Avec ce quatrième et dernier billet, nous clôturons la série de
billets consacrés pour présenter le
phénomène de la contractualisation dans
l'enseignement qui s'est développé ces dernières années à travers le monde et
surtout dans les pays à faible revenu , en Asie, en Afrique et en Amérique
Latine.
Nous réservons ce dernier billet pour présenter l'impact de ce phénomène sur
la qualité des apprentissages et des acquis des apprenants.
Pour
revenir à la 1ère partie, cliquer ici, et à la 2ème partie, cliquerici, et à la 3ème partie, cliquer ici
Quel impact de la contractualisation et
autres formes de recrutement sur la qualité des acquis des élèves ?
Il est certain que cette politique de
recrutement a eu des effets non négligeables sur
la qualité de l’éducation dans tous les pays.
Depuis les années 1980, plusieurs pays africains ont fermé les
institutions de formations des maîtres ou ont réduit leurs effectifs pour des
raisons budgétaires. En plus, plusieurs enseignants qualifiés arrivés à l'âge
de la retraite sont remplacés par des contractuels,
moins qualifiés et peu ou pas formés du tout. Selon Duthilleul (2004)[1],
« jusqu’à un tiers des enseignants du primaire ne sont pas formés à
leur métier en Afrique subsaharienne.»[2].
"Selon
CONFEMEN[3]&
ME (2007), au Sénégal, 53,8% des enseignants du cycle élémentaire sont sans
formation initiale donc sans qualification " [4]
Mais
la situation est très différente selon les pays, de l'absence totale d'une
formation initiale des contractuels à une formation qui s'étale sur deux années
(voir le tableau ci-dessous) :
Pays |
Durée
de la formation initiale |
Congo |
2 ans
d'apprentissage + F.C |
Burkina
Faso |
1 an |
Mali |
3 mois |
Source
: Bourdon& al, op.cité
Plusieurs
chercheurs s'étaient penchés sur la question pour étudier l'impact de cette
politique de recrutement sur la qualité
de l'enseignement assuré par cette catégorie d'enseignants, Certaines enquêtes réalisées dans des pays
d'Afrique subsaharienne[5] n'ont pas abouti à dégager un résultat clair et fiable de l’effet des enseignants
contractuels sur la qualité de l’éducation.
Bernard J-M, Tiyab K. et Vianou K. (2004) qui
ont fait une synthèse des résultats des évaluations PASEC[6]
(Programme for the Analysis of the Educational Systems) sur les questions
relatives aux enseignants, avaient conclu « qu'il n’y a pas de différences
notables d’efficacité pédagogique selon le statut de l’enseignant. Quand des
différences font jour, celles-ci demeurent modérées et ne sont pas
systématiquement en faveur d’une catégorie particulière ».
Or
le même PASEC (2004) a montré qu’il existe un impact négatif des statuts de
contractuels qui s’explique en grande partie uniquement par le fait d’un très
faible accès de ceux-ci à la formation professionnelle.
Extrait
du rapport du PASEC 2019 sur la qualité des systèmes éducatifs en Afrique
subsaharienne francophone «
Les nombreuses études relatives à l’influence de la formation des
enseignants sur la qualité des apprentissages restent réservées ou opposées
dans leurs conclusions. Les travaux de Wilson, Floden, et FerriniMundy (2002)
affirment qu’au-delà d’un certain point, des diplômes universitaires
supplémentaires n’améliorent pas véritablement l’efficacité de
l’enseignement. Dans cette même logique, Rivkin et al. (2005) concluent leur
étude en expliquant qu’il n’existe pas de données permettant d’affirmer
qu’être titulaire d’un master améliore les compétences pédagogiques.
Woessmann (2001), qui a analysé les données de l’enquête TIMSS sur les
résultats des élèves de 13 ans dans 39 pays, a constaté, par contre, un
lien positif entre le niveau d’études des enseignants et la performance
des élèves en mathématiques et en sciences. Les
résultats contradictoires sur le lien entre la formation des enseignants et
leur efficacité invitent à observer les scores des enseignants, en termes de
connaissance des contenus disciplinaires enseignés, selon leur niveau de
formation ». p197 PASEC 2019- qualité des
systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone- performances et
environnement de l’enseignement-apprentissage au primaire-
Publié en 2020
par le Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs de la CONFEMEN, BP 3220,
Dakar (Sénégal) ww.pasec.confemen.org/wp-content/uploads/2021/01/RapportPasec2019_Rev2022_WebOK.pdf |
Selon le rapport de l'Unesco (2019)[7]« le recours accru à des enseignants
contractuels par l'Inde n’a pas entraîné de détérioration de la qualité de
l’éducation et, dans certains contextes locaux, a peut-être même permis d’améliorer
les résultats de l’apprentissage. Il semblerait que les faibles niveaux de
formation des enseignants contractuels soient compensés par des efforts
scolaires et pédagogiques accrus, mais les différences sont la plupart du temps
infimes et l’incidence globale est minimale. Les enseignants contractuels sont
plus susceptibles de faire preuve d’assiduité que les enseignants
fonctionnaires au Bénin et en Inde, mais plus susceptibles d’être absents en
Indonésie et au Pérou (Alcázar et al. 2006 ; Bhattacharjea et
al., 2011 ; Chaudhury et al., 2006 ; Senou, 2008).
Des
évaluations indépendantes du programme « Teach for America » ont
montré que ces enseignants sont aussi efficaces que d’autres enseignants
également sans formation pour ce qui est d’obtenir des résultats
d’apprentissage sur la base d’épreuves normalisées, mais qu’ils ne sont pas
aussi efficaces que les enseignants débutants certifiés qui ont bénéficié de la
formation classique à l’enseignement.»
En dépit de ces
conclusions, le rapport de l'Unesco recommande de «peser les avantages et les inconvénients
d’un recrutement à grande échelle d’enseignants contractuels par rapport à
l’accès à l’éducation, à la qualité de l’éducation et aux objectifs de celle-ci
en matière de diversité. Même si cela s’avère souvent nécessaire et bénéfique
pour améliorer l’accès à l’éducation dans les zones rurales et reculées des
pays à faible revenu, la coexistence de deux différents systèmes de
qualifications et d’exigences pour entrer dans la profession entraîne une dégradation
de la situation professionnelle qui compromet le recrutement de candidats de
qualité sur le long terme.
Un programme de ce
type peut d’autre part conduire à l’appauvrissement de la qualité de
l’enseignement et de l’environnement d’apprentissage dans les établissements
scolaires, en raison des tensions et d’une coopération limitée entre les
enseignants contractuels et les enseignants employés à titre permanent.»[8]
Pour sortir de cette situation, l'UNESCO
recommande aux pays qui utilisent des contractuels dans l'enseignement de
prendre les mesures suivantes pour améliorer la situation des enseignants
contractuels et par là d'améliorer la qualité de l'enseignement et d'instaurer
un climat scolaire sain. Il s'agit :
-
1- «d’établir un calendrier pour assurer la
parité entre les enseignants contractuels/communautaires et les enseignants
fonctionnaires ;
-
2 - d’offrir à ces enseignants le
perfectionnement professionnel dont ils ont besoin ;
-
3- de mettre en place des programmes
d’initiation, de tutorat et d’encadrement par des enseignants qualifiés et
expérimentés ou par les chefs d’établissement afin d’améliorer l’enseignement ;
-
4 - de garantir aux enseignants
contractuels/communautaires les mêmes droits et avantages que ceux des
enseignants titulaires ;
-
5 - d’impliquer les représentants des syndicats
d’enseignants dans la prise de décisions relatives à cette politique»
D'ailleurs certains pays ont déjà fait des
avancées dans cette voie, L’Indonésie
par exemple « s’est dotée d’un ambitieux programme d’évaluation, de
perfectionnement professionnel et de plan de carrière pour les enseignants, en
vue d’intégrer son pourcentage élevé d’enseignants contractuels dans la
fonction publique, au prix d’une augmentation importante des dépenses du
Gouvernement en faveur de l’éducation (Chang et al., 2014 ;
UNESCO, 2014a : 258) ».
Dans 14 pays d'Afrique
du sud du Sahara (ASS), un rapport du PASEC[9] publié en 2020 montre une
nette amélioration de la proportion des enseignants du primaire qui ont suivi
une formation professionnelle initiale. Ainsi 41.4% des enquêtés affirment qu'ils ont suivi une
formation professionnelle initiale pendant deux années et plus, 26.5 % disent avoir eu une formation d'une
année et 15.6% une formation de moins de 6 mois et 16.5% n'ont aucune formation professionnelle.
Au Sénégal, les enseignants du cycle
élémentaire sans formation initiale donc sans qualification ne sont plus que
4.9% en 2019 alors qu'ils représentaient
53,8% selon CONFEMEN & ME (2007). "[10]
Fin
de la quatrième partie, pour revenir à la 1ère partie, cliquer ici, à la 2ème partie, cliquer ici, à la 3ème partie, cliquer ici
Mongi
Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation.
Tunis,
octobre 2022
Pouraccéder à la version Ar, Cliquer ICI
[1] DUTHILLEUL Y. (2004), International Perspectives on ContractTeachers and their Impact on Meeting Education for All. The Cases of Cambodia, India and Nicaragua, Paris, IIPE-UNESCO. Cité par Lauwerier&al ,opt cité.
[2] Thibaut Lauwerier, Marie Brüning & Abdeljalil Akkari .La qualité de l'éducation de base au Bénin: la voix des acteurs locaux .Recherches en Education - n°15 - Janvier 2013 –
https://www.academia.edu/7015866/Lauwerier_T_Br%C3%BCning_M_and_Akkari_A_2013_La_qualit%C3%A9_de_l_%C3%A9ducation_de_base_au_B%C3%A9nin_la_voix_des_acteurs_locaux
[3]CONFEMEN: Conférence des ministres de l'Éducation
des États et gouvernements de la Francophonie
[4] Augustin Kalano (2012) op.cité
[5] Bernard J-M, Tiyab K.
et Vianou K. (2004 cité par Jean Bourdon ( opt cité).
[6]PASEC: Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la
CONFEMEN
[7]Guide pour l’élaboration d’une politique
enseignante. UNESCO 2019
https://www.open.edu/openlearncreate/mod/oucontent/view.php?id=165476§ion=1.3
[8]Guide pour l’élaboration d’une politique
enseignante. UNESCO 2019
https://www.open.edu/openlearncreate/mod/oucontent/view.php?id=165476§ion=1.3
[9]PASEC 2019 : qualité des
systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone- performances et
environnement de l’enseignement-apprentissage au primaire.
Publié en 2020 par le Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs de la CONFEMEN, BP 3220, Dakar (Sénégal) sur www.pasec.confemen.or
[10] Augustin Kalano (2012) op.cité
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