Hédi Bouhouch |
Nous exposons dans ce numéro les fondements de la
politique linguistique française dans l'enseignement en Tunisie .
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Deuxième
chapitre : La langue d’enseignement au temps du protectorat : le
bilinguisme imposé avec une prédominance
de la langue française
I.
les fondements de la politique
linguistique du protectorat
Avec le régime du protectorat en Tunisie
"la langue française aura une fonction idéologique et deviendra un
facteur d’hégémonie" . N.Sraîeb[1] |
Avec le protectorat, la langue
française est devenue rapidement la langue de l'administration et des affaires.
Elle est devenue le moyen de communication incontournable. Cet état de fait
allait commander la politique linguistique des autorités coloniales en Tunisie,
mais cette politique était obligée de composer avec des facteurs et des
exigences contradictoires comme la volonté d'assimilation en francisant la
population indigène d'un côté et la sauvegarde de la langue et de la culture
arabe de l'autre. Entre la satisfaction des attentes de la population locale et
la pression des colons, entre le maintien des institutions d'enseignement existantes
où la langue arabe est la langue unique d'enseignement et la création de
nouvelles institutions scolaires où le français est la langue principale
d'enseignement.
La volonté de franciser la population autochtone et les autres
communautés étrangères installées en Tunisie
Cette volonté
s'est traduite par la mise en place de nouvelles institutions d'enseignement où
la langue française est dominante et où la langue arabe est marginalisée.
1.
La politique officielle de la France : une politique d'assimilation
Il faudrait
chercher les fondements de la politiques scolaire dans la pensée de Jules Ferry[2] qui
écrivait que "l'œuvre vraiment politique et civilisatrice serait
l'école française pour les musulmans, l'école où des instituteurs arabes
professeraient le français pour les arabes" Les autorités coloniales avaient décidé de
suivre une politique d’assimilation. Pour réaliser cela, elles voyaient dans
l’école le moyen idéal pour « intégrer les tunisiens dans la culture
française" et le devoir de la direction de l’instruction publique
nouvellement créée était de fournir tous les efforts afin que « chaque
enfant tunisien devienne un vrai français de part sa langue, son esprit et ses
orientations, tout en conservant son appartenance à son pays et à son environnement ».
C'est dans ce cadre que s'inscrivait la décision de scolariser les jeunes
tunisiens (musulmans et juifs) dans les écoles françaises à côté des jeunes
français.
Cet idéal de
vouloir répandre la civilisation française partout avait dominé la politique
scolaire, un Résident Général[3]rappelle en 1895 que le but
de l'enseignement français n'est pas seulement de fournir des employés aux
administrations et aux particuliers « mais aussi et surtout d'initier à
notre civilisation les populations de ce pays de façon à en faire les
propagatrices de l'influence française … "[4]
Il faudrait
signaler que cet idéal n'était pas spécifique au cas de la Tunisie. La question
s'était posée un demi-siècle plus tôt en Algérie. Un politicien français avait
exprimé la même vision sur la question de l'enseignement en Algérie dans les
termes suivants : « Il est bien plus pressant…de mettre les indigènes en
possession de notre langue, que pour nous d’étudier la leur. L’arabe ne nous
serait utile que pour nos relations avec les africains ; le français non
seulement commence leurs rapports avec nous, mais il est pour eux la clef avec
laquelle ils peuvent pénétrer dans le sanctuaire ; il les met en contact avec
nos livres, avec nos professeurs, avec la science même. Au-delà de l’arabe il
n’y a rien que la langue ; au-delà du français, il y a tout ce que les
connaissances humaines, tout ce que les progrès de l’intelligence ont entassé
depuis tant d’années"[5]
Mais, au
cours des premières années du protectorat, les membres du parti conservateur
des prépondérants qui regroupait les colons étaient opposés à toute forme de
mixité entre leurs enfants et les enfants "indigènes". Ils ne
voyaient pas l'utilité de donner à ces derniers un enseignement moderne et de
leur apprendre la langue française. Selon eux, l’enseignement de la langue
française aux indigènes a multiplié les déclassés, et il est préférable qu'ils
continuent à fréquenter le Kouttab .
2. Le rôle
du premier directeur de l'instruction publique : Louis Machuel
Louis Machuel
était le premier directeur de l'instruction publique en Tunisie. Il a dirigé le
département durant un quart de siècle (1883/1908) et il fut l'architecte du
bilinguisme à l'époque du protectorat. Sa formation bilingue et sa connaissance
du coran[6] y étaient pour beaucoup dans
ses choix. Il défendait le principe de la mixité et il voulait faire assoir les
enfants tunisiens (musulmans et juifs) et les enfants européens (français,
italiens, maltais) sur les mêmes bancs, pour faire apprendre le français aux
tunisiens et l'arabe aux européens installés en Tunisie. Cela rappelle la
politique française en Algérie au début de la colonisation : " A peine installés à Alger, nous nous
rendîmes compte d'une double nécessité : faire apprendre aux français, venus en
Afrique, la langue des indigènes, faire apprendre aux indigènes la langue
française"
écrivait Jean Mirante, directeur des affaires indigènes en Algérie.[7]
Pour cela, il
créa des écoles françaises laïques sur le modèle français et des écoles
franco-arabes, sur le modèle des écoles arabes-françaises d’Algérie[8]où il a été formé lui même[9] .
Machuel ne
fut pas seulement un administrateur. Il fut aussi un pédagogue qui a mis au
point une méthode pour enseigner le français aux non français. Il préconise la
" méthode directe " où l’oral précède l’écrit et " propose
d’intégrer, dès le début, l’usage de la langue maternelle de l’enfant,
l’italien et l’arabe en l’occurrence en Tunisie, comme support pédagogique. « Nous
recommandons aux maîtres de donner aux élèves, à chaque leçon de lecture, la
traduction des mots et des phrases contenus dans les exercices. » (Machuel,
1885b, pp. 6-7). Cette mesure pédagogique s’explique par son souci de s’assurer
que « les indigènes ont bien compris la matière de chaque leçon. »
(Machuel, 1896, p. vi).
La répétition mécanique des phrases sans comprendre
le sens n’avait pas de valeur. La compréhension des élèves présente chez
Machuel un intérêt majeur. "Cette pédagogie, qu’on pourrait appeler «
bilingue » n’a pas été sans rapport avec son expérience personnelle en Algérie.
Sa compétence bilingue lui avait inspiré la méthodologie permettant
l’intégration partielle de la langue maternelle des élèves."[10] .
Cette
pédagogie explique l'obligation pour les instituteurs français engagés pour
travailler en Tunisie d'apprendre l'arabe avant de rejoindre leur poste « des cours spéciaux de langue arabe sont
organisés à l’intention des maîtres qui arrivent de France. Ils y acquièrent
rapidement les éléments de cette langue qu’ils ont à utiliser immédiatement
dans leurs enseignements et les notions de langage suffisantes pour leur
permettre d’entrer en relation avec les parents et leurs élèves indigènes »[11]. Ces cours sont donnés au
cours d'un stage à l'école normale des instituteurs de Tunis. Au début ils
duraient quelques mois. Puis, depuis 1908, cette formation s'étendait sur une
année entière. Elle consistait à apprendre
la langue arabe parlée (Addarija) sous la direction de Louis Machuel
lui-même et un professeur français arabisant.
Les maîtres
venus de France sont prévenus que « sans progrès dans cette langue, ils
n’obtiendront aucun avancement dans leur carrière » (ibidem : 27),
Cortier
Mais cette
politique qui s'inscrit dans la ligne de la politique officielle du
gouvernement de Paris divise les gens en Tunisie. Il y a, d'une part, les
opposants farouches représentés par les colons et les milieux conservateurs
indigènes et d'autre part, les fervents défenseurs de cette politique avec
quelques aménagements représentés par ceux qui vont constituer le mouvement des
jeunes tunisiens. Cette dualité va marquer toute l'histoire de l'enseignement à
l'époque du protectorat et animer un débat passionné entre les différentes
parties, un débat qui ne s'est jamais arrêté même après l'indépendance.
3. Le maintien des institutions existantes avec des
tentatives de les contrôler pour imposer l'apprentissage de la langue française
Les autorités
coloniales, à l'instar de ce qu'elles ont fait pour les institutions politiques
et administratives existantes avant l'instauration du protectorat en1881,
avaient opté pour le maintien "du système éducatif" qui se trouvait
en Tunisie avant leur arrivée. Ce système composite était constitué comme nous
l'avons vu précédemment dans la première partie, par les kouttabs,
l'enseignement zitounien, le collège Sadiki d'une part et les écoles
congréganistes et les écoles gérées par les communautés européennes, surtout
italienne et maltaise". Au cours des délibérations du 16 mars 1882, la
commission des affaires tunisiennes, en évoquant les mesures à prendre pour
organiser l'instruction publique, estimait qu'il " serait inopportun de
soulever un débat public sur la question de l'enseignement en Tunisie. Des considérations
très sérieuses commandent de ne pas entraver l'œuvre de Monseigneur Lavigerie[12], les écoles
confessionnelles catholiques, juives ou musulmanes se partageant encore la
faveur publique en Tunisie."(Sraieb)
Mais tout en
conservant ces institutions (elle a même encouragé certaines d'entre elles à se
développer)[13] la direction de
l'instruction publique avait pris quelques initiatives pour y introduire
l'apprentissage de la langue française et pour les contrôler avec plus ou moins
de réussite. C'est ainsi qu'elle avait pris plusieurs mesures dans ce sens
comme :
a.
L'obligation d'enseigner la langue française dans tous les
établissements privés
La loi du 9
moharrem (15 septembre1888) sur l'enseignement décréta que le français doit
être enseigné dans toutes les écoles, primaires ou secondaires ouvertes dans la
régence (art 1). L’inspection des établissements scolaires exercée par le
Directeur de l’Enseignement Public de la régence ou par ses délégués se doit de
vérifier que la langue française y est bien enseignée[14]. Un
nouveau décret publié en 1930 (décret beylical du premier joumadi al awal
(12/1/1930) relatif aux écoles privées rappelle cette obligation pour tous les
types d'écoles (primaire, primaire supérieure, secondaire, technique…) et fixe
le nombre minimal d'heures qui doivent être réservées à l'apprentissage du
français (au moins 6 heures par semaine). Le décret exige aussi que
l'instituteur soit un français qui possède les diplômes requis ou un étranger
qui a un diplôme délivré par une institution française.
b. Les tentatives d'enseigner le
français aux enfants musulmans qui fréquentaient les kouttabs:
Ne pouvant intervenir directement dans les Kouttabs,
le Directeur de l’enseignement public a exhorté les mu'addibîn (instituteurs)
d'envoyer leurs élèves aux écoles franco-arabes, à raison de deux heures
par jour, pour qu’ils puissent suivre l’apprentissage des matières qui ne sont
pas enseignées, surtout le français, dans les kouttabs moyennant une indemnité
mensuelle qui leur sera allouée. [15] Mais
il faut reconnaitre que cela fut sans grand succès.
En 1906 le
congrès colonial de Marseille a émis les vœux suivants concernant l'avenir des
kouttabs en Tunisie : il souhaite
« Que le gouvernement tunisien, dans le but
d'inculquer aux indigènes , des notions
de morale tirées de leur propre religion et d'étouffer ainsi en eux le germe du
fanatisme des ignorants;
1°
Encourage la création de kouttabs dans tous les centres et tribus qui en
sont dépourvus ;
2°Réforme les
kouttabs existants, en y introduisant l’étude de la langue française,
principalement dans les régions agricoles livrées à la colonisation européenne"[16]
En 1909 , au
cours de la session ordinaire du conseil de l'instruction publique ( C.I.P), le
directeur de l'instruction publique
rappelle aux membres du conseil la nécessité de s'occuper de
l'enseignement de l'arabe dans les
Kouttabs dans ces termes " Si l'on renonçait purement et simplement à
s'occuper de l'enseignement de la langue arabe dans
les écoles indigènes (entendre les écoles franco-arabes)
, il faudrait du même coup se désintéresser des kouttabs
privés, qui pourraient devenir des foyers de fanatisme. Il est de
bonne politique de chercher à agir sur les
kouttabs privés et de les faire servir à notre œuvre
civilisatrice de la France, grande puissance musulmane, qui
ne peut négliger ce moyen d'action"[17].
Le rapport au président de la même
année soulève la même question. Il reconnait qu' "il est difficile
d'améliorer notablement l'enseignement de ces écoles, réduit à peu près à la
récitation du Coran, exception faite pour quelques kouttabs réformés récemment
créés à Tunis. Mais, même restreinte au contrôle légal, l'action de la
Direction de l'Enseignement peut avoir d'heureux effets.
En ce qui concerne les nouvelles
ouvertures, l'autorisation n'est donnée qu'après une enquête sur la capacité et
la moralité des maîtres et sur l'état des locaux. Quant aux écoles en exercice,
des circulaires ont été adressées aux moueddebs privés, leur prescrivant
notamment l'observation de certaines règles relatives à l'hygiène et au
traitement des élèves. La Direction de l'Enseignement a également obtenu de
l'Administration des Habous l'amélioration matérielle de certains
kouttabs." rapport 1909
En octobre 1951"le Directeur de l'instruction
publique, se fondant sur les insistances de la Commission des affaires
culturelles de la section tunisienne du Grand Conseil, a décidé d'entreprendre
une expérience qui ferait de ces écoles coraniques une sorte d'école
préparatoire comme c'était le cas en Egypte.
L'horaire de ces écoles était porté à trente
heures ainsi réparties : Morale :1 h 40, Hygiène : 0 h 50, Lecture : 7 h 30,
Ecriture : 2 h 30, Calcul : 2 h 30, Langage : 3 h 45, Dessin : 1 h 15, Chant :
1 h 15, Récitation :1 h 15, Coran : 5 h, Récréation: 2 h 30. Si l'expérience paraissait
intéressante, son application n'en demeurait pas moins très limitée puisqu'en
1951-52 et 1952-53, 12 kouttabs seulement étaient touchés par cette mesure de
réforme. (Sraieb p
47) La grande majorité des Kouttabs ont continué à fonctionner comme
d'habitude.
Enfin. il faudrait préciser que
d'après "une statistique sur la scolarisation primaire de 1953, les
estimations de l'effectif des écoles coraniques traditionnelles variaient
autour de 30 à 40 000 élèves, sur un total de 187342 ou 197342 élèves tunisiens
musulmans scolarisés, ce qui représente 16 à 20 % d'élèves qui suivaient un enseignement
primaire unilingue arabe"[18]
c.
La création d'une école pour former des
moueddebs(Al Mederça at-ta'dïbiyya) :
En 1894, la
DIP avait décidé d'ouvrir une école spéciale[19] où le futur
Moueddeb apprenait à côté du Coran et de la langue arabe, le français, le
calcul, le système métrique et la géographie en français. Donc, il s'agissait
d'un enseignement bilingue mais avec une prépondérance pour la langue
arabe (près des deux
tiers des horaires). Mais l'expérience tourna court et l'école fut fermée en 1910
sur recommandation d'une commission spéciale et des délibérations
du conseil de l’instruction publique. Il fut décidé de confier la
formation des instituteurs de langue arabe à l’école normale des instituteurs
où une nouvelle section des futurs maîtres d'arabe ou
mouderrès est constituée. Depuis, l’école Alaoui comprend deux
sections : une section française pour former les instituteurs de français et une
section arabe avec deux filières, la
première forme des instituteurs unilingues d’arabe et une deuxième pour former
des instituteurs bilingues.
d.
Création d'un poste d'inspecteur de
l'enseignement coranique.
Pour avoir un
œil sur l'enseignement coranique, la DIP avait décidé de créer un poste
d'inspecteur de l'enseignement coranique. Le premier inspecteur tunisien fut
nommé par décret beylical en 1889 (décret du 12/11/1889) pour contrôler le
travail et la conduite des Moueddebs. "On a choisi comme inspecteur de
ces kouttabs un jeune et zélé fonctionnaire musulman, ancien élève-maître
d'Alaoui, licencié en droit de la Faculté d'Aix et ancien professeur de
la Medersa ettadibia,, chargé aussi de réorganiser et de diriger
l'enseignement arabe dans les classes musulmanes attachées aux écoles primaires
publiques, appelées généralement écoles franco-arabes" (Buisson).
En
1908, on créa au sein de la direction de l'instruction publique (DIP) une
inspection des écoles coraniques privées et de l'enseignement de l'arabe dans les
écoles primaires publiques. (décret du 26 novembre 1908) .
e.
Le contrôle et la réforme
du collège Sadiki (Medersa Essadikia) et le renforcement de son caractère
bilingue :
Al
Medersa Essadikia était l'unique établissement secondaire tunisien créé par
l'état tunisien pour former les cadres de l'état[20].
Comme il a déjà intégré les langues étrangères dans ses programmes[21] dont la langue française, la DIP avait voulu
tirer profit de cette institution pour consolider la place de la langue
française. Pour cela elle a entrepris de réorganiser l'administration et la
gestion du collège par l'institution d'un conseil d'administration de 8 membres
et puis par la nomination depuis 1892 à la direction du collège, d'un universitaire français, arabisant, M. Delmas
(Marius Delmas, 1892-1912), qui
occupait la chaire publique d'arabe à Tunis depuis1884.
Après une
période de crise qui fut le résultat direct d'une recommandation de "la
Conférence consultative, en avril 1901, invitant l'administration à donner à
l'enseignement pratiqué dans les établissements scolaires de la Régence, même
dans ceux existant en vertu de fondations privées, un caractère purement
professionnel et agricole. Le collège Sadiki fut complètement désorganisé : le
niveau des études y fut, par déficience pour les susceptibilités de la colonie, abaissé à tel point que l'établissement, qui
comptait au début 150 élèves, tant internes qu'externes, n'en a plus
aujourd'hui que 73". Ce n'est que "sur l'initiative de M. le
Résident Général Stephen Pichon (1901/1907), qu'une commission fut instituée
avec pour mission de chercher, dans une réforme du programme, le moyen de
faciliter aux indigènes l’accès de l'enseignement secondaire et supérieur
français. Cette commission a demandé que le collège Sadiki soit désormais,
selon la volonté de son fondateur, un établissement d'enseignement secondaire,
pouvant préparer un certain nombre d'élèves au baccalauréat"[22]. Les
autorités coloniales ont profité de cette reprise en main du collège pour
exclure les autres langues étrangères (italienne et turque) "au seul profit de la langue française comme unique
langue étrangère qui ne tardera pas à supplanter la langue arabe même".
(Sraïeb, 1995 : 305)
Mais depuis
octobre 1919, avec l'application de nouveaux programmes et la révision des
méthodes d'enseignement, l'horaire consacré à l'arabe a été augmenté d'une
heure par classe.
Mahmoud Messadi,
élève du collège puis enseignant durant dix ans (1938 à 1948), nous donne un témoignage très
précieux à ce sujet, dans lequel il déplora l'intervention de la DIP
dans la langue d’enseignement au collège, qui s'est traduite par le renforcement de la place de la langue française au dépens de la langue arabe et des principes de la religion musulmane. Il
évoqua aussi les tentatives qu'il avait
entreprises pour introduire l’étude de la littérature arabe dans les
programmes selon les méthodes modernes : « Je voulais, à l'époque
où nous avons imposé à la colonisation
l’introduction de l'enseignement
de la littérature arabe au collège
Sadiki, un enseignement qui équivaut
à l’enseignement assuré par les
français pour la littérature française » .
Pour valoriser les études du collège, un diplôme de fin d'études
secondaires du collège Sadiki fut créé en 1911 par décret beylical. L'examen
comprend une partie écrite bilingue (traduction en français d'un texte arabe
d'ordre administratif ou judiciaire, la traduction en arabe d'un texte français
d'ordre administratif ou judiciaire, une composition française, une composition
arabe) et une partie orale (6 épreuves en français et 2 épreuves en arabe)[23].L'obtention
du diplôme ouvre les portes de l'administration,"Les jeunes gens qui
auront subi avec succès ces épreuves sembleront d'autant mieux qualifiés pour
faire partie des administrations tunisiennes que deux représentants de ces
administrations sont appelés à siéger dans le jury, où leur présence sert de
contrôle à la régularité de l'examen. " (rapport au président, 1911)et
permet à certains parmi eux de poursuivre leurs études au lycée Carnot pour préparer
le baccalauréat.
Malgré le passage par des périodes
difficiles, le collège Sadiki est resté une institution très prisée par les
tunisiens. Il assurait une formation bilingue très solide. Un témoignage,
qui ne saurait être suspecté, est venu confirmer la qualité de la formation
intellectuelle donnée par l'établissement : "la Direction des
services judiciaires du gouvernement tunisien, en vue d'assurer un bon
recrutement de la magistrature indigène, a groupé à des cours de droit des
jeunes musulmans d'origines diverses, parmi lesquels un certain nombre
d'anciens élèves du collège. Dès les premières leçons, la solidité et l'étendue
de leurs connaissances, la rapidité de leurs progrès, leurs habitudes de
travail méthodique ont été remarquées par leur professeur qui, après examen
prolongé, considère aujourd'hui le Collège comme la meilleure pépinière de
futurs magistrats. On ne peut que se féliciter de voir en même temps rendre
justice aux efforts de l'établissement et d'ouvrir enfin à ses élèves une carrière
qui, jusqu'ici, leur était restée fermée". (Rapport au président 1920)
.
Dans son ouvrage « Le pluralisme
des cultures au Maghreb », Abdelwahab Bouhadiba affirmait que "si
l'autorité coloniale a réussi à contrôler le collège Sadiki et à moderniser son
fonctionnement, elle n'a pas réussi pour autant à le franciser, la grande
résistance qu'elle a rencontrée a voué ses efforts à l'échec "
f.
Les tentatives de contrôler l'enseignement Zitounien
Dès 1885, la direction de l'instruction publique essaya de contrôler l’enseignement zitounien en nommant deux inspecteurs d’arabe (Ben cheikh et Ben khoja) pour suivre l’enseignement dans la grande mosquée, ce qui permettait à la direction de l’instruction d’avoir un œil sur ce qui se passe à la grande mosquée. Mohamed Taher Ben Achour écrivit à ce propos : « Ces deux inspecteurs se sont mis à diriger la mosquée selon les directives du directeur de l’instruction publique, sans que le censorat ne réagisse et laissait faire. La situation a duré un moment au cours duquel on introduisit un système pour les concours et les examens et une nouvelle organisation des grandes vacances d’été »[24]. Mais ces premières tentatives de mainmise avaient fini par échouer lorsque le grand Vizir, suite aux plaintes de certains cheikhs, décida d’écarter la direction de l’instruction publique des affaires de la grande mosquée en lui demandant « de prendre ses distances vis-à-vis de l’enseignement de la grande mosquée et de le remettre au soin des censeurs »[25].
Ainsi,
l'enseignement zitounien a continué à se développer. Plusieurs annexes furent
ouverts à travers le pays (23 annexes d'après Messadi ). Il semble que
l’autorité coloniale encourageait cela "dans le but de montrer la
faiblesse de l’enseignement zitounien et d’inciter les gens à adopter la langue
de la France, sa culture et sa science" (Messadi). Cette stratégie a
fait que l'enseignement donné par la grande mosquée et ses annexes n'a guère
évolué et est resté "dominé par l'enseignement de la morphologie, de la
rhétorique (Al Balagha) et de la jurisprudence (Al Fikh). Parallèlement à cela,
les enseignements relatifs au culte
étaient limités aux questions formelles qui insistaient sur les règles de la prière, du jeûne, de la zakat et d’autres rites sans
prêter attention à l'esprit qui est derrière tout cela et qui est à la base de
la culture religieuse (.....). L’enseignement zitounien a aussi ignoré les
sciences exactes. Les autorités coloniales préféreraient encourager ce type
d'enseignement, qui n'a pas le pouvoir de créer l'avenir, mais œuvre à la
préservation du passé et seulement cela" (Messadi) cité par
Tarchouna[26].
Ainsi, on peut dire que la France n'a pas cherché à supprimer le système
scolaire qui était en place et n’a comme objectif qu’imposer le français comme
matière obligatoire et contrôler les institutions par la voie des autorisations
et surtout de l'inspection.
Fin
de la troisième partie , à suivre , pour revenir à la première partie, cliquer ICI , et à la 2ème partie cliquer ICI
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, Révision Abdessalam
Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation retraités.
Tunis 2015
Pour accéder à la version arabe, cliquer Ici
[1] SRAIEB Noureddine : « Place et fonctions de la langue française en Tunisie », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 25 | 2000, mis en ligne le 04 octobre 2014, consulté le 11 décembre 2018.
URL : http://journals.openedition.org/dhfles/2927
[2]Jules Ferry, ( 1832 - 1893), homme politique français partisan actif de l'expansion coloniale française, a été trois fois ministre de l'instruction publique(du 4 février 1879 au 23 septembre 1880 et du 31 janvier au 29 juillet 1882 et de février à novembre 1883 ). Son nom est attaché aux lois scolaires. Il occupa le poste de Président du Conseil du 23 septembre 1880 au 10 novembre 1881 et du 21 février 1883 au 30 mars 1885)
[3] René Millet, Résident général de France en Tunisie de 1894 à 1900, il met en place la politique de colonisation des terres qui reste en application durant tout le protectorat français. Malgré l’hostilité des représentants des gros colons, qui lui reprochent sa politique trop favorable aux Tunisiens, il mène à bien ses réformes qui permettent de développer les infrastructures dans le pays ainsi que l’enseignement chez les enfants tunisiens.
[4]H. L. M. Obdeijn : L'enseignement de l'histoire dans la Tunisie moderne (1881 à 1970); https://repository.ubn.ru.nl/bitstream/handle/2066/148509/mmubn000001_071668225.pdf?sequence
[5] Genty de Bussy, l'Intendant civil, a écrit un ouvrage sur l'Algérie en 1835 (De l'établissement des Français dans la régence d'Alger et des moyens d'y assurer la prospérité) dans lequel il défend ces idées. Cité par Dalila Morsly : Les écoles arabes-françaises dans l’Algérie colonisée. Une expérience d’enseignement bilingue ?
http://www.projetpluri-l.org/publis/MorslyAlgerie.pdf
[6]" Dés son plus jeune âge, il fréquente à la fois
l'école coranique pour apprendre à lire, à psalmodier le Coran… Il obtient le
certificat d'aptitude à l'enseignement de la langue arabe. Il sera
successivement professeur au collège de Constantine, puis au lycée d'Alger où
il fréquente les cours de la Grande Mosquée pour occuper ensuite la chaire
publique d'enseignement de l'arabe littéraire à Oran. Il a ainsi le privilège
de posséder une connaissance complète de l'arabe parlé comme de l'arabe
écrit. Il fréquente le milieu musulman avec aisance…" François Arnoulet:
Louis Machuel -Alger 1848,Tunis 1908
http://www.memoireafriquedunord.net/biog/biog08_Machuel.htm
[7]Jean Mirante, la France et les œuvres indigènes en Algérie,Edité à Alger : Comite National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie (1930)
http://aj.garcia.free.fr/Livret11/L11p74-75.htm
[8] Les arabisants
français et la « réforme » en Afrique du Nord. Autour de Louis Machuel
(1848-1922) et de ses contemporains
[9] « Je suis fils
d’un instituteur : mon père a dirigé pendant une dizaine d’années une école
franco-arabe dans une charmante localité de la province d’Oran, Mostaganem, sur
le bord de la mer. C’est là que j’ai passé une partie de mon enfance. Mon père
avait jugé convenable de me faire aller à l’école koranique, afin que
j’apprisse le Koran, comme les écoliers musulmans. » (Machuel, BOEP, 1904, p.
704, cité par Nishiyama : La
pédagogie bilingue de Louis Machuel et la politique du protectorat en Tunisie à
la fin du XIXe siècle, NISHIYAMA Noriyukifile:///C:/Production/DOCUMENTS/machuel/RJDF_article_2006.7%20%20m%C3%A9thode%20machuel.pdf
[10]Nishiyama, opt cité
[11] rapport au président de la république sur la situation
en Tunisie 1904
[12]Monseigneur Lavigerie
est un prélat français, nommé archevêque d'Alger en 1867, ministère
qu'il conserve en devenant archevêque de Carthage en 1884.
[13]J. Jusserand (adjoint de Paul Cambon,
Ministre de France en Tunisie, en 1882. et responsable de l’organisation
administrative du protectorat. ) recommande de ne pas toucher à l'enseignement
congréganiste, mais de favoriser, par une aide financière, les écoles de filles et de
garçons dirigées par les frères et les sœurs, qui semblent avoir les faveurs
des populations européennes : une note sur l'instruction en Tunisie, datée
de février 1882 , cité par N. Sraieb.
[14] G.Benoit. (1888, octobre 1). Loi du
9 Moharram 1306 ( 15 septembre 1888) sur l'enseignement. Bulletin Officiel
de l'Enseignement Public , pp. 258-262.
[15]Sraieb, N. (s.d.).
L'idéologie de l'école en Tunisie coloniale (1881-1945) .In: revue du monde
musulman et de la Méditerranée, N°68-69, 1993. pp. 239-254.
[16]rapport du congrès de Marseille
[17]Bulletin
officiel de l'enseignement public BOIP juin 1909 n° 28 Année 23
[18]Selon
Riguet, 1984 ,
"une statistique sur la scolarisation primaire de 1953 compte 112 068
Tunisiens dans les classes franco-arabes, 33 271 dans les écoles coraniques
modernes et 12 003 dans les classes françaises. Les estimations de la même
époque sur l'effectif des écoles coraniques traditionnelles variant toujours
autour de 30 à 40 000 élèves, on voit que la grande majorité des élèves
tunisiens musulmans suivent un enseignement bilingue"
file:///C:/Production/2019/arabisation/Arabisation%20et%20bilinguisme/doc/Francisation%20de%20la%20tunisie.pdf
[19]Bouhouch et Akrout
, La première école de formation des instituteurs de langue arabe : " El
Mederça At-ta'dïbiyya »le blog pédagogique , 14/12/2014.
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2014/12/la-premiere-ecole-de-formation-des.html
[20]Le
collège à sa création comprenait trois sections, "la troisième section
est la plus moderne dans l'enseignement
sadikien. Elle répond le mieux aux préoccupations du moment dans la mesure où
son rôle consiste à former l'élite administrative du pays selon le modèle
européen, outre l'enseignement des langues étrangères, on y introduit
l'enseignement des sciences mathématiques, physiques, chimiques et naturelles,
l'histoire et la géographie. Après les sept années d'études, il est permis à
l'élève de continuer ses études
pendant sept ans au cours desquels il se spécialise dans la matière qu'il a
choisie". Sraieb, N.
[21] Le programme des études du collège
Sadiki est ainsi défini dans le décret organique du 13 janvier 1872 : «apprendre
aux jeunes tunisiens les langues étrangères et les sciences de raisonnement qui
peuvent être utiles aux musulmans tout en n'étant pas contraires à leur foi.»
cité dans le rapport supplémentaire présenté par M° Lasram au Congrès
colonial de Marseille 1906.
[22]Lasram , op. cité
[23]Bulletin officiel de la direction générale de
l’enseignement public - Mai-Juin 1911..25ème
Année
[24] Ben achour ,opt cité .p 119
[25] Ben achour ,opt cité .p 150
[26]Tarchouna.M,La question de l'éducation
dans la pensée et l'action de Mahmoud
Messadi;http://bouhouchakrout.blogspot.com/2019/02/la-question-de-leducation-dans-la.html
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