« Puisque mal parler c’est mal penser, il
n’est pas de professeur, quelque soit sa discipline propre, qui ne doivent se considérer comme un professeur de lettres, d’arabe ou de
français. Plus encore, par l’usage de méthodes qui associent largement les
élèves à la classe, il doit faire en sorte que chaque phrase de celle-ci,
chaque exercice qu’il propose, soient l’occasion de les entrainer, les
habituer, à s’exprimer bien et de toutes les manières. »
Mahmoud Messadi (1961)
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"Il va de soi que l’apprentissage de la langue se
fait aussi de façon permanente à travers les autres activités. Les activités
physiques et sportives, par exemple, appellent une communication orale entre
les participants. Les activités mathématiques mettent en jeu l’utilisation
d’une symbolique particulière.
Celle-ci n’empêche pas que la langue courante serve à la formulation
des problèmes et aux explications."
J. A. Rondal .langage et éducation .Pierre
Mardaga .éditeur.1986, p 213
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Présentation
En avril 1961, le
Secrétariat d’état à l’éducation nationale avait publié une circulaire signée
par le secrétaire d’état le professeur Mahmoud
Messadi ;
cette circulaire était destinée aux professeurs de toutes les disciplines, dans
laquelle il attire leur attention sur la
baisse du niveau linguistique des élèves, tant en arabe qu’en français,
décrivant les manifestations de cette baisse et analysant ses causes qui se rapportent
d’après le Secrétaire d’état à l’étroitesse de la perception des élèves quant
au rôle et à la fonction de la langue et à leur comportement linguistique pendant les cours des matières scientifiques ;
celui-ci se caractérise par une expression
qui manque de précision et de clarté et par un style très maladroit et le non respect des règles de
syntaxe, croyant à tort que le respect de correction linguistique n’est pas
nécessaire au cours des leçons des disciplines scientifiques, ce qui entraine inéluctablement
une baisse du niveau de la pensée car « l’esprit a besoin de langage
pour demeurer le maître d’un savoir chaque jour plus démesuré et plus
inhumain ». Mahmoud Messadi pense « qu’il n’est pas de professeur, quel
que soit sa discipline propre, qui ne doivent se considérer comme un professeur
de lettres, d’arabe ou de français » ; d’ailleurs la deuxième partie
de la circulaire avait précisé avec beaucoup de détails cette orientation pour
les enseignants de Mathématiques, de sciences physiques , de sciences naturelles,
et d’histoire et de géographie.[1]
L’importance de ce document
historique réside dans le fait qu’il nous révèle que la question de la baisse
du niveau linguistique inquiétait les responsables de l’école de 1961, alors
que tout le monde avance aujourd’hui que les élèves des années soixante maitrisaient
bien la langue arabe et la langue française, et que les enseignants de l’époque
étaient plus exigeants quant à la qualité de la langue et au respect de ses règles , et ils ne
badinaient guère avec les fautes quel
que soit leur gravité ; certains enseignants parmi les « puristes »s’interdisaient
de mettre la moyenne à toute rédaction ou dissertation qui comporte des fautes de grammaire ou de
conjugaison ou d’orthographe ; mais il semble, d’après le constat du
Secrétaire d’état, que cette rigueur n’a pas réussi à contrer la tendance à la
baisse du niveau des élèves, c’est devenu un fléau auquel personne n’a réussi à
trouver un remède.[2]
Certes, la baisse des
compétences linguistiques est un phénomène qui affecte la plupart des systèmes
éducatifs ; les évaluations
nationales et internationales le montrent bien ; d’ailleurs plusieurs recherches ont été
initiées pour en connaitre les causes qui relèvent de l’école et de l’extra
scolaire.
Mais on est curieux
d’imaginer un moment quelle serait la réaction de Mahmoud Messadi s’il
visiterait aujourd’hui nos salles de cours, et s’il prend connaissance de
l’état de la langue pratiquée par les enseignants et par les élèves ; la
situation est très grave ; et une prise de conscience est aujourd’hui nécessaire
devant l’invasion des nouveaux modes d’expressions ( SMS en premier) et d’une nouvelle « langue » qui
est un mélange de dialecte arabo-franco-anglais .
Instructions relatives aux moyens à mettre en œuvre en vue
d’améliorer le pouvoir d’expression écrite et orale des élèves.[3]
« Il est constaté,
depuis quelques années déjà, un affaiblissement plus ou moins marqué des élèves
aussi bien dans la langue arabe, langue maternelle, langue de culture de base
et langue véhiculaire dans la section -A- que dans la langue française, langue
véhiculaire dans la section -B- et langue de culture adventive dans la
section-A-.
Il est certain qu’on assiste, de la même manière,
dans tous les pays du monde, à une désaffection progressive et continue du fait
linguistique : La correction de la langue cède la place aux connaissances
scientifiques et techniques exigées par la vie moderne.
Mais s’il y a là une raison importante de
l’affaiblissement des élèves en langue arabe et en langue française, ce n’est
pas la raison essentielle. Celle-ci se trouve dans le fait que les élèves ont
trop tendance à considérer l’arabe et le français comme des disciplines
particulières aux- quelles sont consacrées seulement quelques heures par semaine.
Ont-ils à démontrer un théorème, à rédiger une composition d’histoire, de
géographie ou de sciences, ils ne soucient pas de la propriété des termes, de
la grammaire et de l’orthographe. Tout cela, pensent-ils, ne compte qu’
« arabe et en français ».
Faut-il redire que la précision du langage et la
netteté de la composition sont au moins aussi nécessaires dans un exposé
scientifique que dans une dissertation littéraire ? Il ne s’agit pas, en effet,
d’encourager le goût des fioritures ni des vaines élégances que les professeurs
d’arabe et de français sont les premiers à prescrire. Quoique les élèves aient
à dire, il faut exiger qu’ils le disent nettement, exactement, avec concision
et avec ordre : la probité de l’expression est un signe certain de la
clarté des idées et de la solidité du savoir. Elle est aussi une vertu morale
et sociale : Le langage et l’écriture sont les moyens d’expression de
l’homme, les instruments essentiels dans les relations humaines. Celui qui
évite le laisser-aller dans sa parole et dans son style prouve qu’il s’est
imposé une discipline et qu’il a égard à ceux qui l’écoutent et à ceux qui le
liront. De ce point de vue, la prétention est aussi fâcheuse que la négligence.
Trop de nos grands élèves se plaisent à hérisser leurs phrases de termes techniques
et philosophiques, légitimes sans doute quand on en use à bon escient, mais qui,
employés à tort et à travers, dissimule mal l’incertitude de la pensée et
trahissent une tendance peut-être inconsciente, à faire illusion aux autres et
à soi-même. La langue orale ne doit faire l’objet d’une surveillance moins
attentive que la langue écrite. Nos élèves ont tendance à parler de plus en
plus mal. Comment s’étonner dès lors, qu’ils aient de la peine à trouver le mot
juste quand ils ont la plume à la main.
Tout ceci, on le voit, est affaire d’entrainement,
d’habitude. Mais l’action des seuls maîtres d’arabe et de français serait
impuissante à donner de bonnes habitudes aux élèves, s’ils restent libres, dès
qu’ils échappent à leur contrôle, d’oublier ce qui leur a été appris.
Puisque mal parler c’est mal penser, il n’est pas de
professeur, quelque soit sa discipline propre, qui ne doivent se considérer
comme un professeur de lettres, d’arabe ou de français. Plus encore, par
l’usage de méthodes qui associent largement les élèves à la classe, il doit
faire en sorte que chaque phrase de celle-ci, chaque exercice qu’il propose,
soient l’occasion de les entrainer, les habituer, à s’exprimer bien et de
toutes les manières.
Au total, l’action de chaque professeur guidant celle
de chaque élève doit être dominée par cette pensée majeure que « l’esprit
a besoin de langage pour demeurer le maître d’un savoir chaque jour plus
démesuré et plus inhumain », que, « c’est aussi en apprenant à
s’exprimer avec justesse qu’on forme le mieux son esprit ».
Alors, sera assurée, sur un point essentiel, cette
convergence des efforts qu’impose à l’ensemble de la pédagogie l’unité de la
culture.
Les indications qui suivent sont destinées à
permettre particulièrement aux professeurs de mathématiques, de sciences
physiques, de sciences naturelles, d’histoire et de géographie, de s’insérer de
la meilleure façon dans ce cadre de pensée et d’action. Les professeurs des
autres disciplines pourront aussi s’en inspirer largement dans la conduite de
leur classe.
1) MATHEMATIQUES :
…Il (l’élève) pense pouvoir se contenter de termes
imprécis et de phrases tronquées ; la figure ou la formule dont il parle
suffisent, selon lui, à élucider l’obscurité de son langage.
Le professeur réagira efficacement contre cette tendance,
s’il conçoit son cours comme la recherche active, par les élèves, non seulement
des propriétés du phénomène mathématique étudié, mais encore de leur expression
la plus adéquate. Que devant une phrase ambigüe, il fasse réaliser, non par les
intentions précises de son auteur, mais toute autre interprétation qu’elle
autorise, et celui-ci comprendre aisément sa faute.
Pour que la classe, ainsi conçue, ne soit pas trop
ralentie par la construction progressive du langage que l’on utilise, il faut
que celui-ci soit aussi simple que possible. Que l’on remplace, par exemple, la
phrase complexe qui vient naturellement à l’esprit, par plusieurs courtes phrases,
de structure grammaticale élémentaire, donnant au total la même information.
Dans le cas ou s’offrent plusieurs synonymes, on choisira le plus fréquent.
…, le mathématicien ne peut renoncer sans sacrifier
cette parfaite adéquation de l’expression à la pensée, qui est le propre de sa
discipline, et le but de tout langage bien fait. Monter que ce but peut être atteint,
dans l’étroit secteur de la langue usuelle qu’il emploie, c’est bien le
meilleur service qu’il rendra à ses collègues qui ont pour tâche d’enseigner
précisément cette langue usuelle…
2) SCIENCES PHYSIQUES :
.... La description, la conduite et l’interprétation
de ces expériences doivent se faire au cours de discussions engagées entre le
professeur et les élèves, organisées de manière à aboutir à l’élaboration en
commun d’un texte résumant et fixant le savoir que l’on vient d’acquérir.
De cette manière les élèves auront participé activement,
non seulement à la conquête de ce savoir mais aussi au moyen de l’exprimer avec
précision, clarté et concision. Les mots et les phrases employés correspondront
aussi à des images nettes dans leur esprit et les efforts qu’ils feront pour
acquérir un savoir plus étendu seront plus aisés à fournir et plus sûrement
couronnés de succès. Ils ne devront plus hésiter à écrire correctement,
quantitativement et qualitativement, les équations chimiques. On leur évitera
le travail fastidieux de mémoire auquel ils se livrent d’habitude et qui
dépouille l’étude de la chimie de tout intérêt, de tout attrait. Si d’ailleurs
ils se détournent très vite de cette science, c’est le plus souvent parce que
l’on a recours pour l’enseigner, à la méthode dogmatique, à la fastidieuse
énumération de propriétés des corps et l’emploi d’un vocabulaire qu’ils n’ont
pu pas assimiler.
… les soucis de préciser avec le concours des élèves,
le moyen d’exprimer les idées et d’énoncer les définitions, les règles et les
lois, reste la condition essentielle de fixation et d’assimilation des
connaissances acquises.
…Dans chacun des deux domaines des sciences physiques,
le professeur se trouve ainsi appelé à améliorer et à enrichir le pouvoir
d’expression de ses élèves….
3) SCIENCES NATURELLES :
…Procéder ainsi, c’est faire en sorte que chaque
classe, chaque exercice, se déroule sous la forme d’une discussion méthodique,
ordonnée au cours de laquelle les élèves sont entrainés à s’exprimer bien, en
phrases courtes, complètes, précises à
utiliser un vocabulaire de choix, …Procéder ainsi, c’est, dans les classes du
premier cycle notamment, à la suite de chaque discussion, amener les élèves à
ressembler leurs acquisition dans un texte qui sera élaboré avec la
collaboration de tous, un texte précis, concis et souvent original, un texte
dont le professeur proposera ensuite l’enregistrement sur le cahier en
s’attachant, par tous les moyens, à éviter les fautes d’orthographe.
Au niveau de la classe de 3ème année et plus tard
dans le second cycle, l’élève doit s’habituer à prendre des notes, c’est -à-
dire à rédiger seul , en termes précis et concis, en évitant toujours le style
télégraphique, les principales acquisitions. Cet apprentissage doit être
évidemment progressif. Avant de laisser aux élèves une liberté totale, le
professeur se doit d’intervenir encore, dans les occasions les plus délicates,
pour faire élaborer une rédaction en commun.
Ainsi, le professeur de sciences naturelles, peut-il
jouer le rôle de professeur d’arabe ou de français, peut-il participer à
développer les qualités de langage, de style et d’orthographe de ses élèves,
peut-il contribuer, de la meilleure façon à réaliser cette unité de la culture
qui doit être la préoccupation dominante de tous les maîtres.
4) HISTOIRE ET GEOGRAPHIE :
L’enseignement de l’histoire - géographie doit
permettre un double enrichissement de l’élève ; en accroissant son savoir
mais aussi en perfectionnant son pouvoir d’expression. Il convient que le
professeur participe par son cours à une meilleure compréhension et utilisation
de la langue. Les possibilités sont multiples : présentation claire des
faits en limitant l’emploi des mots difficiles, en expliquant les termes
nouveaux et en les écrivant au tableau ; surveillance des cahiers afin
qu’ils ne deviennent pas des recueils d’hérésies grammaticales.
D’autre part les élèves doivent être amenés par de
petites phrases correctes aux questions posées. A ce propos, on se rappellera
que la dictée du résumé peut être utilement remplacée par un exercice
d’élaboration en commun : professeur-élève, qui permet à la classe de
s’exprimer plus aisément…
Je vous serais très obligé de bien vouloir assurer
ces instructions la plus large diffusion et de les communiquer individuellement
à tout le personnel enseignant. Il s’agit effet, il n’est pas besoin de le
souligner, d’un problème d’importance majeure à la solution duquel tous les
maîtres doivent s’attacher particulièrement.
Le Secrétaire d’Etat à l’Education Nationale
Mahmoud Messadi
Présentation Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, inspecteurs
généraux de l’éducation
Tunis, novembre 2016
[1] Nous
n’avons reproduit dans cet extrait la deuxième partie de la circulaire ;
on s’est limité aux paragraphes qui se rapportent à la question de la langue ;
le lecteur peut consulter le texte
entier dans le bulletin pédagogique du second degré , N° 5 , 1961.
[2] Nous
avons trouvé un écho de cette circulaire dans un article paru dans le n°22 du bulletin
pédagogique du second degré du mois de juin 1965, sous la plume de Tawfik Ben Arfa , directeur
du lycée de Garçons de Sfax dans lequel il déplore la non application de la
dite circulaire et que la situation s’est dégradée puisque plusieurs enseignants
utilisent de plus en plus la langue parlée
au cours de leurs leçons.
[3] Circulaire
n° 90/CAB du 10 avril 1961 ; Bulletin pédagogique du second degré N°5 -
Avril 1961 - Edition de l’office pédagogique
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