lundi 21 novembre 2016

Messadi déplore la baisse des compétences des élèves au niveau de l’expression et de l’écriture et précise les moyens d’y remédier


« Puisque mal parler c’est mal penser, il n’est pas de professeur, quelque soit sa discipline propre, qui ne doivent se considérer comme un professeur de lettres, d’arabe ou de français. Plus encore, par l’usage de méthodes qui associent largement les élèves à la classe, il doit faire en sorte que chaque phrase de celle-ci, chaque exercice qu’il propose, soient l’occasion de les entrainer, les habituer, à s’exprimer bien et de toutes les manières. »
Mahmoud Messadi (1961)


"Il va de soi que l’apprentissage de la langue se fait aussi de façon permanente à travers les autres activités. Les activités physiques et sportives, par exemple, appellent une communication orale entre les participants. Les activités mathématiques mettent en jeu l’utilisation d’une symbolique particulière.  Celle-ci n’empêche pas que la langue courante serve à la formulation des problèmes et aux explications."
J. A. Rondal .langage et éducation .Pierre Mardaga .éditeur.1986, p 213

Présentation
En avril 1961, le Secrétariat d’état à l’éducation nationale avait publié une circulaire signée par le secrétaire d’état le professeur Mahmoud
Messadi ; cette circulaire était destinée aux professeurs de toutes les disciplines, dans laquelle il  attire leur attention sur la baisse du niveau linguistique des élèves, tant en arabe qu’en français, décrivant les manifestations de cette baisse et analysant ses causes qui se rapportent d’après le Secrétaire d’état à l’étroitesse de la perception des élèves quant au rôle et à la fonction de la langue et à leur comportement linguistique  pendant les cours des matières scientifiques ; celui-ci se caractérise par une expression  qui manque de précision et de clarté et par un style  très maladroit et le non respect des règles de syntaxe, croyant à tort que le respect de correction linguistique n’est pas nécessaire au cours des leçons des disciplines scientifiques, ce qui entraine inéluctablement une baisse du niveau de la pensée  car  «  l’esprit a besoin de langage pour demeurer le maître d’un savoir chaque jour plus démesuré et plus inhumain ». Mahmoud Messadi pense « qu’il n’est pas de professeur, quel que soit sa discipline propre, qui ne doivent se considérer comme un professeur de lettres, d’arabe ou de français » ; d’ailleurs la deuxième partie de la circulaire avait précisé avec beaucoup de détails cette orientation pour les enseignants de Mathématiques, de sciences physiques , de sciences naturelles, et d’histoire et de géographie.[1]
L’importance de ce document historique réside dans le fait qu’il nous révèle que la question de la baisse du niveau linguistique inquiétait les responsables de l’école de 1961, alors que tout le monde avance aujourd’hui que les élèves des années soixante maitrisaient bien la langue arabe et la langue française, et que les enseignants de l’époque étaient plus exigeants quant à la qualité de la langue  et au respect de ses règles , et ils ne badinaient guère avec les fautes  quel que soit leur gravité ; certains enseignants  parmi les « puristes »s’interdisaient de mettre la moyenne à  toute rédaction  ou dissertation  qui comporte des fautes de grammaire ou de conjugaison ou d’orthographe ; mais il semble, d’après le constat du Secrétaire d’état, que cette rigueur n’a pas réussi à contrer la tendance à la baisse du niveau des élèves, c’est devenu un fléau auquel personne n’a réussi à trouver un remède.[2]
Certes, la baisse des compétences linguistiques est un phénomène qui affecte la plupart des systèmes éducatifs ; les évaluations  nationales et internationales le montrent bien ;  d’ailleurs plusieurs recherches ont été initiées pour en connaitre les causes qui relèvent de l’école et de l’extra  scolaire.
Mais on est curieux d’imaginer un moment quelle serait la réaction de Mahmoud Messadi s’il visiterait aujourd’hui nos salles de cours, et s’il prend connaissance de l’état de la langue pratiquée par les enseignants et par les élèves ; la situation est très grave ; et une prise de conscience est aujourd’hui nécessaire devant l’invasion des nouveaux modes d’expressions ( SMS en premier)   et d’une nouvelle « langue » qui est un mélange de dialecte arabo-franco-anglais .

Instructions relatives aux moyens à mettre en œuvre en vue d’améliorer le pouvoir d’expression écrite et orale des élèves.[3]

 « Il est constaté, depuis quelques années déjà, un affaiblissement plus ou moins marqué des élèves aussi bien dans la langue arabe, langue maternelle, langue de culture de base et langue véhiculaire dans la section -A- que dans la langue française, langue véhiculaire dans la section -B- et langue de culture adventive dans la section-A-.
Il est certain qu’on assiste, de la même manière, dans tous les pays du monde, à une désaffection progressive et continue du fait linguistique : La correction de la langue cède la place aux connaissances scientifiques et techniques exigées par la vie moderne.
Mais s’il y a là une raison importante de l’affaiblissement des élèves en langue arabe et en langue française, ce n’est pas la raison essentielle. Celle-ci se trouve dans le fait que les élèves ont trop tendance à considérer l’arabe et le français comme des disciplines particulières aux- quelles sont consacrées seulement quelques heures par semaine. Ont-ils à démontrer un théorème, à rédiger une composition d’histoire, de géographie ou de sciences, ils ne soucient pas de la propriété des termes, de la grammaire et de l’orthographe. Tout cela, pensent-ils, ne compte qu’ « arabe et en français ».
Faut-il redire que la précision du langage et la netteté de la composition sont au moins aussi nécessaires dans un exposé scientifique que dans une dissertation littéraire ? Il ne s’agit pas, en effet, d’encourager le goût des fioritures ni des vaines élégances que les professeurs d’arabe et de français sont les premiers à prescrire. Quoique les élèves aient à dire, il faut exiger qu’ils le disent nettement, exactement, avec concision et avec ordre : la probité de l’expression est un signe certain de la clarté des idées et de la solidité du savoir. Elle est aussi une vertu morale et sociale : Le langage et l’écriture sont les moyens d’expression de l’homme, les instruments essentiels dans les relations humaines. Celui qui évite le laisser-aller dans sa parole et dans son style prouve qu’il s’est imposé une discipline et qu’il a égard à ceux qui l’écoutent et à ceux qui le liront. De ce point de vue, la prétention est aussi fâcheuse que la négligence. Trop de nos grands élèves se plaisent à hérisser leurs phrases de termes techniques et philosophiques, légitimes sans doute quand on en use à bon escient, mais qui, employés à tort et à travers, dissimule mal l’incertitude de la pensée et trahissent une tendance peut-être inconsciente, à faire illusion aux autres et à soi-même. La langue orale ne doit faire l’objet d’une surveillance moins attentive que la langue écrite. Nos élèves ont tendance à parler de plus en plus mal. Comment s’étonner dès lors, qu’ils aient de la peine à trouver le mot juste quand ils ont la plume à la main.
Tout ceci, on le voit, est affaire d’entrainement, d’habitude. Mais l’action des seuls maîtres d’arabe et de français serait impuissante à donner de bonnes habitudes aux élèves, s’ils restent libres, dès qu’ils échappent à leur contrôle, d’oublier ce qui leur a été appris.
Puisque mal parler c’est mal penser, il n’est pas de professeur, quelque soit sa discipline propre, qui ne doivent se considérer comme un professeur de lettres, d’arabe ou de français. Plus encore, par l’usage de méthodes qui associent largement les élèves à la classe, il doit faire en sorte que chaque phrase de celle-ci, chaque exercice qu’il propose, soient l’occasion de les entrainer, les habituer, à s’exprimer bien et de toutes les manières.
Au total, l’action de chaque professeur guidant celle de chaque élève doit être dominée par cette pensée majeure que «  l’esprit a besoin de langage pour demeurer le maître d’un savoir chaque jour plus démesuré et plus inhumain », que, «  c’est aussi en apprenant à s’exprimer avec justesse qu’on forme le mieux son esprit ».
Alors, sera assurée, sur un point essentiel, cette convergence des efforts qu’impose à l’ensemble de la pédagogie l’unité de la culture.
Les indications qui suivent sont destinées à permettre particulièrement aux professeurs de mathématiques, de sciences physiques, de sciences naturelles, d’histoire et de géographie, de s’insérer de la meilleure façon dans ce cadre de pensée et d’action. Les professeurs des autres disciplines pourront aussi s’en inspirer largement dans la conduite de leur classe.
1)   MATHEMATIQUES :
…Il (l’élève) pense pouvoir se contenter de termes imprécis et de phrases tronquées ; la figure ou la formule dont il parle suffisent, selon lui, à élucider l’obscurité de son langage.
Le professeur réagira efficacement contre cette tendance, s’il conçoit son cours comme la recherche active, par les élèves, non seulement des propriétés du phénomène mathématique étudié, mais encore de leur expression la plus adéquate. Que devant une phrase ambigüe, il fasse réaliser, non par les intentions précises de son auteur, mais toute autre interprétation qu’elle autorise, et celui-ci comprendre aisément sa faute.
Pour que la classe, ainsi conçue, ne soit pas trop ralentie par la construction progressive du langage que l’on utilise, il faut que celui-ci soit aussi simple que possible. Que l’on remplace, par exemple, la phrase complexe qui vient naturellement à l’esprit, par plusieurs courtes phrases, de structure grammaticale élémentaire, donnant au total la même information. Dans le cas ou s’offrent plusieurs synonymes, on choisira le plus fréquent.
…, le mathématicien ne peut renoncer sans sacrifier cette parfaite adéquation de l’expression à la pensée, qui est le propre de sa discipline, et le but de tout langage bien fait. Monter que ce but peut être atteint, dans l’étroit secteur de la langue usuelle qu’il emploie, c’est bien le meilleur service qu’il rendra à ses collègues qui ont pour tâche d’enseigner précisément cette langue usuelle…
2)   SCIENCES PHYSIQUES :

.... La description, la conduite et l’interprétation de ces expériences doivent se faire au cours de discussions engagées entre le professeur et les élèves, organisées de manière à aboutir à l’élaboration en commun d’un texte résumant et fixant le savoir que l’on vient d’acquérir.
De cette manière les élèves auront participé activement, non seulement à la conquête de ce savoir mais aussi au moyen de l’exprimer avec précision, clarté et concision. Les mots et les phrases employés correspondront aussi à des images nettes dans leur esprit et les efforts qu’ils feront pour acquérir un savoir plus étendu seront plus aisés à fournir et plus sûrement couronnés de succès. Ils ne devront plus hésiter à écrire correctement, quantitativement et qualitativement, les équations chimiques. On leur évitera le travail fastidieux de mémoire auquel ils se livrent d’habitude et qui dépouille l’étude de la chimie de tout intérêt, de tout attrait. Si d’ailleurs ils se détournent très vite de cette science, c’est le plus souvent parce que l’on a recours pour l’enseigner, à la méthode dogmatique, à la fastidieuse énumération de propriétés des corps et l’emploi d’un vocabulaire qu’ils n’ont pu pas assimiler.
… les soucis de préciser avec le concours des élèves, le moyen d’exprimer les idées et d’énoncer les définitions, les règles et les lois, reste la condition essentielle de fixation et d’assimilation des connaissances acquises.
…Dans chacun des deux domaines des sciences physiques, le professeur se trouve ainsi appelé à améliorer et à enrichir le pouvoir d’expression de ses élèves….
3)   SCIENCES NATURELLES :
…Procéder ainsi, c’est faire en sorte que chaque classe, chaque exercice, se déroule sous la forme d’une discussion méthodique, ordonnée au cours de laquelle les élèves sont entrainés à s’exprimer bien, en phrases courtes, complètes,  précises à utiliser un vocabulaire de choix, …Procéder ainsi, c’est, dans les classes du premier cycle notamment, à la suite de chaque discussion, amener les élèves à ressembler leurs acquisition dans un texte qui sera élaboré avec la collaboration de tous, un texte précis, concis et souvent original, un texte dont le professeur proposera ensuite l’enregistrement sur le cahier en s’attachant, par tous les moyens, à éviter les fautes d’orthographe.
Au niveau de la classe de 3ème année et plus tard dans le second cycle, l’élève doit s’habituer à prendre des notes, c’est -à- dire à rédiger seul , en termes précis et concis, en évitant toujours le style télégraphique, les principales acquisitions. Cet apprentissage doit être évidemment progressif. Avant de laisser aux élèves une liberté totale, le professeur se doit d’intervenir encore, dans les occasions les plus délicates, pour faire élaborer une rédaction en commun.
Ainsi, le professeur de sciences naturelles, peut-il jouer le rôle de professeur d’arabe ou de français, peut-il participer à développer les qualités de langage, de style et d’orthographe de ses élèves, peut-il contribuer, de la meilleure façon à réaliser cette unité de la culture qui doit être la préoccupation dominante de tous les maîtres.
4)   HISTOIRE ET GEOGRAPHIE :
L’enseignement de l’histoire - géographie doit permettre un double enrichissement de l’élève ; en accroissant son savoir mais aussi en perfectionnant son pouvoir d’expression. Il convient que le professeur participe par son cours à une meilleure compréhension et utilisation de la langue. Les possibilités sont multiples : présentation claire des faits en limitant l’emploi des mots difficiles, en expliquant les termes nouveaux et en les écrivant au tableau ; surveillance des cahiers afin qu’ils ne deviennent pas des recueils d’hérésies grammaticales.
D’autre part les élèves doivent être amenés par de petites phrases correctes aux questions posées. A ce propos, on se rappellera que la dictée du résumé peut être utilement remplacée par un exercice d’élaboration en commun : professeur-élève, qui permet à la classe de s’exprimer plus aisément…
Je vous serais très obligé de bien vouloir assurer ces instructions la plus large diffusion et de les communiquer individuellement à tout le personnel enseignant. Il s’agit effet, il n’est pas besoin de le souligner, d’un problème d’importance majeure à la solution duquel tous les maîtres doivent s’attacher particulièrement.
Le Secrétaire d’Etat à l’Education Nationale
Mahmoud Messadi
Présentation Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, novembre 2016








[1] Nous n’avons reproduit dans cet extrait la deuxième partie de la circulaire ; on s’est limité aux paragraphes qui se rapportent à la question de la langue ; le lecteur peut  consulter le texte entier dans le bulletin pédagogique du second degré , N° 5 , 1961.
[2] Nous avons trouvé un écho de cette circulaire dans un article paru dans le n°22 du bulletin pédagogique du second degré du mois de juin 1965,  sous la plume de Tawfik Ben Arfa , directeur du lycée de Garçons de Sfax dans lequel il déplore la non application de la dite circulaire et que la situation s’est dégradée puisque plusieurs enseignants utilisent de plus en plus la langue parlée  au cours de leurs leçons.
[3] Circulaire n° 90/CAB du 10 avril 1961 ; Bulletin pédagogique du second degré N°5 - Avril 1961 - Edition de l’office pédagogique

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