lundi 12 avril 2021

La question de la langue d’enseignement en Tunisie, de l’école polytechnique du bardo à l’école de l’enseignement de base. (épisode 6)

 

Hédi bouhouch

Nous poursuivons cette semaine la publication de l'étude sur la question de la langue d'enseignement
  en Tunisie, en entamant le deuxième chapitre  consacré à la période du protectorat français sur le pays, une période qui a vu la confirmation du bilinguisme imposé avec une suprématie de la langue française  au dépens de la langue arabe qui se trouve marginalisée.

Nous exposons dans ce numéro le statut de la langue arabe et son évolution dans dans l'enseignement post primaire , les cours pour adultes et l'enseignement supérieur  après avoir vu dans les précédents  numéros la situation dans les écoles françaises ouvertes en Tunisie et dans les écoles franco-arabes.

Pour revenir au premier épisode, cliquer ici et au deuxième cliquer ici et au troisième cliquer ici et au quatrième cliquer ici et au cinquième cliquer ici

Deuxième chapitre : La langue d’enseignement au temps du protectorat : le bilinguisme  imposé avec une prédominance de la langue française

I- les fondements de la politique linguistique du protectorat.

II-Evolution du statut de la langue arabe dans les institutions publiques créées par la DIP en Tunisie.

A. Au niveau de l'enseignement primaire

1.    Dans les écoles françaises : d'une absence totale de la langue arabe au statut d'une matière obligatoire.

2.    Dans les écoles franco arabes : un bilinguisme inégal  s'est imposé .

B - La place de la langue arabe dans le second cycle ou l'enseignement post primaire public.

Peu développé au temps du protectorat, l'enseignement post primaire était représenté par quelques unités concentrées dans la ville de Tunis et les villes importantes où vivait une communauté française assez importante, comme Bizerte, Sousse et Sfax… il s'agit des cours complémentaires, de lycées, de collèges techniques, de l'école normale de garçons et de l'école normale de jeunes filles.

1- La langue  arabe dans les lycées

Malheureusement, nous ne disposons pas de données complètes et détaillées sur la place de la langue arabe dans le second cycle. Sraieb donne une information générale qui montre que dans tous les établissements du second degré où l'élément français représentait la grande majorité de la population scolaire, la suprématie de la langue française était indiscutable. Elle accaparait l'essentiel de l'horaire avec quelques différences selon le type d'enseignement, les cycles et les sections, alors que la langue arabe n’occupait qu’une place secondaire. Sraieb écrivait que " si l’enseignement en langue française recouvrait les mêmes disciplines que dans les sections modernes et classiques de l'enseignement en France, l’enseignement en langue arabe touchait quant à lui la langue et la littérature arabes, l’histoire et la géographie du monde musulman, l’enseignement islamique, la traduction de textes administratifs, l’instruction civique, la calligraphie et la paléographie"[1]. Nous avons néanmoins des bribes d'informations qui concernent quelques établissements secondaires que nous allons présenter.

§  La langue arabe au lycée Carnot[2]

La langue arabe était enseignée au lycée Carnot. La direction du lycée avait opté au départ pour l'arabe parlé (addarija) pour les classes du premier cycle (sixième et cinquième), en raison de l'hétérogénéité des classes où se côtoyaient des français, d'autres européens, des autochtones musulmans et juifs. L'introduction de l'arabe littéraire se faisait à partir de la classe de quatrième. "On a constaté que la réunion des français et des indigènes musulmans et israélites dans le 1er cycle, obliger les professeurs à enseigner en 6ème et 5ème l'arabe parlé, retardait l'étude de l'arabe régulier, laissant ainsi pendant 2 ans les indigènes en marge de la classe. Pour remédier à cet inconvénient grave, il a été décidé que désormais, les européens étudiant l'arabe seraient séparés des indigènes pour l'étude de cette langue, dès la 6e et pour toute la durée du 1er cycle, et que les uns et les autres recevraient un enseignement où, suivant la classe et l'origine des élèves, l'arabe régulier apparaîtrait au moment voulu et occuperait la place qui lui convenait. Il est permis d'attendre de cette innovation, en même temps que l'accroissement en nombre des arabisants, une amélioration du niveau des études d'arabe au lycée". (rapport au président de la république, année 1922)

§  La section tunisienne : une tentative pour réhabiliter la langue arabe :

Au mois de juin 1944, une circulaire[3] de la DIP annonça la création d'une section tunisienne  "dans les classes de 6ème des collèges Alaoui à Tunis, de garçons de Sousse et de Sfax , à dater du 1er octobre1944. En réalité cette section avait démarré  plus tôt, en effet  c'est le directeur de l'enseignement public  Letourneau (1941/1943) qui la  lança dès 1942[4].

Cette section parallèle aux sections classique et  moderne, permettra aux élèves qui la fréquenteront, d’acquérir une culture semblable à celle de leurs camarades du collège Sadiki. En 6ème et en 5ème l’enseignement de l’arabe aura une part importante ( voir tableau ci-dessous). Les autres matières seront celles qui sont inscrites au programme de la section moderne. En 4ème, les élèves de la section tunisienne entreprendront l’étude de l’anglais. Ces études conduiront au baccalauréat et au diplôme de fin d’études du collège Sadiki".

 

Horaire hebdomadaire appliqué à dater du 1er octobre 1950  pour la section tunisienne 

 

 

4° classique

4°moderne

3° classique

3°moderne

3° spéciale

Langue et  littérature françaises

6

6

5

6

5

6

6

Langue et  littérature arabes

8

8

7

7

7

7

7

Mathématiques

2

2

2

2

2

3

2

Sciences

1/2

1/2

1

1/2

1

1/2

1

 

 

2° classique c

2° moderne

2°spéciale

1ère  classique AB

1ère classique C

1ère  moderne

1ère  spéciale

Langue et  littérature françaises

4

4

5

5

4

4

5

5

Langue et  littérature arabes

6

6

6

6

6

6

6

6

Mathématiques

2h30

4

4

2h30

3

4

4

3

Sciences

3

4h30

4h30

3

2

4h30

4h30

2

Source : BODIP 1950 - N°4-  p.p 41, 42 .

En fait, les études de la section tunisienne ne diffèrent de l'enseignement français que par la part accordée à la langue et la littérature arabes qui variait entre 26 et 47% de l'horaire total. Cela représente une avancée sur la voie de la réhabilitation de la langue arabe dans l'enseignement secondaire (voir tableau ci-dessous).

 L'horaire hebdomadaire  de la section tunisienne

 

 

Horaire pour le français

Horaire pour l'arabe

Total hebdomadaire

%

6ème et 5ème

15h30

11h30

27h

45.59%

4ème classique

21

9h30

30h30

31.14%

4ème moderne

20h30

9h30

30

31.66%

3° classique

21h30

10h30

32h

32.81%

3°moderne

20h

11h

31 h

35.48%

3°spéciale

15h30

12h30

28

44.64%

2° classique A B

22H30

9h

31h30

28.57%

2° classique C

25h30

9h

34h30

26.08%

2°moderne

21h30

9h

30h30

29.5%

2°spéciale

15h30

12h

27h30

47.05%

1° classique A B

24h

9h

33h

27.27%

1° classique C

27h30

9h

36h30

32.72%

1°moderne

23h30

9h

32h30

27.69%

1°spéciale

17h

13

30

43.3%

source : opt cité ,Sraieb. p ,58. 

La création de cette section s'inscrit dans le cadre de la nouvelle politique coloniale du gouvernement de la France libre à la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle fut conçue pour satisfaire les nationalistes tunisiens et aussi pour réduire la pression sur les lycées français  en proposant aux jeunes tunisiens une voie de substitution  qui se veut le prolongement des écoles franco-arabes.

Il semble que la nouvelle section  ait  connu quelques difficultés au départ à cause de la réticence des parents. La DIP a dû publier un document en 1946  signé par A.Mzali ,sous directeur de l'instruction publique afin de dissiper les inquiétudes [5] des élèves et des parents  en leur disant  qu’ " il importe que les élèves inscrits dans cette section ainsi que leurs parents sachent que cette section ne les conduit pas à une impasse, pas plus qu'elle n'est considérée comme une section en marge de l'enseignement secondaire officiel. Si des malentendus ou des incompréhensions ont pu se glisser à la faveur de quelques interprétations erronées, il est de la plus haute importance que tout le monde soit fixé sur la nature de l'enseignement qui s'y donne et des possibilités qu'il offre."

 

Tout d'abord, dans les classes de 6° et 5°  tunisiennes, les disciplines, autres que l'arabe, doivent être absolument les mêmes que celles qui sont enseignées en 6° moderne, sans restriction ni délimitation aucune.

A partir de la classe de 4°, les élèves sont invités à entreprendre l'étude d'une deuxième langue vivante, tout comme leurs camarades de la section moderne.

Ainsi les élèves inscrits en section tunisienne reçoivent en même temps une culture française scientifique  ou générale  et une culture arabe aussi solide que celle dispensée aux élèves du collège Sadiki.

Ces études les conduiront bien entendu aux examens du baccalauréat et mettront certains d'entre eux, sinon tous, en mesure d'affronter d'autres examens tels que celui du brevet élémentaire d'arabe et celui d'un diplôme de fin d'études secondaires". Cette mise au point a permis à la section tunisienne de connaitre "un succès considérable surtout à partir de 1950. En 1953, 90 classes dans les lycées, collèges et cours complémentaires dispensaient cet enseignement tunisien (A.Louis  p 10)[6].L'effectif de la section s'est multiplié par presque six fois entre 1945 et 1954  atteignant4854 soit 72.6 % des élèves tunisiens musulmans qui fréquentaient l'enseignement secondaire. (voir tableau ci-dessous).

 

Evolution des inscrits dans la section tunisienne

 

%

Total des inscrits tunisiens au secondaire

Nb d'inscrits tunisiens dans la section tunisienne

Année

68.17%

1213

827

1945

67.37%

3197

2154

1949

%72.64

6682

4854

1954

 

2-L'enseignement de l'arabe dans l'enseignement technique

 

Dans l'enseignement technique, 3 ou 4 heures d'enseignement arabe ont été programmées selon les sections. Il s'agit, comme c'est le cas pour le primaire, de l'arabe régulier (littéraire) pour les élèves tunisiens et de l'arabe dialectal pour les élèves européens.  Nous avons trouvé une note relative à l’enseignement de l’arabe au collège Paul Cambon pour jeunes filles durant l'année scolaire 1952/1953. On en déduit que les élèves tunisiennes musulmanes suivaient un cours d'arabe régulier et un cours de culture islamique (histoire et droit). Quant aux élèves européens, ils avaient un cours d'arabe dialectal. Ces cours concernaient tous les niveaux du collège, de la 6ème jusqu'à la classe de seconde où l'horaire variait entre 5 et 2 heures par semaine selon le niveau et la section.

3- La langue arabe à l'école normale des instituteurs

 

           L'enseignement à l'école normale de Tunis lors de sa création était un enseignement unilingue destiné à former des instituteurs de langue française. Cependant les élèves-maitres avaient un cours d'arabe dialectal. Depuis 1908 cette formation s'étendait sur une année entière. En 1909, l'école normale des instituteurs devient une école bilingue qui forme des instituteurs unilingues (maîtres de français et maîtres d'arabe) et des instituteurs bilingues capables d'enseigner les deux langues en même temps. En 1953[7]une nouvelle organisation de l’école normale de Tunis crée deux sections : une section de langue française et une section de langue arabe avec deux sous-sections : la sous-section A qui forme les instituteurs bilingues et la sous-section B qui forme les instituteurs unilingues d’arabe.

L'analyse des programmes des différentes sections montre le souci des responsables de donner à tous les élèves une formation bilingue qui leur permet de parler les deux langues quelque soit leur section.

C'est ainsi que pour :

- la section de langue française, sur un horaire de 34 h par semaine, l'emploi du temps prévoit 2h30 en 1°année,  3h en 2ème, 2h en 3ème et 3h en 4ème pour l'arabe dialectal.

- la section de langue arabe, la sous-section A, a formation s'effectue dans les deux langues avec une prédominance pour l'arabe. Ainsi sur un horaire de 34 h par semaine, l'emploi du temps consacre à la langue et à la littérature françaises 6 h pour les trois années, et pour la langue et la littérature arabes 8h en 1°année, 8h30 en 2ème et 3ème. En plus, les élèves suivaient un enseignement religieux et de droit musulman, la numération, les sciences naturelles, la physique et la chimie (2h30) en langue arabe, en 4ème année ils suivent en arabe un cours de psychologie (3h /semaine) de sociologie (2h), de morale (1h), de pédagogie spéciale (1h),  d'arithmétiques (1h), de sciences naturelles et d'hygiène ( 1h),  et des cours en français : psychologie de l'enfant (3h), morale professionnelle et législation (1h), pédagogie spéciale des divers enseignements.

- la section de langue arabe, la sous-section B, la formation est effectuée en totalité en arabe (30h), mais l'emploi du temps comporte un cours de français (de 3 à 5h/semaine selon le niveau initial des élèves en français). La 4ème année de formation professionnelle est elle aussi arabisée totalement  ( 30h/semaine) avec 4 h  de français. 

C - L'enseignement du français et de l'arabe pour adultes et au niveau supérieur

1- L'enseignement du français pour adulte

 

La DIP a cherché à diffuser la langue française parmi la population adulte. Pour cela elle avait organisé des cours publics pour adultes, dirigés par les instituteurs. Ces cours ont été ouverts dans plusieurs villes comme Tunis, Bizerte, Sousse, Kairouan, Sfax et Nabeul. Machuel, dans sa monographie   pédagogique sur l'enseignement public dans la régence de Tunis présentée à l'occasion de l'exposition universelle de 1889, écrivait que "508 auditeurs, dont 180 Européens et 348 indigènes, se sont fait inscrire. Les deux tiers environ ont suivi assidûment les leçons. Le programme de ces cours a compris la lecture, l'écriture, le langage et les éléments du calcul. A Tunis, le programme a été plus étendu dans une seule école, il a pu comprendre l'étude de la grammaire française (avec des exercices d'application), de l'arithmétique, de la géométrie, des sciences physiques et naturelles et de l'histoire. Ces cours sont payés par la Direction de l'enseignement".

 

2- La création de la chaire publique d'arabe

 

Trois années après l'instauration du protectorat, la DIP décida la création d'une chaire publique d'arabe à Tunis (1884) dont le but était d'enseigner la langue arabe aux français qui viennent s'installer en Tunisie. Mais très vite, elle fut ouverte à toutes les nationalités et surtout aux tunisiens musulmans et aux italiens. La chaire d'arabe comportait trois degrés. Chaque degré est destiné à un public particulier et il est sanctionné par un diplôme spécifique.

§  Le premier degré est un cours d’arabe parlé.

"Ce cours est consacré à la préparation au certificat de connaissance d'arabe parlé. Il s'agit d'un cours "essentiellement pratique, destiné aux personnes que leur position ou leurs besoins mettent en rapport avec les indigènes et dont la première ambition est d'arriver le plus vite possible à comprendre les arabes et à se faire entendre d'eux"[8]. A la fin de ce cours, les personnes qui l'ont suivi passent un examen pour l'obtention d'un certificat de connaissance d'arabe parlé[9].

§  Le deuxième degré - Cours élémentaire d'arabe régulier.

" Ce cours prépare à l'examen du brevet élémentaire d'arabe, brevet établissant que la personne qui l'a obtenu possède une connaissance suffisante des principes de la grammaire arabe et qu'elle est à même, non seulement de communiquer oralement avec les indigènes, mais encore de lire et de comprendre un écrit ordinaire, rédigé en arabe régulier, et de traduire en style arabe correct un texte français d'un genre simple et usuel. "[10]

§  Le troisième degré - Cours supérieur de langue arabe.

" Le but de ce cours est de : 

1° faire acquérir aux auditeurs une connaissance approfondie des principes de la langue arabe, 

2° les initier à la haute culture intellectuelle musulmane et de développer en eux le goût des lettres arabes par l'étude des principaux monuments de la littérature arabe, en poésie et en prose,

3° leur donner des notions élémentaires de prosodie arabe pour leur faciliter l'intelligence des chefs-d'œuvre poétiques de cette langue, 

4° leur donner également des notions élémentaires de droit musulman (rite maléki et rite hanafi) et de les familiariser avec la lecture et la traduction des pièces judiciaires et des actes notariés".

"Ce cours prépare à l'examen du diplôme supérieur d'arabe. Ce diplôme établit que la personne qui l'a obtenu a une connaissance assez approfondie de la langue arabe pour traduire en français un texte qui contient des difficultés, pour faire une rédaction en style arabe correct sur un sujet quelconque et qu’elle possède des notions étendues sur la syntaxe arabe et des notions élémentaires sur le droit musulman, la littérature arabe et l'administration gouvernementale de la Régence" (Machuel).

Au début, les cours de la chaire d’arabe étaient donnés le soir à Tunis, mais la chaire a ouvert  les cours élémentaires d'arabe à Bizerte et à Sfax , elle a prévu la possibilité de préparer les examens de langue arabe par correspondance  pour les gens qui ne résident pas à Tunis Les cours et les sujets des devoirs et les instructions sont publiés dans un supplément spécial de chaque numéro du bulletin officiel de l’enseignement public en Tunisie qui est envoyé aux intéressés. "Les élèves du cours par correspondance adressent leurs devoirs au professeur à la chaire publique d'arabe de Tunis, par l'intermédiaire de la direction de l'enseignement, et leurs travaux leur sont renvoyés par la même voie, avec toutes les corrections, annotations et indications nécessaires" Machuel". Il s'agissait d'instituteurs, de directeurs d'écoles, de contrôleurs civils et de secrétaires des contrôleurs civils, de secrétaires de municipalité, de receveurs de postes, de fonctionnaires de police, d' interprètes.

3- L'Ecole supérieure de langue et littérature arabes.

En 1910, la Chaire publique d'arabe de Tunis est transformée en Ecole Supérieure de langue et de littérature arabes par arrêté[11] (voir annexe 8), " La fonction propre de l'Ecole supérieure de langue et de littérature arabes est de répandre, à des degrés divers, parmi nos compatriotes, la connaissance de la langue arabe sous ses deux formes, écrite et parlée"[12].

La nouvelle institution avait gardé la même organisation que la chaire publique, elle continue à assurer les cours des trois degrés (certificat d'arabe parlé, brevet d'arabe et diplôme d'arabe).

Au degré élémentaire qui prépare au certificat d'arabe parlé, les études qui durent en général deux ans, permettent aux auditeurs "de tenir une conversation simple en dialecte tunisien. Cet enseignement s'adresse à des catégories diverses de nos compatriotes : colons, commerçants, militaires, fonctionnaires de tout ordre, etc".

Le degré moyen qui prépare au brevet d'arabe, est fréquenté surtout par des étudiants tunisiens qui cherchent à obtenir un diplôme français qui leur ouvre des horizons dans l'administration.

​​Le degré supérieur, sanctionné par le diplôme d'arabe, permet aux étudiants de maitriser les deux  langues arabe  et française et  de posséder  "une connaissance suffisante de l'organisation administrative et judiciaire de la Régence, des institutions et de l'histoire de l'Islam. Les étudiants qui suivent les cours de ce degré préparent aussi les certificats de la licence d’arabe organisés par l’université d’Alger". Un rapport officiel qui date de 1919[13] regrette la faible affluence sur ce cours. "Le nombre des français candidats au diplôme n'a jamais été considérable, quatre Français auditeursen 1918/1919". L'absence d'arabisants professionnels s'explique par le fait que "le diplôme de Tunis n'offre pas de débouchés pour la carrière de l'Enseignement en dehors de la Régence" (Rapport au président ,1919). Il ne permettait à ses détenteurs ni de participer au certificat d'aptitude à l'enseignement dans les lycées ni à l'agrégation d'arabe. Le même rapport jugeait cette situation "peu raisonnable et assez injustifiée", d'autant plus que "Le Directeur actuel de l'Ecole, (W. Marçais) qui a enseigné à Alger, à Paris et à Tunis, et a siégé aux jurys de ces trois centres, affirme que notre diplôme supérieur a largement la valeur de celui d'Alger et de celui des Langues Orientales de Paris"[14]. " La présence aux cours de l'Ecole supérieure d'un grand nombre de jeunes indigènes, y maintient les études à un niveau assez élevé. Quelques cours sont mêmes professés en langue arabe, ce qui ne se rencontre, semble-t-il, dans aucune autre école française d'orientalisme." [15]

En 1913,la direction de l'école est confiée à l’orientaliste William Marçais qui est considéré par certains comme son véritable fondateur. Il y crée, entre autres, une chaire d’histoire de la Tunisie et de l’Afrique du Nord qu’il attribue à Hassan Hosni Abdelwahab, à qui succède M’hamed Belkhûja[16] qui "fait partie d’une nébuleuse de conférenciers, d’enseignants et de journalistes qui banalisent et poursuivent un dessein commun : établir, étudier l’existence et l’ancienneté d’une patrie tunisienne, par-delà son islamisation. Un des signes de la tunisification de l’histoire réside dans la réactivation de l’appellation Ifriqiyya, ancien nom de la Tunisie à la résonance antique"[17].

4- L’Institut  des Hautes Études de Tunis et la création de la licence d'arabe

L'enseignement supérieur a profité lui aussi de l'ouverture des années quarante. L'année 1945 marque un tournant avec l'ouverture de l’Institut des Hautes Études de Tunis (IHET)[18]. Sa direction fut confiée à William Marçais ancien, directeur de l'E.S.L.L.A. L' IHET est une sorte d'université locale mais qui était rattachée scientifiquement et administrativement à l'académie de Paris. Il a intégré les formations qui était assurées par l'école supérieure de langue et littérature arabes et par le Centre d’Etudes juridiques[19].

L'institut comportait quatre spécialités: les études juridiques, administratives et économiques, les études philologiques et linguistiques qui "préparaient les trois certificats de la licence d’arabe (littérature, philologie, études pratiques), et préparait à un diplôme supérieur d’arabe à la place l’eslla"[20], les études scientifiques et les études sociologiques et historiques. L’effectif étudiant est passé rapidement de 611 en 1945-46 à 1088 en 1952-53. Les étudiants français représentaient la majorité (57 % en 1948-49 et 61 % en 1951-52). Dans la même période, La proportion des Tunisiens musulmans a tendance à diminuer (de 25 à 21 %)[21].

L'institut met en place des diplômes d’enseignement supérieur sous la supervision de l’université de Paris, comme la licence d'arabe dès 1946 que dirigera Mahmoud Messadi entre  1948 et1955, puis le diplôme d’archéologie en 1951, la licence arabe de droit en 1953.

pour conclure , quel bilan peut-on faire , et quel est fut le couronnement d'un peu plus qu'un demi siècle de combat pour la promotion de la langue arabe à l'école, pour certains le bilan est négatif puisque le bilinguisme inégal s'est imposé , pour d'autres le bilan est assez positif puisque la langue arabe a connu au cours de la période coloniale un progrès certain , dans sa thèse déjà citée  , le chercheur et historien  Mokhtar Ayachi  écrivait ce ci «il est étonnant de constater l'écart entre le discours politique  nationaliste et la situation réelle de la langue arabe qui a connu sous la colonisation à partir des années trente , un important renouveau  allant de pair avec le mouvement des mutations sociales qui traversaient la société tunisienne ». ( Ayachi p,83).

Fin de la sixième partie , à suivre , pour revenir à la première partie, cliquerICI , à la 2ème partie cliquer ICI, à la 3ème partie cliquer ICI, à la 4èmepartie cliquer ICI, à la 5ème partie cliquer ICI

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, Révision Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation retraités.

Tunis 2015

Pour accéder à la version arabe, cliquer Ici



[1]Sraîeb, N « Place et fonctions de la langue française en Tunisie », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 25 | 2000, mis en ligne le 04 octobre 2014, consulté le 01 août 2016. URL : http://dhfles.revues.org/2927

[2] Rapport au président de la république, 1922 .

[3]. Circulaire du 1er juin 1944 au sujet de la création  d’une section tunisienne dans les établissements d’enseignements secondaire de garçons.

[4] cité par Michel Lelong : Le patrimoine musulman dans l’enseignement tunisien après l’indépendance - Thèse  présentée devant l’université de Provence -20 février 1971- service des reproductions des thèses de l’université de Lille III – 1971

[5]Instructions du 13 mai 1946 pour la section tunisienne des lycées et collèges ,  Bulletin officiel de la direction de l'instruction publique , avril 1946-décembre 1946N°14 60e année

[6]cité par Michel Lelong : Le patrimoine musulman dans l’enseignement tunisien après l’indépendance

Thèse présentée devant l’université de Provence, 20 fév 1971- service des reproductions des thèses de l’université de Lille III – 1971

[7]  Règlement de l’école normale  du 11 juillet 1951 et Circulaire du 10  février 1953 relative au rôle et à l’organisation de l’école normale  de Tunis. B.O.I.P. Janvier -février ,mars  1953 , n°11- 67e année, p57-61

 

 

[8]L. Machuel : L'enseignement public dans la régence de Tunis. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56242621/f12.item.texteImage

[9]décret beylical en date du 15 redjeb 1305 (37 mars 1888) ixant les différents diplômes de langue arabe délivrés par la chaire d'arabe

[10]Machuel, opt ,cité.

[11] Arrêté du  22 novembre 1911 transformant la Chaire publique d'arabe de Tunis en Ecole Supérieure de langue et de littérature arabes

[12] Rapport au président de la république sur la situation en Tunisie en 1920.

[13] Rapport au Président de la République sur la situation de la Tunisie année 1919

[14] Rapport au Président de la République sur la situation de la Tunisie année 1919

[15] Rapport au Président de la République sur la situation de la Tunisie. 1920

[16] Aux origines de l’enseignement supérieur tunisien

  أكاديميا التعليم العالي وتكوين النخب من قرطاج إلى تأسيس الجامعةhttps://hctc.hypotheses.org/232#_ftn4

[17]Kmar Bendana : M'hamed Belkhûja (Tunis, 1869-1943) Un historien en situation coloniale  Dans Revue d'Histoire des Sciences Humaines 2011/1 (n° 24), pages 17 à 34

[18] "un décret beylical et une ordonnance du gouvernement français du 1er octobre 1945 créaient, néanmoins, l’ihet. Nous ne disposons pas encore des documents préparatoires à la création de cette nouvelle institution. Ils nous auraient mieux éclairés sur les raisons qui ont poussé le pouvoir à créer cet organisme d’enseignement supérieur." De la Zaytuna à l’université de Tunis : mutations d’une institution traditionnelle

Noureddine Sraieb

[19] Aux origines de l’enseignement supérieur tunisien

  أكاديميا التعليم العالي وتكوين النخب من قرطاج إلى تأسيس الجامعة https://hctc.hypotheses.org/232#_ftn4

[20] Sraieb. N:De la Zaytuna à l’université de Tunis : mutations d’une institution traditionnelle.

https://books.openedition.org/iremam/262?lang=fr

[21]François Siino: science et pouvoir dans la tunisie contemporaine, Éditeur : Institut de recherches et d'études sur les mondes arabes et musulmans, Karthala Collection : Hommes et société. 2004. https://books.openedition.org/iremam/507

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