Première mise en garde
Depuis des années, l'opinion publique éducative et non
éducative appelle à une réforme du
système éducatif, en insistent sur certains indicateurs de faiblesse dont
souffre le système, mais personne ne se pose la question suivante: qu'est-ce
que nous entendons par la réforme éducative, c'est la raison pour laquelle,
nous avons jugé important de poser les questions suivantes, en espérant
qu'elles aideraient à diagnostiquer les maux afin de leur trouver le meilleur
remède.
Qu’entendons- nous
par la réforme éducative ? Et qui est en droit de s'en charger ?
1-
La
réforme éducative signifie-t-elle que le système éducatif actuel s'est écarté
des objectifs qu'il s'était fixés, ce qui nécessite sa remise sur la bonne voie?
2- Ou bien, la réforme éducative vise-t-elle simplement à
revoir certaines composantes du système pour une raison quelconque ?
3- Ou bien, la réforme éducative vise-t-elle à introduire
quelques innovations sur les composantes du système afin qu'il réponde mieux
aux exigences de l'évolution des sciences et des valeurs ?
4- Ou bien, entendons-nous par la réforme éducative, une simple remise en état des bâtiments des
établissements d'enseignement et davantage de soins au profit du cadre éducatif ?
5- Ou bien, est-ce que la réforme éducative est faire table rase de tout ce que les trois lois
éducatives précédentes que la Tunisie a connues depuis l'indépendance avaient apporté et repartir de zéro ? Dans ce cas, nous ne parlons plus de
réforme éducative, mais plutôt d'une
reconstruction de l'école tunisienne, et nous nions que
l'école ait pu apporter quelque chose à
la société durant soixante ans.
6- Ou bien, entendons-nous par la réforme éducative, la
construction d'un nouveau modèle social dont la locomotive sera l'école ?
Il convient de noter que le populisme ne reconnaît pas
les élites qui ont des visions éducatives et des prospectives sociétales, c'est
pour cette raison que la société civile
est appelée à contribuer à la construction éducative en répondant aux questions
mentionnées ci-dessus, et même en posant davantage de questions ayant une
dimension constitutive et fondatrice..
Deuxième mise en garde : construire
un nouveau discours politico- éducatif
Parmi les fondamentaux de ce discours :
1. Une déclaration claire de l'État de son total engagement
en faveur du concept d'un État providence qui fournit des services éducatifs,
sanitaires et sociaux gratuits de qualité qui garantissent l'efficacité et
préserve la dignité humaine, cela devrait se
traduire dans le budget dans la part réservée à chacun de ces secteurs,
ce qui donnera la preuve que l'éducation et l'enseignement sont , pour l'état,
un enjeu sociétal d'avenir.
2. Une lecture scientifique des changements
internationaux sur les plans économique, social et cognitif, et en faisant
attention, notamment, au pouvoir des TIC
pour construire les choix pédagogiques requis par ces changements..
3. Annoncer une liste
de valeurs nationales et universelles
qui serviront de référence pour la construction de nouveaux programmes de
formation et qui seront une source pour établir les règles de fonctionnement
des institutions éducatives et administratives. Parmi ces valeurs
fondamentales, nous citons :
·
Le concept de patriotisme et le sens de la loyauté envers la seule
Tunisie
·
Clarifier le concept de citoyenneté, et de ce qu'il engendre comme l'art de la coexistence et de la
reconnaissance mutuelle de la diversité et de la différence. Ce concept de citoyenneté évoque aussi l'idée de contrat social civique fondé sur le droit et l'état des institutions
sans aucunes autres références d'organisations politiques et sociales
incompatibles avec l'idée de progrès.
·
l'État doit s'engager à tenir compte des diverses références nationales
et internationales en matière de droits de l'homme et de les adopter dans la
construction de programmes scolaires afin de construire une société
démocratique dans laquelle les libertés individuelles et les libertés publiques
sont respectées et non entachées par aucune manifestation de discrimination
raciale, religieuse, ou selon le genre …
·
Le concept de l'état qui humanise
le discours religieux et la définition d'un certain nombre de mesures qui y
contribuent.
4. Le lien étroit entre le concept d'une école
démocratique et la vie démocratique en société, car l'état de l'école ne pourra
pas se redresser scientifiquement et moralement tant que le climat politique général n'a pas
été réformé pour éviter la dichotomie entre ce que l’enfant
apprend à l'école et ce qu’il vit dans
la réalité.
Troisième mise en garde - le statut de l'enseignant
Toute personne qui aura la tâche de la « réforme
éducative » au niveau officiel ou au niveau de la société civile doit rédiger
un document spécial pour l'enseignant (e) qui doit inclure les principes suivants :
1. L'enseignant (e) n'est pas qu'un simple fonctionnaire,
mais il (elle) est un messager du savoir, de la science et de la morale, et il
est un faiseur d'esprit, un bâtisseur de
personnalités et un ingénieur de générations. sur lesquels la société comptera pour
son avenir, et il s'agit d'une tâche très importante, c'est pourquoi, elle ne
doit pas être prise à la légère, ni la traiter comme on traite n'importe quelle
question administrative, Ce fonctionnaire
doit être hautement respecté, sa dignité et sa réputation doivent être
préservées, car toutes ses comportements impacteront ses élèves.
2. Tous les changements survenus dans la profession
enseignante doivent être scrutés sur les plans cognitif, professionnel et social afin d'élaborer
une stratégie pour la formation pour revaloriser
l'enseignant (e) à tous les niveaux
susmentionnés.
3. Une révision sérieuse et radicale de la grille des
salaires pour augmenter l'attractivité
du métier d'enseignant vers lequel les nouveaux diplômés se tournent par choix
et non faute de mieux.
4. Elaborer un
référentiel qui sera utilisé dans le
recrutement des enseignants(es) , et
revoir les modalités des promotions professionnelles afin qu'elles soient toujours associées à la
performance de l'enseignant (e) et aux efforts fournis par ce dernier pour améliorer son niveau scientifique et professionnel
et être à jour quant aux approches
pédagogiques avancées.
5. Réviser l'horaire travail des enseignants dans
l'enseignement primaire, les collèges et les lycées pour assurer
la permanence scolaire et pour renforcer le travail d'équipe. Par conséquent, l'État
doit fournir des espaces appropriés pour le travail des enseignants et des
enseignantes, qui se déroule en dehors des heures de cours.
Quatrième mise en garde: De la justice
scolaire
Il est souhaitable,
que ceux qui vont faire la « réforme éducative » révisent le
concept de justice scolaire, qui est souvent traduit par cette expression bien
connue par certains hommes politiques et responsables administratifs par « l'égalité
des chances «
1. Le principe de
l'égalité des chances n’a aucun rapport avec le concept de la justice scolaire, car la carte des résultats
du baccalauréat suffit à elle seule à montrer l'absence de justice scolaire. Si
le principe de l'égalité des chances est réalisé par la scolarisation de tous les enfants tunisiens dès l'âge de six ans, le parcours scolaire dépend des efforts déployés par chaque élève pour
réussir ses études. Et comme la disparité est grande entre les régions côtières et l'intérieur, entre le centre de chaque
ville et sa périphérie, et entre les différentes composantes sociales, la
justice scolaire ne sera pas réalisée, et l'école ne sera pas l'ascenseur
social qui réduit les écarts entre
régions ou entre classes, ainsi, c'est
le principe du méritocratie qui est avancé comme le critère de la réussite ,
mais ce critère ne manque ni d'injustice, ni de contre vérité.
2. Ce qu'il faudrait
aujourd'hui, c'est construire un système éducatif sur la base de la justice
scolaire, qui est l'équité, en combattant les facteurs exogènes à l'élève et au champ de
la compétition scolaire objective, dont le rôle est souvent décisif dans la
réussite ou l'échec de l'élève, voire même dans la poursuite du cursus de
l'élève ou l'abandon définitif des
études.
3. L'équité scolaire,
c'est « donner plus à celui qui a moins » dans le sens où les programmes soient
souples en termes de contenu et d’horaire (et pour une durées limitée) selon
les besoins des élèves et conformément à un projet de développement éducatif propre
à chaque délégation régionale jusqu'à la réduction de l'écart entre les régions
et entre les écoles. Cette mesure nécessite une politique éducative audacieuse
qui traduit réellement le pari de l'État sur l'enseignement public et
son engagement dans la réalisation de la justice scolaire. L'équité éducative
nécessite, outre le développement des régions de l'intérieur et des ceintures qui entourent les grandes villes, une assistance
spécifique et suffisante et l'élaboration d'une carte pédagogique équitable (par
exemple, l'arrêt de la l’affectation des
enseignants débutants et sans expérience dans les régions de l'intérieur -
l'augmentation effective des séances de formation continue selon les besoins et autres
mesures…).
4. Sans cela, nous
devrons nous attendre à voir de nombreux
élèves en situation d'échec scolaire , ou qui abandonnent les études, ou qui émigrent
vers les villes à la recherche d’établissements scolaires performants, ou qui
se ruent vers les écoles privées et vers les marchés éducatifs parallèles.
Alors, œuvrons tous
pour une justice scolaire équitable.
Cinquième mise en garde : Quoi enseigner?
Il est nécessaire que
les expertes et experts pédagogiques d'avoir en tête les variables cognitives mondiales
actuelles afin de savoir déterminer les contenus pour une formation appropriées
pour l'école tunisienne. Si la formation à l'époque de l'ancienne école était
une formation solide, cela était valable pour une société stable et pour répondre
à des besoins connus. Mais aujourd’hui, dans un monde où les nouvelles
connaissances se multiplient et se propagent à une grande vitesse, peut-on
alors parler d'une formation solide comme celle évoquée plus haut ? Le stockage
d’informations dans les esprits a-t-il de la valeur comme c’était le cas par le
passé [1] ? Alors, que vaut la
nostalgie de l’école du passé ? Et si un changement du modèle de civilisation est devenu nécessaire en raison de la vitesse des changements
que connaît le monde, alors, l’école
est-elle vraiment qualifiée pour être la locomotive du changement souhaité ?
Et, comment rendre les gens capables d’accepter tout ce qui est nouveau ?
Comment cette innovation peut-elle être
adaptée et assimilée ? Existe-t-il des compétences valables pour les nouveaux
contextes ? Avons-nous les conditions appropriées pour construire une nouvelle
école qui fonctionne selon les variables internationales?
Donc, la nouvelle et vieille
question est : Quel sens pouvons-nous donner à l’apprentissage ?
Sixième mise en garde : Famille et école : vers un nouveau contrat
§
Nous ne pouvons
pas nier que la relation de la famille
avec l'école n'est pas dénuée de tensions, voire de conflits. L'incompréhension
est peut être due aux attentes excessives des familles, ou à une certaine
confusion dans les organisations scolaires, ou encore aux pressions diverses
que vit l'école tunisienne. Mais malgré tout cela, personne ne se demande : où s'arrête l'éducation
familiale ? et où commence l’éducation
scolaire ? Y a-t-il vraiment une ligne de démarcation entre les deux ? Ou
existe-t-il entre elles une
complémentarité dont nous ne saisissons pas les fondements ?
§
Il faut
reconnaître dans ce contexte que la famille tunisienne a évolué, elle a
progressé sur le plan du savoir et elle suit
mieux les questions éducatives que par le passé, mais paradoxalement les échanges
d’accusations entre l'école et la famille sont devenus plus fréquents, alors comment
pouvons-nous remédier à cette situation ?
Parmi
les suggestions qui nous paraissent contribuer à améliorer la relation entre les
deux institutions, nous mentionnons celles-ci :
s
Renforcer la
culture du dialogue entre les deux institutions, car les rencontres qui sont organisées
actuellement à l'école entre les parents et les enseignants, sont d'une part souvent brèves et précipitées
et d'autre part elles ne sont pas fondées pas sur la base que le parent est un acteur éducatif, un suppléant et un partenaire de l'école pour l'aider à réaliser ses objectifs.
s
Faire évoluer la législation qui encadre le dialogue entre
les deux parties, car hormis le décret
du 19 octobre 2004 qui ne répond pas du tout au besoin, on ne trouve pas aucune
référence sérieuse pour construire un dialogue entre la famille et l'école et qui
sera fondée sur la mise en évidence des caractéristiques
de la communauté familiale en tant que entité intime et réduite, régie par des rapports
affectifs et les caractéristiques de la communauté scolaire en tant qu'une communauté intermédiaire entre
l’entité familiale et la société, cette communauté scolaire possède ses propres
lois par lesquelles elle prépare les enfants à s'intégrer dans la société des lois et des institutions.
s
Elaborer un
guide à l’intention des parents, pour les familiariser avec les fondements les plus importants du
système éducatif, son fonctionnement et les caractéristiques de l'établissement
scolaire de leurs enfants. En outre, ce guide définit un code de conduite pour le parent, l'enseignant et le responsable administratif.
Cette question nécessite plus de détails, nous pourrons y revenir dans un
espace plus large.
Brahim
Ben Saleh, Inspecteur général de l'éducation, a pris sa retraite - le 6
septembre 2023.
Traduction
Mongi Akrout, Inspecteur général de l'éducation retraité.
Tunis
, août 2024
Pour accéder à la version ARABE, cliquer ICI
[1]
Voir Alexandre Lacroix dans un
article intitulé « Renoncer à tout savoir » dans un dossier intitulé: " Et
si on apprenait autrement ? " publié dans
Philosophie Magazine , numéro 172, septembre 2023, p.p 44 – 45 https://www.philomag.com/en-kiosque;
Lacroix dit qu'aujourd'hui Wikipedia
coopère avec 1000 experts pour publier 60 millions d'articles sur divers
sujets et qu'à toute seconde , il publie
l'équivalent de 29000 Giga octet d'informations et de données.
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