Avant
propos
Nous avons été invités à
participer, au début du mois de mars, à
une table ronde organisée par le bureau
de Sfax - sud de la ligue Tunisienne des
droits de l’homme sur le thème « Le
droit à l’éducation entre rhétorique des droits de l'homme et la réalité de
l'école ».
Nous avons voulu publier cette semaine la contribution de son
président M° Brahim Ben Salah,
Inspecteur général de l’éducation, à l’ouverture de la table ronde, dans la
rubrique « questions d’actualités »; il brosse un
tableau alarmant sur la situation
de l’école tunisienne aujourd’hui ; nous souhaitions, par cette initiative, susciter un débat sur un sujet qui représente
un enjeu pour l’avenir de l’école tunisienne en particulier, et pour notre pays
en général.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout
12 mars 2014
Le texte de la contribution de M° Brahim Ben
Salah
Le droit à l’éducation entre rhétorique des droits de l'homme et la
réalité de l'école
C'est la cinquième table ronde que nous organisons cette année
sur le thème « le droit à l’éducation entre la rhétorique des droits de l’homme et
la réalité de l'école ".
Nous avons choisi ce sujet car nous avons remarqué, ces derniers temps, que plusieurs
voix appellent à la nécessité de réformer le système éducatif tunisien.
Ces voix n'auraient pas pu s'élever sans les changements
qu’avait connus l'école tunisienne et la baisse du niveau de ses diplômés ; d’ailleurs plusieurs forums ont été consacrés à
la question ; seulement, ils
avaient traité des aspects
partiels et sans aborder le fond des choses ; or, nous estimons que parmi
les questions de fond, il y a le droit à l’éducation qui est aujourd’hui remis en question... Ce droit, expressément
garanti pour tous, au niveau des textes et des discours, est devenu un simple
slogan devant le hiatus entre les appels
des chartes internationales pour garantir les droits à l’éducation pour tous les enfants, et la réalité dominée par l'injustice et
l’inégalité des chances .
La
mission de l’école aujourd’hui d’après les textes des organisations internationales
L’article 26
de la Déclaration universelle des droits de
l'homme stipule que « Toute
personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui
concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est
obligatoire. L'enseignement technique et professionnel
doit être généralisé; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en
fonction de leur mérite »[1]
Les articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et
culturels (1966)[2] confirment le
contenu de l’article précité, en
insistant particulièrement sur la généralisation, le caractère obligatoire et
sur la gratuité ; les états signataires du pacte sont explicitement
invités à mettre sur pied des plans pratiques et concrets pour assurer la pleine application du principe de
l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous.
les articles 28 et 29 La
Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)[3] confirme aussi le droit à l’éducation à tous les niveaux ; elle appelle les pays signataires à
rendre « ouvertes et accessibles, à tout enfant, l’information et
l’orientation scolaires et professionnelles » ; et à prendre « des
mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et empêcher l’abandon scolaire », et veiller à
« ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière
compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain », et à « participer
sérieusement à éradiquer l’analphabétisme et l’ignorance »,et en fixant à
l’école un objectif suprême à savoir
celui de préparer l’enfant à la vie active .
Si les organisations internationales et les nations accordent
toute cette considération à l'éducation de l’enfance, c’est parce que le
droit à l'éducation, quoique qualifié de
frère pauvre des autres droits de
l'homme, est en soi un droit fondamental; et il est considéré comme étant l’une des principales clés pour
l'exercice des autres droits.
C'est le droit qui donne à l’homme la possibilité de construire son autonomie; et c’est aussi l'outil qui aide la personne à sortir de la marginalisation, et
enfin ce droit balise la voie du progrès économique et social et facilite l’intégration et la
participation de l’individu dans la vie
collective.
C’est pour tout cela que
le droit à l’éducation est un droit transversal
, c'est-à-dire il est à la fois un droit civique, politique, économique, social et
culturel.
Ce droit est lié à la
capacité de l’homme de faire la synthèse entre les différentes composantes de son identité, et de resserrer des liens solides entre l'individuel et le social, c’est la raison pour laquelle les Nations n’ont
pas limité ce droit à un âge ou à une institution spécifique . Mais alors, qu’en est-il entre la rhétorique des droits de l'homme et la réalité de l'école ?
En réalité tous les
systèmes éducatifs dans le monde sont,
aujourd’hui, accusés d'être des systèmes défaillants ; et tout le monde renvoie la responsabilité de tous les déséquilibres et tous les maux sociaux à ces systèmes éducatifs, puisque, à leur
avis l’école a failli à sa mission.
Entre les politiciens et
les économistes d'un coté, et les responsables de l'éducation de l’autre, le
conflit fait rage; entre temps, toute une génération d'enfants est sacrifiée, car elle
ne reçoit ni une bonne éducation ni une instruction correcte, et se dirige
vers l’inconnu.
Toutes les statistiques , aussi bien des pays développés que des pays sous-développés, montrent que le taux d'analphabétisme est en hausse, et
que dix ans et voire quinze années passées entre les murs de l'école ne sont
pas suffisants pour prémunir l'apprenant contre un retour à l'analphabétisme, et il
est maintenant de notre devoir de planifier
pour l'éducation des adultes avant de planifier pour l‘éducation des jeunes ?
Aujourd’hui
cent cinquante millions d’enfants de
part le monde ne fréquentent pas l'école, et des centaines de millions la quittent avant l'âge de seize ans.
En Tunisie, plus de 140
000 enfants quittent l'école chaque
année, dont plus quatre-vingt mille au
niveau de l'enseignement de base.
En 2011- 2012, selon les
chiffres officiels, plus de 100.000 élèves ont abandonné les bancs de l’école, sans
compter les dizaines de milliers de redoublants.
Le coût de l'échec scolaire est estimé à 345 milliards (Millimes
tunisiens ) , dont 137 milliards pour le
redoublement , et 208 milliards pour de l’abandon scolaire .
La proportion des
décrocheurs en Tunisie est en hausse ; elle pourrait atteindre dans les
prochaines années , selon les estimations des experts, 50 pour cent pour le deuxième cycle de l'enseignement de base , en particulier au niveau de la septième année , et elle atteindrait 10 pour cent dans l'enseignement primaire , en
particulier chez les élèves de la 5°
et de la 6° ; en outre, les garçons
représentent la majorité de décrocheurs.
Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui , nous sommes face à des jeunes inquiets et préoccupés ,qui ont peur pour leur avenir, et ils ne se préparent pas pour ce
futur avec la force de la volonté , mais avec appréhension.
Nous sommes en présence de jeunes qui souffrent, d’abord, parce qu’ils manquent
de références , ensuite, parce qu’ils ne trouvent pas un
sens à leur vie, et enfin parce qu’ils n’ont
pas trouvé de sens dans le travail qu’ils ont effectué à l'école , car les diplômes qu’ils ont obtenus ou vont obtenir
ne leur assurent plus un travail .
Ces jeunes ont le
sentiment qu'ils ne sont plus utiles et qu’ils sont rejetés parce qu'ils n'ont ni un choix, ni un avenir et ni même un sens à leur vie.
Après tout cela ? La
réforme de l'école est-elle- encore possible? Carte scolaire équitable !
Nous aurons aimé répondre
tout de suite par l’affirmative,
seulement les inégalités sociales et les écarts scandaleux entre les régions et le déséquilibre qui caractérise la carte scolaire,
nous empêchent de parler de démocratie éducative et d’égalité des chances pour les apprenants.
Suffisait-t-il d’inscrire
tous les enfants en de âge scolarisation pour parler démocratie en éducation ? La généralisation de la
scolarisation est -elle synonyme de l’égalité
des chances ?
Les inégalités sociales ne sont-elles pas parmi les
principales causes de la violence
scolaire, de l’indiscipline et du refus de l'école et de ses lois et des apprentissages
par les élèves ?
Les droits de l'enfant à l'école ou l'éducation à la citoyenneté
Si le tableau que nous
venons de décrire reflète la réalité ,
peut- on continuer à aspirer à voir un comportement civique et citoyen chez
nos jeunes élèves ? Quelle citoyenneté
dans et hors de l'école avec des jeunes misérables
qui ne voient pas comment
ils peuvent améliorer leurs situations
? Est-ce que l’éducation à la
citoyenneté a encore un sens dans de
telles circonstances ? Est - ce qu’il
y a un manque adéquation entre ce qui est proposé par
l'école et ce que demande la société ? Quelle est la mission de l'école
aujourd'hui? Et que doit-on faire pour avoir une carte scolaire équitable?
Toutes ces questions étaient à l’origine de l’organisation de
cette table ronde afin d’approfondir la réflexion avec un groupe d’universitaires
et d’experts en éducation, il s’agit de Messieurs :
Mohamed Slaheddine cherif
, Docteur et professeur à la Faculté des lettres de Manouba.
Mongi Akrout, Inspecteur général de l’Education et ancien
Directeur Général des Examens au Ministère de l’Education.
Mohamed Najib Abdelmoula, Inspecteur général de l’Education et
expert à l’institut Arabe des droits de l’homme.
Ahmed Essafi, Avocat et membre de l’assemblée Nationale constituante.
A tous , nous présentons nos vifs remerciements pour avoir répondu
positivement à notre invitation.
Brahim Ben salah,
Président du bureau
de Sfax- sud de la ligue Tunisienne des
droits de l’homme,
Le 1er
Mars 2014, Salle des fêtes de la
Municipalité de Sfax.
Remarque : Le texte de la communication
était en arabe, la traduction française a été assurée par
Hédi Bouhouch et Mongi Akrout
Merci beaucoup pour vos publications.
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