vu le débat qui s'affiche ces derniers jours à propos de l'enseignement privé , le blog pédagogique a repris un ancien article publié en 2014 [1] en l'actualisant avec les dernières statistiques, le reste de l'article reste à notre avis toujours d'actualité , c'est pour cette raison que nous l'avons gardé intact. le blog pédagogique ,
octobre 2021 |
Introduction
L'enseignement
privé[2] ou
enseignement libre en Tunisie est très
ancien, il est plus ancien que
l’enseignement public. Avec
l'indépendance du pays, la loi de 1958 relative à l’enseignement à institué l’école obligatoire et gratuite
pour les filles et les garçons, et l’unification de l’enseignement, et le
départ des communautés Juive, Italienne,
Française et Maltaises ont mis un frein à l’enseignement privé qui a enregistré
un recul dans ses effectifs .
Mais au cours des ces dernières années, nous observons se manifester une demande croissante des
parents pour les écoles primaires privées, confirmée par les statistiques
officielles. Alors, quelle est l’état des lieux de
l’enseignement privé au niveau primaire
? Comment expliquer l’engouement des parents ?
1.
Une nette augmentation du nombre d’écoles privées et de leurs élèves au cours de la décennie
passée (2011/2020)
Au milieu des années quatre-vingt du siècle dernier, l’enseignement
primaire privé comptait, près de 6295 élèves,
soit 0,51 % de l’ensemble des inscrits dans l’enseignement primaire, répartis
sur 16 écoles (chiffres portant sur l'année
scolaire 1985 – 1986). Depuis, le secteur n’a cessé d’ enregistrer une augmentation régulière , jusqu'à atteindre le chiffre de 28875 écolières et écoliers , au
cours de l' année scolaire 2011-2012 ,et 128 écoles .
Si l’effectif élève ne représente encore que 2,77% du nombre total des élèves inscrits
dans l'enseignement primaire , ce taux est passé à 8.35% au cours de l'année scolaire
2019/2020.
Le secteur des écoles primaires
privés a enregistré au cours de la décennies passée (2011/2020) un grand
bond suite à l'ouverture de plusieurs
nouvelles écoles , on comptait six cents ( 600) établissements au cours de
l'année scolaire 2019/2020 qui
couvrent tous les gouvernorats à des degrés différents , fréquentés par
presque cent milles élèves ( 97843), il est probable que les grèves à répétition décidées par le
syndicat de l'enseignement primaire et le fléau des cours particuliers imposés
à tous les élèves même les élèves des premières années ont été à l'origine de la désertion des
écoles publiques, plusieurs familles ( mêmes celles au revenu moyen) ont
préféré inscrire leurs enfants dans le privé qui est resté hors d'atteinte
des syndicats. |
Evolution du nombre
d’écoles privées de l’effectif élèves entre 1985 – 2012
l’effectif
élèves |
nombre
d’écoles privées |
Année
scolaire |
6294 |
14 |
1985-1986 |
10066 |
41 |
1999-2000 |
18556 |
84 |
2008-2009 |
21509 |
102 |
2009-2010 |
24953 |
109 |
2010-2011 |
28875 |
128 |
2011-2012 |
69680 |
401 |
2017-2018 |
79680 |
480 |
2018-2019 |
90294 |
566 |
2018-2019 |
97843 |
600 |
2019-2020 |
Source : Statistiques scolaires
Evolution du nombre d'écoles primaires privées |
Evolution des effectifs élèves des écoles primaires privées |
2.
Grande concentration géographique du phénomène
La répartition géographique des écoles primaires
privées en Tunisie : recul de la
concentration
Situation en
2011-2012 |
Situation en
2019-2020 |
• Une forte
concentration dans sept gouvernorats qui regroupent 87,37 % des élèves et 76,56 % des écoles. • Que la région du grand Tunis - qui comprend les
gouvernorats de Tunis , Ariana , Manouba et Benarous - compte 18 873 élèves , soit 65,36 % du
nombre total des élèves , et 63 écoles
soit 49,21 % . • trois autres gouvernorats côtiers, Nabeul, Sousse
et Monastir regroupent 6357 élèves
soit 22,01 % du nombre total des élèves, et 35 écoles, soit 27,34 %
du total. • L’absence totale d’écoles primaires privées dans
trois gouvernorats : Siliana Jendouba et Tataouine. |
• Une forte
concentration dans sept gouvernorats qui regroupent 70.7 % des élèves et 58,5 % des écoles. • Malgré le recul du poids du grand Tunis - qui
comprend les gouvernorats de Tunis , Ariana , Manouba et Benarous - il reste le principal centre des écoles
privés comptant 37843 élèves , 2 50,7
% du nombre total des élèves , et 233
écoles soit 38,8 % . • trois autres gouvernorats côtiers, Nabeul, Sousse
et Monastir regroupent 19620 élèves
soit 20 % du nombre total des élèves, et 118 écoles, soit 19,7 %
du total. • Les écoles primaires privées ont fait leur entrée dans les trois
gouvernorats Siliana Jendouba et Tataouine. qui en étaient dépourvus , ils comptent
désormais 7 , 10 et une seule école
respectivement. |
3.
Le cadre enseignant au cours de l'année scolaire
2019/2020
9567
enseignants assurent l'enseignement dans les écoles primaires privées dont la
grande majorité est constituée par des femmes ( 8169 soit 85.4% ) , 7904 parmi
ces enseignants travaillent à plein temps
soit 82.6% , le reste ( 1663) exerce en tant que vacataires. Nous trouvons dans le corps
enseignant des écoles primaires les différentes catégories d'enseignants qui
travaillent dans le secteur public comme les professeurs des écoles primaires,
les maitres d'application , les maitres principaux et les maitres , mais ce qui
est remarquable c'est que la majorité
des enseignants qui travaillent dans les écoles privées ne font partie d'aucune
de ces catégories ( voir graphique ci-dessous).
4. Comment expliquer ce phénomène?
A notre connaissance, il n’existe pas en Tunisie d’ études académiques et de recherches
approfondies sur ce sujet , et tout ce que nous avions pu voir se limite à un
paragraphe figurant dans le rapport de la commission de suivi du programme de l' UNESCO : l’éducation pour
tous , qui remonte à l'année 2000, et à quelques articles publiés dans la presse électronique[3]
qui ont parlé de la question en général
, évoquant certaines motivations qui expliquent la demande croissante , au
cours des dernières années , sur les écoles primaires privées , non seulement par les familles aisées , mais
aussi par les familles à revenu modeste .
Parmi les motivations les plus fréquemment évoquées, on
peut en citer ce qui suit :
A - « L’adaptation de la vie scolaire
dans ces établissements aux conditions de vie de la famille dans les centres
urbains » d’après le rapport de la commission de suivi
du programme : Education pour tous , [4]
la croissance de la demande s’explique
par« le travail des parents à plein temps. L’école privée leur offre … un service particulier qui assure la garde
des enfants tout au long de la journée .A cet effet, ces institutions sont
équipées de cantines et d’infrastructure permettant l’encadrement des élèves
par des activités culturelles et sportives hors de l’horaire réservé à
l’enseignement. »
B – La recherche d’un enseignement de qualité :
Les parents qui choisissent l’enseignement privé sont à la recherche d'une formation de qualité
en langues étrangères , en particulier le français et l’anglais , et en sciences, pour assurer l’avenir scolaire de leurs enfants, et ils
sont aussi à la recherche d’ un encadrement et de services meilleurs, que ceux offerts
par l’ école publique , chose qui n’est
pas toujours certaine. Nous n'avons pas d’études
fiables, pour confirmer ou infirmer la
qualité de la formation offerte par ces institutions privées, et de leurs valeurs ajoutées.
La réussite
scolaire des élèves ( bons résultats) serait peut être le résultat d'autres facteurs , comme l'homogénéité des classes , le milieu social et culturel et l’environnement familial, et elle ne serait due aux seules vertus de ces établissements, en dépit de ce qu’affirmait une directrice d’une école privée … en disant que
« «La qualité de l’enseignement dispensé par les écoles privées est
irréprochable …Le nombre d’élèves ne dépasse pas une vingtaine dans chaque
classe et les méthodes pédagogiques appliquées sont très modernes . Les professionnels du secteur ont
compris qu’ils ne peuvent pas réduire l’enseignement à une simple affaire
juteuse»,
Selon certains parents, la réalité est moins
idyllique; et puis, on est en droit de se poser la question suivante :
Est-il suffisant de réduire la taille moyenne des classes et d’utiliser les méthodes
« modernes » pour obtenir de bons résultats ? En l'absence
de données précises sur les qualifications des enseignants et leur expérience
professionnelle, ainsi que celles dont
disposent les directeurs de ces établissements ? Rien n’est moins sûr.
C – la recherche d’une scolarisation précoce :
Certains parents désirent entamer la scolarisation de leurs enfants à un âge précoce, ils cherchent
à contourner la barrière de l’âge légal
,imposée par l'éducation nationale, qui ne permet la scolarisation qu’à partir de six ans ( une dispense de quelques mois est accordée ) . Cette
pratique expliquerait le nombre élevé
d'inscrits en première année, à la
rentrée scolaire 2011-2012, parmi les
natifs de 2006 et au-delà , le nombre d'enfants de ce groupe d'âge étaient 1544 sur un total de 7333 , soit un inscrit sur cinq en première année . La
même pratique expliquerait aussi la
baisse spectaculaire du nombre d'élèves dans les classes supérieures : en effet
alors que le nombre d'inscrits en première année atteignait 7333 enfants , ce
nombre n’est plus que de 2729 en sixième
année , c'est-à-dire à la fin de l'école primaire et au moment où on se prépare
au passage au collège , cette baisse ne peut s’expliquer, probablement , que par l’émigration vers le secteur public , après
l'achèvement de la ( ou les) première(s)
année(s) dans l' enseignement privé .
D – L’élévation du coût de l’enseignement public :
Bien que l’école publique soit restée gratuite, le coût de la
scolarisation dans ces écoles tend vers la hausse, avec la généralisation des cours particuliers ;
ceux-ci sont devenus quasi obligatoires pour
tous les enfants et ce, depuis les
premières années de l'école primaire. Il semblerait ,selon certains parents ,
que le coût des études dans le privé ne
dépasse pas de beaucoup ,le montant que doivent déverser les parents des élèves
des écoles publiques, chaque mois , pour
assurer les cours particuliers et les leçons de soutien .
E – la crise
de l’école publique( entre la réalité et la fiction ) : Plusieurs voix n’ont cessé de dénoncer la
baisse du niveau de l’enseignement public et de la dégradation de sa qualité et de faire les louanges de l'enseignement privé ; or nous n’avons
pas eu connaissance d’études dignes de ce nom qui ont démontré cet
état de fait ; il s’agit tout au plus de quelques jugements qui ne résistent pas à une lecture ,sans à
priori des résultats de l’école
publique ; nous ne citerons à titre
d’exemple que les résultats du dernier
concours d’entrée aux collèges pilotes( session 2013) au cours duquel les trois premiers lauréats
appartiennent à des écoles primaires publiques ( deux premiers du Kef et le troisième de Tataouine ) .
Conclusion :
Cette évolution représente une réelle menace pour le
système éducatif tunisien qui a été la base de la société tunisienne. Depuis l’indépendance,
le gouvernement a tenu à assurer l'égalité des chances pour tous les enfants.
Or le développement de l’école privé risque de saper les fondements de ce principe. L’école publique
se doit de retrouver la confiance de tous les parents, cette confiance
qui a été ébranlé, ces dernières années, par la succession de réformes, souvent mal engagées, qui ont touché les programmes, le système d'évaluation et les
modes de formations et de recrutement des enseignants.
Ces réformes n’ont pas toujours obtenues le consensus de tous les
acteurs éducatifs, ni l'acceptation par
les familles tunisiennes dont certaines ont choisi d’aller chercher ailleurs.
Le système de
scolaire français a vécu le même phénomène, " Francois Dubet
" [5],
dans un article intitulé " L'école publique est en danger " , résume
bien les risques de cette évolution en disant que « Le
succès des établissements privés - y compris dans les couches sociales très
populaires - résulte en premier lieu du mécontentement des parents pour l'école
publique, mais aussi de l'assez grande similarité entre ces deux familles.
L'école publique a été conçue pour résister à ces forces d'éclatement, et pour
cela requiert un support d'équité et une vocation éducative. Si ledit système
poursuit sa marche en avant vers une compétition tous azimuts, vers une
production de diplômes réservée à un aréopage privilégié et dépouillée de tout
projet éducatif, alors il y a de quoi être très inquiet. Car alors la mission
première de l'école publique : "faire commun", aura disparu. De 3 à
16 ans, l'école doit dispenser un seul et même enseignement. C'est la condition
d'une plus grande égalité. Si ce projet échoue, le privé ne pourra que se développer.
Il est temps de rappeler qu'au nom de l'intérêt général, pas plus que l'hôpital
aux médecins ou l'armée aux militaires, l'école n'appartient pas à la
"machine" - ministère, administration, établissements, enseignants -
Education nationale. »
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs
généraux retraités
Tunis - Mai 2013
, mise à jour octobre 2021.
Pour accéder à la version AR, cliquer ICI
[1]
Le blog pédagogique - 27/01/2014 La
ruée vers les écoles primaires privées http://bouhouchakrout.blogspot.com/2014/01/la-ruee-vers-les-ecoles-primaires.html
[2]
La loi 118 - 1958 datée du 4 novembre 1958 relative à
l’enseignement lui a consacré le titre 4
( de l’article 40 à l’article 56) ;la loi 65-1991 du 29 juillet 1991
relative au système éducatif lui a réservé aussi le titre 4 (de l’ article 26 à
l’article 31) ; quant à la loi relative à l’éducation et à l’enseignement
scolaire N° 80 -2002 datée du 23 Juillet
2002 lui consacré aussi le titre 4 ( de l’article38 à l’article 44)
[3] Boulaâba, Imededdine , L’Ecole primaire privée en Tunisie , http://www.webmanagercenter.com/actualite/economie/2008/06/04/43258/l-ecole-primaire-privee-en-tunisie#comm577 consulté le 19 /5/2013
W.K - L’enseignement privé primaire en Tunisie : les raisons du
succès, Le Quotidien, http://www.tunisia-today.com/archives/45693 consulté le 19/05 / 2O13
[4] L’évaluation de l'éducation pour tous à l’an
2000:Rapport de la Tunisie
http://www.unesco.org/education/wef/countryreports/tunesia/rapport_2_1.html
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