C’est une aberration. L’enfant est naturellement d’une curiosité inouïe. ...
Son enthousiasme pour la nouveauté est considérable et ses capacités
d’apprentissage impressionnantes. Or, que lui proposons-nous pour épanouir
cette potentialité formidable ? De se forcer à s’intéresser à des matières
éloignées de sa vie, qui le motivent de moins en moins et qu’il voit
infiniment mieux traitées ailleurs. A partir de 12 ans, cela devient
dramatique. La transmission est censée se dérouler lors de séances appelées «
cours » qui durent un peu moins d’une heure (durée décidée par les moines du
Moyen Age) et auxquelles il doit assister sans bouger. Double absurdité : on
sait aujourd’hui que la capacité d’attention d’un enfant (et de beaucoup
d’adultes) chute au bout de 20 à 30 minutes ; d’autre part, l’immobilité
physique du jeune humain est nocive à son fonctionnement cortical si elle
dépasse un quart d’heure. Bouger est pour lui vital, la psycho-neuro-immuno-endocrinologie
l’explique bien.
Extrait d’un entretien Richard David Precht “L’école doit redevenir un lieu qui stimule
l’esprit créatif et le bonheur d’exister”
http://www.cles.com/debats-entretiens/article/l-ecole-doit-redevenir-un-lieu-qui-stimule-l-esprit-creatif-et-le-bonheur , visité le 26 octobre 2016
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Avant propos
Nous présentons cette semaine
un document qui remonte au à la fin du XIXème siècle, publié dans le
premier numéro du bulletin officiel de l’instruction publique ; il
s’agit d’un extrait du règlement relatif aux recommandations destinées aux instituteurs et aux directeurs
des écoles au sujet des recommandations pédagogiques relatives à la préparation des emplois du
temps.
Cet extrait est fort
intéressant et très instructif quant à l’état de la pensée pédagogique de
l’époque, qui n’a rien à envier à l’état
de nos connaissances et à nos pratiques d’aujourd’hui ; d’ailleurs les
principes énoncés dans l’extrait suivant sont encore en vigueur aujourd’hui,
comme l’alternance des périodes d’éveil et des périodes de repos, ou la
nécessité de limiter la durée des périodes de fortes concentrations, ou encore l’alternance des activités.
A la fin du mois de décembre 1886, la Direction
de l’instruction publique avait publié deux documents fondamentaux se
rapportant à l’enseignement primaire dans la régence de Tunisie :
·
Le premier est le règlement scolaire sous la
forme d’un arrêté du directeur de l’instruction publique L. Machuel, en date du
20 décembre 1886 ;
·
Le
deuxième est le programme général de l’enseignement primaire sous la forme d’un
arrêté aussi de la même instance.
Ensuite, la direction
de l’instruction publique a publié une circulaire explicative[1] de l’inspecteur de
l’enseignement primaire D. Baille qui explicitait les articles 7,8 et 9 de
l’arrêté des programmes qui portaient sur les registres tenus par
l’instituteur, les cahiers de devoirs hebdomadaires et les rapports qui doivent être envoyés à
l’inspecteur primaire, à la fin de chaque mois. La circulaire a évoqué
plusieurs questions organisationnelles et pédagogiques , parmi lesquelles la préparation des emplois du temps par les
directeurs et les instituteurs, où l’on trouve un exposé détaillé des règles générales qui doivent conduire l’opération de la préparation des emplois du
temps, accompagnées de conseils pédagogiques
et de règles qui traduisent une
connaissance précise de l’enfant et des ses caractéristiques physiques et psychologiques .
Vu la valeur du
document, le blog pédagogique a choisi de reproduire des extraits de la dite
circulaire accompagnés de quelques commentaires, car nous sommes en présence des
questions qui sont encore d’actualité, qui sont encore aujourd’hui valables
Les extraits : les principes
pédagogiques qui doivent présider à la
rédaction de l'emploi du temps
« Après ces
prescriptions réglementaires[2], des principes
pédagogiques importants doivent présider à la rédaction de l'emploi du temps.
A l’âge où il vient en
classe, l'enfant est capable d'attention ; sans cela l’enseignement serait
impossible. Cette faculté se manifesta extérieurement par ce vif désir de
connaître, cette grande curiosité, d'où naissent ces mille questions que l’enfant
pose à propos de tout ce qui frappe ses sens. Mais son esprit est très mobile ;
tout l'étonne, et il passe rapidement d'un objet à l'autre ; par suite, il a
une puissance d'attention très limitée ; un exercice qui se prolonge un peu
trop fatigue rapidement son intelligence ; il est distrait ; il n'écoute plus ;
tout ce que dit le maître est perdu pour lui.
Commentaire
L’attention est l’une des facultés de
l’esprit qui permet à l’individu de se concentrer sur un sujet donné, William
James la définit comme «
la prise en possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un
objet ou d’une suite de pensées parmi plusieurs qui semblent possibles … Elle
implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les
autres… » [3]
quant à De Lansheere, il définit l’attention en se référant à Pieron comme
« une orientation mentale élective comportant un accroissement
d’efficience dans un certain mode d’activité, avec inhibition des activités concurrentes
… et on appelle champ d’attention le laps de temps pendant lequel un sujet peut se concentrer
sur un objet. »
La psychologie cognitive considère que
l’attention est un concept multidimensionnel,
qui est en rapport intime avec la
mémoire et qui a un effet direct et confirmé sur
l’apprentissage ; la psychologie cognitive distingue plusieurs catégories
d’attention, la plus répandue est l’attention sélective qui permet à l’élève d’écouter le maître
sans se laisser distraire par le bruit autour , ou « quand en mathématiques, l’élève traite
les seules informations nécessaires à la résolution de la question »[4],
mais il y a aussi l’attention divisée ou partagée qui permet à l’enfant de « lire des informations
au tableau en écoutant le maître ou prendre des notes ; c'est-à-dire retranscrire par écrit les
informations entendues » ; enfin on parle aussi d ’attention
soutenue et vigilante qui permet à l’élève « d’écouter passivement le
professeur ou de faire un exercice long et monotone » .
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« De là, la nécessité des leçons courtes.
Pour les jeunes enfants, les exercices scolaires doivent durer au plus une
demi-heure ; pour les élèves plus âgés, ils peuvent durer trois quarts
d'heure sans inconvénient ; cependant, des leçons d'une demi-heure sont encore
suffisantes.
Des leçons courtes,
telle est la première règle pédagogique à observer. »
commentaire
A
propos de la durée optimale des leçons, la circulaire fait la distinction entre les jeunes élèves et
les moins jeunes d’entre eux ; pour les premiers, le champ
d’attention ne dépasse guère trente
minutes, alors qu’il pourrait atteindre quarante-cinq minutes chez les
enfants des grandes classes ; malgré cette différence, la circulaire
recommande la règle de la leçon d’une demi-heure qui ne devrait pas être
dépassée ; c’est cette règle qui explique la variété et la succession des activités de courtes durées
dans les petites classes, chose qui surprend les observateurs qui ne
connaissent pas cette spécificité chez les enfants.
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« Voici la
deuxième (règle pédagogique ): A la fin d'une classe, à la fin de la
journée, à la fin de la semaine, l'intelligence des enfants est bien moins
éveillée qu'au début; l'esprit devient d'autant plus paresseux qu'il est depuis
plus longtemps occupé. Cela est naturel ; et les instituteurs peuvent
facilement l'observer sur leurs élèves et sur eux-mêmes. A la fin de la classe
du matin, et surtout à la fin de la classe du soir, maître et élèves éprouvent
une fatigue à la fois physique et intellectuelle. »
Comme conséquence, il
convient de placer le matin, au commencement de chaque classe, immédiatement
après une récréation, les leçons les plus importantes, celles qui demandent le
plus d'attention ; et de réserver pour la fin des classes, les exercices pour
lesquels l'esprit n'a pas besoin d'être constamment tenu en éveil.
Commentaire
Ce dernier paragraphe annonce la naissance de
la chrono- biologie et de la chrono-
psychologie, deux sciences modernes qui étudient les rythmes temporels,
biologiques et psychologiques, les rythmes journaliers et saisonniers et
leurs influences sur les apprenants. Elles ont défini les moments de la
journée où l’esprit de l’enfant est en situation
d’éveil et les moments où son esprit
est en état de somnolence , cette variation survient aussi bien au
cours de la journée , de la semaine et des saisons, ces variations chrono-
psychologiques touchent aussi bien
l’élève que l’enseignant ; ces données doivent entrer en compte au
moment de la préparation des emplois du temps
la chrono-
biologie et la chrono-
psychologie, ont montré que la séance
matinale a ses moments forts et ses temps faibles, et la même chose pour la
séance de l’après-midi. Et les études dans ce domaine recommandent de
réserver les moments forts aux activités et aux matières qui nécessitent une
concentration et la mobilisation de capacités intellectuelles supérieures et les
temps faibles aux activités qui nécessitent moins de concentration et des
capacités moins complexes.
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Au point de vue
physique, les enfants, surtout les plus jeunes, ont un grand besoin de
mouvement. La récréation d'un quart d'heure qui coupe chaque classe est
destinée à donner en partie satisfaction à ce besoin. A part cette récréation,
des marches et des chants doivent accompagner les changements d'exercices. Ce
n'est pas là du temps perdu ; au contraire: pendant ces quelques minutes
où l'enfant est occupé à marcher au pas ou à chanter, son
intelligence se repose; et, tout à l'heure, à la reprise du travail
intellectuel, l'esprit sera bien plus attentif.
Commentaire
Le terme récréation vient du verbe latin RECREARE qui signifie recréer, redonner de la
force ; dans le champ scolaire , le terme récréation indique « les pauses
limitées dans la journée scolaire qui permettent aux enfants de se détendre et de se divertir »[5] ,
et pour renouveler leurs énergies ; dans l’école française , c’est le 25
septembre 1866 que deux récréations de 10 à 15 mn dans la journée furent décidées pour les classes enfantines au
début, avant d’être généralisées à
toutes les classes du primaire ; le terme de récréation intégra l’encyclopédie de l’éducation en 1873[6] .
Pour les écoles de la régence tunisienne, la
première récréation était à 9h 30mn, celle de l’après-midi survient à 15h 45
mn.[7]
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Avec le mouvement, il
faut aux enfants le changement, la variété. Pour donner
satisfaction à ce besoin, l'instituteur variera le plus possible les
exercices de l'école ; à une leçon orale, succédera un devoir écrit ; un
exercice où les enfants sont assis fera suite à un autre pendant lequel les
enfants sont debout ; une leçon qui laisse les enfants auditeurs ou
spectateurs remplacera une leçon où les élèves sont acteurs ; les leçons
de même ordre seront espacées le plus possible dans le même jour ou dans la
même semaine.
Commentaire
Le changement et la variété sont deux concepts qui ont une grande importance dans le
domaine éducatif et le milieu scolaire: le changement signifie le passage
d’une situation à une autre, par exemple du travail oral à l’écrit, ou de la
position assise à la position debout, ou encore de la situation d’apprentissage passif à la situation
d’apprentissage actif ; le changement dans ces cas visait à maintenir
l’élève en éveil et concentré ; le changement est une opération
d’adaptation qui permet à l’enseignant
de faire appel à une méthode ou à un outil donné en connaissance de cause pour faire face à une situation donnée.
La variété consiste à faire appel à des
situations d’apprentissages différentes dans la même séance et à utiliser des
techniques variées selon le sujet de la leçon, afin de maintenir l’élève en éveil et combattre la monotonie et l’ennui surtout chez les
jeunes enfants.
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En résumé: remplir
les conditions matérielles imposées par le règlement, tenir compte de la
puissance d'attention très limitée de l'enfant, de l'état d'esprit de l'élève
aux différents moments de la journée, donner satisfaction au besoin de
mouvement et au besoin de changement de l'enfant, telles sont les principes qui
doivent guider l'instituteur dans la rédaction de l'emploi du temps.
On trouvera ci-après
huit modèles : un pour chaque cours dans les écoles de garçons et dans les
écoles de filles. Ces modèles ne sont nullement imposés aux instituteurs ;
ils peuvent être pris pour guides ; mais l'initiative et la liberté du maître
restent entières. Suivant les écoles ils peuvent être modifiés en partie ou
totalement.
Source: BOIP
N° 1 - année 1887 : règlement et programme
En guise de conclusion
Force est de
reconnaitre que les principes défendus par les pédagogues de la fin du XIXème continuent à avoir la même valeur dans nos écoles aujourd’hui, bien sûr la
méthodologie de la confection des emplois du temps a évolué au cours de la dernière décennie avec l’entrée
en scène de la nouvelle technologie ; les directeurs peuvent trouver sur
le marché des centaines de logiciels conçus spécialement pour les aider à
établir les emplois du temps en tenant compte des paramètres et des règles prédéfinis , mais on continue à
tenir compte de ces principes fondamentaux.
Hédi Bouhouch &
Mongi Akrout , Inspecteurs généraux de l’éducation retraité
Tunis , septembre 2016
[1] Tous ces documents sont parus dans le premier
numéro du Bulletin officiel de l’instruction publique - 1er
janvier 1887 - 1er année.
[2] Les prescriptions règlementaires concernent l’horaire
journalier et hebdomadaire, les congés
scolaires, les devoirs des instituteurs, les punitions que l’instituteur pourrait infliger aux
élèves … Et si l’on prend par exemple le temps journalier ( art13) , il est dit que la journée
comporte deux séances : une matinale et une l’après-midi ; chacune dure
3heures entrecoupées d’une récréation de 15 mn ; la séance du matin débute
à 8 heures , celle de l’après-midi à 13heures ; cependant, le
directeur de l’école peut changer
les heures d’entrée et de sorties après avis de l’inspecteur et l’accord
de la DIP ; la circulaire a aussi prévu des mesures particulières pour les
élèves qui sont obligés de passer la pause de midi à l’école) .
[3]
Wikipedia.org/Wiki/Attention
[4] L’attention :
fonctionnement, évaluation, développement, implication dans les apprentissages.
http://www.acgrenoble.fr/savoie/pedagogie/docs_pedas/attention_berger/attention_Berger.pdf?PHPSESSID=f9ea6f0fc98ea9f9ac5bcdf91d806d7b
[7] Voir LE BOIP , N°2 , janvier 1887, p 45.
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