dimanche 13 septembre 2015

Rapport de la commission sur l’enseignement secondaire[1] L’Action 18-9-1967



En reconnaissance au travail accompli par la génération qui a mis en place les fondements de l’école de l’indépendance


Présentation

En 1967 , c'est-à-dire , environ dix ans après la promulgation de la loi  de l’enseignement de 1958 et le démarrage du plan décennal de l’enseignement,  le gouvernement décida de procéder à une grande opération d’évaluation de la première réforme scolaire après l’indépendance ; le 17 janvier 1967, une commission de l’enseignement est constituée pour cette mission ; il s’agit d’une commission qui fait partie de la commission des études socialistes affilées au parti socialiste destourien qui dirigeait le pays  depuis l’indépendance.

La mission confiée à cette commission consistait à procéder à une évaluation systématique de la situation de l’enseignement en Tunisie, et à présenter des propositions pour améliorer le système.
La commission fut scindée en trois sous commissions, une pour l’enseignement primaire, une deuxième pour l’enseignement secondaire et une dernière pour l’enseignement supérieur ; la présidence de la commission fut attribuée à Ahmed Ben Salah, secrétaire général adjoint du parti et le super - secrétaire d’état à cette époque.

Le président de la république, lui-même, a présidé le démarrage des travaux de la commission, le 31 janvier 1967[2], et il l’avait rencontrée un mois plus tard, pour faire une mise au point sur le déroulement de ses travaux[3]. Huit mois et demi plus tard, (le 18 septembre 1967), le rapport de la sous- commission de l’enseignement secondaire est rendu public par voie de presse, après sa publication par le journal du parti, L’action.
 Le 18 septembre 2015, nous fêtons le 48ème anniversaire de ce document sur l’école tunisienne ; nous avons voulu le publier intégralement, avec quelques annotations et quelques commentaires, à un moment où le débat sur la réforme du système éducatif bat son plein.
Le rapport de la commission[4]
« La commission nationale sur l’enseignement, ayant étudié la situation actuelle de l’enseignement secondaire et ce qu’elle devrait être dans l’avenir, a dégagé certains principes généraux qui l’ont amenée à formuler une série de propositions.
Elle tient, tout d’abord, à confirmer les objectifs suivants définis par la loi du 4 novembre 1958, relative à l’enseignement secondaire.
1) assurer aux jeunes une formation et une culture générale capable de révéler leur personnalité par le développement de leurs facultés intellectuelles et pratiques, selon des méthodes judicieusement élaborées.
2)                  Former des cadres moyens techniques ou non spécialisés nécessaires à tous les secteurs d’activité de la nation.
3)                  Découvrir les sujets doués et aptes aux études supérieures, et développer leurs aptitudes en vue d’en faire des cadres supérieurs pour le pays.

Il s’est révélé que l’enseignement secondaire, conçu pour former des cadres moyens de tous ordres, est destiné, dans le même temps, à dégager les futurs cadres supérieurs, en les préparant à l’accès des études supérieures. D’ une façon générale, l’enseignement secondaire ouvre la voie aux échelons  les plus élevés, à tous ceux qui s’y adonnent, quelque soit la discipline ou la spécialité qu’ils pratiquent.
La commission confirme également les objectifs suivants de l’enseignement secondaire :
1)   Inculquer à notre jeunesse une culture authentiquement tunisienne ;
2)   Pratiquer cet enseignement selon des programmes et des méthodes adaptés à l’évolution scientifique du monde moderne qui est en progrès constant ;
3)   Répondre, dans la formation des cadres, aux exigences des plans de développements nationaux, dans leurs lignes directrices.
A la lumière des principes ainsi définis, et en tenant compte des objectifs assignés à l’enseignement secondaire, la commission, après études et discussions, a abouti à la conclusion essentielle suivante : « Nécessité d’unifier l’enseignement secondaire :
1)   En l’assujettissant à une même autorité administrative et aux mêmes méthodes pédagogiques ;
2)   En le dotant de structures identiques.
 Unité de l’autorité administrative
Un examen rapide de la situation actuelle permet de constater la grande diversité des établissements secondaires. En outre, ils relèvent de départements différents : les uns dépendent du secrétariat d’état à l’éducation nationale, les autres du secrétariat d’état à l’agriculture, sans compter les écoles spécialisées relevant du secrétariat d’état à la santé publique.
En plus de cette dispersion, la commission a constaté que, dans l’ensemble, l’enseignement secondaire s’est développé et a évolué aux dépens de l’enseignement technique et agricole, pour différentes raisons qui ont été évoquées et analysées par ses soins.
Pour pallier les inconvénients d’une telle situation, et prévenir les conséquences fâcheuses qu’elle peut entraîner, psychologiquement et socialement, dans le but aussi d’unifier notre enseignement secondaire et lui permettre d’évoluer simultanément dans toutes les disciplines qu’il comporte, la commission propose de l’assujettir à une même autorité administrative et aux mêmes méthodes pédagogiques. Elle se prononce pour le rattachement des établissements de l’enseignement secondaire au secrétariat d’état à l’éducation nationale, à l’exclusion des écoles de la santé publique pour lesquelles le statu- quo doit être maintenu pour des raisons techniques particulières.
commentaire
il semble, d’après cette option, que la commission n’avait pas l’intention  de changer, ni l’esprit de l’enseignement secondaire, ni ses objectifs; tout au plus, elle voulait changer sa structure; quant à l’unité de l’unification de l’unité administrative, il s’agit  de regrouper l’enseignement secondaire sous la même autorité administrative et pédagogique.

L’unité de structure

La commission est également d’avis qu’il est nécessaire d’unifier les étapes, les cycles et les sections de cet enseignement, pour éviter la disparité qui affecte ses structures dans leurs formes actuelles.
Considérant que l’organisation actuelle de l’enseignement secondaire comporte un horaire hebdomadaire rendant compte de programmes surchargés, et dans le but d’assurer aux élèves une maturité d’esprit plus grande , et de confirmer leur aptitude à affronter avec succès les études supérieures, la commission estime qu’il y a lieu d’étaler sur sept ans les études secondaires prévues actuellement pour six ans.

L’expérience a montré que l’orientation scolaire était une mesure valable et indispensable, la commission estime, cependant, que cette orientation doit jouer un rôle actif, en stimulant les aptitudes et les énergies, et non en prenant acte de ces aptitudes pour s’en servir comme références dans la répartition des élèves sur les différentes sections, compte tenu des besoins du pays en cadres.
En se basant sur les résultats auxquelles a abouti la méthode actuelle pratiquée en matière d’orientation, la commission propose de procéder à la première orientation, à la fin de la troisième année au lieu de la 1ère, et la seconde orientation à la fin de la 4ème année, au lieu de la 3ème.
commentaire
la première orientation avait lieu à la fin de la 1ère année  ( année de l’orientation) vers l’une des filière de l’enseignement secondaire: ( général, technique ou économique) ; le seconde orientation se faisait à la fin de la 3ème année  ( qui correspond à l’actuelle 9ème année),  vers l’une des sections de l’enseignement secondaire[5].

La commission est d’avis de maintenir les deux cycles existants de l’enseignement secondaire et qui constituent le premier et le deuxième cycle.

a)     Premier cycle
Ce premier cycle est un tronc unique pour tous les élèves des différentes sections de l’enseignement secondaire ; son objectif est de donner à l’enfant, issu de l’enseignement primaire, une formation de base solide et de l’habituer à fournir un effort diversifié et équilibré. Ainsi, sont suscités et découverts ses dons naturels qui serviront de base pour déterminer son orientation vers les différentes sections du deuxième cycle de l’enseignement secondaire.
Dans le but de doter les élèves de ce cycle d’un esprit scientifique pratique et technique, la commission propose d'accorder à l'enseignement scientifique pratique et technique la place qui lui convient dans les études que comporte ce cycle.
b)   Deuxième cycle
Ce deuxième cycle comporte un enseignement basé essentiellement sur les aptitudes des élèves et se répartit de ce fait en quatre sections :
1)   Section générale.
2)   Section technique.
3)   Section agricole.
4)   Section économique.
 On peut envisager l’octroi d’un diplôme d’aptitude à la fin de la première année de ce cycle.
Les méthodes d’enseignement pratiquées par le Secrétariat d’Etat aux Affaires Sociales, dans les centres d’apprentissage et de formation professionnelle, peuvent être adoptées au cours de cette première année, notamment dans les sections techniques, économiques et agricoles.

La commission souligne la nécessité de faire ramifier ces quatre sections, à la fin de la 1ère année du 2 éme cycle, selon les spécialités vers lesquelles seront orientés les élèves, dans le cadre de la deuxième étape d’orientation. Ainsi les études au cours des trois dernières années du « secondaire » seront centrées, plus particulièrement, sur les matières de la spécialité choisie ; la formation générale étant commune à toutes les sections.
L’un des objectifs de l’enseignement secondaire étant de découvrir les sujets doués pour les études supérieures, et de développer leurs aptitudes en vue d’en faire des cadres supérieurs de la nation, il a été décidé de définir dans le rapport relatif à l’Université, les conditions d’accès à l’enseignement supérieur.

C’est dans cet esprit que la commission propose de remplacer les classes dites « normales », de la section générale actuelle, par des classes qui seront appelées « pédagogiques », et cela tout en tenant compte des décisions prises par la commission dans son étude relative à l’enseignement primaire.

commentaire
cette formule proposée  visait  à orienter l’élite vers les établissements de formation des enseignants  du primaire; après l’obtention du baccalauréat,  les lauréats poursuivront leurs études supérieures à l’école normale supérieure, ou l’école normale des professeurs adjoints; les autres seront recrutés pour enseigner au primaire, la commission pense, qu’avec cette formule, il y aurait une harmonisation de la formation des enseignants travaillant dans les différents degrés.


La commission propose également que les cadres de base dans les domaines agricole, industriel et commercial, soient formés par un enseignement secondaire professionnel d’une durée de quatre ans. Elle insiste sur la nécessité de définir les conditions d’accès à cet enseignement qui sera dispensé dans des établissements annexés aux établissements secondaires. Les plus méritants des élèves de cet enseignement doivent pouvoir être admis au 2e cycle du « secondaire ».

commentaire
il semble que cette nouvelle filière  de l’enseignement secondaire professionnelle est conçue pour se substituer à l’enseignement moyen, sans l’annoncer d’une façon explicite. Cette proposition nous rappelle l’enseignement technique de l’époque du protectorat,  et qui a été remplacé par l’enseignement moyen,    avec la réforme de 1958.

Cette nouvelle formule d’un enseignement secondaire que la Commission veut dynamique et propre à orienter valablement les élèves, selon des données rationnelles, implique que les élèves soient méthodiquement suivis tout au long de leurs études secondaires, et que les résultats de leur travail soient examinés tous les ans, surtout après leur accès au deuxième cycle.

c)    Formation des ouvriers qualifiés
La commission estime que le Secrétariat d’Etat aux affaires Sociales doit se consacrer spécialement à la formation des ouvriers qualifiés et des spécialistes dans les centres d’apprentissage et de formation professionnelle.
d)   Les programmes, la langue d’enseignement et les livres scolaires
La révision des programmes de l’enseignement secondaire est un travail technique qui doit être confié à une commission spécialisée œuvrant dans le cadre du secrétariat d’état à l’éducation nationale, et ayant pour mission de répartir, sur sept ans, les matières des programmes actuellement réparties sur six ans.

Toutefois, la commission estime que cette tâche peut être du ressort de l’organisme permanent chargé des études pédagogiques, et dont la création a été suggérée par notre commission.

Quant aux livres scolaires, il importe de faire procéder à leur révision, à la lumière des réformes envisagées, et portant sur les structures et les programmes de l’enseignement secondaire.
La commission propose aussi que le secrétariat d’état à l’éducation nationale mette, dès maintenant, à l’étude, le problème de l’arabisation de l’enseignement secondaire, et qu’elle conçoive, pour le résoudre, une orientation nouvelle inspirée des principes qui ont été à l’origine de la section A. Pour atteindre cet objectif, la commission propose qu’un plan précis soit établi, et qu’une action rapide soit entreprise pour former, dans le présent et l’avenir, les professeurs de l’enseignement secondaire, sur la base des principes définis par le présent rapport.
e)    Les professeurs de l’enseignement secondaire
Les propositions présentées par la commission ne sauraient être considérées avec succès, c'est-à-dire qu’il ne peut être question d’instituer un enseignement secondaire moderne et dynamique, que si les cadres de cet enseignement sont à la mesure de leurs responsabilités. Aussi, la formation de ces cadres nécessite-t-elle une attention soutenue, et une conception nouvelle des écoles normales et de professeurs adjoints. Ce sujet sera évoqué et examiné par la commission, quand elle aura à étudier la question de l’université.

Conclusion
Telles sont les conclusions auxquelles a abouti la commission. Se basant sur l’expérience des neufs dernières années, elle entend confirmer les objectifs essentiels définis par la loi de 1958. Elle recommande instamment l’unité de direction et de structure de l’enseignement secondaire. Ainsi, cet enseignement pourrait se développer et évoluer de façon que ses programmes et ses différentes sections soient adaptés, à la fois, aux aptitudes individuelles et aux besoins du pays.
En insistant sur la nécessité de procéder à cette unification, la commission formule l’espoir que tout soit mis en œuvre pour surmonter tous les obstacles susceptibles d’entraver cette opération ; c’est à ce prix que l’enseignement secondaire pourra se développer et évoluer d’une manière uniforme dans toutes les sections.
En présentant ces suggestions, la commission est essentiellement animée par un souci de justice. Elle tient, à ce que des chances égales soient offertes à tous les élèves issus de l’enseignement primaire. Elle entend ainsi participer à une œuvre de promotion humaine, qui mettra nos cadres , à quelques niveau où ils se situent, à l’avant-garde de la révolution que nous poursuivons, pour assoir sur des bases solides, notre civilisation , toujours accessible au progrès et ouverte à tous les courants de la pensée et de la culture humaine.

Source :Annuaire de l’Afrique du Nord, VI - 1967, Edition du centre national de la recherche scientifique, Paris, pp 948- 951. 

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis , septembre 2015.











[1] Nous avons utilisé la copie du rapport publiée par l’Annuaire de l’Afrique du Nord, volume 6, 1967, éditions du centre national de la recherche scientifique, 1977.
[2] L’Action a publié le discours dans son numéro du 2 février 1967.
[3] L’Action a publié le discours dans son numéro du 3 mars 1967.
[4] Nous avons utilisé la copie du rapport publiée par l’Annuaire de l’Afrique du Nord, Volume 6, 1967, Editions du centre national de la recherche scientifique, 1977.
[5]  Pour plus de détails  sur la question de l’orientation, on peut consulter l’ouvrage de Mahmoud Messadi «  notre renaissance éducatif depuis l’indépendance » 1963 , pp 154-181  (  la partie documents et annexes) les données concernant les sections se trouvent à la page 175.

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