dimanche 13 avril 2025

"Jusqu'à quand devrons-nous attendre la décision d'annulation du « BAC Sport »?

 

 



M.C.Zaouali

A l’occasion du démarrage des épreuves du « Bac sport », Le blog  pédagogique reprend  un article de la plume de notre ami Mustapha Chikh Zaouali qui date depuis 2024 consacré à cette épreuve.

Pour l’auteur  et pour bien d’autres personnes, le   "bac sport" soulève des problématiques récurrentes en Tunisie, liées à son organisation, son impact pédagogique, et ses conséquences sociales. 


L’article plaide pour l’annulation de l’épreuve finale d’éducation physique, au profit de l’évaluation continue, en rappelant les précédents historiques et les difficultés persistantes : coûts élevés, incidents divers, pratiques frauduleuses, et montée des cours particuliers.

 Enfin, l’auteur propose de transformer les célébrations « du bac sport" en projets éducatifs intégrés, valorisant la créativité des élèves dans des cadres encadrés et constructifs.[1]

Nous tenons à remercier notre ami M.C.Zaouali, pour ses multiples  contributions  à l’enrichissement du  blog pédagogique et nous souhaitons  la poursuite de cette coopération.

 

La Tunisie vit ces jours-ci, et durant toute la période du 15 au 27 avril 2024, au rythme de ce qu’on appelle le "bac sport". Nous profitons de l’intérêt général suscité par ce rendez-vous annuel et de son suivi par les familles, et par les différents médias pour faire part de nos observations et nos  propositions à ce sujet, espérant ainsi contribuer à l’ouverture d’un débat public autour des problématiques soulevées par cet évènement national. Nous  espérons ainsi accélérer la prise d’une décision officielle  tant attendue   pour la suppression de "l’épreuve de fin d’année en éducation physique" et le recours exclusif aux résultats du contrôle continu.

Cet article propose un rappel de quelques avis et  de données objectives issus des études pédagogiques et des rapports officiels, qui devraient convaincre l’opinion publique et les responsables de la nécessité d’adopter rapidement cette proposition ainsi que d’autres propositions. Cependant, dans le contexte de ce que le sociologue Zygmunt Bauman qualifie de "dissolution des liens solides" comme l’une des caractéristiques de notre vie contemporaine à l’ère de la "société liquide"[2], la prise de cette décision est continuellement reportée, tout comme d’autres mesures importantes que nous avons déjà abordées dans des études scientifiques, des rapports officiels ou des articles d’opinion ".[3]

I. Rappel du contexte de 2010 ("À l'ère de la 'solidité institutionnelle' tunisienne(

En 2010, une décision de suppression de l’épreuve d’éducation physique de fin d’année avait été prise sur la base d’un rapport du ministère de l’Éducation et des autorités sécuritaires. Le Conseil des ministres avait, le 20 août 2010, décidé cette suppression pour  « préserver la sécurité des élèves, et prévenir les comportements inciviques à l’intérieur et à l’extérieur des établissements scolaires »

Le ministère avait justifié cette décision, pour trois raisons principales :

1.   Le coût élevé de l’examen (3 millions de dinars), qu’il serait préférable de consacrer à l’aménagement des terrains et à l’achat d’équipements sportifs.

2.   Une raison pédagogique : les notes obtenues lors de l’épreuve de fin d’année étaient souvent inférieures à celles issues du contrôle continu.( !)

3.   Une raison sécuritaire et préventive : la montée des comportements inciviques à l’intérieur et hors des établissements scolaires lors de l’organisation de l’épreuve d’éducation physique.

Bien que cette décision ait été bien accueillie par de nombreux parents et directeurs d’établissements scolaires, elle avait suscité des critiques et un rejet de la part des syndicats de l’enseignement et des enseignants d’éducation physique, qui y voyaient une marginalisation de l’éducation physique.

Cependant, dans le contexte des "effets pervers" ou "non souhaitées" de la révolution du 17 décembre 2010 / 14 janvier 2011, une décision prise en 2012 avait rétabli l’épreuve d’éducation physique de fin d’année sans résoudre les problèmes qui avaient conduit à son annulation.

À noter également que, lors des sessions 2020 et 2021, l’épreuve de "bac sport" avait été supprimée et remplacée  par la moyenne annuelle en éducation physique, en raison du confinement et de la crise du Covid-19.

II. Répercussions de l’épreuve de "bac sport" sur l’organisation pédagogique et la vie scolaire[4]

1.   L’interruption des cours d’éducation physique dès la mi-avril, en raison de la mobilisation de tous les enseignants de la discipline dans les commissions d’examen.

2.   Les nombreuses irrégularités et tentatives de fraude durant l’examen, notamment :

o   Des candidats ayant obtenu de bonnes moyennes annuelles présentent des documents pour être dispensés de l’épreuve de fin d’année.

o   D’autres choisissent de ne pas suivre les cours d’éducation physique toute l’année mais souhaitent participer à l’épreuve finale pour gagner quelques points précieux dans leur moyen

III-Habitudes et rituels liés à l’épreuve, avant et après son déroulement.

Ces pratiques incluent l’organisation de fêtes et de spectacles devant les établissements scolaires et dans les rues, perturbant la circulation et se transformant souvent en drames et accidents graves. Voici quelques  extraits tirés des médias et de sites web illustrant la gravité du phénomène et montrant l’unanimité quant au danger que cela représente pour la société tunisienne :

1.   "Des célébrations bruyantes qui inquiètent les administrations des établissements ainsi que les autorités locales et régionales en raison des débordements dangereux qui les accompagnent."

2.   "La pire de ces habitudes est le cortège’ : des cortèges de voitures sillonnent le centre-ville et ses rues. Les feux d’artifice et les fumigènes arrivent en deuxième position parmi les mauvaises pratiques, de nombreux élèves célèbrent  l’évènement avec des flammes et des pétards."

3.   "Dakhlet du Bac sport … Décès d’un élève de terminale  tombé de la fenêtre d’une voiture lors des célébrations avec ses amis."

4.   "Suite aux décès d’un élève… et d’une élève … lors d’accidents de la circulation pendant les festivités de la ‘dakhla’ maudite du bac sport, quand interviendra-t-on pour mettre fin à ce phénomène dangereux ?

IV- L’émergence des cours particuliers pour préparer le "bac sport", devenus "un symbole de corruption".

Ces dernières années, nous  observons une montée des cours particuliers en vue de’ passer  le "bac sport" malgré leur coût élevé. En avril 2019, le ministre de l’Éducation avait déclaré que "5 jours de cours particuliers pour  se préparer au bac sport coûtent 700 dinars"[5]. Il avait également affirmé en mai 2019 que "le bac sport, tel qu’il est actuellement, est un symbole de corruption et n’a aucun sens … et en tant que ministre de l’éducation je ne peux pas cautionner des pratiques inadmissibles... est-ce qu’il est normal que "99 % des élèves obtiennent des notes supérieures à 18/20", les notes sont gonflées et cela est  liée aux cours particuliers… »[6]

Ces déclarations semblaient poser les bases d’une campagne médiatique pour préparer l’annulation du "bac sport". Cependant, le changement de gouvernement et de ministre de l’Éducation moins d’un an plus tard avait reporté cette décision. L’instabilité gouvernementale et la succession de plus de dix ministres de l’Éducation depuis 2011 expliquent en grande partie ces reports.

V. La "dakhla du bac sport".

Pour conclure, il est important de souligner un aspect positif du "bac sport", qui pousse certains à défendre son maintien : nous pensons aux « success story » dans la dakhla du bac sport. Ces initiatives montrent souvent la créativité des élèves, leur capacité à exprimer leurs besoins fondamentaux, leurs valeurs humaines, ou leurs revendications. Parmi les thèmes ayant suscité l’admiration des Tunisiens figurent : l’hommage aux enseignants et aux parents, la sensibilisation contre le Covid-19, ou encore le soutien marqué à la cause palestinienne lors du bac sport 2024.

 

Afin de préserver cet aspect positif, il serait possible de développer le concept de la "dakhla du bac sport" sans organiser l’épreuve d’éducation physique de fin d’année. Cela pourrait se faire via des projets artistiques, sportifs et culturels, en appliquant la pédagogie de projet.( on pourrait tirer les leçons de l’échec d’anciennes expériences du ministère, nous voulons parler de l’expérience des «  (apprentissages optionnels » (  2003/2006) ou de  l’option de la réalisation de projet ( 2006/2015)[7]. Des groupes d’élèves pourraient concevoir, préparer et réaliser leur projet "dakhla" dès la troisième ou la quatrième année secondaire, encadrés par des enseignants de différentes disciplines ( professeurs d’éducation physique, de théâtre, de  musique…) et soutenus par les familles et les acteurs sociaux, économiques et culturels locaux comme les maisons des jeunes ou d’autres institutions dans le cadre du projet de l’établissement et en application du texte qui l’organise depuis 2004 ( décret de la vie scolaire). Des prix régionaux et nationaux pourraient récompenser les meilleures réalisations présentées lors des célébrations scolaires de fin d’année.

 

Dr. Mustapha Chikh Zaouali, Conseiller général, expert de la vie scolaire 

Traduction Mongi Akrout , inspecteur général de l’éducation retraité

Pour accéder à la version Arabe cliquer ICI

 

 



[1] Publié initialement le 22 avril 2024 à  « Jollanar »(https://inforum-jollanar.com)

[2] Selon Bauman, la modernité a évolué d'un état "solide" (stable, prévisible, structuré) vers un état "liquide" (fluide, incertain, mouvant).

[3] Comme notre position en faveur de la suppression des collèges et des lycées pilotes dans 2 articles publiés à jollanar (28 avril 2022 et   le 22 juin 2022. (https://inforum-jollanar.com)

[4] Les données de ce paragraphe et du paragraphe précédent sont tirées d’une étude sur le bac sport publiée par le blog pédagogique du 26 avril 2015

[5] https://www.guideparents.tn/article

[6] https://ar.espacemanager.com

[7] Nous avons étudié cette question dans notre ouvrage «  les enseignants et l’innovation », on peut consulter la présentation de cet ouvrage de plume de Moncef Khemiri  dans le blog pédagogique du 6 mars 2022 et aussi le 1er chapitre le l’ouvrage dans le blog pédagogique  (voir les 4 numéros successifs  à partir du 29 janvier 2023).

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