lundi 13 novembre 2017

Application des programmes de l'enseignement primaire dans les classes primaires et élémentaires des établissements d’enseignement secondaire



avant propos

Le système éducatif  mis en place en Tunisie  par le régime du protectorat est un système calqué sur le système de la métropole, avec ses points forts et ses points faibles.
le blog pédagogique va évoquer dans ce numéro l’un de ces points négatifs selon les défenseurs d’un système scolaire unique et égalitaire en accord avec les principes de la révolution française, il s’agit de la coexistence de deux enseignements, l’un gratuit  pour les gens du peuple  et l’autre payant pour les riches.
  
 Les lois scolaires des années 1880 n’ont jamais réussi  à mélanger les riches et les pauvres sur les bancs de l’école, au contraire elles ont conservé  la ségrégation sociale  et petit à petit se sont mis en place  deux enseignements : « d’un côté, le primaire et le primaire supérieur ; de l’autre, l’enseignement secondaire, commencé par ses classes élémentaires et leur professorat spécifique, institué par Jules Ferry lui-même.[1] »
"… dès la première réunion de la section permanente du Conseil supérieur de l’Instruction publique, en mai 1880, Jules Ferry avait proposé un nouveau plan d’études pour l’enseignement secondaire, qui le divisait en trois cycles séparés l’un de l’autre par des examens de passage, ce qui devait permettre à d’excellents sujets de milieu modeste d’entrer dans un établissement secondaire classique sans être contraint d’en parcourir tout le curriculum jusqu’au baccalauréat … ; mais devant les objections présentées à ce plan par les défenseurs de l’enseignement secondaire classique, le ministre avait reculé. »
En 1905 le Conseil de l'instruction publique de la régence de Tunis  réuni en session annuelle (mai 1905) avait débattu la question de la nécessité d’appliquer les mêmes programmes  pour tous les élèves de l’enseignement primaire  qu’ils suivent leurs cours dans les écoles primaires ou dans les lycées, c’est le débat de la session que nous proposons à nos lecteurs.

Conseil de l'instruction publique. Session annuelle (mai 1905).
Première séance.
La vendredi 12 mai 1905, à 9 heures du matin, le Conseil de l'Instruction publique s'est réuni à la Direction de l'Enseignement, dans le bureau du Directeur.
Etaient présents :
MM. MACHUEL, Directeur de l'Enseignement public, président ;
BERGE, Président du Tribunal de Tunis ;
BOURGEON, Procureur de la République à Tunis ;
DELMAS, Professeur à la Chaire publique d'arabe, Directeur du Collège Sadiki;
MM. BUISSON Inspecteur d'Académie, H.C. Directeur du Collège Al Alaoui. DUVAL, Proviseur du Lycée Carnot ; BAILLE,  Inspecteur de l'Enseignement primaire à Tunis ;PATOU, Professeur au Lycée Carnot ; VEYRIER, Directeur de l'école annexe du Collège Alaoui ; AURES, instituteur à l'école annexe du Collège Alaoui ; OUZIEL, Directeur des Ecoles de l'Alliance Israélite en   Tunisie ; Mme GUILLOT, Directrice de l'Ecole Jules Ferry; Mme BRULE, institutrice à l'Ecole Jules Ferry ;M. TREMSAL,  chef du Cabinet du Directeur de l'Enseignement, secrétaire du CIP.


« …Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de rendre compte par le menu détail  la discussion relative à cette importante question. Aussi paraît-il préférable d'en donner un compte-rendu analytique.
Le Président estime que jusqu'à un certain âge tous les enfants doivent recevoir le même enseignement. Il ne faut pas que, dans une démocratie, parents et enfants puissent s'imaginer qu'il y a deux qualités d'enseignement primaire, l'une plus soignée, réservée aux élèves des lycées, l'autre, inférieure, concédée aux élèves des écoles primaires.
D'autant plus que rien n'est plus contraire à la réalité et que les méthodes pédagogiques en usage dans nos écoles sont aussi bonnes que celles des classes similaires des lycées. Il y a au lycée deux sections de classes primaires et élémentaires, ayant toutes à leur tête des maîtres de valeur, mais ne recevant pas les mêmes élèves. La section A comprend en général des élèves français, la section B reçoit surtout des élèves indigènes et étrangers, et, d'une manière générale, l'enseignement y est un peu moins élevé. Or tous les enfants ont droit à recevoir la même instruction d'après les mêmes méthodes et les mêmes programmes.
De l'avis d'une haute personnalité de l’enseignement, le déchet que l'on constate dans les classes secondaires des lycées tient en partie à ce que les élèves n'ont pas abordé les classes secondaires avec des connaissances primaires méthodiques et complètes, et aussi à ce que dans les lycées on se préoccupe plutôt, à l'inverse de ce qui se fait dans nos écoles, de pousser les élèves bien doués que de donner à l'ensemble  un minimum de connaissances bien établies.

Quoi qu'il en soit, il y a un fait indiscutable : en général les élèves des écoles primaires qui débutent au lycée en sixième réussissent aussi bien que ceux qui ont fait dans le même établissement toutes leurs études primaires.
Ce fait est corroboré par l'opinion d'universitaires distingués qui déclarent devoir leur succès dans les études secondaires et même supérieures à une bonne instruction primaire reçue en dehors du lycée, M. Bourgeon (Procureur de la République à Tunis)  partage cette manière de voir.

M. Duval, proviseur du lycée, prend la défense de l’enseignement donné dans les classes primaires de son établissement. Il fait valoir les difficultés qui s'opposent selon lui à l'unification complète des programmes et des méthodes. Il est impossible d'aller contre la différence, de recrutement et d'empêcher les parents en mesure de payer les frais d'études d'envoyer leurs enfants au lycée. D'autre part, comment concilier la durée moyenne des études primaires (6 ans) avec la nécessité de faire aborder aux élèves vers 10 ou 11 ans les études secondaires ? L'enseignement au lycée comporte en réalité trois cycles, qui doivent former un tout harmonieux. Le certificat d'études, qui pour les élèves des écoles primaires est le couronnement des études, n'est pour ceux du lycée qu'une étape de début. Enfin on ne peut supprimer dans les classes primaires du lycée certains enseignements accessoires, comme le dessin et les langues vivantes.

Au cours de cette discussion contradictoire, animée et toujours courtoise cependant, plusieurs membres du Conseil interviennent dans un sens ou dans l'autre :
 M. Buisson rappelle que dans un rapport au Ministère à la suite de l'imposition de 1889, il demandait que l’enseignement primaire fût le même partout, l'enseignement secondaire devant en être la continuation naturelle,
 Mlle  Guillot, Mme Brûlé, MM. Baille, Aurès et Veyrier sont partisans de l'unification des programmes et estiment que l'enseignement des écoles primaires peut très bien convenir même au lycée.
 M. Aurès désire toutefois que l'unification des programmes n’entraîne pas pour les instituteurs du lycée, une augmentation de service.
M. Patou reconnaît qu'en général les élèves venant des écoles primaires sont supérieurs pour les sciences, mais il estime, avec M. Delmas, que la plupart des membres  du Conseil ne connaissent qu'un des aspects de la question, suivant qu'ils appartiennent à l’enseignement primaire ou secondaire. Il désirerait que cette question fût soumise à l'examen d'une commission mixte.
Le Conseil décide néanmoins de clore la discussion et de passer au vote et le Vœu suivant est adopté, par 9 voix contre 2 et 3 abstentions :
« Que les programmes et les méthodes d'enseignement primaire soient appliqués intégralement dans les classes primaires et élémentaires des établissements d'enseignement secondaire. »

Source : Bulletin officiel de l'enseignement public, N°51, Juin 1905, 19ème année. p 818  

Commentaires Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , inspecteurs généraux de l’éducation retraités  et Brahim ben Atig , professeur hors classe émérite .
Tunis ,  novembre 2017.









[1] Patrick Dubois, « Figures de l’école juste et politique scolaire dans les années fondatrices de la Troisième République », Revue française de pédagogie [En ligne], 159 | avril-juin 2007, mis en ligne le 01 avril 2011, consulté le 29 janvier 2017. URL : http://rfp.revues.org/646 ; DOI : 10.4000/rfp.646

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