Introduction
Une
évaluation des contraintes scolaires vécues par les élèves et de leurs
stratégies pour y faire face peut contribuer à une meilleure compréhension du
fonctionnement du système éducatif. En effet, elle peut éclairer ceux qui ont à
prendre des décisions concernant ce système, elle est également utile aux
enseignants.
Nos questions de départ sont les suivantes : quelles
sont les contraintes scolaires vécues par les élèves ? Comment font-ils
face à ces contraintes ? Quelles stratégies adoptent-ils pour y faire
face ?
Partant d’une approche
microsociologique des faits éducatifs, nous émettons l’hypothèse que les élèves
sont plus des acteurs sociaux producteurs de stratégies que des agents passifs
subissant les contraintes scolaires.
1-LE CADRE THEORIQUE
Notre recherche
s’inscrit donc dans une approche microsociologique. Elle se réfère aux études
récentes dans le domaine des sciences de l’éducation. Cette approche s’efforce
d’aller de l’acteur au système, elle veut connaître la subjectivité des élèves,
« …la manière dont ils vivent et construisent leur expérience scolaire »
(DUBET,1991,p.15)
Une notion
importante dans l’approche microsociologique est celle de stratégie. Selon
François DUBET, « l’élève occupe une position définie par des rôles,
des règles de discipline, des modes de sélection;… Il est donc tenu de développer
des stratégies d’adaptation et d’intégration, de calculer ses investissements
scolaires, de gérer ses intérêts… ». (DUBET, 1991, p.31,32). A cela le
même auteur ajoute que la notion de stratégie exprime la troisième dimension de
l’expérience scolaire de l’élève (après celle du projet de l’élève et de la
formation du sujet (DUBET,1991, p.28,29,30,31,32,33))
Dans cette
recherche, nous adoptons la définition suivante du concept stratégies
d’élèves : l’ensemble des intentions, des façons de pensées, des
actions et des manœuvres menées par un élève pour subvenir à un besoin ou
atteindre un but. Autrement dit c’est cette logique de l’élève qui se traduit
par des attitudes, des choix et des comportements visant à optimiser sa
performance dans une situation contraignante. Nous avons conçu cette
définition en synthétisant de multiples définitions proposées par de nombreux
auteurs. (DUBET, F.1991,p.28 ; LEGENDRE, R.1993,p.1184; CHIKH ZAOUALI,
M.,1998,p.41,42,43)
Les stratégies importantes se
manifestent lorsque le système scolaire est caractérisé par une organisation
faible et une sélection forte[1] : « c’est
la rencontre de ces deux caractéristiques qui explique le poids de la dimension
stratégique de l’expérience scolaire » (DUBET,1991,p.32)
Dans ce contexte, les différentes
règles formelles de la vie scolaire seront vécues par les élèves comme des
contraintes scolaires. Philippe PERRENOUD(1995) parle de “ métier
d’élève ”. Il compare les élèves aux prisonniers, aux militaires, aux
travailleurs les plus démunis et tous ceux qui n’ont, pour se défendre contre
le pouvoir de l’institution et de leurs chefs directs, guère d’autres moyens
que la ruse, le repli sur soi et le faux-semblant.
De ce qui précède, nous pouvons
définir les contraintes scolaires comme : l’ensemble des règles
formelles, des rôles préétablis, des modes de fonctionnement et de contrôle,
qui régissent l’institution scolaire et auxquels l’élève est soumis.
2- La recherche sur
le terrain
2-1
La recueil des données
Les donnés de notre recherche
proviennent de deux sources :
-du corpus de donnés que nous
avons pu collecter au sein de Bureaux d’Ecoute et de Conseil (BEC)[2].
Notre étude s’est limitée à l’exploration d’une vingtaine d’entretiens
individuels effectués auprès d’élèves appartenant à deux lycées de la région de
Mahdia (au centre-est de
-Des témoignages
que nous avons pu recueillir auprès d’élèves de la septième année de l’école de
base(cette dernière se compose en Tunisie de 2 cycles : le premier est de
6ans, le second est de 3ans) à la région de Mahdia. Le recueil a été effectué
durant le mois d’octobre 2001, à l’occasion de notre animation de séances d’information
et de sensibilisation faisant partie de la campagne programmée par le ministère
de l’éducation. Notre intervention a englobé 99 classes appartenant à 9
établissements et à raison d’une heure par classe, ce qui équivaut à peu près à
3500 élèves. Après la présentation de la séance, nous procédons par la mise en
train psychologique, puis chaque élève se présente et répond à la question
suivante: qu’est ce que tu préfères, le collège ou l’école primaire ?
Il peut ajouter, s’il le veut, d’une manière libre et inconditionnelle, une
question ou une impression sur la vie scolaire au collège.
Nous n’avons pas
construit notre échantillon d’enquête d’une manière systématique. En effet,
nous avons eu recours au corpus de données dont nous disposions étant donné
notre statut de conseiller en information et orientation scolaire et
universitaire. Il ne faut dès lors pas généraliser tous les résultats à
l’ensemble des élèves. Notre recherche se limite à l’exploration du terrain de
l’investigation. Elle pourrait servir de base à d’autres recherches qui
pourraient développer différents aspects de ce domaine.
2-2 Les résultats:
2-2-1 Les contraintes scolaires vécues par les élèves:
En évaluant les
propos que nous avons recueillis auprès d’élèves de la septième année de
l’école de base, nous constatons qu’ils illustrent bien ce que Philipe
PERRENOUD(1995) appelle « le métier d’élève ». En effet, ces propos, mieux que ceux d’autres niveaux
scolaires, pourraient témoigner des contraintes scolaires vécues par les
élèves.
A la
question : « qu’est ce que tu préfères l’école primaire ou le
collège ? », presque la totalité des élèves interrogés a exprimé
sa préférence pour l’école primaire. Cela était le cas pour les élèves au début
de la campagne. A la fin du mois d’octobre, après plus d’un mois d’expérience
de vie scolaire, les élèves attachés affectivement à l’école primaire
représentent presque la moitié des élèves interrogés.
Venant du premier cycle de l’école de
base, où le métier d’élève était relativement moins contraignant, les nouveaux
collégiens ont exprimé d’une façon spontanée leurs interrogations sur les
rôles, les modes de fonctionnement et les règles qui régissent la vie scolaire
au collège. L’évaluation des données recueillies dégage globalement trois types
de contraintes scolaires : les règles de discipline, les tâches scolaires
et les relations éducatives.
2-2-1-1 les règles de
discipline :
C’est le point qui semble le plus
préoccuper les élèves. C’est ainsi que dans les 99 classes visitées, presque
tous ont manifesté leur préoccupation et leur “ crainte ”
des différents types de punitions adoptés au sein du collège. Les élèves nous
ont questionnés sur des aspects tels que : l’avertissement, l’exclusion, la
retenue, le renvoi, le conseil d’éducation… Pour ces nouveaux collégiens,
les règles de disciplines sont considérées comme dures et sévères. Pour
certains lycéens, ces règles sont considérées comme : «…loin de viser
l’éducation des élèves, elles constituent plutôt des moyens de pouvoir aux
mains des profs. et de l’administration… »
Il est possible que ces
considérations soient en relation avec la réforme en cours du système
disciplinaire scolaire tunisien. Car, depuis le début de l’année scolaire
courante 2001-2002, ce système est l’objet d’une « concertation
élargie » touchant l’ensemble des partenaires éducatifs et préparant sa
réforme. Cette dernière aura pour finalité plus d’intégration des jeunes dans
le système scolaire.
2-2-1-2 Les tâches scolaires :
Les
élèves, sur lesquels a porté notre recherche(les lycéens mais surtout les
collégiens) se sont plaints des tâches scolaires multiples qu’ils subissent.
Nous pouvons définir les tâches scolaires comme tout ce qui doit être fait par
les élèves dans un temps fixé, citons par exemple les épreuves de contrôles,
les devoirs à la maison… Les propos suivants témoignent de l’importance du
sentiment de contrainte que vivent les nouveaux collégiens à ce niveau :
-“Au collège, les emplois du
temps sont lourds et trop chargés… ”
-“On n’arrive pas à écrire toute la leçon dans le cahier,
le prof dicte beaucoup trop et très vite… ”
-“Au primaire, nous avions
une seule matière qui s’appelait “ récitation ”, au collège nous
avons beaucoup de matières qui sont récitations ”
-“ Il y a beaucoup d’examens : des
interrogations orales, des tests non annoncés à l’avance, des devoirs de
contrôle, des devoirs de synthèse bref, des examens tous les jours ”.
Ces témoignages montrent bien l’ampleur des tâches scolaires exigées aux élèves et donnent l’impression que les enfants et les adolescents existent d’abord comme élèves. En ce sens PERRENOUD se demande : « que dit un adulte à un jeune qu’il connaît peu ? Il le questionne : “ ça va à l’école ? Es ce que tu travailles bien, est ce que tu es bon élève ? » (PERRENOUD,1995,p.13)
2-2-1-3 Les relations
éducatives :
La contrainte relationnelle unit les lycéens et les collégiens. Les premiers
se sont montrés plus globaux dans leurs critiques des relations éducatives. Ils
jugent la personnalité de l’éducateur sur diverses dimensions. Quant aux
collégiens, ils ont évoqué avec beaucoup de nostalgie leurs relations avec les
instituteurs, jugées pleines d’affection et remplacées au collège par des
relations: « sérieuses, froides, dures, sévères… » . En voici quelques témoignages :
Les relations qu’exige l’institution
scolaire( collège et lycée) sont donc de type formel. PERRENOUD(1995) les
trouve « …assez « bureaucratiques »…, chacun son rôle, son
territoire, son métier. » (PERRENOUD,1995,p.15)
Par ailleurs nous avons constater,
aussi bien chez les nouveaux collégiens que chez les nouveaux lycéens,
« un ensemble confus de peurs »[3],
comme la peur de l’inconnu , la peur du nouveau groupe, la peur d’un
fonctionnement scolaire différent, la peur d’un grand changement annoncé par
tous, la peur de se retrouver parmi les plus petits alors qu’on était devenu
les plus grands.
2-2-2 les stratégies menées par
les élèves
Face à la réalité des contraintes scolaires, les élèves
construisent leurs propres réalités, ils produisent leurs propres sens sur les
diverses situations contraignantes. A ce propos, l’étude du discours des élèves
enquêtés confirme certaines idées assez répandues par des études
microsociologiques. En effet, comme l’annonce Philipe PERRENOUD (1995), les
élèves sont des acteurs qui « … développent une stratégie défensive
minimaliste : investir le moins possible dans les activités proprement
scolaires tout en cultivant des allures conformistes. Seules comptent la
façade, l’apparence du travail, de l’attention et de la maîtrise: c’est à qui
s’en tirera le mieux en s’investissant le moins, ce qui développe toute une
série de savoir-faire comme la tricherie, l’utilisation discrète du travail
d’autrui, la prise des risques calculés – par exemple n’apprendre que ci l’on
risque d’être interrogé -, le bachotage intensif et
absurde »(PERRENOUD,1995,p.31). Tout cela pour dire que les élèves
adoptent «…les stratégies qui garantissent la survie et une certaine
tranquillité,… » (PERRENOUD,1995,p.15)
Cette perception de la réalité scolaire se manifeste plus
chez les lycéens que chez les collégiens de notre enquête. Ainsi, pour faire
face aux contraintes des tâches scolaires, des lycéens nous ont avoués, à
maintes reprises, qu’ils font parfois recours à la tricherie face aux examens,
tout en connaissant qu’ils sont en train de prendre d’énormes risques. Certains
nous ont signalés qu’ils prennent des cours particuliers à la maison ou des
cours de rattrapage au lycée uniquement dans le but d’améliorer la note. A vrai
dire, les élèves ne sont pas motivés par le désir du savoir. Ils développent un
rapport stratégique à l’évaluation et ne travaillent que pour la note.
Au niveau des stratégies d’élèves face au système disciplinaire, nous
citons l’exemple d’un élève de 2ème année secondaire qui a été
renvoyé de dix jours. Il nous a déclarés : “J’ai été puni pour un acte
que je n’ai pas commis. Face au conseil d’éducation j’ai fait semblant d’avouer
pour ne pas dénoncer les collègues …Chaque fois il faut que quelqu’un paye.
Cette fois c’était mon tour et je devrais être à la hauteur … ”. Nous
pourrions déduire deux remarques relatives à ce témoignage. Tout d’abord,
celui-ci exprime un exemple de solidarité qui semble être inconditionnelle
entre adolescents. Cette forme de solidarité échappe bien à la logique formelle
de l’institution et aux rationalisations des adultes. Ensuite, ce témoignage
semble confirmer l’idée de Dubet(1991), selon laquelle les stratégies
importantes se manifestent lorsque le système scolaire est caractérisé par une
organisation faible, c’est-à-dire lorsque les institutions scolaires ont peu
d’emprise directe sur la vie des jeunes en dehors des seules heures de cours et
que l’identification à l’établissement est faible.
Au niveau relationnel, les stratégies d’élèves ne manquent
pas. En effet, les lycéens nous ont parlé de leurs ami(e)s : « …
qui tentent leurs chances avec les profs en utilisant la stratégie de la
séduction » pour aller au-delà du rapport formel maître-élève et
« entamer des relations personnelles qui pourraient porter ses
fruits à court et( ou) à long terme ». Autre témoignage exprimant
l’idée de stratégie et manifestant une attitude de compromis, de calcul
coût-bénéfice, est celui d’une bachelière de 21 ans : « le
prof. de philo est misogyne, mais il n’est pas mal comme prof….. Pour réussir,
je dois faire abstraction de son côté méchant et profiter le maximum de son
savoir… ».
conclusion
Au terme de notre recherche, nous
pouvons résumer les principaux résultats et les conclusions qui en découlent
comme suit. Tout d’abord, les résultats de notre étude ont confirmé notre
hypothèse de départ selon laquelle les élèves sont plus des acteurs sociaux
producteurs de stratégies que des agents passifs subissant les contraintes
scolaires. Concernant ces contraintes, nous avons découvert qu’elles se
manifestent plus chez les collégiens que chez les lycéens. Pour ce qui est des
stratégies d’élèves, nos résultats ont montré qu’elles sont essentiellement
présentes chez les lycéens. Nous pourrions conclure, par conséquent, que plus
les élèves avancent dans leurs études, plus leurs stratégies se manifestent et
leurs expériences scolaires mûrissent. Nous constatons à cet égard la
manifestation des attitudes d’adaptation, de compromis et de calcul coût-bénéfice.
En effet, les lycéens sur lesquels a porté notre étude, plus que les
collégiens, ont montré qu’ils sont des acteurs sociaux capables de déjouer les
règles et de prendre des risques (tricherie aux examens ) de se servir de leurs
atouts (le jeu de la séduction ), d’avoir un rapport stratégique à l’évaluation
(travailler pour la note )
Enfin, l’ampleur des contraintes
ressenties par les élèves de la 7ème année de l’école de base durant leurs
premiers contacts avec le collège, nous amène à suggérer l’amélioration des
activités d’accueil des élèves qui passent du primaire au collège. Nous
suggérons également la mise en place de mécanismes de relais et de
communication entre les deux cycles de l’école de base. Nous proposons la
programmation de visites d’élèves de l’école primaire aux collèges. Ces visites
auront pour but de préparer les écoliers à la vie scolaire au collège, tout en
favorisant l’émergence de représentations d’avenir et de projets scolaires.
Mustapha
Chikh Zaouali
Conseiller
en Information et Orientation Scolaire et Universitaire
À la DREF Mahdia, Ministère de l’éducation.
Tunisie
Pour accéder à la version Arabe cliquer ici
Bibliographie
-
CHIKH ZAOUALI, M.(1998) : Les étudiants et leurs stratégies durant
leurs cursus universitaires. Mémoire de D.E.S.S. en sciences de l’éducation-information
et orientation scolaire et universitaire-. Directeur : Moncef HAJJI.
Tunis : ISEFC. (non publié)
- DUBET, F.(1991) : Les
lycéens, Paris : Seuil.
- LEGENDRE, R.(1993) : Dictionnaire
actuel de l’éducation, 2ème édition Paris :Eskas ;
Montréal :Guerin.
- PERRENOUD, Ph.(1995) : Métier
d’élève et sens du travail scolaire, Paris : ESF.
-STAQUET ,C.(1999) : Accueillir
les élèves, Une rentrée réussie et positive. Lyon : chronique sociale.
[1] L’organisation, comme fonction du système scolaire, est faible quand les institutions scolaires ont peu d’emprise directe sur la vie des jeunes en dehors des seules heures de cours et si l’identification à l’établissement est faible. La fonction sélective du système scolaire est forte quand le parcours de l’élève s’apparente à un long processus de triage, de classements, de choix de filières.(.Dubet, 1991,p32)
[2] Les Bureaux d’Ecoute et
de Conseil(BEC) sont des permanences au sein des collèges et des lycées. Ces
permanences de rythmicité variable sont assurées par :
-le conseiller en information et orientation scolaire et universitaire
(ministère de l’éducation )
-le médecin scolaire de l’établissement ( ministère de la santé publique)
-l’assistant social de l’établissement (ministère des affaires sociales.)
-et tous ceux qui ont l’aptitude et la formation nécessaire pour assurer l’écoute, particulièrement des enseignants volontaires et motivés.
Les élèves demandent les entretiens d’une façon volontaire et spontanée. Ces entretiens font partie d’une relation d’aide et de conseil. Ils représentent aussi une source d’information riche sur les contraintes vécues par les élèves et nous renseignent sur leurs stratégies d’action.
L’expérience des BEC a débuté en Tunisie en octobre
1999 avec 108 établissements scolaires, puis le nombre s’est élevé à 164
établissements durant l’année scolaire 2000-2001. Pour l’année scolaire
courante 2001-2002, il existe 183 BEC.
[3] Ce terme a été utilisé par (STAQUET ,C.,1999,p.11)
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