lundi 17 mars 2014

Réflexions sur le droit à l’éducation


Avant propos
Nous avons été  invités à participer, au début du mois de mars,  à une table ronde  organisée par le bureau de Sfax - sud de la ligue Tunisienne  des droits de l’homme  sur le thème «  Le droit à l’éducation entre rhétorique des droits de l'homme et la réalité de l'école ».

Nous avons voulu publier cette semaine  la contribution   de son président  M° Brahim Ben Salah, Inspecteur général de l’éducation,  à  l’ouverture de la table ronde,   dans la rubrique « questions d’actualités »; il brosse un tableau  alarmant  sur la situation de l’école tunisienne aujourd’hui ; nous souhaitions, par cette initiative, susciter  un débat sur un sujet  qui  représente un enjeu pour l’avenir de l’école tunisienne en particulier, et pour notre pays en général.

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout
12 mars 2014


 Le texte de la contribution de M° Brahim Ben Salah

Le droit à l’éducation  entre rhétorique des droits de l'homme et la réalité de l'école

C'est la cinquième table ronde que nous organisons cette année sur le thème  ​​« le droit à l’éducation  entre la rhétorique des droits de l’homme et la réalité de l'école  ".
Nous avons choisi ce sujet  car nous avons remarqué,  ces derniers temps,   que plusieurs voix appellent  à la nécessité  de réformer le système éducatif  tunisien.
Ces voix n'auraient pas pu s'élever sans les changements qu’avait connus  l'école tunisienne  et la  baisse du niveau de ses  diplômés ;  d’ailleurs plusieurs forums ont été consacrés à la question  ; seulement,  ils avaient traité  des  aspects  partiels  et sans aborder le fond  des choses ; or, nous estimons que parmi les questions de fond, il y a le droit à l’éducation qui est aujourd’hui  remis en question... Ce droit, expressément garanti pour tous, au niveau des textes et des discours, est devenu un simple slogan  devant le hiatus entre les appels  des chartes internationales  pour garantir les droits  à l’éducation pour tous les enfants,  et la réalité dominée par l'injustice et l’inégalité des chances  .

La mission de l’école aujourd’hui d’après les textes des organisations internationales
L’article 26  de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule que  « Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et  professionnel doit être généralisé; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite »[1]
Les articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux   et culturels (1966)[2]  confirment  le  contenu de l’article précité, en insistant particulièrement sur la généralisation, le caractère obligatoire et sur la gratuité ; les états signataires du pacte sont explicitement invités  à mettre  sur pied des plans pratiques et concrets  pour  assurer la pleine application du principe de l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous.
les articles 28  et 29 La Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)[3] confirme aussi le droit à l’éducation à tous les niveaux  ; elle appelle  les pays signataires à rendre « ouvertes et accessibles, à tout enfant, l’information et l’orientation scolaires et professionnelles » ; et à prendre «  des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et empêcher  l’abandon scolaire »,  et veiller à  «  ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain », et à « participer sérieusement à éradiquer l’analphabétisme et l’ignorance »,et en fixant à l’école un objectif suprême à savoir  celui de   préparer l’enfant à la vie active .
Si les organisations internationales et  les nations   accordent  toute cette considération  à l'éducation de l’enfance, c’est parce que le droit à l'éducation, quoique qualifié  de frère pauvre des autres droits  de l'homme, est en soi  un droit fondamental; et il est considéré comme  étant l’une des principales clés pour l'exercice des autres droits.
C'est le droit qui donne à l’homme  la possibilité de construire son autonomie;  et c’est aussi  l'outil qui aide la  personne à sortir de la marginalisation, et enfin ce droit balise la voie du progrès  économique et social et facilite  l’intégration   et la participation de l’individu  dans la vie collective.
 C’est pour tout cela que le droit à l’éducation  est un droit transversal , c'est-à-dire  il est  à la fois un  droit civique, politique, économique, social et culturel.
Ce droit  est lié à la capacité de l’homme  de  faire la synthèse  entre les différentes composantes de son identité, et de resserrer des liens  solides  entre l'individuel  et le social,  c’est la raison pour laquelle les Nations  n’ont  pas limité ce  droit   à un  âge ou à une institution spécifique .  Mais  alors, qu’en est-il entre la rhétorique des droits de l'homme et la réalité de l'école ?
En  réalité tous les systèmes éducatifs dans le monde  sont, aujourd’hui, accusés d'être des systèmes  défaillants ; et tout le monde renvoie  la responsabilité de tous les déséquilibres  et tous les maux sociaux à  ces systèmes éducatifs, puisque, à leur avis  l’école a failli à sa mission.
 Entre les politiciens et les économistes d'un coté, et les responsables de l'éducation de l’autre, le conflit fait rage; entre temps, toute  une génération d'enfants est sacrifiée, car elle ne reçoit ni une bonne éducation ni une instruction  correcte,  et se  dirige  vers l’inconnu.
 Toutes les statistiques , aussi bien  des pays développés que   des  pays sous-développés, montrent  que le taux d'analphabétisme est en hausse, et que dix ans et voire quinze années passées entre les murs de l'école ne sont pas suffisants  pour prémunir  l'apprenant contre  un  retour  à l'analphabétisme,   et il est  maintenant de notre devoir de planifier pour l'éducation des adultes avant de planifier pour l‘éducation des jeunes ?
 Aujourd’hui cent cinquante millions  d’enfants de part  le monde ne fréquentent pas l'école, et des centaines de millions la quittent avant  l'âge de seize ans.
 En Tunisie, plus de 140 000 enfants quittent  l'école chaque année, dont  plus quatre-vingt mille au niveau de l'enseignement  de base.
En  2011- 2012, selon les chiffres officiels, plus de 100.000 élèves ont abandonné les bancs de l’école, sans compter les dizaines de milliers de redoublants.
Le coût de l'échec scolaire est estimé à 345 milliards (Millimes tunisiens ) , dont 137 milliards   pour  le  redoublement  , et 208 milliards pour de l’abandon scolaire .
La proportion des  décrocheurs en Tunisie  est  en  hausse ; elle pourrait atteindre dans les prochaines années , selon les estimations des  experts,  50 pour cent pour le deuxième cycle  de l'enseignement  de base , en particulier  au niveau de la septième année ,  et elle atteindrait  10 pour cent dans l'enseignement primaire , en particulier chez les élèves  de la  5° et  de la 6° ; en outre, les garçons représentent la majorité  de décrocheurs.

Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui , nous sommes face  à des  jeunes  inquiets  et  préoccupés ,qui  ont  peur pour leur  avenir, et ils ne se préparent pas pour ce futur  avec  la force de  la volonté , mais avec  appréhension.
  Nous sommes en présence de jeunes  qui souffrent, d’abord, parce qu’ils manquent de  références , ensuite,  parce qu’ils ne trouvent  pas  un sens à leur vie, et enfin  parce qu’ils n’ont pas trouvé  de sens  dans le travail qu’ils ont  effectué à l'école , car  les diplômes qu’ils ont obtenus ou vont obtenir   ne leur assurent plus un travail .
 Ces jeunes ont le sentiment  qu'ils ne sont plus utiles  et qu’ils sont rejetés  parce qu'ils n'ont ni un choix, ni un  avenir et ni même  un sens à leur vie.

Après tout cela ? La  réforme  de l'école  est-elle- encore  possible? Carte scolaire équitable !
Nous aurons aimé  répondre tout de suite  par l’affirmative, seulement les inégalités sociales et les écarts scandaleux entre les régions  et le déséquilibre qui caractérise la carte scolaire, nous empêchent   de parler de démocratie éducative  et d’égalité des chances pour les apprenants.
Suffisait-t-il  d’inscrire  tous les enfants en  de âge scolarisation  pour parler  démocratie  en éducation ? La généralisation de la scolarisation est -elle synonyme  de l’égalité des  chances ?
  Les inégalités sociales ne sont-elles pas  parmi les  principales  causes de la violence scolaire, de l’indiscipline et du refus de l'école et de ses lois et des apprentissages par les élèves ?

Les droits de l'enfant à l'école ou l'éducation à la citoyenneté
Si  le tableau que nous venons de décrire  reflète la réalité , peut- on  continuer à aspirer à voir un comportement  civique et citoyen chez nos jeunes élèves ?  Quelle citoyenneté dans et hors de l'école  avec des jeunes misérables  qui ne voient  pas  comment ils peuvent   améliorer leurs situations ? Est-ce que  l’éducation à la citoyenneté  a encore un sens dans de telles circonstances ? Est - ce qu’il y a  un  manque adéquation entre ce qui est proposé par l'école et ce que demande la société ? Quelle est la mission de l'école aujourd'hui? Et que doit-on faire pour avoir une carte scolaire équitable?

Toutes ces questions étaient à l’origine de l’organisation de cette table ronde afin d’approfondir la réflexion avec un groupe d’universitaires et d’experts en éducation, il s’agit de Messieurs :
Mohamed Slaheddine  cherif , Docteur et professeur à la Faculté des lettres de Manouba.
Mongi Akrout, Inspecteur général de l’Education et ancien Directeur Général des Examens au Ministère de l’Education.
Mohamed Najib Abdelmoula, Inspecteur général de l’Education et expert à l’institut Arabe des droits de l’homme.
Ahmed Essafi, Avocat et membre de l’assemblée Nationale constituante.
A tous , nous présentons nos vifs remerciements pour avoir répondu positivement à notre invitation.

Brahim Ben salah,
 Président du bureau de Sfax- sud de la ligue Tunisienne  des droits de l’homme,
 Le 1er Mars 2014, Salle des fêtes  de la Municipalité de Sfax.

Remarque : Le texte de la communication était en arabe, la traduction française a été assurée par Hédi Bouhouch et Mongi Akrout









[1] http://www.ohchr.org/Documents/Publications/ABCannexesfr.pdf
[2] http://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=4c0f50a22
[3] http://www.humanium.org/fr/convention/
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