A l’occasion de la rentrée scolaire 2015 - 2016 et
dans notre rubrique « mémoire de l’enseignement en Tunisie » nous avons choisi de parler de la rentrée scolaire 1915 - 1916 , c'est-à-dire celle qui avait eu
lieu il y a un siècle exactement .
Pour célébrer cet anniversaire , nous avons
sélectionner des extraits « du rapport au Président de la
République sur la situation de la Tunisie au cours de l’année 1916 »; il s’agit d’un rapport annuel
présenté par la Résidence
générale de la République française à Tunis qui décrit la situation de la
régence au cours de l’année concernée , nous en avons choisi des extraits du
chapitre dédié à l'enseignement en
Tunisie géré par la direction
générale de l’instruction publique, on était en pleine première guerre mondiale
( la troisième année de la guerre), le pays traverse des difficultés à tous les
niveaux , la rentrée scolaire fut très difficile à assurer , le rapport évoque
toutes ces difficultés et dresse un tableau de la situation scolaire , la
guerre n’a pas empêché la poursuite des activités scolaires , elle a tout au plus rendu sa gestion très difficile .
Voici ces extraits : (les titres des paragraphes sont proposés par
nous-mêmes
Hédi bouhouch & Mongi Akrout
Tunis, septembre 2015
Des difficultés d’origines diverses : manque de crédits et de ressources humaines[1]
« …
Les deux premières années de la guerre
avaient été marquées par un arrêt presque complet des progrès réguliers
et rapides de notre instruction publique. La nécessité de pourvoir avant tout
au service des écoles existantes interdisait l'ouverture des écoles nouvelles;
la réduction des crédits, la rareté de la main-d'œuvre ralentissaient
l'exécution du programme des constructions.
…Les
écoles en plein fonctionnement étaient atteintes par la mobilisation. Le
personnel masculin français était enlevé à l'Enseignement dans la proportion de
plus des deux tiers. Et il était d'autant plus difficile de combler les vides,
qu'on ne pouvait guère compter que sur le recrutement local, toujours insuffisant
même en temps normal. …
… La
troisième année de guerre n'a pas amélioré les conditions de notre
enseignement; parfois elle les a aggravées. Cependant, sans songer à reprendre
une progression que la situation budgétaire, le défaut de personnel, et en général,
la médiocrité de tous nos moyens d'action rendaient impossible, nous avons pu,
sur certains points, gagner du terrain, préparer l'avenir, en maintenant, dans
l'ensemble, nos positions…
L’infrastructure : poursuites des constructions
en dépit des restrictions budgétaires.
Des constructions nouvelles et des extensions et des aménagements
« …
Une école à deux classes à Menzel-Abderrahmane et une école de garçons à cinq
classes à Soliman ont été achevées, l'une à la fin de 1916, l'autre au début de
1917.
Des
travaux d'agrandissement ou d'aménagement ont été effectués dans divers
établissements déjà existants : Au Petit lycée Jules-Ferry (lingerie) ; à
l'Ecole Paul Cambon (salle de dessin, salle de cuisine) ; à l'école de Fériana
(logement de l'instituteur et dépendances). Un atelier de teinture a été
construit à l'école de garçons de Kairouan. ..
…Des
travaux d'adduction d'eau ont été exécutés à El Aroussa et à Kalaa-Kebira; une
troisième classe et un logement ont été aménagés à l'école de Ksour-Essaf; deux
nouvelles classes, un atelier et un préau ont été ajoutés à celle de Messaken;
un atelier a été installé à Monastir; un puits a été creusé à Protville (
kantar binzart ) (2e semestre 1916)…
Des projets en
souffrance
…Parmi
les constructions précédemment signalées comme mises à l'étude depuis le 31
décembre 1914, un certain nombre n'ont pu être entreprises encore à l'heure
actuelle, savoir : à Bizerte, une école franco-arabe (10 classes et ateliers) ;
à Ferryville, 4 classes nouvelles; à Maharès, la restauration du bâtiment et de
la clôture; à Soliman, 2 classes et un atelier à l'école de filles musulmanes…
Des projets à l’étude
…De
nouvelles constructions ou de nouveaux aménagements ont été mis à l'étude : à
Tunis, rue Sidi Ali Azouz, un groupe scolaire comprenant une école de garçons
(7 classes et 2 logements) et une école enfantine (4 classes et un logement) ;
rue de l'Eglise, reconstruction partielle de l'école de garçons; au Goubellat,
agrandissement de l'école (dortoir pour les filles et dépendances) ; à
l'internat de filles de Radès, agrandissement du dortoir, logements et
dépendances; au Kram, construction de fosses septiques et de dépendances; à
Mateur, amélioration de l'éclairage de l'école de filles; un terrain a été
acquis pour la construction d'une école à Guellata.
La pénurie du cadre enseignant suite à la mobilisation
…A
l'heure actuelle, fin juin 1917, la proportion des fonctionnaires français de
l'enseignement mobilisés représente plus des trois quarts du personnel
masculin français de l'enseignement primaire, plus des trois cinquièmes
de celui des établissements à personnalité civile et des établissements
spéciaux, et , au total, 71 de l'ensemble de ce personnel, au lieu de 68 %,
chiffre du 30 juin 1916. Sur 592 agents masculins français de tout ordre
appartenant aux cadres, 418 sont mobilisés et 174 seulement sont restés à leur
poste.
Pour
préciser et entrer plus avant dans le détail du fonctionnement du
service pendant cette troisième année de guerre,
voici quelques chiffres qui en feront toucher du doigt les
difficultés :
…2 écoles
et 5 classes ont été fermées (soit 7 postes en moins); 2 écoles et 3 classes
n'ont pas été rouvertes (soit 5 postes en moins) [2].
Tous
calculs faits, il restait donc à pourvoir, au 1er octobre 1917, 50 moins 12,
soit 38 postes.
Les vides ont pu être comblés de la manière
suivante : Six ( 6) Maîtres mis en
réforme temporaire ou définitive ; deux (2) Institutrices en congé ayant rejoint leur
poste ; deux (2) Institutrices nommées ; huit (8) Elèves-maîtresses
sortantes ; cinq (5) Sectionnaires ; trois (3) Institutrices
intérimaires nouvelles ; trois (3) Instituteurs intérimaires nouveaux ;
cinq(5) Moniteurs nouveaux, une (1) Monitrice nouvelle, trois (3) Anciens Elèves
du Collège Sadiki. Au total 38 .
Mais la
difficulté à laquelle on avait pu ainsi parer à la rentrée, s'est renouvelée, à
un degré moindre, en avril 1917, par suite de l'appel sous les drapeaux de 7
maîtres …Leurs postes ont dû être confiés, en cours d'année, à 3 institutrices
intérimaires, et à 4 instituteurs intérimaires.
les effectifs élèves : fléchissement
chez les garçons et progression chez les filles
L’enseignement primaire
Le
chiffre total des élèves s'est peu accru, bien que chaque année se soit
manifestée une augmentation, légère durant les deux premières, plus sensible
durant la troisième : De 40.213 fin 1913, il est passé à 40.305 fin 1914, à
40.403 fin 1915 et à 40.917 fin 1916.
Cette
augmentation est due à l'accroissement du nombre des filles, qui, passant de
15.261 à 15.328, puis à 16.170 et enfin à 16.630, a plus que compensé le léger
fléchissement de celui des garçons : 24.952 ; 24.977; 24.233; 24.287.
Dans les
établissements à personnalité civile, le nombre des élèves, après avoir
légèrement diminué (de 3.584 à 3.374, puis à 3.431), est revenu à peu près au
chiffre d'avant la guerre : 3.587 au 31 décembre 1916.
Le nombre
des élèves français, de 1913 à 1916, est en progression légère, mais régulière
: 9.081, 9.342, 9.953, 10.212. Il en a été de même de celui des élèves
israélites : 8.416, 8.708, 8.721, 9.044.
Le
chiffre des élèves italiens, qui était fin 1913 de 8.296, après avoir assez
sensiblement baissé au lendemain de l'ouverture des hostilités pour des raisons
que nous avons exposées dans le Rapport précédent, et être descendu à 7.764,
est remonté à 8.068 fin 1915 et resté sensiblement le même fin 1916 (8.041).
Quant aux
élèves musulmans pour lesquels le fléchissement a été plus marqué et plus durable
(10.940 fin 1916 au lieu de 12.197 fin 1913), il n'est pas inutile d'en redire
la cause principale, c'est-à-dire le remplacement des maîtres français par des
moniteurs ou intérimaires indigènes, qui, d'une culture générale médiocre, ne
conquièrent que bien rarement la confiance de leurs coreligionnaires. Il
convient de rappeler aussi que dans la population indigène de l'intérieur, bon
nombre de pères ou de frères aînés étant sous les drapeaux, les jeunes restent
à la maison pour les remplacer et vaquer, à leur place, aux travaux des champs
ou aux occupations commerciales.
Les mêmes
raisons n'existant pas pour les fillettes, la fréquentation des écoles de
filles musulmanes reste très satisfaisante.
L’enseignement professionnel
… Le bon
vouloir des maîtres et des patrons a permis de sauvegarder en 1916-17 les
résultats acquis et conservés en 1914 et 1915, dans l'Enseignement
professionnel des indigènes.
… Au
31 décembre 1915, et au 31 décembre 1916 la statistique générale des apprentis avait
donné les chiffres suivants :
31 décembre 1915
|
31 décembre 1916
|
|
Tunis
|
349
|
311
|
Autres localités
|
184
|
231
|
TOTAL
|
533
|
542
|
On peut
en conclure que, malgré des conditions de placement toujours défavorables dans
l'ensemble, l'œuvre de l'apprentissage à l'atelier s'est maintenue au cours de
cette troisième année de guerre…
Conformément
aux directives tracées au début de l'organisation de l'enseignement
professionnel, l'apprentissage qui doit être surtout une œuvre postscolaire
accueille aussi les élèves arrivant au terme de leur scolarité. Pour ceux-ci,
le régime du demi-temps est conservé aussi longtemps que l'enfant n'a pas
acquis un ensemble suffisant de connaissances générales. C'est ainsi que sur
542 apprentis, 375 ont suivi en 1916 un enseignement de demi-temps 64 ont été
présentés au certificat d'études primaires; 34 ont subi cet examen avec succès…
L'enseignement professionnel des jeunes musulmanes a moins souffert que celui
des garçons des difficultés nées de la guerre. Il se développe avec une
régularité qui donne confiance.
L'enseignement secondaire, technique et supérieur
Cet enseignement « …eût été singulièrement éprouvé, si
aux difficultés nées de la mobilisation qui lui enlève les trois cinquièmes de son personnel s'étaient
ajoutées celles qui le menaçaient après
l'appel sous les drapeaux, au 1er mai 1916, des classes 1889 et 1890
de la réserve de la territoriale.
L'autorité
militaire ayant consenti à mettre en sursis d'appel, d'abord jusqu'à la fin de
l'année scolaire 1915-1916, puis pour toute l'année scolaire 1916-1917, ceux
des maîtres visés, nos établissements ont pu reprendre leurs cours, en octobre
1916, dans des conditions passables
… La
population scolaire du lycée (Carnot)
est en sensible augmentation sur les années précédentes. 1.138 élèves étaient
présents à la rentrée, au lieu de 1.057 au 1er octobre 1915 et de 1.076 en
1914. Et au 31 mars 1917, le nombre des élèves s'élevait à 1.198. Mais, en
avril, 30 jeunes gens de la classe 1918 ont dû quitter l'établissement pour
aller faire leur service militaire.
…Au
collège Sadiki , le nombre des élèves, qui était passé de 378 au
31 décembre 1915 à 401 au 31 décembre 1916, s'est réduit à 388 dans le cours du 1er trimestre de
l'année 1917. Plusieurs familles ont sollicité l'autorisation de retirer
temporairement leurs enfants, en donnant pour raison la nécessité de les faire
travailler pour les faire contribuer aux dépenses d'entretien du ménage. Une
enquête ayant établi que ces allégations étaient fondées, l'autorisation a été
accordée…
L'Ecole professionnelle Emile Loubet, privée de 2 fonctionnaires sur 3 du personnel
administratif, de 3 professeurs sur 5, de ses deux chefs d'atelier, de la
moitié de ses ouvriers instructeurs et de ses quatre surveillants n'en a pas
moins vu s'accroître le nombre de ses élèves (252 au 31 décembre 1916 au lieu
de 232 au 31 décembre 1915) ; et elle a dû refuser d'en prendre davantage,
faute de place.
L'Ecole Normale d'instituteurs, dont le Directeur, l'Econome et la plus grande
partie des professeurs ont été mobilisés continue à être dirigée par intérim
par le Directeur de l'Ecole d'application.
L'effectif
des élèves-maîtres s'est augmenté à la rentrée d'octobre d'une promotion (1re
année) comprenant 14 élèves et 2 auditeurs internes, mais il a diminué 1° d'une
promotion d'élèves-mouderrès (il n'y a pas eu en 1916 d'examen pour l'admission
d'élèves-mouderrès) ; 2° "de 5 élèves-maîtres appelés sous
les drapeaux, dont 1 de 1re année et 4 de 2e année, incorporés à des
dates différentes : l'un de la classe 1917, en août 1916; le 2e, engagé
volontaire, en décembre 1916, et les autres, de la classe 1918, en avril 1917.
Il
convient de signaler ici la première application aux grands établissements
scolaires de garçons de Tunis (Lycée Carnot, Collège Alaoui, Ecole Emile Loubet,
Ecole Normale, etc.), de l'instruction du Ministère de la Guerre, en date du 15
février 1917, relative à la préparation militaire. ,
A titre
d'essai, des cours méthodiques, faits par des gradés spécialistes, ont été
organisés pour chaque établissement, depuis la rentrée de Pâques jusqu'aux
examens de fin d'année, à raison de deux séances de deux heures par semaine.
Ces cours qui sont obligatoires pour tous les jeunes Français âgés de plus de seize ans, peuvent être suivis,
sur leur demande appuyée de l'autorisation écrite des parents,
par y les élèves étrangers ou indigènes. Il est encore prématuré
d'apprécier le résultat de cet entraînement : mais dès à présent, l'on peut
dire que la jeunesse française de nos établissements s'y adonne avec entrain..
La population du lycée Armand Fallières est passée de 535 élèves au 31 décembre 1915, à 580,
dont 459 françaises, au 31 décembre 1916.
Le Petit Lycée Jules Ferry comptait 360 élèves au 31 décembre 1916 au lieu de
383 au 31 décembre 1915. La diminution constatée ne tient pas à un
fléchissement du récrutement, puisque les admissions nouvelles ont été plus
nombreuses que l'année dernière (94 au lieu de 62), mais uniquement à ce fait
qu'à la fin de la dernière année scolaire, 73 élèves sont sorties avec.le certificat
d'études, tandis que 34 seulement avaient obtenu ce diplôme en 1915.
L'Ecole Normale d'institutrices a son effectif d'élèves-maîtresses au complet (24
élèves), l'état des locaux ne permettant pas d'en recevoir davantage.
L'Ecole Paul Cambon continue
à prospérer (255 élèves au 31 décembre 1916 au lieu de 182 au 3.1 décembre
1915). Les élèves françaises y sont les plus nombreuses, sauf dans deux des
trois sections manuelles (coupe, broderie) particulièrement fréquentées, la
dernière surtout par les Israélites. Viennent ensuite les Israélites, lès
Maltaises et quelques Grecques, Espagnoles, etc
A l'Ecole supérieure de langue et de littérature
arabes, en l'absence du Directeur et du
professeur chargé du secrétariat, toujours mobilisés, le service continue à
être assuré par les cinq professeurs restants, dont trois indigènes, avec la
collaboration gracieuse d'un arabisant, interprète judiciaire à Sousse, chargé
provisoirement d'un emploi au Secrétariat général du Gouvernement tunisien.
Le nombre
des auditeurs inscrits (que la guerre a réduit) était, au 31 décembre 1916, de
261… »
Fin de
l’extrait
Source : Résidence
générale de la République française à Tunis : Rapport au Président de la
République sur la situation de la Tunisie en 1916 - Tunis, société anonyme de l’imprimerie, Rue Saint
Charles et avenue de Paris ,1917
[1] Les titres et les sous
titres ont été ajoutés par les auteurs du blog
[2] Le nombre de ces écoles nouvelles, ou ouvertes était de 3 au 30 juin
dernier.Mais, 3 autres écoles livrées au service en 1916 (El-Alia,
Menzel-Abderrahman, GalaatEl-Andleus) sont restées fermées.Au 1er octobre 1914,
22 écoles rurales n'avaient pas été rouvertes. Quelques-unes d'entre elles
l'ont été par la suite, mais d'autres ont dû être fermées par suite du trop
petit nombre des élèves, à Bazina, Bir-Halima, Bir-Touil, Ouardenine, Sahaline.Triaga,
Utique, ce qui porte à 26 le nombre des écoles actuellement fermées.
Le nombre des classes momentanément supprimées dans
les écoles à plusieurs classes qui était de 37 au 1er octobre 1914, n'est plus
actuellement que de 25.
[3] Voici la liste des classes nouvelles ( une classe par établissement) :
Béja, école enfantine : - Médenine,
filles - Aïn-Draham, garçons -
Bizerte, P. S. G - Ksour-Essaf, F.
A -Medjez-el-Bab, classe enfantine- Mrira ( mghilla ) - Radès, fllles- Rades, F.
A - Tindja , garçons -Tunis, rue
Sidi-Saber, filles -Ecole Paul-Cambon, filles- Rue Chadlya, F. M ;De plus, au cours du 1" semestre 1917, ont été
rouvertes 2 écoles : Kef-Rebiba (une classe) ,Hammamet, F ( une classe) et une
classe à Oued-Ellil, soit au total, pour l'année scolaire, 4 écoles
nouvelles à 1 classe, et 12 classes dans des écoles existantes.
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