dimanche 15 octobre 2023

Le manuel scolaire d'histoire-géographie entre les objectifs et la réalité de ses usages : la place du manuel d'histoire-géographie dans le processus pédagogique.

 


 

Hédi Bouhouch

Cette semaine, le blog pédagogique, propose à ses lecteurs et lectrice le texte d'une communication présentée par l'inspecteur principal Mongi Akout, lors d'un séminaire organisé en 1994 par l'institut des sciences de l'éducation sur "l'évaluation des manuels scolaires".


La communication, vieille de presque trois décennies, est, à notre avis, un important document historique sur les manuels d'histoire et de géographie qui mérite d'être lu. Elle a essayé d'établir  un diagnostic du manuel tel qu'il se présente  , à l'époque, pour voir dans quelle mesure contribue-t-il  à la réalisation des objectifs pédagogiques inscrits dans la loi de la réforme  éducative et des objectifs de l'enseignement de l'histoire et de la géographie , ainsi qu'à l'usage du manuel par l'élève et par l'enseignant.

 

 Introduction

Mon intérêt pour le manuel scolaire d'histoire et de géographie remonte à très loin, plus précisément à l'année scolaire 1983-1984, lorsque j'avais organisé une série de rencontres pédagogiques avec des professeurs d'histoire-géographie autour du cahier des charges du manuel et de ses usages.

 Aujourd'hui, après une dizaine d'années, la question du manuel scolaire  d'histoire-géographie reste encore  un sujet de débat et de controverse, car il fait l'objet d'accusations et de critiques de la part de toutes les parties qui l'utilisent. Le professeur estime que ce manuel ne lui apporte pas ce dont il a besoin pour préparer ses cours dans les meilleures conditions.

Et l'élève considère le manuel comme un fardeau qui ne lui apporte aucune sorte de services.

 Enfin, l'inspecteur tient le manuel pour responsable de la baisse du niveau de performance des enseignants, alors qu'il a été conçu afin d'élever le niveau de cette performance.

Tous ces avis s'accordent sur le même jugement sur le manuel scolaire, c'est la raison qui m'a poussé à participer à ce colloque consacré à l'évaluation du manuel scolaire qui est le second colloque après celui qui a été organisé par le Centre d'études et de recherches économiques et sociales (CERES)  en 1985.[1]

Mon intervention va comporter deux parties principales :

-      Dans la  première je vais présenter un diagnostic du manuel tel qu'il se présente  aujourd'hui pour voir dans quelle mesure contribue-t-il  à la réalisation des objectifs pédagogiques inscrits dans la loi de la réforme  éducative et des objectifs de l'enseignement de l'histoire et de la géographie.

-      La deuxième partie traite de l'usage du manuel par l'élève et par l'enseignant.

La première partie : Dans quelle mesure, le manuel scolaire dans sa forme actuelle participe-t-il à la réalisation des objectifs de la loi de la réforme scolaire et des objectifs de l'enseignement de l'histoire et de la géographie ?

 

Le manuel scolaire est un outil essentiel dans l'école tunisienne, mais il constitue aussi une matière première incontournable pour tous ceux qui veulent évaluer le système scolaire, car il représente un critère objectif pour connaitre les caractéristiques du système éducatif existant. C'est ce que nous lisons dans le mot d'ouverture du colloque sur le manuel et le système éducatif de 1985 qui affirmait que : " le manuel est l'une des entrées possibles pour étudier le système éducatif et analyser ses composantes fondamentales, il traduit sa philosophie sociale, ses finalités et ses objectifs. Il est l'un des domaines qui expriment la spécificité  de ce système  avec ce qu'il transmet de connaissances, de sciences, et  de culture et avec ce qu'il apporte comme projet et vision sociale et culturelle et de liens qu'il tisse entre les différents acteurs  dans le champ scolaire ."[2]

Partant de cette donnée que j'ai adoptée parce qu'elle s'applique bien au manuel d'histoire et de géographie, j'ai voulu commencer mes réflexions en posant la question suivante et en essayant d'y répondre : est-ce-que les manuels d'histoire et de géographie dans leur état actuel, contribuent à atteindre les finalités explicites et implicites de la réforme du 29 juillet 1991 ?

La réponse à cette question suppose de rappeler certaines finalités et certains objectifs mentionnés dans la loi du 29 juillet 1991, et les objectifs mentionnés dans le fascicule des programmes d'histoire et de géographie des collèges et des lycées.

La loi du 29 juillet 1991 relative au système éducatif a signifié dans son premier chapitre intitulé Principes de base que " le système éducatif a pour objectifs de consolider chez l'élève la conscience de l'identité nationale tunisienne, de développer le sens civique et le sentiment de l'appartenance à la civilisation nationale, maghrébine, arabe et islamique… et d'élever les jeunes générations sur l’échelle de la fidélité à la Tunisie et de la loyauté à son égard … et de préparer  les jeunes à une vie dans laquelle il n'y a de place à aucune forme de discrimination ou de ségrégation".

 Le système éducatif vise également à promouvoir la personnalité des jeunes, à développer leurs potentialités, à offrir aux élèves le droit à l'édification de leur personnalité et les aider à accéder par eux-mêmes à la maturité, de sorte qu'ils soient élevés dans les valeurs de la tolérance et de la modération, à favoriser l'acquisition de l'esprit critique et la volonté efficiente."[3]

Les  objectifs de l'enseignement de l'histoire découlent de ces principes de base.  En effet  nous lisons dans le fascicule des programmes que "l'histoire vise à former le citoyen tunisien enraciné dans sa réalité tunisienne, conscient de son appartenance arabo-islamique, ouvert aux différentes civilisations, tolérant et attaché à la liberté, à l'objectivité et à l'amour de la vérité…" L'enseignement historique vise à "développer chez l'élève les compétences d'analyse, de déduction, de synthèse, d'auto-apprentissage et de critique scientifique, et  d'acquérir l'esprit historique"[4].

 Nous  remarquons  en analysant ces objectifs que nous avons délibérément choisis de les  rassembler en deux groupes.

 Le premier groupe annonce un ensemble de valeurs et de principes qui représentent le modèle sociétal que l'école cherche à développer, modèle  qui fait partie des choix de l'Etat et définit le profil du bon citoyen capable de s'intégrer dans sa société.

Le deuxième groupe rassemble  les compétences capables de rendre l'apprenant autonome grâce à l'acquisition d'un nombre de savoirs spécifiques à la connaissance historique ou à la connaissance géographique, comme la capacité d'observation, d'analyse et de critique. En somme, il s'agit de capacités qui permettent à l'élève d'auto-reconstruire le savoir historique et le savoir géographique.

 

Il faut maintenant se demander dans quelle mesure les contenus des manuels d'histoire et de géographie contribuent à atteindre ces objectifs explicites ? Pour répondre à cette question, nous passons par l'analyse de ces contenus.

Ici, nous  faisons la distinction entre   les manuels  de l'enseignement secondaire et ceux destinés aux élèves du primaire.

II- les manuels d'histoire et de géographie de l'enseignement secondaire.

Les leçons des manuels d'histoire et de géographie actuels dans l'enseignement secondaire se composent de deux parties :

Une première partie est constituée par le texte  produit par le ou les auteurs du manuel. Il s'agit généralement d'un texte complet et structuré selon un plan qui essaye d'être adapté au niveau de l'élève. Cette partie propose un ensemble de connaissances et de savoirs qui prennent généralement la forme de vérités établies, comme par exemple la production de céréales en Tunisie et sa répartition géographique, ou encore les causes des guerres puniques et leurs étapes.

 

Nous avons dit que les connaissances et  les savoirs sont présentés comme   des données  toutes  faites que l'élève devrait  mémoriser pour les reproduire en cas de besoin,  lors d'un test, sous la forme dans laquelle ils lui ont été présentés. Il n'est pas question de présenter les étapes des  guerres puniques selon  un schéma  différent de celui  choisi par l'auteur du manuel, de même qu'il n'est pas question de parler de la production céréalière en Tunisie autrement que selon le  point de vue de l'auteur du manuel.

Ainsi, cette première partie traduit un mode d'enseignement basé sur la mémorisation et la reproduction des connaissances et des informations. C'est un mode qui impose également à l'apprenant un schéma de pensée qui a été choisi et fixé par d'autres que lui.

 La deuxième partie de la leçon est constituée de documents ou  de ce qu'on a pris l'habitude d'appeler les supports  pédagogiques, c'est-à-dire les documents divers tels que la carte, les images et les graphiques, les statistiques, les textes historiques, et bien d'autres, c'est-à-dire tout ce qui représente les outils de l'historien ou du géographe. La présence de ces documents explique l'intention d'initier l'élève aux mécanismes de la connaissance (la méthodologie) géographique ou la connaissance historique, puisque ces documents sont la matière première que l'historien ou le géographe utilise pour construire son discours. Or ce discours peut différer d'un historien à l'autre, bien qu'il s'appuie sur la même matière première. En outre la découverte de nouveaux documents peut changer complètement le discours historique.

 De ce point de vue, nous saisissons l'importance et la valeur  de cette deuxième composante de la leçon et son rôle dans l'atteinte des objectifs du second groupe auquel nous faisions référence au début de notre intervention (accéder à la maturité, l'autonomie, la libération de l'apprenant, acquisition de l'esprit critique, etc).

Or, cette partie  est souvent négligée par les auteurs des manuels. Nous relevons comme preuve les trois indices suivants :

-  D'abord, l'espace limité occupé par cette partie. De nombreuses études, qui ont traité des manuels d'histoire et de géographie depuis la première génération de manuels jusqu'aux derniers manuels parus  l'année passée, ont montré que la partie consacrée aux documents ne représente généralement qu'un faible pourcentage des pages de chaque leçon, à quelques exceptions près, malgré l'insistance des professeurs sur la nécessité de développer cette partie et malgré les recommandations du cahier des charges qui soulignent que cette partie (les documents) doit constituer la composante essentielle du manuel.

- Deuxièmement, nous constatons  une indigence au  niveau de la conception  de cette partie. En effet, les supports pédagogiques ne sont pas conçus d'une manière qui favoriserait le développement des compétences de l'élève et l'auto-apprentissage. Certains documents sont là juste pour combler les blancs et la plupart d'entre eux ne sont pas accompagnés de questions qui pourraient guider l'élève et l'aider à re-construire le savoir en suivant, par exemple, la méthodologie de l'historien, c'est-à-dire en commençant par définir la problématique, puis présenter une ou des hypothèses, et puis rechercher des indices dans les documents afin  de valider son  hypothèse ou l'invalider  et chercher une nouvelle hypothèse.

Troisièmement, on note l'absence de relation organique entre le texte de l'auteur et les documents. Dans la plupart des cas, on note qu'il n'y a pas de relation et d'interaction claires entre les deux parties. Dans certains manuels, les auteurs placent les documents à la fin de la leçon, ce qui traduit une attitude de  l'auteur pour qui le plus important c'est  le texte qui occupe les premières pages, les documents, dans ce cas, ne sont que des compléments et non  pas une partie de la leçon, et on peut s'en passer.

 Certains autres auteurs ont fusionné les documents avec le texte, dans l'intention de l'aérer, mais même dans ce cas le statut des documents a peu changé, car si nous les supprimons, la structure et la valeur de la leçon ne seront pas affectées, mais  si nous faisons l'inverse, c'est-à-dire si nous supprimons le texte de l'auteur  et ne laissons que les documents, alors le manuel  devient illisible et sans aucune utilité  pour l'élève  et  pour l'enseignant.

 Nous arrivons maintenant à notre questionnement qui cherche à savoir dans quelle mesure les manuels d'histoire et de géographie actuels  de l'enseignement secondaire répondent-ils aux objectifs que nous avons évoqués au début de notre intervention.

À ce propos, nous pouvons dire que les manuels de l'enseignement secondaire dans leur forme actuelle n'aident pas l'élève à "accéder à la maturité", ni à acquérir une pensée critique, et ceci pour les raisons suivantes :

 La première raison c'est que  la première partie  de la leçon, c'est-à-dire celle  produite par l'auteur, qui constitue l'essentiel de la leçon, entrave la formation du mécanisme de la pensée historique et géographique parce qu'elle présente des connaissances toutes faites  que l'élève oublie  très vite après le test ou le devoir.

La deuxième raison, c'est que cette première partie  de la leçon  paralyse les facultés de réflexion de l'apprenant car elle propose des solutions toutes faites et un discours figé qui peut acquérir un caractère sacré dans bien des cas, ce qui est totalement incompatible avec la pensée historique.

La troisième  raison  c'est que le manuel dans sa conception actuelle développe  un modèle éducatif basé sur l'enseignement  et n'aide guère à l'apprentissage.

Ainsi les manuels actuels d'histoire et de géographie de l'enseignement secondaire sont plutôt des outils pour enseigner, et non des outils pour  apprendre.

Les manuels d'histoire et de géographie pour l'enseignement primaire

 Ce que j'ai dit à propos des manuels d'histoire et de géographie dans l'enseignement secondaire ne s'applique pas à ceux destinés aux élèves de l'école primaire. Les nouveaux manuels destinés aux élèves des écoles primaires ont été élaborés selon une conception complètement différente. Pour présenter ce changement, nous allons prendre deux exemples : le manuel d'histoire de la cinquième année[5] et le manuel de géographie de la sixième année[6].

Les deux manuels ont été conçus selon la même approche, où les différentes leçons ne sont qu'un ensemble d'activités à partir de documents divers, et l'élève est  guidé pour les exploiter. Le texte de l'auteur qui est prédominant dans le manuel du secondaire est absent dans les deux manuels du primaire.

Les deux manuels  traduisent un changement important dans la conception du manuel scolaire, puisque les anciens manuels étaient conçus à l'image des manuels du secondaire.

Nous pourrons  illustrer ce changement  à travers nos deux exemples (le manuel d'histoire  de 5ème et le manuel de géographie de 6ème). Pour cela nous avons choisi de comparer la même leçon traitée par l'ancien et le nouveau manuel.

L'ancien manuel de 5ème a présenté la leçon sur les premiers habitants de l'Afrique du Nord "les Amazighs", sous la forme d'un texte de 4 pages produit par les auteurs, accompagné de deux photos et d'un texte.

Dans le manuel actuel, la même leçon à peu près "les premiers habitants de la Tunisie", nous ne trouvons pas un texte élaboré par les auteurs mais un ensemble d'activités qui appellent l'élève à manipuler divers documents tels que le texte historique, la carte, une stèle etc. L'élève est guidé par des questions pour reconstruire  un savoir historique.

 Nous retrouvons dans le manuel de géographie de 6ème la même approche. Si nous prenons, par exemple, la leçon sur  l'industrie en Tunisie, nous trouvons dans  l'ancien manuel une leçon présentée sous la forme d'un texte bien structuré accompagné de cartes, la leçon se termine par des questions d'évaluation ; alors que dans le manuel actuel le texte d'auteur a disparu, la leçon est un ensemble d'activités qui commencent par l'observation  d'un document et suivie par une lecture du document pour extraire des informations par l'élève qui est guidé par des questions.

Ce changement dans la conception du manuel de l'école primaire a permis de changer le statut du manuel, qui est passé  d'un moyen d'enseignement à un outil d'apprentissage, et il est le résultat d'une évolution d'un modèle pédagogique axé sur la présentation de savoir  sous la forme de résumés longs et organisés vers un modèle axé sur le savoir-faire qui vise à initier l'élève à la production du savoir par lui-même.

Ce changement est certainement une bonne chose. Reste à se demander si cela a permis de donner à l'élève une formation différente de la formation qui était dispensée par les manuels précédents. C'est une bonne question, mais je ne peux pas y répondre aujourd'hui car cela nécessite une étude plus approfondie qui s'intéresse à l'évaluation de l'outil et de son usage en classe.

La deuxième partie : la question de l'utilisation du manuel.

 Cette deuxième partie part d'une idée très répandue sur l'utilisation du manuel dans l'enseignement primaire et secondaire  qui dit  que le manuel est mal utilisé et sous exploité.

 Pour étudier cette question, nous allons nous limiter à l'enseignement secondaire, car notre étude de la réalité de l'utilisation du manuel scolaire à l'école primaire n'est pas encore terminée. Nous préférons donc ne pas présenter, maintenant, les résultats d'une recherche qui est encore en cours.

Le manuel d'histoire et de géographie dans l'enseignement secondaire est un outil destiné à la fois à l'élève et à l'enseignant[7], et il est utilisé aussi bien par l'enseignant que par l'apprenant. C'est là l'une des raisons qui expliquent la mauvaise utilisation du manuel, car comment le même  outil pédagogique peut-il répondre aux attentes de deux publics différents, à savoir les enseignants et les élèves ?

Pour l'enseignant, toutes les observations de terrain et les enquêtes[8] confirment que le manuel représente la référence principale lors de la préparation des  cours, et il devient l'unique référence pour un grand nombre d'enseignants, au  point qu'il se substitue au programme officiel à chaque étape de la préparation de la leçon. (le choix  du titre de la leçon,  du plan et  du contenu).

 Et contrairement à ce que les professeurs ont déclaré lors des enquêtes  réalisées  par de nombreux chercheurs au sujet des manuels, nous avons relevé lors de nos visites d'inspection que l'enseignant conserve  le plan  du manuel et  se suffit de résumer les  paragraphes de la leçon qu'il dicte à ses élèves. (dans l'enquête citée plus haut, 88% des professeurs ont déclaré qu'ils reprennent  le plan du manuel quelques fois, et 76% le font rarement).

 Toujours selon la même enquête, à la question relatives aux raisons qui expliquent le fait de se limiter au manuel lors de la  préparation  des cours, les enquêtés ont évoqué les  trois raisons suivantes :

-  1 : ils ne disposent pas d'autres ressources et n'ont pas les moyens d'en acheter;

-  2 : le grand nombre de niveaux qu'ils ont en charge.

- 3 : un quart seulement des enquêtés  justifient leur utilisation du manuel par la qualité de ses leçons.

Cet usage a fait que la manuel est passé du statut d'aide et de soutien qui propose à l'enseignant une lecture (parmi bien d'autres lectures) du programme au statut du détenteur du savoir qui devait être donné aux élèves  tel qu'il est sans plus ni moins. Il nous est arrivé, plusieurs fois, de voir lors de nos visites d'inspection, le professeur déborder l'horaire imparti à une leçon par le programme officiel pour la simple raison  qu'il tenait à traiter tous les paragraphes  et les parties du manuel et combien de fois l'enseignant a-t-il essayé de justifier ses erreurs pédagogiques en se référant au manuel scolaire ? Ainsi au cours des dernières semaines, par exemple, il m'est arrivé d'assister à une leçon de géographie en première année sur les eaux maritimes et terrestres. Lors de la discussion avec l'enseignant, je lui ai fait remarquer qu'il avait omis de parler des eaux sous-terraines qui jouent un rôle très important dans notre pays ; et comme justification, le professeur m'a expliqué que le manuel officiel n'en a pas parlé  (et c'était vrai).

Nous pouvons donner des dizaines d'exemples similaires. Or la raison principale à ces dérives est la forte dépendance vis à vis du manuel, de sorte que le professeur est  devenu esclave du manuel. Pourtant  plus de 50% des enseignants expriment leur insatisfaction quant aux contenus et aux approches des manuels.

L'aggravation  de la dépendance  vis-à-vis du manuel et de sa simple paraphrase explique l'introduction  d'un nouvel article dans les directives officielles pour l'enseignement de l'histoire et de la géographie[9] depuis  la rentrée 1993-1994 dédié à l'utilisation du manuel scolaire ( les anciennes directives n'ont pas traité la question). Le nouvel article rappelle que le manuel scolaire dans sa forme actuelle est un moyen pédagogique destiné à l'enseignant et à l'élève. Ce n'est qu’une ressource parmi d'autres qui peut être utilisée pour la préparation du cours par le professeur, à condition de ne pas trop s'y limiter. Cette dernière remarque est une tentative de réduire la dépendance excessive du professeur vis-à-vis du manuel.

Ainsi, le manuel occupe actuellement  une place centrale pour l'enseignant qui a choisi de se limiter à ce qu'il lui propose et renoncer à la créativité pour se contenter de le paraphraser. Ainsi les leçons sont-elles devenues semblables quelques soient l'enseignant et la région, et nous assistons malheureusement à un nivellement par le bas.

C'est une situation très dangereuse, surtout dans un système qui a choisi le manuel officiel unique qui impose une conception et une lecture particulière, qui peut ne pas être la meilleure, parce que nous savons qu'il n'y a pas de manuel parfait. Or, la multiplication des manuels donne à l'enseignant au moins la possibilité de comparaison et de sélection et contribue à la diversification et à l'enrichissement.

 Ainsi, Nous pouvons dire que le manuel est largement exploité par l'enseignant lors de la préparation de ses leçons.

Quant à l'élève, la situation est complètement différente. Nous avons constaté que le manuel est sous utilisé quantitativement et qualitativement. Nos visites d'inspection et les enquêtes que nous avons signalées plus haut ont montré que les enseignants chargent les élèves d'un travail à domicile à partir du manuel (100% des enseignants l'affirment et 98% des élèves le confirment). Ces  pourcentages ne laissent aucun doute  quant à  l'utilisation du manuel par l'élève sur la recommandation de son enseignant, mais quand on essaie de voir un peu quels sont les travaux  dont  il est chargé, nous serons amenés à modifier notre position sur cet usage, car ces travaux ne dépassent pas la reproduction  de cartes et de graphiques (70% des travaux) ou la lecture de textes (20% des travaux) et le résumé de la leçon (10% des travaux). Or, ces travaux et notamment la reproduction des cartes et des graphes, n'ont aucun caractère formateur. D'ailleurs les élèves l'ont très vite compris et ils ont eu recours au photocopieur, malgré la colère de l'enseignant et son refus.

 

 C'est ce que nous entendons par une sous utilisation qualitative du manuel par l'élève sous la direction de son professeur, puisque bien d'autres éléments de la leçon sont négligés. L'élève ne revient pas à son manuel car il n'y voit aucune utilité, puisque son cahier contient la même chose. 

 Cet état des choses est une conséquence directe de la dépendance excessive de l'enseignant vis-à-vis du  manuel, et par conséquent cela à entrainé une désaffection de l'élève qui ne cherche plus à acheter le manuel et quand il le fait il ne l'amène pas avec lui en classe, sachant qu'il n'en aurait guère besoin.

Ainsi, nous avons essayé de mettre en évidence la mauvaise utilisation du manuel par l'élève et par l'enseignant, mais nous voulons clôturer cette partie en évoquant les obstacles les plus importants qui entravent la bonne utilisation du manuel, et nous nous limitons à deux obstacles majeurs à mon avis.

 Le premier est la forme actuelle du manuel qui n'aide pas à l'utiliser autrement.  C'est pourquoi les enseignants demandent de remplacer les manuels actuels par un manuel spécial pour le professeur sous la forme d'un guide et un autre pour l'élève qui ne comprend que des documents.

Quant au second, il est en rapport avec l'absence d'initiation de l'élève à l'utilisation du manuel. Le manuel est un outil avec beaucoup de symboles, et sa structure obéit à une certaine logique. Son utilisation par l'élève n'est, ni évidente ni aisée, elle nécessite un entrainement et un savoir-faire spécifique qui s'acquiert, comme savoir-lire et utiliser l'index, faire la différence entre le texte construit par l'auteur ou les auteurs  et ce qui fait partie des documents, savoir exploiter un document… sans quoi l'élève ne peut pas faire bon usage de son manuel.[10]

Mongi Akrout, Inspecteur principal d'histoire et de géographie

Revue tunisienne des sciences de l'éducation N°22 -1994

Traduit par Mongi Akrout& Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux à la retraite.

Pour accéder à la version FR. Cliquez ICI

 

 



[1] Le manuel scolaire et le système éducatif. Tunis 25-30 mars 1985.

[2] Hajji Moncef.  Le mot d'ouverture du colloque .opt.cit

[3]  La loi n° 91-65 du 29 juillet 1991 relative au système éducatif.

[4]  Les programmes d'histoire et de géographie – mars 1993. Chapitre des objectifs – Ministère de l'éducation et des sciences, direction générale des programmes et de la formation continue.

[5]Le nouveau  livre d'histoire de 5ème  et l'ancien livre.

[6] Le nouveau  livre de géographie  de 6ème  et l'ancien livre.

[7]  Les recommandations officielles relatives à l'enseignement de l'histoire et de la géographie, la direction générale des programmes et de la formation continue.1992-1993

[8] Selon une enquête réalisée par l'inspecteur Farid Ben Slimane en 1984 auprès de 75 professeurs d'histoire et de géographie 100%  utilisent le manuel scolaire officiel.

[9] Opt.cit

[10] Pratiquer la géographie au collège. A.Colin. 213pages G.Hugonie( 1992) :

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