dimanche 12 octobre 2025

Histoire de mon école primaire Al-Falah


Avec l’ouverture de la nouvelle année scolaire 2025/2026, j’ai souhaité rendre hommage à l’école Al-Falah, connue aujourd’hui sous le nom d’« École primaire Markez Damak : Al-Falah », car  c’est l’école qui m’a accueilli dès 1955, elle se trouvait à quelques dizaines de mètres seulement de notre maison familiale. Elle a également vu passer mes frères, mes sœurs, puis mes deux enfants.


C’est donc en signe de gratitude que je lui consacre ce billet retraçant sa longue histoire, qui remonte au XIXᵉ siècle : née d’abord comme une "Zaouïa" ou une "Ghorfa" destinée à l’enseignement du Coran aux enfants du voisinage, elle devint en 1937 une école coranique, puis une école publique en 1955, à la suite de la nationalisation des établissements coraniques par la Tunisie indépendante.

Menacée de disparition au début des années 1980, elle fut sauvée grâce à l’intervention des habitants du quartier et demeure aujourd’hui un symbole vivant de la mémoire scolaire.

En évoquant ces étapes, je renouvelle ma fierté d’avoir été l’un des élèves de cette vénérable maison du savoir, berceau de générations innombrables d’écoliers qui poursuit sa noble mission avec beaucoup de succès.

 

Localisation et évolution




Située à Sfax, sur la route de Menzel Chaker, au 4ᵉ kilomètre, au Markez El-Hajjam, l’école Al-Falah est l’un des établissements les plus anciens de la région. Ses racines remontent au XIXᵉ siècle : d’abord kouttab (zaouïa), elle fut transformée en 1937 en une école coranique privée. Elle conserva ce statut jusqu’à l’année scolaire 1955-1956 - l’année où je l’ai intégrée - avant de devenir une école publique, conformément à la décision prise en février 1956 par le gouvernement de l’autonomie interne de nationaliser les écoles coraniques modernes.

L’article 2 du décret de nationalisation stipulait que : «L’enseignement dans les écoles coraniques modernes est nationalisé. On y applique les horaires, programmes, règlements scolaires, et congés en vigueur dans les écoles publiques. » L’article 3 précisait que « la gratuité de l’enseignement s’appliquait également à ces écoles ».

Je me souviens qu’à la fin de chaque mois, je devais payer des « frais mensuels de scolarité ». Puis, du jour au lendemain, l’école cessât de nous le demander, sans en comprendre la raison. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que cela était le résultat de la nationalisation qui a décrété la gratuité de l’enseignement.

Débat autour du fondateur de l’école

En enquêtant sur l’histoire de la fondation de l’école, et notamment sur la personnalité à l’origine de sa création, j’ai recueilli divers témoignages. Parmi eux :

  • Le témoignage de M. Ali Bouaziz, petit-fils du cheikh Sadok Bouaziz qui fut  un enseignant à l’école Al-Falah dans les années 1950.
  • Le témoignage M. Mounir El-Hajjam, fils de Mohamed El-Hajjam, qui fut un instituteur à  l’école Al-Falah
  • Le texte publié en janvier 2025 par M. Mohamed Habib Sallami, en hommage à Haj Ali Bouaziz (1870-1944).

De ces sources émergent deux récits qui concordent sur plusieurs points, mais divergent sur une question essentielle : l’identité du fondateur.

Points d’accord

  • Les débuts remontent à la fin du XIXᵉ siècle avec une modeste zaouïa où l’on enseignait le Coran et les principes de l’islam aux enfants du voisinage.
  • Le projet se développa progressivement : chaque fois qu’un étudiant de la famille ou des voisins obtenait son diplôme de la Mosquée Azzaitouna, il se voyait offrir, grâce aux bienfaiteurs de la ragion, une salle de cours où il s’installait comme enseignant. Ainsi, la Zaouïa évolua peu à peu en véritable école.
  • La première zaouïa (kouttab) fut bâtie sur un terrain appartenant à la famille El-Hajjam, jouxtant le cimetière familial, d’où son appellation : Mekteb ( école) El-Hajjam.

Point de divergence

Deux versions s’opposent quant au fondateur  de la Zaouia:

  • Première version (rapportée par Mohamed Habib Sallami et Ali Bouaziz) : D’après cette version, le mérite de la fondation de la zaouia revient à Haj Ali Bouaziz, surnommé « El-Meddeb ». Il ouvrit d’abord une « Ghorfa » pour enseigner le Coran, puis, face à l’affluence, il fit construire deux autres salles, transformant le kouttab en une école coranique privée. Son fils cadet, Abdelatif - diplômé de la Zitouna - fut nommé directeur et y enseigna jusqu’à sa retraite en 1975.
  • Deuxième version (rapportée par Mounir El-Hajjam) : D’après cette deuxième version, le fondateur fut Ali El-Hajjam, arrière-grand-père de Mounir. Celui-ci, après avoir fui le service militaire et séjourné en Algérie, il fit fortune dans le commerce à Gafsa avant de revenir à Sfax, où il construisit une zaouïa. À sa mort en 1919, son fils Mohamed poursuivit l’œuvre et agrandit l’école. Chaque diplômé de la Zitouna finançait la construction  d’une salle de classe et devient de droit un enseignant. Selon M. Mounir El-Hajjam, la dernière salle fut financée par son père Mohamed, qui travailla plusieurs années chez son oncle, qui commerçait de l’huile d’olive, pour réunir la somme nécessaire avant de rejoindre l’école comme instituteur.

Lorsque le kouttab se transforma en véritable école, une autorisation fut obtenue pour le transformer en une école coranique indigène, connue sous le nom de « l’École coranique du verger El-Hajjam ». Sa direction fut confiée d’abord à Sadok Bouaziz, puis à son frère Abdelatif Bouaziz.

L’école a failli de déménager dans années 1980

Au début des années 1980, l’école faillit disparaître en raison de l’augmentation des effectifs, de l’exiguïté du terrain et de la vétusté des bâtiments. La direction régionale de l’éducation de Sfax décida alors de construire un nouvel établissement sur un terrain  voisin appartenant à la famille El-Mnif, situé le long de la route principale.

Mais grâce à l’intervention des descendants des fondateurs et de plusieurs acteurs locaux, la décision fut annulée. On choisit de conserver le site originel, en annexant le terrain du cimetière voisin pour reconstruire l’école, financée conjointement par le ministère de l’éducation  et les habitants. Quant au nouvel établissement bâti sur le terrain El-Mnif, il devint le Lycée du 1er Mai.

Le corps enseignant en 1955-1956

Quand j’ai intégré l’école Al-Falah, en octobre 1955, elle comptait 4 ou 5 salles de classe, un bureau de direction, un bloc sanitaire et une petite cuisine. Le corps enseignant était composé de huit instituteurs (voir photo ci-dessous).

 


  • Assis au centre : le directeur, Cheikh Abdelatif Bouaziz.
  • À sa droite : Cheikh Hsan Khabou.
  • À sa gauche : Cheikh Sadok Bouaziz.
  • Debout, de droite à gauche : Mohamed El-Hajjam, Abdelkader Kammoun, Rachid Marrekchi, Habib Moalla et Mhammed Gargouri.

Mes premiers maîtres en 1ʳᵉ et 2ᵉ année furent Cheikh Abdelatif Bouaziz, Cheikh Sadok Bouaziz et Cheikh Hsan Khabou. Je garde surtout en mémoire les cours de Cheikh Abdelatif, qui enseignait l’arabe sans notes, ni manuels, s’appuyant sur une mémoire prodigieuse. Il circulait entre les rangs, une règle de bois à la main qu’il n’utilisait presque jamais. Cheikh Sadok, pour sa part, nous initiait au Coran. Il avait rejoint l’école en 1947, après avoir enseigné à l’école des filles de Sfax.

En 4ᵉ année, nous avons commencé à apprendre le français avec un jeune instituteur, M. Abdelkader Baati, qui venait d’être affecté à notre école et que nous admirions beaucoup. Notre maître d’arabe était alors Sidi Mhammed Gargouri, dont je me souviens surtout des moments musicaux qu’on attendait  avec beaucoup d’impatience : il nous jouait de l’accordéon à la fin de ses cours.

Parmi les autres instituteurs des années cinquante, que je n’ai pas eus comme maîtres, je citerai :

  • M. Mohamed El-Hajjam, petit-fils du fondateur (selon la deuxième version).
  • M. Habib Moalla, professeur de français réputé pour sa sévérité.
  • M. Abdelkader Kammoun.
  • M. Rachid Marrekchi, l’enseignant le plus redouté : il arrivait à l’école en motocyclette. Dès qu’on entendait son moteur vrombir à plusieurs dizaines de mètres — la route étant peu fréquentée à l’époque — tous les élèves qui jouaient aux abords de l’école   s’empressaient de regagner la cour  et se mettre en rang dans un silence absolu.

Enfin, je me rappelle que nous participions à quelques activités sportives et culturelles. Nos maîtres organisaient régulièrement des matchs de ballon prisonnier et, à l’occasion, des spectacles ou des projections de films muets.

Conclusion

Voilà donc ce qu’était mon école, qui poursuit encore aujourd’hui sa noble mission éducative. Elle demeure, toujours, un haut lieu de savoir qui attirent beaucoup de parents qui cherchent à placer leurs enfants dans cette institution.

Mongi Akrout, inspecteur général de l’éducation

Tunis, octobre 2025

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