Localisation et évolution
Située à Sfax, sur la route de
Menzel Chaker, au 4ᵉ kilomètre, au Markez El-Hajjam, l’école Al-Falah est l’un
des établissements les plus anciens de la région. Ses racines remontent au XIXᵉ
siècle : d’abord kouttab (zaouïa), elle fut transformée en 1937 en une école
coranique privée. Elle conserva ce statut jusqu’à l’année scolaire 1955-1956 -
l’année où je l’ai intégrée - avant de devenir une école publique, conformément
à la décision prise en février 1956 par le gouvernement de l’autonomie interne
de nationaliser les écoles coraniques modernes.
L’article 2 du décret de
nationalisation stipulait que : «L’enseignement dans les écoles coraniques
modernes est nationalisé. On y applique les horaires, programmes, règlements
scolaires, et congés en vigueur dans les écoles publiques. » L’article 3
précisait que « la gratuité de l’enseignement s’appliquait également à ces
écoles ».
Je me souviens qu’à la fin de
chaque mois, je devais payer des « frais mensuels de scolarité ». Puis, du jour
au lendemain, l’école cessât de nous le demander, sans en comprendre la raison.
Ce n’est que plus tard que j’ai compris que cela était le résultat de la
nationalisation qui a décrété la gratuité de l’enseignement.
Débat autour du fondateur de l’école
En enquêtant sur l’histoire de la
fondation de l’école, et notamment sur la personnalité à l’origine de sa création,
j’ai recueilli divers témoignages. Parmi eux :
- Le témoignage de M. Ali
Bouaziz, petit-fils du cheikh Sadok Bouaziz qui fut un enseignant à l’école Al-Falah dans
les années 1950.
- Le témoignage M. Mounir
El-Hajjam, fils de Mohamed El-Hajjam, qui fut un instituteur à l’école Al-Falah
- Le texte publié en janvier
2025 par M. Mohamed Habib Sallami, en hommage à Haj Ali Bouaziz
(1870-1944).
De ces sources émergent deux
récits qui concordent sur plusieurs points, mais divergent sur une question
essentielle : l’identité du fondateur.
Points d’accord
- Les débuts remontent à la
fin du XIXᵉ siècle avec une modeste zaouïa où l’on enseignait le Coran et
les principes de l’islam aux enfants du voisinage.
- Le projet se développa
progressivement : chaque fois qu’un étudiant de la famille ou des voisins obtenait
son diplôme de la Mosquée Azzaitouna, il se voyait offrir, grâce aux bienfaiteurs
de la ragion, une salle de cours où il s’installait comme enseignant.
Ainsi, la Zaouïa évolua peu à peu en véritable école.
- La première zaouïa (kouttab)
fut bâtie sur un terrain appartenant à la famille El-Hajjam, jouxtant le
cimetière familial, d’où son appellation : Mekteb ( école) El-Hajjam.
Point de divergence
Deux versions s’opposent quant au
fondateur de la Zaouia:
- Première version (rapportée par Mohamed Habib Sallami et Ali Bouaziz) : D’après cette
version, le mérite de la fondation de la zaouia revient à Haj Ali Bouaziz,
surnommé « El-Meddeb ». Il ouvrit d’abord une « Ghorfa » pour
enseigner le Coran, puis, face à l’affluence, il fit construire deux
autres salles, transformant le kouttab en une école coranique privée. Son
fils cadet, Abdelatif - diplômé de la Zitouna - fut nommé directeur et y enseigna
jusqu’à sa retraite en 1975.
- Deuxième version (rapportée par Mounir El-Hajjam) : D’après cette deuxième version, le
fondateur fut Ali El-Hajjam, arrière-grand-père de Mounir. Celui-ci,
après avoir fui le service militaire et séjourné en Algérie, il fit
fortune dans le commerce à Gafsa avant de revenir à Sfax, où il construisit
une zaouïa. À sa mort en 1919, son fils Mohamed poursuivit l’œuvre et
agrandit l’école. Chaque diplômé de la Zitouna finançait la construction d’une salle de classe et devient de droit
un enseignant. Selon M. Mounir El-Hajjam, la dernière salle fut financée
par son père Mohamed, qui travailla plusieurs années chez son oncle, qui commerçait
de l’huile d’olive, pour réunir la somme nécessaire avant de rejoindre
l’école comme instituteur.
Lorsque le kouttab se transforma
en véritable école, une autorisation fut obtenue pour le transformer en une
école coranique indigène, connue sous le nom de « l’École coranique du verger
El-Hajjam ». Sa direction fut confiée d’abord à Sadok Bouaziz, puis à son frère
Abdelatif Bouaziz.
L’école a failli de déménager dans années 1980
Au début des années 1980, l’école
faillit disparaître en raison de l’augmentation des effectifs, de l’exiguïté du
terrain et de la vétusté des bâtiments. La direction régionale de l’éducation
de Sfax décida alors de construire un nouvel établissement sur un terrain voisin appartenant à la famille El-Mnif, situé
le long de la route principale.
Mais grâce à l’intervention des
descendants des fondateurs et de plusieurs acteurs locaux, la décision fut
annulée. On choisit de conserver le site originel, en annexant le terrain du
cimetière voisin pour reconstruire l’école, financée conjointement par le
ministère de l’éducation et les
habitants. Quant au nouvel établissement bâti sur le terrain El-Mnif, il devint
le Lycée du 1er Mai.
Le corps enseignant en 1955-1956
Quand j’ai intégré l’école Al-Falah, en octobre 1955, elle comptait 4 ou 5 salles de classe, un bureau de direction, un bloc sanitaire et une petite cuisine. Le corps enseignant était composé de huit instituteurs (voir photo ci-dessous).
- Assis au centre : le directeur, Cheikh Abdelatif Bouaziz.
- À sa droite : Cheikh Hsan Khabou.
- À sa gauche : Cheikh Sadok Bouaziz.
- Debout, de droite à gauche : Mohamed El-Hajjam, Abdelkader Kammoun, Rachid Marrekchi, Habib
Moalla et Mhammed Gargouri.
Mes premiers maîtres en 1ʳᵉ et 2ᵉ
année furent Cheikh Abdelatif Bouaziz, Cheikh Sadok Bouaziz et Cheikh Hsan
Khabou. Je garde surtout en mémoire les cours de Cheikh Abdelatif, qui
enseignait l’arabe sans notes, ni manuels, s’appuyant sur une mémoire prodigieuse.
Il circulait entre les rangs, une règle de bois à la main qu’il n’utilisait
presque jamais. Cheikh Sadok, pour sa part, nous initiait au Coran. Il avait
rejoint l’école en 1947, après avoir enseigné à l’école des filles de Sfax.
En 4ᵉ année, nous avons commencé
à apprendre le français avec un jeune instituteur, M. Abdelkader Baati, qui
venait d’être affecté à notre école et que nous admirions beaucoup. Notre
maître d’arabe était alors Sidi Mhammed Gargouri, dont je me souviens surtout
des moments musicaux qu’on attendait avec beaucoup d’impatience : il nous jouait de
l’accordéon à la fin de ses cours.
Parmi les autres instituteurs des
années cinquante, que je n’ai pas eus comme maîtres, je citerai :
- M. Mohamed El-Hajjam,
petit-fils du fondateur (selon la deuxième version).
- M. Habib Moalla, professeur
de français réputé pour sa sévérité.
- M. Abdelkader Kammoun.
- M. Rachid Marrekchi,
l’enseignant le plus redouté : il arrivait à l’école en motocyclette. Dès
qu’on entendait son moteur vrombir à plusieurs dizaines de mètres — la
route étant peu fréquentée à l’époque — tous les élèves qui jouaient aux
abords de l’école s’empressaient de regagner la cour et se mettre en rang dans un silence
absolu.
Enfin, je me rappelle que nous
participions à quelques activités sportives et culturelles. Nos maîtres
organisaient régulièrement des matchs de ballon prisonnier et, à l’occasion,
des spectacles ou des projections de films muets.
Conclusion
Voilà donc ce qu’était mon école,
qui poursuit encore aujourd’hui sa noble mission éducative. Elle demeure, toujours,
un haut lieu de savoir qui attirent beaucoup de parents qui cherchent à placer
leurs enfants dans cette institution.
Mongi Akrout,
inspecteur général de l’éducation
Tunis, octobre
2025
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