Pourquoi cette note sur
l'inspection pédagogique ?
Nous
avons choisi de consacrer la note de
cette semaine pour réagir au communiqué du syndicat général des inspecteurs de
l'enseignement secondaire , publié à la mi-février 2014, et en particulier sur
le quatrième point qui soulève la question de la place de l’inspecteur dans le système éducatif et de son statut dans les différentes structures du ministère , aussi bien au niveau central que régional .
Or , poser cette question aujourd'hui , parait, aux
premiers abords , paradoxal , alors que ce corps a derrière lui 126 années d’histoire ;
et aussi au vu de sa mission et de son rôle clé dans la mise en place d'un
système éducatif moderne depuis l'indépendance ; et à la lumière de
l'importance du travail effectué à tous les
niveaux -(conception des programmes , supervision des examens , formation des enseignants…) .
En
réalité, cette question a accompagné l'histoire de l’inspection ;
elle refait surface, chaque fois que
l'équilibre, entre le corps administratif
et le corps des inspecteurs pédagogiques, est rompu. Et bien que tous les Ministres, qui se sont succèdes à la tête de
ce ministère , ont toujours reconnu la place de l' inspection, et ont salué le rôle des inspecteurs. Ces deniers
, en tant qu’autorité pédagogique , ont le sentiment que, dans la pratique , leur rôle est usurpé
, et qu’ ils ne prennent pas part réellement
et régulièrement au développent
et la conception de la politique
éducative.
Ayant
appartenu à ce corps, depuis les années 80, et ayant eu l’honneur de présider
l’amicale des inspecteurs de l’enseignement secondaire, et ayant contribué à la
création de l’inspection Générale Pédagogique[1],
nous avons voulu participer à l’écriture de l’histoire de ce corps ; nous
réservons ce premier billet à la genèse de l’inspection en Tunisie.
Avant propos
L’inspection
pédagogique en Tunisie est très ancienne ; ses premières traces remontent
au XIX° siècle ; nous allons essayer de faire l’histoire de cette institution
depuis ses premiers pas jusqu’à nos jours.
1- les débuts de l'inspection en Tunisie :
un état embryonnaire
L’inspection
est apparue en Tunisie au XIXe siècle : Shaykh Muhammad Tahar Ben Achour
rapportait[2]
" Que la Tunisie a connu plusieurs dispositions, d’inégales importances, pour contrôler l’enseignement et
les enseignants", comme par exemple :
- L’affectation d’un fonctionnaire appelé « Chaouch » pour contrôler les kouttabs ou les madrasas et les mouaddebs ; cette vielle pratique était inefficace d’après Shaykh Ben Achour.
- les mesures d’Ahmed Bey en 1841 : Ahmed Bey a nommé quatre censeurs pour contrôler l’enseignement de la Grande Mosquée Azzaitouna , (Shaykh Islam al Hanafi et Shaykh Islam al Maliki , le juge (Cadhi) Maliki et le juge Hanafi ) , la mission de ces censeurs consistait à« contrôler l’assiduité des enseignants , consigner leurs absences, préserver la bibliothèque , contrôler la gestion financière , et sélectionner les nouveaux enseignants en cas de besoin". Shaykh ben Achour[3] juge ces mesures positivement, car elles ont permis d’assurer la régularité des cours, et à augmenter le nombre de diplômés, tout en garantissant la qualité de leur compétence.
- Les mesures de Mohammed Sadok Bey (1870 ) : lorsque Mohammed Sadok Bey a constaté la négligence qui accompagnait l'application des dispositions de son prédécesseur , il a décidé de charger son ministre de la plume , Mohammed Aziz Bouattour, " d’inspecter l’état de l'enseignement et la conformité des pratiques avec les instructions ; il devait présenter un rapport à la fin de chaque mois . "[4] Il s’en acquitta avec beaucoup de sérieux, d’après Cheikh ben Achour, en «auditionnant de nombreuses leçons durant des journées entières à la Grande Mosquée, et en contrôlant la valeur scientifique des cours, et en rédigeant un rapport détaillé. "
En
1874, Mohammed Sadok Bey renforça l’inspection et le contrôle par de
nouvelles mesures qui fixent les prérogatives du censorat; désormais "le censeur doit être présent
quotidiennement pour inspecter l’état de l’enseignement" . Au cours de
la même année, Le Général Hussein,
Ministre de l’Education, nomma deux adjoints,
Shaykh Omar ben Cheikh et Shaykh Mahmoud ben Khouja, dont la mission était de
surveiller la mise en œuvre des directives et des instructions du gouvernement
dans ce domaine, et de lui remettre des
rapports périodiques sur l’état de l'enseignement ; ces rapports lui
servent pour la préparation du rapport semestriel qu’il devrait présenter au
gouvernement.
2- l'inspection à l’époque du protectorat français : la
mise en place d’une véritable institution.
§ L’échec des autorités de protectorat dans ses
tentatives pour contrôler l’enseignement de la Mosquée Azzaitouna
Avec l’instauration du protectorat français en
1881, la nouvelle direction de l’enseignement Public, dirigé par L.Machuel a
essayé de contrôler l’enseignement de la Mosquée Azzaitouna ; depuis
1883[5], il
commença par faire passer les deux adjoints (les deux inspecteurs) nommés par
le général Hussein sous son autorité.
Les
deux inspecteurs exerçaient pendant une longue période leur mission
d’inspection, selon les directives de leur nouveau chef, Machuel. Il ressort des
propos de Shaykh Ibn Achour que leur intervention était positive, car elle
" a fait un bon système pour les concours, les examens et les vacances
de l’été en 1894. "[6]
Mais, en 1897, lorsque le Directeur l’enseignement Public a tenté d’imposer une réforme de l’enseignement
zitounien , certains enseignants
de la grande mosquée s’y sont opposés , refusant la tutelle de la Direction de l’Enseignement ; ceux-ci
finiront par obtenir gain de cause , quand le Conseil des ministres décida de " remettre les affaires de l’enseignement de la Mosquée Azzaitouna au contrôle des
4 censeurs ; en 1907, Shaykh Mohamed Tahar Ben Achour fut nommé inspecteur
de l’enseignement de la grande mosquée.
§ Inspection des écoles de l'enseignement public
L’inspection
dans l'enseignement primaire et secondaire a été fondée, en Tunisie, au début
de 1888, en vertu de la première loi de l'éducation, promulguée le 15 Septembre
1888, pendant le règne d’Ali BEY ; cette loi a défini
la mission de l’inspection et les
parties qui en ont la charge dans les termes suivants: " L’inspection des établissements
scolaires s’exerce par le Directeur de l’Enseignement Public de la régence ou
ses délégués. Celle des écoles privées porte sur la moralité, l’hygiène et la
salubrité. Elle vérifie si l’enseignement n’y est pas contraire à la morale et
aux lois du pays, et si la langue française y est bien enseignée ".
(Art.- 2.)
§ L’inspection des écoles coraniques et l’inspection de
l’enseignement de l’arabe dans les écoles franco- arabe.
L’inspection
des muaddebs a débuté en 1889 ; et
en 1908[7]
fut créée- au sein de la Direction de l’Enseignement
Public- une inspection des écoles
coraniques et de l'enseignement de l’arabe dans les écoles publiques primaires. " Mahmoud Ben Mahmoud fut nommé inspecteur
d’arabe de l’enseignement secondaire au collège Sadiki , au collège Alaoui et à l'école Alasfouriya ".[8]
§ L’inspection des écoles primaires françaises et de
l’enseignement du français dans les écoles franco-arabe.
L’inspection
de la langue française était au début confiée presque exclusivement à des
inspecteurs venus de France ; puis on commença à les recruter parmi les
instituteurs et les directeurs d’écoles exerçant déjà en Tunisie.
En
étudiant les différents textes de l’époque, on constate, que, depuis les débuts,
la dimension administrative était prédominante dans la tâche de l’inspecteur ;
la loi de 1888[9] l’a
confirmée d’une façon très claire.
Avec
le protectorat, l’inspection a été réorganisée et structurée ; le pays a
été divisé en circonscriptions ; des inspections régionales ont été créées
et dirigées par des inspecteurs régionaux ; des concours pour le
recrutement de nouveaux inspecteurs furent organisés.
En
1900, « les écoles primaires étaient réparties en deux
circonscriptions d’inspection[10].
-
La
circonscription Nord avait son siège à Tunis. Elle comprenait
les écoles des contrôles de Tunis, Bizerte, Béja, Souk el Arba, Le Kef ainsi
que les écoles du contrôle de Grombalia situées à l’ouest de Grombalia, y
compris celles ce cette localité.
-
La
circonscription Sud avait son siège
à Sousse. Elle comprenait les écoles des contrôles de Sousse, Sfax, Kairouan,
Gabès, Gafsa, Thala ainsi que les écoles du contrôle de Grombalia situées à
l’est de Grombalia.
En
1950, le pays était divisé en cinq circonscriptions[11] d'inspection de l'enseignement arabe : ( annexe 1) celle de Tunis 1 , Tunis 2, Sousse , Sfax et Gabès
; ces circonscriptions étaient dirigées par des inspecteurs tunisiens ; il s’agissait de Sadok et Abderrahmane Sebai ,Mohammed Bakir ,
Ahmed Sfar et Mohammed El Aroui .
3- l’inspection pédagogique
depuis l’indépendance
Le Gouvernement
Tunisien a conservé, après l'indépendance, presque la même structure de l’inspection,
tout en cherchant à la développer et à la réorganiser :
- la Loi sur l'éducation de 1958 a mis en relief la fonction de l'inspection , à coté de celles de l'enseignement , de gestion et de contrôle; l’article
34 de la dite loi a classé les inspecteurs en cinq catégories: les inspecteurs de l’
enseignement secondaire ; les inspecteurs de l’enseignement technique , les inspecteurs de l’ enseignement moyen , les
inspecteurs de l'enseignement primaire et les inspecteurs de l’éducation physique .
- l’article 17 de
la loi de 1991 a précisé les attributions de l'inspection pédagogique dans les
domaines des programmes et du parcours professionnel des enseignants.
- La loi
d'orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire de 2002 a placé le corps de
l’inspection dans la cinquième section, dédiée au cadre éducatif, administratif
et pédagogique, les considérant ainsi comme une composante de cette famille cadre.
(article 45)
En étudiant les différents textes fondamentaux
(voir annexe 2), on constate l’évolution suivante :
- Dans un premier
temps (1959 à 1967), le législateur a intégré les inspecteurs dans un texte
général qui regroupe tous les fonctionnaires de l’éducation selon le cycle .C’est
ainsi que le statut des inspecteurs des écoles primaires constituait un chapitre
du texte réservé à tout le personnel de l’école primaire.
- Dans un deuxième temps, (1967) le législateur a réservé
un texte spécial
pour les inspecteurs de l’enseignement moyen et de l’enseignement secondaire et
des conseillers pédagogiques .
- Dans un troisième temps (1973), le corps des
inspecteurs des différents cycles est regroupé dans un texte unique (les statuts
de 1973[12]
et 2001).
Conclusion
les
gouvernements de l'indépendance ont réglementé les corps de l’inspection
pédagogique, en promulguant les textes juridiques nécessaires ; nous consacrerons la 2° partie de cette
histoire de l’inspection aux différents
textes définissant les statuts , tels qu’ils ont été révisés et complétés, afin d’essayer de cerner les changements et les
modifications dans les fonctions des inspecteurs, le mode du recrutement et de promotion
et l’organisation de leur travail.
Hédi
Bouhouch & Mongi Akrout
Tunis,
Décembre 2013
Annexe
1 ; circulaire du 30 janvier 1950: Les Circonscriptions des inspecteurs de
l'Enseignement de l'arabe
Sadok
Sebei : Tunis 1 comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire des
Ecoles normales de Tunis 1 et 2 comprenant Tunis nord , Tunis est, avec
résidence à Tunis , 5 rue Zarkoun .
Mohamed
Bakir : Tunis 2 comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de
Tunis ouest, Bizerte le Kef, avec résidence à Tunis , 10 rue de Moscou .
Abderrahmane
Sebei comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de Sousse 1
et 2, avec résidence à Sousse.
Ahmed
Sfar : Sfax comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de Sfax avec résidence à sfax.
Mohamed
Laroui : Gabès comprenant les Circonscriptions de l'Enseignement Primaire de
Gabès,avec résidence à Gabès.
Le
directeur de l'instruction publique,
Lucien
Paye
Annexe2 : statuts particuliers des corps de L’inspection
Journal officiel
|
Référence juridique
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Année
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N° 24 du 28 avril 1959
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Décret 120-59 du 27avril 1959 fixant
le statut particulier des personnels : Inspecteurs administratifs et
enseignants des collèges d’enseignement moyen
|
1959
|
N° 1 du 28 juin 1960
|
Décret 221-60 du 27-6- 1960 fixant des personnels de
l’enseignement secondaire.
|
1960
|
N° 1 du 3janvier 1961
|
Décret 61-15 du 3 janvier 1961fixant le statut des
personnels de l’enseignement primaire
|
1961
|
N° 12 du 2-5 mars 1965
|
Décret 65-86 du 18 février 1965, modifiant le décret
61-15 du 3 janvier 1961fixant le statut des personnels de l’enseignement
primaire
|
1965
|
N°45 du 27 octobre 1967
|
Décret 67-362 du 18-10- 1967 portants statuts
particuliers des personnels d’inspection et d’assistance pédagogique de
l’enseignement du second degré
|
1967
|
N° 11 du 23 mars 1973
|
Décret 73-110 du 17-3- 1976 fixant le statut
particulier des personnels d’inspection pédagogique du ministère de
l’éducation nationale.
|
1973
|
N° 81 du 9-10 2001
|
Décret 2001-2348 du 2-10- 2001 fixant le statut
particulier des personnels d’inspection pédagogique du ministère de
l’éducation nationale.
|
2001
|
[1] Hédi Bouhouch, Inspecteur général de l’Education, a été
à la tête de l’inspection générale de 2001 à 2O07, succédant à M° Abdelmadjid Gharbi
[3] Op ; cite, p117
[4] Op,cité, p118
[5] Shaykh Mohammed al kortobi a succédé au Cheikh Ben Khoja dans la
fonction d’inspecteur des sciences arabes à la direction de l’enseignement
public
[6] Op cité p 119
[7] Décret n° 26 –
1908 créa l’inspection des écoles
coraniques et de l’enseignement de l’arabe dans les écoles primaires publiques.
[8] Op cité p 150, Mahmoud ben Mahmoud quitta l’inspection
pour occuper la charge de Cadhi Hanafi , quant à Amor ben Cheikh ,il a présenté
sa démission pour raison de santé.
[9] Ces
informations ont été reprises à partir
de la thèse de Noureddine Sassi, Perception du rôle de l’inspection primaire en
Tunisie, Thèse de doctorat (manuscrit) (1977)
[10] Note du 21
Décembre 1900, relative à l’organisation de l’inspection des écoles primaires .
[11] Circulaire du 30 janvier 1950 : Les circonscriptions des
inspecteurs de l’enseignement arabe - Journal officiel de l’instruction
publique
[12] Le statut de 1973 a été publié dans le même jort qui publia la nomination de Driss Guiga au ministère de l’éducation à la place de
Mohamed Mzali
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