A l’occasion du démarrage des épreuves du « Bac sport », Le blog pédagogique reprend un article de la plume de notre ami Mustapha Chikh Zaouali qui date depuis 2024 consacré à cette épreuve. Pour l’auteur et pour bien d’autres personnes, le "bac sport" soulève des problématiques récurrentes en Tunisie, liées à son organisation, son impact pédagogique, et ses conséquences sociales. L’article plaide pour l’annulation
de l’épreuve finale d’éducation physique, au profit de l’évaluation continue,
en rappelant les précédents historiques et les difficultés persistantes :
coûts élevés, incidents divers, pratiques frauduleuses, et montée des cours
particuliers. Enfin, l’auteur propose de transformer les
célébrations « du bac sport" en projets éducatifs intégrés,
valorisant la créativité des élèves dans des cadres encadrés et constructifs.[1] Nous tenons à remercier notre ami M.C.Zaouali,
pour ses multiples contributions à l’enrichissement du blog pédagogique et nous souhaitons la poursuite de cette coopération. |
La Tunisie
vit ces jours-ci, et durant toute la période du 15 au 27 avril 2024, au rythme
de ce qu’on appelle le "bac sport". Nous profitons de l’intérêt
général suscité par ce rendez-vous annuel et de son suivi par les familles, et
par les différents médias pour faire part de nos observations et nos propositions à ce sujet, espérant ainsi
contribuer à l’ouverture d’un débat public autour des problématiques soulevées
par cet évènement national. Nous
espérons ainsi accélérer la prise d’une décision officielle tant attendue pour la suppression de "l’épreuve de
fin d’année en éducation physique" et le recours exclusif aux résultats du
contrôle continu.
Cet article
propose un rappel de quelques avis et de
données objectives issus des études pédagogiques et des rapports officiels, qui
devraient convaincre l’opinion publique et les responsables de la nécessité
d’adopter rapidement cette proposition ainsi que d’autres propositions.
Cependant, dans le contexte de ce que le sociologue Zygmunt Bauman qualifie de
"dissolution des liens solides" comme l’une des caractéristiques de
notre vie contemporaine à l’ère de la "société liquide"[2],
la prise de cette décision est continuellement reportée, tout comme d’autres
mesures importantes que nous avons déjà abordées dans des études scientifiques,
des rapports officiels ou des articles d’opinion ".[3]
I. Rappel du contexte de 2010 ("À l'ère de la 'solidité institutionnelle' tunisienne(
En 2010, une
décision de suppression de l’épreuve d’éducation physique de fin d’année avait
été prise sur la base d’un rapport du ministère de l’Éducation et des autorités
sécuritaires. Le Conseil des ministres avait, le 20 août 2010, décidé cette
suppression pour « préserver la
sécurité des élèves, et prévenir les comportements inciviques à l’intérieur et
à l’extérieur des établissements scolaires »
Le ministère
avait justifié cette décision, pour trois raisons principales :
1. Le
coût élevé de l’examen (3 millions de dinars), qu’il serait préférable de
consacrer à l’aménagement des terrains et à l’achat d’équipements sportifs.
2. Une
raison pédagogique : les notes obtenues lors de l’épreuve de fin d’année
étaient souvent inférieures à celles issues du contrôle continu.( !)
3. Une
raison sécuritaire et préventive : la montée des comportements inciviques à
l’intérieur et hors des établissements scolaires lors de l’organisation de
l’épreuve d’éducation physique.
Bien que
cette décision ait été bien accueillie par de nombreux parents et directeurs
d’établissements scolaires, elle avait suscité des critiques et un rejet de la
part des syndicats de l’enseignement et des enseignants d’éducation physique,
qui y voyaient une marginalisation de l’éducation physique.
Cependant,
dans le contexte des "effets pervers" ou "non souhaitées"
de la révolution du 17 décembre 2010 / 14 janvier 2011, une décision prise en
2012 avait rétabli l’épreuve d’éducation physique de fin d’année sans résoudre
les problèmes qui avaient conduit à son annulation.
À noter
également que, lors des sessions 2020 et 2021, l’épreuve de "bac
sport" avait été supprimée et remplacée
par la moyenne annuelle en éducation physique, en raison du confinement
et de la crise du Covid-19.
II. Répercussions de l’épreuve de
"bac sport" sur l’organisation pédagogique et la vie scolaire[4]
1. L’interruption
des cours d’éducation physique dès la mi-avril, en raison de la mobilisation de
tous les enseignants de la discipline dans les commissions d’examen.
2. Les
nombreuses irrégularités et tentatives de fraude durant l’examen, notamment :
o Des
candidats ayant obtenu de bonnes moyennes annuelles présentent des documents
pour être dispensés de l’épreuve de fin d’année.
o D’autres
choisissent de ne pas suivre les cours d’éducation physique toute l’année mais
souhaitent participer à l’épreuve finale pour gagner quelques points précieux
dans leur moyen
III-Habitudes et
rituels liés à l’épreuve, avant et après son déroulement.
Ces pratiques
incluent l’organisation de fêtes et de spectacles devant les établissements
scolaires et dans les rues, perturbant la circulation et se transformant
souvent en drames et accidents graves. Voici quelques extraits tirés des
médias et de sites web illustrant la gravité du phénomène et montrant
l’unanimité quant au danger que cela représente pour la société
tunisienne :
1. "Des
célébrations bruyantes qui inquiètent les administrations des établissements
ainsi que les autorités locales et régionales en raison des débordements
dangereux qui les accompagnent."
2. "La
pire de ces habitudes est le cortège’ : des cortèges de voitures sillonnent le
centre-ville et ses rues. Les feux d’artifice et les fumigènes arrivent en
deuxième position parmi les mauvaises pratiques, de nombreux élèves
célèbrent l’évènement avec des flammes
et des pétards."
3. "Dakhlet du Bac sport … Décès d’un élève de
terminale tombé de la fenêtre d’une
voiture lors des célébrations avec ses amis."
4. "Suite aux décès d’un élève… et d’une élève …
lors d’accidents de la circulation pendant les festivités de la ‘dakhla’
maudite du bac sport, quand interviendra-t-on pour mettre fin à ce phénomène
dangereux ?
IV- L’émergence des
cours particuliers pour préparer le "bac sport", devenus "un
symbole de corruption".
Ces dernières années, nous observons une montée des cours particuliers
en vue de’ passer le "bac
sport" malgré leur coût élevé. En avril 2019, le ministre de l’Éducation
avait déclaré que "5 jours de cours particuliers pour se préparer au bac sport coûtent 700
dinars"[5].
Il avait également affirmé en mai 2019 que "le bac sport, tel qu’il est
actuellement, est un symbole de corruption et n’a aucun sens … et en tant que
ministre de l’éducation je ne peux pas cautionner des pratiques
inadmissibles... est-ce qu’il est normal que "99 % des élèves
obtiennent des notes supérieures à 18/20", les notes sont gonflées et cela
est liée aux cours particuliers… »[6]
Ces déclarations semblaient poser les
bases d’une campagne médiatique pour préparer l’annulation du "bac
sport". Cependant, le changement de gouvernement et de ministre de
l’Éducation moins d’un an plus tard avait reporté cette décision. L’instabilité
gouvernementale et la succession de plus de dix ministres de l’Éducation depuis
2011 expliquent en grande partie ces reports.
V. La "dakhla du bac sport".
Pour
conclure, il est important de souligner un aspect positif du "bac
sport", qui pousse certains à défendre son maintien : nous pensons aux
« success story » dans la dakhla du bac sport. Ces initiatives
montrent souvent la créativité des élèves, leur capacité à exprimer leurs
besoins fondamentaux, leurs valeurs humaines, ou leurs revendications. Parmi
les thèmes ayant suscité l’admiration des Tunisiens figurent : l’hommage aux
enseignants et aux parents, la sensibilisation contre le Covid-19, ou encore le
soutien marqué à la cause palestinienne lors du bac sport 2024.
Afin de préserver cet aspect positif, il
serait possible de développer le concept de la "dakhla du bac sport"
sans organiser l’épreuve d’éducation physique de fin d’année. Cela pourrait se
faire via des projets artistiques, sportifs et culturels, en appliquant la
pédagogie de projet.( on pourrait tirer les leçons de l’échec d’anciennes
expériences du ministère, nous voulons parler de l’expérience des «
(apprentissages optionnels » (
2003/2006) ou de l’option de la
réalisation de projet ( 2006/2015)[7].
Des groupes d’élèves pourraient concevoir, préparer et réaliser leur projet
"dakhla" dès la troisième ou la quatrième année secondaire, encadrés
par des enseignants de différentes disciplines ( professeurs d’éducation
physique, de théâtre, de musique…) et
soutenus par les familles et les acteurs sociaux, économiques et culturels
locaux comme les maisons des jeunes ou d’autres institutions dans le cadre du
projet de l’établissement et en application du texte qui l’organise depuis 2004
( décret de la vie scolaire). Des prix régionaux et nationaux pourraient
récompenser les meilleures réalisations présentées lors des célébrations
scolaires de fin d’année.
Dr. Mustapha Chikh Zaouali, Conseiller
général, expert de la vie scolaire
Traduction Mongi Akrout ,
inspecteur général de l’éducation retraité
Pour accéder à
la version Arabe cliquer ICI
[1] Publié initialement le 22 avril
2024 à « Jollanar »(https://inforum-jollanar.com)
[2] Selon Bauman, la modernité a évolué
d'un état "solide" (stable, prévisible, structuré)
vers un état "liquide" (fluide, incertain, mouvant).
[3] Comme notre position en faveur de
la suppression des collèges et des lycées pilotes dans 2 articles publiés à jollanar
(28 avril 2022 et le 22 juin 2022.
(https://inforum-jollanar.com)
[4] Les données de ce paragraphe et du paragraphe précédent sont tirées d’une étude sur le bac sport publiée par le blog pédagogique du 26 avril 2015
[5] https://www.guideparents.tn/article
[6] https://ar.espacemanager.com
[7] Nous avons étudié cette question
dans notre ouvrage « les enseignants et l’innovation », on peut
consulter la présentation de cet ouvrage de plume de Moncef Khemiri dans le blog pédagogique du 6 mars 2022 et
aussi le 1er chapitre le l’ouvrage dans le blog pédagogique (voir les 4 numéros successifs à partir du 29 janvier 2023).
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