dimanche 24 novembre 2024

Entre deux générations, que nous est-il arrivé ?

 


Bahri Bahri 

Notre cher collègue Bahri Bahri, l’inspecteur principal  a publié au mois de juin 2024 un post dans lequel il se questionne sur  le contraste frappant entre deux générations en matière d'éducation et de valeurs sociétales.

 À travers des souvenirs personnels et des anecdotes sur des figures éminentes de l'éducation des années 60, 70 et  80 en Tunisie, il met en lumière l'importance des éducateurs  de cette période  qui incarnaient rigueur, respect et passion pour la formation des jeunes.


Aujourd'hui, face à une perte de l'estime pour le savoir et une montée de modèles de superficialité, M° Bahri pose une série de questions : qu'est-ce qui a causé ce déclin de la place du savoir et de l'intégrité dans la société tunisienne ? Et quel rôle pourrait encore jouer l'esprit de dévouement pour faire face aux défis contemporains ?

Ce texte est un hommage aux éducateurs d’antan tout en soulevant des interrogations sur les valeurs actuelles de la société tunisienne.

Merci beaucoup Si Bahri pour ce bel hommage -

 

 

 


   

  Je viens de lire un post sous la plume d’un ancien élève des années soixante, de la même génération que moi, faisant l’éloge de feu Mongi Damergi qui a occupé le poste de proviseur du Lycée Bab El Khadhra à la capitale durant 23 ans.  L'auteur de ce post facebookien avance une proposition bien à propos, celle d’attribuer le nom de ce proviseur au dit lycée en guise de reconnaissance pour les nobles services qu’il a procurés à des générations entières ; il était en effet un fervent défenseur de l’enseignement et du système éducatif, un vaillant éducateur qui traitait  ses élèves avec une bienveillance paternelle et un brave homme.

   Ce post a suscité en moi le souvenir d’une multitude de grands hommes de cette époque; en effet cette période a connu l’émergence d’une élite d’éducateurs et enseignants qui bénéficiaient d’une large notoriété dépassant le cadre de leurs lieux de travail, notoriété qui, de nos jours, ne peut être surpassée que par celle de certains sportifs ou artistes ou par « ces nullards qui meublent [lamentablement] nos soirées ».

 Ces souvenirs m’ont conduit à rédiger ces lignes en guise de commentaire :

     «  J’ai rencontré Si Mongi Damergi au cours de mes premières années dans l’inspection pédagogique au début des années quatre-vingt, le Lycée Bab El Khadhra faisait alors partie de ma circonscription.  Je garde de monsieur Damergi toujours le même souvenir, celui d’un respectable et majestueux éducateur, d’un gestionnaire compétent ayant une présence imposante et une forte personnalité, strict sans être rigide et orgueilleux sans être hautain.

En fait, le domaine de l’enseignement a connu au cours de cette époque qui allait des années soixante jusqu’à la moitié des années quatre-vingt (période supposée être la période dorée de l’école nationale) l’apparition d’une élite de cadres distingués en éducation qui se partageaient tous ces mêmes qualités : inspecteurs, responsables administratifs, surveillants de différentes catégories, enseignants dont plusieurs sont devenus plus tard des professeurs émérites de l’université.

Parmi cette élite, il y avait une multitude de proviseurs de lycée qui bénéficiaient d’une grande réputation à travers toutes les régions du pays. On peut en citer, sans prétendre nullement être exhaustif, à côté de Monsieur Damergi, Messieurs M. Abdelaziz Ben Hassan qui fut proviseur du lycée de garçons de Sfax, puis du Lycée Khaznadar (ancien directeur général des programmes au ministère pendant de longues années), M. Mustapha Ben Nejma, M. Ahmed El Fani, M. Mohamed Bouden, M. Ali Houssi, M. Mohamed Fayala proviseur du lycée de garçons de  Sousse ( puis directeur régional de l’enseignement de Sousse), M. Ahmed El Zghal , proviseur du Lycée 15 novembre de Sfax ( puis directeur régional de l’enseignement de Sfax), M. Bouraoui Mlaoueh, proviseur du Lycée mixte de Gabès, M. Tahar Anane proviseur du Lycée de Jerba, et bien d’autres. .. Que Dieu accorde Sa miséricorde à ceux qui ne sont plus de ce monde et garde ceux qui sont encore parmi nous et les récompense de la meilleure manière qui soit, pour les élogieux services qu’ils ont procurés à des générations entières. La plupart d’entre eux n’ont malheureusement pas reçu la reconnaissance et la loyauté qu’ils méritent ni de leur vivant ni après leur décès.

    La liste de tous ces hommes distingués que notre bonne terre a engendrée est trop longue pour pouvoir l’établir dans ces propos, n’oublions pas par ailleurs que je me limite ici au cycle de  l’enseignement secondaire, que nos collègues du primaire veuillent bien m’excuser car ils ne manquent point d’aussi illustres pédagogues.

   Je ne peux terminer ces propos sans mentionner quelques noms appartenant au corps de mes chers collègues inspecteurs tels que les regrettés Ahmed Soua, Abdekrim El Marraq, Mohsen Mezghani, Abdelmajid Dhouib, Rachid Toumi, Ahmed Ben Salem.  et tant d’autres, que Dieu ait leurs âmes et qu’ils reposent en paix.  Ils servaient d’exemple aux générations qui les ont connus et leur servaient de modèle, ces vaillants professeurs tunisiens étaient côtoyés par nombre d’enseignants étrangers, français, suisses, anglais et autres, de surveillants généraux non moins célèbres dans l’exercice de leur rôle pédagogique.

    Une question persiste toutefois et ne cesse de s’imposer : Que nous est-il arrivé et qu’est-il arrivé à nos  générations  pour  que se produise un tel bouleversement ? Est-ce la dévalorisation du statut des sciences et du savoir ainsi que la valeur sociale de l’enseignement qui en est la cause? Ou bien est-ce la dégradation du niveau général des formateurs et des formés ? Est-ce encore l’émergence de phénomènes sociaux nouveaux qui ont fait que l’exemple et les valeurs à suivre sont souvent représentés par des gens qui symbolisent la médiocrité, l’ignorance, ou même la bassesse ou la vanité ?

Est-ce la dévaluation du statut du livre et la fascination exercée sur l’esprit d’une large frange de notre jeunesse par les écrans, fascination ensorcelante qui s’accaparent d’une bonne partie de leur  temps ? Le changement social et l’émergence de nouvelles couches sociales qui ont réussi à avoir l’argent, l’estime et la réputation par d’autres chemins que ceux de la  science et du savoir ? La dévalorisation du statut de l’intellectuel et du culturel, remplacé par une culture du spectacle, de la jouissance et de la consommation sont-elles pour quelque chose ? Est-ce enfin le triomphe d’une certaine culture de l’aisance et du moindre effort et l’usage des chemins tortueux au lieu et place de la culture de l’effort, de la persévérance, de la droiture et la primauté de l’esprit ?

 

    Autant de questions en quête de longues réponses, qui reflètent l’impuissance de ceux de cette génération qui, sont encore en vie et qui se sentent impuissants face de ce drame, se consolant toutefois des quelques cœurs et esprits qui voguent à contre courant et s’évertuent, en bravant les difficultés, à esquisser les traits de la distinction et du génie.

BAHRI Bahri

Ancien inspecteur principal de l’enseignement secondaire

Juin 2024

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