le blog pédagogique présente cette
semaine un document vieux de 89 années dont le contenu est encore d’actualité, il s’agit d’une
circulaire qui fut publiée par le
Ministre de l’instruction publique Français Édouard Herriot (voir annexe)
dans laquelle il dénonçait les cours particuliers imposés par certains
enseignants (déjà à cette époque).
En lisant cette circulaire on
est frappé par certaines similitudes avec ce que nous connaissons dans nos écoles
et lycées aujourd’hui. Lisez pour voir.
LE TEXTE DE LA CIRCULAIRE
" Mon Attention a été
attirée cette année, à différentes reprises, sur
quelques abus isolés qui se sont produits dans certains établissements
secondaires, soit durant l'année scolaire à l'occasion des leçons
particulières ou de cours à l'usage des élèves faibles, soit pendant les
grandes vacances, dans certains cours organisés pour les candidats au
baccalauréat ajournés à la session de juillet.
Commentaire
le Ministre parle de
trois types de leçons particulières payantes:
-
Des leçons données
au cours de l’année pour les ‘élèves faibles’
-
Des cours pour
préparer les concours des grandes écoles
-
Des cours organisés durant les grandes vacances pour les candidats au bac ajournés
le ministre parle « d’abus
isolés » et pourtant il leur consacre une circulaire ferme. Pourquoi ?
|
Je ne méconnais nullement l'intérêt
qu'il peut y avoir, dans ces divers cas, à seconder les efforts ou à accélérer
les progrès de certains élèves bien intentionnés que des causes accidentelles
ont pu mettre en retard; il est, par exemple, naturel et louable qu'un
professeur consente à donner des leçons particulières à tel de ses
élèves qu'une maladie a retardé. Mais il importe que ces leçons,
dûment sollicitées par la famille, gardent un caractère occasionnel et
individuel, le recrutement plus attentif de nos classes et une rigueur accrue
des examens de passage doivent garantir désormais que la généralité des élèves
qui font leurs études dans les établissements secondaires publics
sont capables de fournir convenablement le travail qui leur est demandé et
d'atteindre en première, sans secours spécial, le niveau du baccalauréat.
Commentaire
le Ministre admet
l’idée qu’un enseignant puisse donner occasionnellement un cours de soutien dans des cas bien particuliers à un de ses
élèves dont la maladie a entrainé une longue absence. Pour le ministre un bon contrôle et une évaluation rigoureuse seraient
capables de permettre aux élèves qui accèdent aux lycées de réussir leurs
études sans un« secours
spécial »
|
On ne saurait donc ni comprendre, ni
tolérer que, dans cette classe de première, le professeur, de son initiative
propre, crée régulièrement, au mois d'octobre, une section dite « d'élèves
faibles », section égale parfois au quart ou au tiers de l'effectif et même
davantage, et qu'il avise les familles de l'existence d'un cours destiné à ces
élèves, en faisant connaître ses tarifs par un prospectus. Cette organisation
d'un enseignement privé au compte du maître, dans la classe même qui lui est
confiée, est un abus qui doit prendre fin sans retard.
le Ministre dénonce la
pratique de certains professeurs de la classe de première ( l’équivalent de
la classe de 3ème année secondaire actuellement) qui ont pris
l’habitude de créer depuis le début de l’année « une section d’élèves
faibles » pour leur proposer leur service payant, pour le Ministre il s’agit là d’un abus intolérable qui doit
s’arrêter.
|
On en peut dire autant de certains
cours qui fonctionnent dans les classes préparatoires au concours d'entrée des
grandes écoles
surtout de l'école polytechnique, l’institution de ces cours
spéciaux crée, en effet, deux catégories d'élèves; il y a
d'une part les élèves qui peuvent payer la préparation spéciale, et
de l'autre ceux qui — boursiers ou autres — ne le peuvent pas.
Les familles en viennent à penser, non
sans quelque apparence de raison, qu'il existe deux espèces de
préparation; celle du lycée, bonne sans doute, mais aléatoire et insuffisante,
dans la pratique et celle du cours payant, qui est nécessaire au
succès. L’idée ne doit pas pouvoir naître, dans nos
établissements d'enseignement secondaire qu'un maître réserverait un dévouement
et des soins particuliers à ceux qui les pourraient payer.
D'autre part,
il convient de rappeler qu'une préparation commune, ouverte à tous
indistinctement et laissant une large place à l'effort personnel, est la
condition la plus sûre pour permettre aux concours de remplir leur rôle de
sélection équitable des valeurs. Enfin, je ne puis accepter que les classes
préparatoires de tel ou tel établissement finissent, par des moyens de cette
sorte, être avantagées par rapport à celles ou la préparation se fait
normalement, et que le jeu de l'émulation loyale se trouve ainsi faussé.
Le Ministre dénonce ce deuxième type de cours particuliers en avançant
plusieurs arguments :
- Ces cours sont une source d’inégalité entre ceux qui ont les moyens et ceux qui
n’en ont pas.
- Ces cours
contribuent à la mise en place d’une formation à deux vitesses , la première - privée - garantirait la réussite et la
deuxième assurée à l’école serait plutôt « aléatoire et
insuffisante ».
- Enfin ces cours et
ces préparations payantes faussent les concours car « l'émulation loyale se trouve ainsi
faussée ».
|
Les cours dits de vacances donnent lieu
parfois à des abus analogues. Dans certains cas, des professeurs associés ont
fondé une sorte d'institution temporaire, qui utilise les locaux du lycée ou du
collège pour y donner un enseignement d'entraînement au baccalauréat, sans
valeur éducative. Des prospectus imprimés, des affiches appellent la clientèle
et l'on a soin de spécifier que tous les candidats et candidates refusés, que
les parents désireraient voir bénéficier de cette organisation, pourraient s'y
faire inscrire, d'où qu'ils viennent. Une telle pratique est intolérable; elle
doit, elle aussi, prendre fin sans retard. Il n'est pas possible que les
établissements de l'Etat servent à de telles fins.
Commentaire
Enfin le troisième
type de cours particuliers sont pour le Ministre « intolérables »
parce que certains enseignants
s’associent pour donner des cours d’été dans les locaux des établissements publics,
d’ailleurs le Ministre affirme que cet
« enseignement d'entraînement au baccalauréat, est sans valeur éducative »
|
Je sais, du reste, que de tels abus sont
de très rares exceptions. L'esprit du personnel secondaire, qui est une des
forces morales de ce pays, est demeuré intact dans son ensemble. Mon devoir
n'est que plus impérieux de le préserver de la contagion. Au moment où la crise
mondiale contraignait chacun à se créer des ressources supplémentaires pour
l'entretien de sa famille, on eut à la rigueur pu faire quelques sacrifices à
la nécessité. Mais ces temps commencent à s'éloigner ; les traitements ont été
réajustés, la rétribution des heures supplémentaires a été très largement
accrue; il faut maintenir pures de compromission les habitudes de
désintéressement et de dignité qui ont fait l'autorité, morale de nos maîtres
et le prestige de l'Université.
Si l'on méconnaissait cette urgence, les
premières victimes d'une telle faute seraient les enfants de France
et les professeurs eux-mêmes. Les enfants, accoutumés à compter sur l'aide
complaisante du maître, perdraient le sentiment que leur progrès dépend de leur
effort propre; ils ajouteraient aux heures des classes celles des répétitions,
au risque de ne plus avoir (le fait s'est produit dans un lycée voisin de
Paris) une minute de répit, même pendant les récréations, de midi à l'heure du
coucher.
Quant aux maîtres, le fait qu'un très
petit nombre d'entre eux profitent de leurs fonctions pour s'assurer
abusivement des avantages matériels, devient un argument contre l’immense
majorité du personnel, restée fidèle à l'esprit universitaire. Rien n'a rendu plus malaisée la défense des
revendications relatives aux traitements; rien n'est plus propice aujourd'hui
encore à desservir devant l'opinion la cause des fonctionnaires de
l'enseignement public.
Commentaire
Dans la dernière
partie, le Ministre a essayé de justifier la publication de cette circulaire
, bien qu’il reconnait que ces pratiques sont encore très minoritaires , il
craint « la contagion » et que son devoir était de préserver
« les habitudes de désintéressement et de dignité qui ont fait
l'autorité, morale de nos maîtres » , il considère qu’il s’agit là d’une
urgence ; car si on ne met pas un terme à ce fléau les premières
victimes « seraient les enfants de France et les professeurs
eux-mêmes »
les élèves vont
petit à petit perdre le sens de l’effort personnel et n’auront plus de temps
pour s’épanouir, n’ayant plus « une minute de répit »
les maîtres dont la
« majorité restée fidèle à l'esprit » seront déconsidérés par l’opinion publique
par la faute « d’un très petit nombre d'entre eux qui profitent de leurs
fonctions pour s'assurer abusivement des avantages matériels ».
|
Le Ministre de l’instruction publique,
E. HERRIOT.
.
Janvier avril
1929 N° 1 - 43ème année.
Bulletin officielle de la direction générale de
l’instruction publique et des beaux-arts
annexe :
Édouard Herriot (1872 - 1957)
La «République
des professeurs»
« Né à Troyes, en Champagne, dans la famille d'un officier sorti du rang, Édouard Herriot est le plus illustre représentant de la « République des professeurs » qui vit des normaliens se succéder à la présidence du Conseil sous la IIIe République avec Paul Painlevé, Léon Blum et André Tardieu, et dont le dernier lointain représentant fut Georges Pompidou.
« Figure
montante du parti radical, il fut élu en 1912, sénateur ... Pendant la
Première Guerre mondiale, il fut appelé comme ministre des Travaux publics,
du transport et du ravitaillement dans le cinquième ministère Briand. À
l’issue du conflit, il prend la tête
du parti radical-socialiste, il
le reconstruisit. En 1923, ce parti, sous son impulsion, s’associa avec la
SFIO pour fonder le Cartel des gauches. Après la victoire du Cartel, aux
élections législatives de 1924, Édouard Herriot devint chef du gouvernement,
mais tomba bientôt, renversé sous l’influence des milieux de la banque et de
l’industrie hostiles à sa politique financière ; il devint ministre de l’Instruction
publique dans le cabinet de l’Union nationale fondé par Raymond Poincaré en
1926. À ce poste, dans un climat politique apaisé, il mit en œuvre la réforme
de l’école unique »[1]. »
|
Présentation , traduction et commentaire
Hédi bouhouch , Mongi Akrout Inspecteurs
généraux de l’éducation, et Brahim Ben Atig, Professeur Principal émérite.
Tunis , 2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire