A l'occasion de
la rentrée scolaire
L'école m'a
donné une chance d'être différent de ce que le destin m'avait prévu.
Dans mon cœur, il y a une nostalgie
particulière pour l'école primaire dans laquelle j'ai étudié, l'école "Bir
Al-Fares", qui s'appelle aujourd'hui l'école Ibn Khaldoun située dans la
ville de Menzel Témime. Dans cette école fut "le début" et c'était la
base. Sur ses bancs j'ai appris la lettre, la phrase, le nombre et le numéro,
c'est là où j'ai appris à tenir le porte plume à encre et l'écriture, et dans
sa cour, j'ai appris à jouer innocemment et à me soutenir sans l’aide de
personne.
Au début de chaque année scolaire,
me reviennent à l'esprit les belles images de mon école où nous cultivions la
terre et notre esprit et nous mangions les fruits de notre jardin, sous le
contrôle bienveillant de nos instituteurs que nous craignions, aimions et
respections. Les visages de messieurs kassem Debbish, Al Hadi Ben Daoud,
Boubaker Boulila (je lui souhaite une bonne santé), Hamadi Bounaquisha, Abdel
Hakim Al Sghaier, Hamouda Bou Jamil, Béchir Al-Somi'i et Mohammad Al-Afif ne
m’ont jamais quitté. Dans chacun de ces visages, je reconnais une partie de
moi-même qui m'est très chère et que ces Messieurs ont gravée au plus profond
de mon âme comme un trésor inépuisable qui ne tarit pas à l'usage mais, bien au
contraire, il s'enrichit et fait partie de leur contribution…
L'école résumait toute notre vie
parce que c'était un espace d'exploration et de libération… On n'y apprenait
pas seulement mais on y vivait une nouvelle expérience qui sculptait notre être
et l'ancrait loin des coutumes de la famille et des traditions des Kouttabs.
Cette expérience a permis à nos esprits
et à nos yeux de s'ouvrir à d'autres mondes pleins de savoirs, de valeurs, de
sens, d'espoirs et de confiance en soi et dans les autres…
Chaque matin, nous buvions un
mélange de lait, de chocolat et de sucre. Le goût de ce breuvage est encore à
ce jour dans ma bouche, goût que les cafés de luxe que j'ai pu boire après cela
n'ont jamais pu l'effacer ou le concurrencer... C'était un étrange mélange pour
lequel nous nous bousculions comme si nous nous précipitions pour obtenir l'eau
de la vie, non pas à cause de la faim ou du besoin, mais plutôt à cause d'une
bonne camaraderie, de la chute des différences sociales et d'un sentiment
d'égalité.
Par les activités agricoles, nous
avions appris la grandeur et la
tendresse de la terre que nous retournions, et nous surveillions la magie de
l'eau que nous déversions sur la terre pendant qu'elle irriguait une graine
avec laquelle nous vivions son effort pendant qu'elle faisait exploser les
croûtes du sol et nous nous
représentions son endurance alors qu'elle poussait vers le ciel. Nous
apprenions la patience à partir de la patience de la graine pour aiguiser notre
détermination et accroître notre attachement à la terre qui évoluait pour
devenir un attachement à la patrie... Nos espoirs grandissaient suivant le
rythme de la croissance de la graine et nous nous réjouissions de ses fruits et
nous savourions son goût... Le jardin de l'école était un jardin dans nos âmes.
Nos vêtements se ressemblaient, de
même que nos livres, cahiers, et nos outils simples... Nous les achetions chez
le même magasin, et la marge de choix était très limitée voire inexistante. Le
marché ne répondait pas aux différences sociales sauf dans quelques détails qui
nous importaient peu et qui ne nous concernaient pas... C'est ainsi que nous
étions aux yeux de la plupart de nos instituteurs... Nous étions presque sans
nom et sans lignage, et sans aucune affiliation autre que celle d'appartenir à
l'école.. Nous étions en compétition afin d'obtenir leur bonne appréciation sur
la base de la compétence et de l'assiduité, une saine compétition sans
méchanceté, non pas parce qu'on était des saints, mais à cause du climat
général où il n'y avait pas de place à la méchanceté et à son développement.
Notre école n'était pas un paradis, nos respectables instituteurs
n'étaient pas des anges, et nous n'étions pas de ceux qui tendaient à
l'innocence... Mais les nécessités du vivre ensemble et ses règles strictes
nous ont imposé de concilier entre nos désirs, nos besoins et nos espérances,
et de faire la part entre le possible, le disponible, le préférable et
l'impossible. Lorsque nous dépassions les limites, l'école nous remettait sur
la bonne voie avec douceur et avec violence quand il le fallait. L'instituteur
avait le devoir de contrôler nos ongles, ce qu'il y avait entre nos doigts, nos
dents, nos cheveux et la propreté de nos corps... Il sentait notre gêne et
cachait nos défauts et se contentait de nous chuchoter à l'oreille... Nous
étions l'affaire de l'instituteur avec tous nos détails... L'infirmière venait
nous ausculter et nous examiner, nous vacciner et nous piquer les bras...
Certains parmi nous pleuraient, et d'autres se moquaient de ceux qui pleuraient. …
Je me souviens très bien de Sidi Alaya Ben Alaya, qui veillait sur les affaires de l'école. Chaque matin, il remplissait les encriers de nos tables avec l'encre qu'il préparait lui-même. C'était lui aussi qui nous préparait le lait, nous le distribuait, et veillait à la propreté des locaux de l'école. Plus important encore, il résolvait nos petits différends avant qu'ils n'arrivaient aux oreilles du directeur de l'école. Je me souviens très bien qu'il était bon, juste et généreux avec nous et nous offrait ce qu'il avait entre ses mains et dans son cœur ...
Nos familles ne se souciaient peu de
notre expérience scolaire quotidienne... Elles avaient une confiance aveugle
dans l'école et la considéraient comme l'espace le plus sûr pour nous. Elles
laissaient l'école faire de nous ce qu'elle voulait, car elles étaient
convaincues que ce l'école faisait de nous ne pouvait être que bon.
Nous devions juste être disciplinés
et réussir... L'enjeu était de taille et les attentes étaient bien plus grandes
que nous... Nos succès n'étaient jamais des succès personnels. Lorsque nous
réussissions, la situation de toute la famille changerait... Nous ne nous
battions pas pour nous seulement mais pour tout le monde. Par conséquent, tout
le monde se réjouissait de notre réussite, parents, proches, et même nos
voisins... La joie était sans hypocrisie et sans commérages ni calcul. C'était
une joie noble...
Lorsque j'ai lu mon nom dans un
quotidien m'annonçant ma réussite à l'examen d'entrée en première année de
l'enseignement secondaire (l'examen de la sixième), j'ai réalisé que j’allais
laisser à jamais une belle expérience, vers une autre, complètement différente.
J'étais persuadé que mon école m'avait préparé à cette nouvelle expérience...
Je n'ai jamais senti que je partais à l'aventure.
C'était il y a plus de cinquante
ans. J'étais un petit enfant.. et ce petit enfant, avec sa joie, est resté
vigilant au fond de moi-même.
L'école m'a donné une chance d'être
différent de ce que le destin avait prévu pour moi.
Adel Haddad, inspecteur général de l'éducation
M.Temime , septembre 2021
Traduction Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid inspecteurs généraux de l'éducation retraités.
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