -1958 du 13 décembre 1958 , jort n° 74 du 16 décembre 1958 , mais l’école fonctionnait depuis 1956.
[14] Décret du premier ministre, président du conseil  du 17 avril 1957, instituant un nouvel examen dit  «  Baccalauréat  de l’enseignement secondaire, jort n° 32 du 19 avril 1957

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire