dimanche 20 avril 2025

Hommage à la mémoire de l’inspecteur général Anouar Jaoua

 


 

Anouar Jaoua

La famille éducative tunisienne  vient de  perdre l’une de ses illustres figures, le professeur  Anouar Joua , A cette triste occasion , il m’est particulièrement émouvant de rendre hommage à Monsieur Anouar Joua, une figure marquante de l’enseignement de l’anglais en Tunisie, que j’ai eu l’honneur de connaître à plusieurs étapes de ma vie  scolaire et professionnelle.


Tout d’abord, j’ai été son élève au milieu des années soixante, alors qu’il entamait tout juste sa carrière d’enseignant au lycée de garçons de Sfax. Je garde de cette première rencontre le souvenir vif d’un jeune professeur élégant, exigeant et passionné par sa discipline.


Puis, nos chemins se sont ensuite croisés à nouveau, des années plus tard, lorsque je fus à mon tour promu inspecteur de l’enseignement secondaire : nous avons alors partagé,  le même attachement à la rigueur pédagogique et à la qualité de l’enseignement.


Enfin, durant les années où j’ai eu la responsabilité de diriger la Direction générale des examens, Anouar Joua fut un collaborateur précieux et constant, présent dans toutes les commissions — qu’il s’agisse du choix des sujets ou de la présidence des jurys —, toujours animé par le souci du travail bien fait et le sens du devoir.
C’est donc avec une profonde reconnaissance que je publie ce texte pour honorer sa mémoire.

 

En réalité, le texte suivant n’est pas le produit de ma plume, il est de celle de M.Ahmed Charfi, un parent  de Si Anouar qui  l’a publié  dans la page de « Sfax El Mezyana ». Nous tenons à le remercier de nous avoir autorisé à le reprendre pour le publier dans le blog pédagogique.

 

 

Anouar Joua est né le 11 janvier 1941. Ses parents, Mohamed Joua et Khadija Abid, eurent plusieurs enfants — huit garçons et deux filles ont survécu — et Anouar était l’aîné de la fratrie.

Il a effectué toute sa scolarité primaire à l’école Ech Chabeb  (l’école des jeunes) située alors dans la rue El Ksar, puisque la famille résidait à l’époque dans la médina. Il poursuivit ensuite ses études au lycée des garçons, aujourd’hui connu sous le nom de lycée Hédi Chaker, où il obtint son baccalauréat en 1961.

Dès son plus jeune âge, Anouar s’est distingué dans toutes les matières scolaires. Mais c’est sa passion pour les langues, en particulier pour l’anglais, qui l’a orienté vers des études universitaires dans ce domaine à la Faculté des Lettres de Tunis, où il fut parmi les tous premiers Tunisiens à obtenir une licence en anglais. L’État tunisien a beaucoup investi dans la formation de cette génération, celle d’Anouar et de ses collègues professeurs : chaque année, ils étaient envoyés à l’étranger — en Grande-Bretagne ou aux États-Unis — pour y passer un ou plusieurs mois afin d’y perfectionner leur maîtrise de la langue.

À l’issue de ses études universitaires, Anouar Joua fut nommé comme le tout premier professeur tunisien d’anglais à Sfax, sa ville natale, et plus généralement dans le sud du pays. Avant lui, cette matière était exclusivement enseignée par des membres du Peace Corps américain. Il enseigna donc dans le même établissement où il avait été élève : le lycée Hédi Chaker.

Quelques années après sa nomination, Anouar, alors encore jeune, vécut une anecdote amusante qu’il aimait raconter à ses proches : un jour, alors qu’il donnait un cours, le directeur de l’établissement, Tawfik Ben Arfa, fit irruption dans la salle pour lui demander de se préparer immédiatement à accompagner le Président de la République, Habib Bourguiba, pour lui servir d’interprète. Anouar, surpris, demanda la permission de passer chez lui pour se changer, mais le directeur refusa, lui rétorquant : « Quelle meilleure tenue que celle-là, Anouar ? Sais-tu que dans le lycée, on te surnomme The Gentleman »

Anouar répondit donc à l’appel du devoir. Le directeur l’emmena lui-même au palais présidentiel  El Hanaa de Bichka, où le président était en pleine entrevue avec ce qu’Anouar supposait être des journalistes ou attachés de presse étrangers venus s’enquérir de sa position sur la cause palestinienne, telle que présentée dans son célèbre discours de Jéricho.

Au bout de six ans d’ancienneté en tant qu’enseignant, il fut nommé inspecteur d’anglais, sa  circonscription couvrait les lycées de Sfax et de tout le sud. Si Anouar gravit tous les grades du corps des inspecteurs, promu inspecteur principal puis  inspecteur général de l’éducation, même en accédant à ce grade qui le dispensait d’inspecter et d’encadrer , il continua à les assurer jusqu’à sa retraite en 2001.

C’est encore Tawfik Ben Arfa qui le proposa s pour diriger le nouveau centre du Bourguiba School  à Sfax, créé en 1965 et hébergé au début au  lycée Hedi Chaker même. Si Anouar adhéra avec enthousiasme au projet, et contribua activement à poser les fondations du centre, pierre après par pierre, avec ses collègues. Parmi eux se trouvait sa sœur, Moufida, sa complice, qui l’épaula dans la création et le développement de l’institut, jusqu’à ce qu’il rayonne dans la région. Ce centre a formé de nombreux jeunes dans les diverses langues,

En 1974, le centre fut transféré au lycée Habib El Maâzoun. Anouar continua à en assurer la direction jusqu’à sa retraite. Sa sœur Moufida rapporte qu’à la fin de sa carrière, l’État commençait à se désengager de ses responsabilités en matière d’équipement, ce qui décourageait de plus en plus les enseignants. Anouar, de son côté, n’hésitait pas à payer de sa poche papiers et fournitures pour que le centre continue de fonctionner.

Anouar Joua était passionné par la formation continue, l’innovation pédagogique. Pour lui, rien ne remplaçait le voyage et le contact direct avec les gens qui parlent l’anglais pour maîtriser les différents accents. Il participa à plusieurs séjours organisés par le British Council et le centre culturel  américain AMIDEAST, et visita les universités de Cambridge, Brighton et de Londres pour s’informer des nouvelles méthodes pédagogiques. Nous relatons une anecdote amusante dans ce cadre : une fois,il se rendit aux États-Unis pour un stage et pour assister à des conférences dans plusieurs universités :  l’université de  en Californie, en New Jersey, à Denver (Colorado) et à Washington, alors que sa femme était sur le point d’accoucher.  Et chaque fois qu’il changea de lieu, il envoya à sa femme l’adresse à laquelle  elle devrait lui envoyer le télégramme pour l’informer de l’heureux événement. Il est finalement rentré trois jours après la naissance de leur fille.

Grâce à ses compétences en anglais et à son dévouement, il fut plusieurs fois membre — et parfois président — des commissions de rédaction des manuels scolaires d’anglais, pour tous les niveaux. Il anima également des émissions radiophoniques éducatives durant plusieurs années, rédigea des parascolaires à l’usage des élèves, et enregistra lui-même des exercices d’écoute, parfois avec l’aide de son frère Jamil — lui aussi devenu professeur d’anglais — ou d’autres collègues.

Même après sa retraite, Anouar ne put jamais se détacher de son amour de la langue anglaise. Il continua à traduire, à écrire, à faire de l’interprétation simultanée et à accomplir diverses missions liées à son domaine de prédilection.

Sur le plan personnel, il épousa Leïla Fkih en 1969, avec qui il eut Mohamed Ali, Hédia et feu Iskander. Puis épousa Ibtissem Jallouli en 1990, avec qui il eut  sa fillerYosra.

Ses filles ont hérité de sa passion pour les langues : Hédia parle six langues couramment et travaille depuis longtemps à l’ambassade d’Italie à Tunis ; Yosra a hérité de l’amour de son père pour la langue de Shakespeare, et prépare actuellement sa thèse de doctorat. Quant à Mohamed Ali, il a été séduit par les États-Unis et l’innovation, comme son père, et s’est installé en Californie depuis 1993, où il travaille comme ingénieur en informatique.

Anouar Joua est décédé le 8 avril 2025, à l’âge de 84 ans. Il fut enterré le jour de la fête des Martyrs au cimetière de Gremda. Il rejoint ainsi trois collègues inspecteurs décédés  ses dernières semaines Mahmoud Ben Jemaa, inspecteur général de philosophie, Taher Hmida et Béchir Aïdi tous les deux inspecteurs d’histoire et de géographie. Que le Bon DIEU puisse les accueillir dans son paradis.

Texte introduit et traduit par Mongi Akrout, inspecteur général  de l’éducation

Tunis, avril 2025.

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#Sfax_la_belle

Hommage à la mémoire de Monsieur Anouar Joua (1941 – 2025)

Monsieur Anouar Joua est né le 11 janvier 1941. Fils de Mohamed Joua et de Khadija Obeid, il était l’aîné d’une fratrie nombreuse composée de huit garçons et deux filles. Dès sa plus tendre enfance, il fit preuve d’un esprit brillant et curieux.

Il effectua sa scolarité primaire à l’école des Jeunes, située à l’époque dans la rue du Palais, au cœur de la médina de Sfax, où résidait sa famille. Il poursuivit ensuite ses études secondaires au lycée des garçons, aujourd’hui connu sous le nom de lycée Hédi Chaker, et y obtint son baccalauréat en 1961.

Sa passion pour les langues étrangères, et plus particulièrement pour la langue anglaise, le mena à la Faculté des Lettres de Tunis, où il figura parmi les tout premiers Tunisiens à obtenir une licence d’anglais. L’État tunisien, soucieux de former une élite éducative nationale, investit dans cette génération prometteuse. Ainsi, chaque année, Anouar et ses collègues étaient envoyés à l’étranger, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, afin de parfaire leur maîtrise linguistique.

À l’issue de ses études, il fut nommé le tout premier professeur tunisien d’anglais à Sfax et dans le sud du pays. Jusqu’alors, cette discipline était enseignée par des membres du Peace Corps. Il fut affecté au lycée Hédi Chaker, là même où il avait été élève.

Une anecdote marquante témoigne de sa distinction : alors qu’il dispensait un cours, le directeur de l’établissement, M. Tawfik Ben Arefa, entra en salle et lui demanda de l’accompagner sans délai pour interpréter lors d’un entretien entre le président Habib Bourguiba et des journalistes étrangers venus s’enquérir de sa position sur la cause palestinienne. Face à la surprise d’Anouar, le directeur lui lança : « Quelle meilleure prestance que la tienne, Anouar ? Sais-tu que l’on te surnomme The Gentleman ? »

Après quelques années d’enseignement, il fut promu en inspecteur d’anglais pour le sud tunisien, puis accéda au poste d’inspecteur général, fonction qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 2001.

En parallèle, sur proposition de M. Ben Arefa, il participa à la création du centre régional de l’École Bourguiba des Langues Vivantes à Sfax, fondé en 1965 et initialement hébergé au lycée Hédi Chaker. Avec enthousiasme et abnégation, il contribua à bâtir ce centre, pierre après pierre, en étroite collaboration avec ses collègues, dont sa sœur Moufida, elle-même enseignante et pilier du projet.

Le centre fut transféré en 1974 au lycée Habib El Maâzoun, et Anouar Joua en resta le directeur jusqu’à sa retraite. Sa sœur se souvient de la fin de leur carrière, marquée par le désengagement progressif de l’État dans l’équipement des structures, ce qui le poussa parfois à financer lui-même certains besoins matériels pour garantir la continuité du service.

Homme de rigueur et de progrès, Anouar Joua ne cessa jamais de se former. Il participa à plusieurs missions pédagogiques avec le British Council, l’AMIDEAST, et visita des universités prestigieuses telles que Cambridge, Brighton, Londres ou encore Berkeley, Denver, Atlantic City et Washington, convaincu que rien ne vaut le contact direct avec des locuteurs natifs pour maîtriser une langue.

Reconnu pour son expertise, il fut membre et président de plusieurs commissions de rédaction des manuels scolaires d’anglais. Il anima aussi des programmes éducatifs radiophoniques, rédigea des ouvrages pédagogiques complémentaires et enregistra des exercices d’écoute, avec la participation de collègues et de son frère Jamil, lui aussi professeur d’anglais.

Même après son départ à la retraite, il demeura fidèle à sa vocation : traduction, interprétation, rédaction d’ouvrages, son activité ne cessa jamais vraiment.

Sur le plan personnel, il épousa Madame Leïla Feki en 1969, avec qui il eut Mohamed Ali, Hédia et feu Iskander. Il se remaria ensuite avec Madame Ibtissem Jelouli en 1990, et de cette union naquit Yosra.

Ses enfants ont hérité de ses talents : Hédia, polyglotte, travaille depuis de nombreuses années à l’ambassade d’Italie à Tunis ; Yosra, passionnée par la langue anglaise, prépare actuellement une thèse de doctorat ; quant à Mohamed Ali, il s’est installé aux États-Unis depuis 1993, où il exerce le métier d’ingénieur en informatique en Californie.

Anouar Joua nous a quittés le 8 avril 2025, à l’âge de 84 ans. Il a été inhumé au cimetière de Gremda, le jour de la fête des Martyrs. Sa disparition laisse un vide immense dans le cœur de sa famille, de ses collègues et de tous ceux qui ont eu le privilège de croiser sa route.

Traduit par Mongi Akrout, Inspecteur général de l'éducation 

Tunis, avril 2025

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