lundi 10 mars 2014

L’Inspection Pédagogique en Tunisie; Première partie : Genèse de L’Inspection Pédagogique




Pourquoi cette note sur l'inspection pédagogique ?
Nous avons choisi de consacrer  la note de cette semaine pour réagir au communiqué du syndicat général des inspecteurs de l'enseignement secondaire ,  publié  à la mi-février 2014, et en particulier sur le quatrième point qui soulève la question de la place de l’inspecteur dans le  système éducatif et de son statut  dans les  différentes structures du ministère ,  aussi bien au niveau central que  régional .
Or ,  poser cette  question aujourd'hui , parait, aux premiers abords ,  paradoxal ,  alors que ce corps  a derrière lui 126 années d’histoire ; et aussi au vu de sa mission et de son rôle clé dans la mise en place d'un système éducatif moderne depuis l'indépendance ; et à la lumière de l'importance du travail  effectué  à tous  les niveaux -(conception des programmes , supervision  des examens , formation des enseignants…) .
En réalité, cette question a accompagné l'histoire de l’inspection ; elle  refait surface, chaque fois que l'équilibre, entre le corps administratif  et le corps des inspecteurs pédagogiques, est rompu. Et bien que  tous les Ministres, qui se sont succèdes à la tête de ce ministère ,  ont toujours reconnu la place de l' inspection,  et ont salué le rôle des inspecteurs.  Ces deniers  , en tant qu’autorité pédagogique , ont le sentiment  que, dans la pratique , leur rôle est usurpé , et qu’ ils ne prennent pas part réellement  et régulièrement  au développent et la conception  de la politique éducative.
Ayant appartenu à ce corps, depuis les années 80, et ayant eu l’honneur de présider l’amicale des inspecteurs de l’enseignement secondaire, et ayant contribué à la création de l’inspection Générale Pédagogique[1], nous avons voulu participer à l’écriture de l’histoire de ce corps ; nous réservons ce premier billet à la genèse de l’inspection en Tunisie.
Avant propos
L’inspection pédagogique en Tunisie est très ancienne ; ses premières traces remontent au XIX° siècle ; nous allons essayer de faire l’histoire de cette institution depuis ses premiers pas jusqu’à nos jours.
1- les débuts de l'inspection en Tunisie : un état embryonnaire
L’inspection est apparue en Tunisie au XIXe siècle : Shaykh Muhammad Tahar Ben Achour rapportait[2] " Que la Tunisie a connu plusieurs dispositions, d’inégales   importances, pour contrôler l’enseignement et les enseignants", comme par exemple :

  •  L’affectation d’un fonctionnaire appelé « Chaouch » pour contrôler les kouttabs ou les madrasas et les mouaddebs ; cette vielle pratique était inefficace d’après Shaykh Ben Achour.
  •  les mesures d’Ahmed Bey en  1841 :  Ahmed Bey  a nommé  quatre censeurs pour contrôler l’enseignement de la Grande Mosquée Azzaitouna , (Shaykh Islam  al Hanafi et Shaykh Islam  al Maliki ,  le  juge (Cadhi) Maliki et le juge Hanafi ) , la mission de ces censeurs  consistait  à« contrôler  l’assiduité des enseignants ,  consigner leurs absences,  préserver  la bibliothèque ,  contrôler la gestion financière  , et sélectionner  les  nouveaux enseignants en cas de besoin". Shaykh ben Achour[3] juge ces mesures positivement, car elles ont permis d’assurer  la régularité des cours, et à augmenter  le nombre de diplômés, tout en garantissant la qualité de leur compétence.
  • Les mesures de Mohammed Sadok Bey  (1870 ) : lorsque  Mohammed Sadok Bey  a constaté  la négligence qui accompagnait l'application des dispositions de son  prédécesseur , il a décidé de charger son ministre de la plume , Mohammed Aziz Bouattour, " d’inspecter l’état  de l'enseignement et la conformité  des pratiques avec les instructions ;  il devait présenter  un rapport à la fin de chaque mois . "[4] Il  s’en acquitta avec beaucoup de sérieux, d’après Cheikh ben Achour,  en «auditionnant de nombreuses leçons durant des journées entières  à la Grande Mosquée, et en contrôlant la valeur scientifique des cours, et en rédigeant  un rapport détaillé. "
En 1874, Mohammed Sadok  Bey  renforça l’inspection et le contrôle par de nouvelles mesures qui fixent les prérogatives  du censorat; désormais  "le censeur doit être présent quotidiennement pour inspecter l’état de l’enseignement" . Au cours de la même année,  Le Général Hussein, Ministre de l’Education, nomma deux  adjoints, Shaykh Omar ben Cheikh et Shaykh Mahmoud ben Khouja, dont la mission était de surveiller la mise en œuvre des directives et des instructions du gouvernement dans ce domaine, et de lui remettre  des rapports périodiques sur l’état ​​de l'enseignement ; ces rapports lui servent  pour la préparation du rapport  semestriel qu’il devrait présenter au gouvernement.
2- l'inspection à l’époque du protectorat français : la mise en place d’une véritable institution.
§  L’échec des autorités de protectorat dans ses tentatives pour contrôler l’enseignement de la Mosquée Azzaitouna
 Avec l’instauration du protectorat français en 1881, la nouvelle direction de l’enseignement Public, dirigé par L.Machuel a essayé de contrôler l’enseignement de la Mosquée Azzaitouna ; depuis 1883[5], il commença par faire passer les deux adjoints (les deux inspecteurs) nommés par le général Hussein sous son autorité.
Les deux inspecteurs exerçaient pendant une longue période leur mission d’inspection, selon les directives de leur nouveau chef, Machuel. Il ressort des propos de Shaykh Ibn Achour que leur intervention était positive, car elle " a fait un bon système pour les concours, les examens et les vacances de l’été en 1894. "[6]
Mais, en  1897,  lorsque  le Directeur l’enseignement Public a tenté  d’imposer une réforme de l’enseignement zitounien ,  certains  enseignants de la grande mosquée s’y sont opposés , refusant la tutelle  de la Direction de l’Enseignement ; ceux-ci finiront par obtenir gain de cause , quand le  Conseil des ministres décida de  " remettre  les affaires de l’enseignement  de la Mosquée Azzaitouna  au contrôle des 4 censeurs ; en 1907, Shaykh Mohamed Tahar Ben Achour fut nommé inspecteur de l’enseignement de la grande mosquée.
§  Inspection des écoles de l'enseignement public
L’inspection dans l'enseignement primaire et secondaire a été fondée, en Tunisie, au début de 1888, en vertu de la première loi de l'éducation, promulguée le 15 Septembre 1888, pendant le règne d’Ali BEY ; cette loi  a  défini la mission  de l’inspection et les parties qui en ont la charge dans les termes suivants:  " L’inspection des établissements scolaires s’exerce par le Directeur de l’Enseignement Public de la régence ou ses délégués. Celle des écoles privées porte sur la moralité, l’hygiène et la salubrité. Elle vérifie si l’enseignement n’y est pas contraire à la morale et aux lois du pays, et si la langue française y est bien enseignée ". (Art.- 2.)
§  L’inspection des écoles coraniques et l’inspection de l’enseignement de l’arabe dans les écoles franco- arabe.
L’inspection des muaddebs  a débuté en 1889 ; et en 1908[7] fut créée-  au sein de la Direction de l’Enseignement Public-  une inspection des écoles coraniques et de l'enseignement de l’arabe dans les écoles publiques primaires.  " Mahmoud Ben Mahmoud fut nommé inspecteur d’arabe  de l’enseignement secondaire  au collège Sadiki , au collège Alaoui  et à l'école Alasfouriya ".[8]
§  L’inspection des écoles primaires françaises et de l’enseignement du français dans les écoles franco-arabe.
L’inspection de la langue française était au début confiée presque exclusivement à des inspecteurs venus de France ; puis on commença à les recruter parmi les instituteurs et les directeurs d’écoles exerçant déjà en Tunisie.
En étudiant les différents textes de l’époque, on constate, que, depuis les débuts, la dimension administrative était prédominante dans la tâche de l’inspecteur ; la loi de 1888[9] l’a confirmée d’une façon très claire.
Avec le protectorat, l’inspection a été réorganisée et structurée ; le pays a été divisé en circonscriptions ; des inspections régionales ont été créées et dirigées par des inspecteurs régionaux ; des concours pour le recrutement de nouveaux inspecteurs furent organisés.
En 1900, « les écoles primaires étaient réparties en deux circonscriptions d’inspection[10].
-         La circonscription Nord avait son siège à Tunis. Elle comprenait les écoles des contrôles de Tunis, Bizerte, Béja, Souk el Arba, Le Kef ainsi que les écoles du contrôle de Grombalia situées à l’ouest de Grombalia, y compris celles ce cette localité.
-           La circonscription Sud avait  son siège à Sousse. Elle comprenait les écoles des contrôles de Sousse, Sfax, Kairouan, Gabès, Gafsa, Thala ainsi que les écoles du contrôle de Grombalia situées à l’est de Grombalia.
En 1950, le pays était divisé en cinq circonscriptions[11] d'inspection de l'enseignement arabe : ( annexe 1)   celle de Tunis 1 , Tunis 2, Sousse , Sfax et Gabès ;  ces circonscriptions étaient dirigées  par des inspecteurs  tunisiens ; il s’agissait de Sadok  et Abderrahmane Sebai ,Mohammed Bakir , Ahmed Sfar et Mohammed  El Aroui .
3- l’inspection pédagogique depuis l’indépendance
Le Gouvernement Tunisien a conservé, après l'indépendance, presque la même structure de l’inspection, tout en cherchant à la développer et à la réorganiser :
-     la Loi sur l'éducation de 1958  a mis en relief  la fonction de l'inspection  , à coté  de celles  de l'enseignement , de gestion et de contrôle; l’article 34 de la dite loi a classé les inspecteurs en  cinq catégories: les inspecteurs de l’ enseignement secondaire ; les inspecteurs de l’enseignement technique  , les inspecteurs de l’ enseignement moyen , les inspecteurs de l'enseignement primaire et les inspecteurs de l’éducation physique  .
-      l’article 17 de la loi de 1991 a précisé les attributions de l'inspection pédagogique dans les domaines des programmes et du parcours professionnel des enseignants.
-      La loi d'orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire de 2002 a placé le corps de l’inspection dans la cinquième section, dédiée au cadre éducatif, administratif et pédagogique, les considérant ainsi comme une composante de cette famille cadre. (article 45)
 En étudiant les différents textes fondamentaux (voir annexe 2), on constate l’évolution suivante :
-       Dans un premier temps (1959 à 1967), le législateur a intégré les inspecteurs dans un texte général qui regroupe tous les fonctionnaires de l’éducation selon le cycle .C’est ainsi que le statut des inspecteurs des écoles primaires constituait un chapitre du texte réservé à tout le personnel de l’école primaire.
-      Dans un deuxième temps, (1967) le législateur a réservé un  texte spécial pour les inspecteurs de l’enseignement moyen et de l’enseignement secondaire et des conseillers pédagogiques .
-      Dans un troisième temps (1973), le corps des inspecteurs des différents cycles est regroupé dans un texte unique (les statuts de 1973[12] et  2001).
Conclusion
les gouvernements de l'indépendance  ont  réglementé les corps de l’inspection pédagogique, en promulguant les textes juridiques nécessaires ;  nous consacrerons la 2° partie de cette histoire de l’inspection  aux différents textes définissant  les statuts , tels qu’ils ont été  révisés  et complétés,  afin d’essayer de cerner les changements et les modifications dans les fonctions des inspecteurs, le mode du recrutement et de promotion et l’organisation de leur travail.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout
Tunis, Décembre 2013


Annexe 1 ; circulaire du 30 janvier 1950: Les Circonscriptions des inspecteurs de l'Enseignement de l'arabe

Sadok Sebei : Tunis 1 comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire des Ecoles normales de Tunis  1 et 2 comprenant Tunis nord , Tunis est, avec résidence à Tunis , 5 rue Zarkoun .
Mohamed Bakir : Tunis 2 comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de Tunis ouest, Bizerte le Kef, avec résidence à Tunis , 10 rue de Moscou .
Abderrahmane Sebei comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de Sousse 1 et 2, avec résidence à Sousse.
Ahmed Sfar : Sfax comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de Sfax avec résidence à sfax.
Mohamed Laroui : Gabès comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de Gabès,avec résidence à Gabès.

Le directeur de l'instruction publique,
   Lucien Paye




Annexe2    :  statuts particuliers des  corps de L’inspection

Journal officiel
Référence juridique
Année
N° 24 du 28 avril 1959
Décret 120-59 du 27avril 1959 fixant le statut particulier des personnels : Inspecteurs administratifs et enseignants des collèges d’enseignement moyen

1959
N° 1 du 28 juin 1960
Décret 221-60 du 27-6- 1960 fixant des personnels de l’enseignement secondaire.
1960
N° 1 du 3janvier 1961
Décret 61-15 du 3 janvier 1961fixant le statut des personnels de l’enseignement primaire
1961
N° 12 du 2-5 mars 1965
Décret 65-86 du 18 février 1965, modifiant le décret 61-15 du 3 janvier 1961fixant le statut des personnels de l’enseignement primaire
1965
N°45 du 27 octobre 1967
Décret 67-362 du 18-10- 1967 portants statuts particuliers des personnels d’inspection et d’assistance pédagogique de l’enseignement du second degré
1967
N° 11 du 23 mars 1973
Décret 73-110 du 17-3- 1976 fixant le statut particulier des personnels d’inspection pédagogique du ministère de l’éducation nationale.
1973
N° 81 du 9-10 2001
Décret 2001-2348 du 2-10- 2001 fixant le statut particulier des personnels d’inspection pédagogique du ministère de l’éducation nationale.
2001



























[1] Hédi Bouhouch, Inspecteur général de l’Education, a été à la tête de l’inspection générale de 2001 à 2O07, succédant  à M° Abdelmadjid Gharbi
[2]  L’aube n’est elle pas pour bientôt ?  (1988, Seconde Edition) , en arabe
[3] Op ; cite, p117
[4] Op,cité, p118
[5] Shaykh Mohammed al kortobi  a succédé au Cheikh Ben Khoja dans la fonction d’inspecteur des sciences arabes à la direction de l’enseignement public 
[6] Op  cité p 119
[7]  Décret n° 26 – 1908  créa l’inspection des écoles coraniques et de l’enseignement de l’arabe dans les écoles primaires publiques.  
[8] Op cité p 150, Mahmoud ben Mahmoud quitta l’inspection pour occuper la charge de Cadhi Hanafi , quant à Amor ben Cheikh ,il a présenté sa démission pour raison de santé.
[9] Ces informations ont été  reprises à partir de la thèse de Noureddine Sassi, Perception du rôle de l’inspection primaire en Tunisie, Thèse de doctorat (manuscrit)  (1977)
[10] Note  du 21 Décembre 1900, relative à l’organisation de l’inspection  des écoles primaires .
[11] Circulaire du 30 janvier 1950 : Les circonscriptions des inspecteurs de l’enseignement arabe - Journal officiel de l’instruction publique
[12] Le statut de 1973 a été publié dans le même jort qui  publia la nomination de Driss Guiga   au ministère de l’éducation à la place de Mohamed Mzali
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