lundi 20 février 2017

Brève histoire de l’Ecole normale des professeurs adjoints : partie 1



En mai 1962, une Ecole Normale des Professeurs Adjoints ( ENPA)  voit le jour à Tunis pour contribuer , avec l’Ecole Normale Supérieure et les Ecoles Normales des Instituteurs et des Instructrices, à la formation des enseignants nécessaires à l’éducation nationale, suite à la réforme de l’enseignement promulguée par la Loi de 1958[1].



I.      Des institutions de formation adaptées aux finalités prévues.

La  première  réforme de l'enseignement  a donné une nouvelle vision pour la mission et les finalités de l'éducation et de l'enseignement, en outre elle a mis en place  une structure composée de trois cycles complémentaires  et interdépendants, et elle a conçu  des programmes qui font la synthèse  entre  les sciences et la technologie, et les langues et les contenus renouvelés de la culture nationale,  des programmes qui accordent  à la langue arabe et la littérature arabe et l'histoire de la civilisation  arabo-musulmane une place importante .
Or la concrétisation de tous ces choix nécessite des structures bien adaptées et des enseignants bien formés.


1.    L’enseignement est la  voie du progrès

Au lendemain de l'indépendance, le pays manquait cruellement de cadres à tous les niveaux, les responsables politiques étaient conscients que cette pénurie menace les plans de développement économique qu’ils ont conçu. C’est la raison qui les a poussés à investir dans l’enseignement, afin de répondre aux besoins les plus pressants du pays.
C’est à partir de ces choix  qu’on pourrait saisir l'intention des législateurs  lorsqu'ils avaient inclus dans  le premier chapitre  de la première loi de l’enseignement (les principes généraux ) , que «l’éducation et l’instruction ont pour but … de former  les cadres nécessaires  au développement  de l'activité nationale dans ses divers aspects" (art4) , ou quand ils mettaient dans les finalités de l'enseignement supérieur, «la formation  des cadres supérieurs, scientifiques, techniques et non techniques, nécessaires à la vie de la nation, et notamment celle  des maîtres du second degré, et de faire bénéficier à l'enseignement à ses divers degrés des progrès de la science et des connaissances[2]. " (art 25) ; ou quand ils intégraient dans les finalités de l’enseignement du second degré ( ou l’enseignement secondaire)  «  la formation de cadres moyens techniques et non-techniques, nécessaires aux différentes branches d'activité de la nation »[3]. " et quand ils fixaient, comme objectif principal, pour l’option  économique  de l'enseignement secondaire  la  "formation de cadres moyens économiques[4] ...», et pour l’option  secondaire technique «la formation d’agents techniques et techniciens moyens, et des cadres de maitrise »[5]

2.    Concentrer les efforts sur l’enseignement moyen ou le cycle court

Selon la nouvelle structure de l'enseignement mise en place par la loi de 1958, l'enseignement moyen faisait partie de l'enseignement  du second degré ou secondaire, cet enseignement  se caractérise par des  objectifs spécifiques ; en effet son but était  de " donner aux enfants ayant terminé leurs études primaires un complément de formation générale …,et les préparer , par un développement harmonieux et adapté de leurs facultés intellectuelles et pratiques  à l’exercice d’une activité professionnelle.[6]"

Donc c’est à l’enseignement moyen qu’incombe la mission d’assurer la formation des cadres de bases pour de l'économie nationale.
C’est un cycle court, de trois années, qui peut être prolongé d’une quatrième année pour les sections commerciales et industrielles, pour donner à certains élèves « une formation professionnelle qualifiée[7] » 
L’enseignement moyen comporte trois sections : une section générale, une section   commerciale, et une section  industrielle ; les études sont sanctionnées  par un diplôme  national appelé "brevet de l’enseignement moyen».
L’état a concentré ses efforts au cours de la première décennie sur cet enseignement qui  permettaient d’alimenter le marché de l’emploi de cadres moyens dans un délai relativement court, c’est une sorte de formation accélérée pour des enfants relativement âgés ( les élèves, âgés de plus de 14 ans qui réussissaient le concours d’entrée en première année de l’enseignement secondaire, sont orientés vers l’enseignement moyen, ( en 1968 l’enseignement moyen est abandonné et remplacé par l’enseignement professionnel en 1970).  

3.    Le plan national pour la qualification des cadres

 Le plan de développement décennal  (1962/1971) avait estimé  les besoins à 6500[8] nouveaux enseignants dont 5200 pour les disciplines d’enseignement général et technique, or si l’on  sait que la jeune université tunisienne ne pouvait  fournir  qu’environ 1100 enseignants , et les diplômés tunisiens des universités  étrangères tournaient autour de 1500, le déficit   serait autour de 2600 enseignants, pour le combler le Ministère de l'éducation avait mis en place  un plan en trois étapes:
-         La première s’étend de 1962 à 1966 au cours de laquelle le ministère va recourir aux contractuels ou aux coopérants étrangers.
-         La seconde de 1966-1971, l’école normale supérieure et l’ENPA fourniraient les enseignants pour remplacer les étrangers.
-         La troisième débute en 1971 où il était prévu que l’afflux de nouveaux bacheliers en nombre important permettrait au bout de quatre années, de mettre sur le marché un nombre suffisant d’enseignants pour l’enseignement secondaire[9].

II.   l'école Normale des professeurs adjoints : institution de formation

1.    Une construction progressive

Quelques années après l’indépendance, la politique de scolarisation avait généré des besoins de plus en plus élevés en enseignants, le pays avait opté pour la formation de cadres nationaux, c’est ainsi  qu’en mai 1958  les autorités avait  procédé à la  transformation d’une ancienne  école normale d’apprentissage qui formait les instituteurs pour les centres de formation en une école normale d’instituteurs pour former des enseignants des collèges moyens .
Au mois de mai 1962, cette institution devient l’école normale des professeurs adjoints, un décret institua le nouvel établissement dans les termes suivants :   " est créée à Tunis  un institut d'enseignement supérieur, appelé  « Ecole Normale des professeurs adjoints[10] ... ", la loi de finances de 1963  avait défini  son  statut (art15), il s’agit   « d’un établissement public , relevant  du Secrétariat d'Etat à l'éducation nationale ,doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière et d’un budget rattaché pour ordre au budget  de l'Etat »[11] d’ailleurs pour l’année 1963  le budget alloué à l’ENPA était supérieur à celui de l’ENS ( 181760 D contre 139140 D).

2.    Les objectifs de l’ENPA ont évolué en fonction de l’évolution des besoins du pays

Les objectifs de l'école avaient connu une évolution entre 1962 et 1965, dans le sens d'une consolidation et d’un élargissement de ses prérogatives .
a.    Les objectifs de l'ENPA  lors de sa création en 1962
Le premier article  du décret fondateur avait défini la mission de l’école dans les termes suivants : «  l'école a pour but la formation générale, technique, pratique et pédagogique  des professeurs adjoints  d’enseignement général, commercial et  technique des collèges moyens et des collèges secondaires du premier cycle »
 Le décret   a fixé d’une manière très claire :
- Le titre des diplômés de l’école , ce sont des professeurs adjoints,
- Les spécialités des formés ,
- La configuration de la formation assurée par l’école  , qui regroupe  quatre composantes principales : c’est une formation qui se veut en même temps  généraliste  et spécialisée mais aussi une formation  , pratique, et pédagogique.
D'autre part, l’arrêté d’organisation   a défini la mission de l'école dans les termes comme suit: «  La mission de l’école normale des professeurs adjoints  consiste à recruter et former le personnel destiné à enseigner dans les collèges moyens  et si nécessaire dans les classes du 1° cycle  l'école secondaire, en qualité de professeurs adjoints ; l’école est aussi un Centre d'études et de recherche pédagogique"[12]

L’ENPA était donc une école de formation des enseignants  et aussi un centre de recherche en éducation et en pédagogique, cette conception peut être considérée comme une conception en avance  sur son temps.

a.    L’évolution  de la mission de l'école en 1965 pour former des professeurs titulaires  du certificat d’aptitude

Il semble que les besoins de plus en plus pressants de professeurs pour assurer les enseignements dans les classes du deuxième cycle des lycées  (le nombre des diplômés de l’ENS est resté très en dessous des besoins aussi bien en nombre qu’en spécialité)  avaient poussé le ministère à revoir la mission de l’ENPA pour lui confier une autre tâche, en plus des anciennes tâches, l’école  est habilitée à organiser « en cas de besoin,… un deuxième cycle d’études supérieures ayant pour but la formation générale, technique, pratique et pédagogique  de  professeurs certifiés d'enseignement public, pour … les établissements d'enseignement général, commercial, économique et  technique[13] »
Dans le premier article   de l’arrêté qui a réorganisé l’école en 1965[14] , nous trouvons davantage de précisions, le nouvel arrêté a conservé le premier paragraphe  de l’ancien texte et a ajouté un nouveau paragraphe, qui dit qu’au «cas échéant, l'école peut, recruter  le personnel destiné à enseigner dans les lycées et collèges secondaires, et les écoles normales des instituteurs et des institutrices en qualité de professeurs certifiés ».
Dès le mois de mai de la même année, un nouvel arrêté  créa les différentes spécialités  prévues au deuxième cycle, il s’agissait des lettres française, des sciences naturelles et de la comptabilité et des mathématiques financières, ces trois spécialités devraient démarrer à partir de l'année scolaire 64/65[15], l’année suivante deux autres spécialités furent créées[16] il s’agit des lettres arabes et  la construction mécanique.

Ainsi cette institution qui démarra  comme une simple école d’enseignement moyen  se retrouve au bout de son aventure comme une  institution, qui combine la formation académique dans plusieurs  spécialités et la formation pédagogique professionnelle,  pour former le personnel  enseignant  des deux cycles: les professeurs adjoints pour les collèges et le premier cycle des lycées  ,  et des professeurs certifiés pour l'enseignement secondaire et les écoles normales des instituteurs et des institutrices .

3.    Le régime des études : une synthèse entre le monde académique et pédagogique

a.     Au début (1962) : les études duraient deux ans mais elles peuvent être prolongées d’une troisième année :
- La première année est consacrée à la formation générale en relation avec les disciplines que l’élève va devoir enseigner après les études
 et à une formation professionnelle théorique en psychologie de l'éducation,
- La deuxième année se concentre sur la formation générale académique dans la spécialité ou les spécialités et une formation pratique dans les classes.[17]

b.    Depuis la réorganisation de l'école en 1965 et l’introduction d’un deuxième  cycle d'études supérieures,  la durée des études passe à quatre ans, réparties comme suit:
- Le premier cycle  de deux ans (qui peut être prolongé d'une année) il   ne diffère guère de ce qui existait depuis  (1962), l’organisation des études de ce cycle est du ressort du directeur de l’école .
- Et un  second  cycle  de deux ans, (peut être prolongé d'une année  aussi[18]) : L’arrêté de réorganisation de l’école de 1965, dans le deuxième alinéa de l’article  36 a fixé le programme de formation au cours du deuxième cycle , en précisant que la décision concernant ce programme fait partie  des attributions du président de l'université et non de celles du directeur de l’école , au cours du second cycle : « les étudiants reçoivent une formation générale plus  approfondie  dans une discipline ou plus qu’ils seront appelés à enseigner plus tard et une formation pédagogique et psychopédagogique   pratique se rapportant aux classes  du deuxième cycle des lycées et  collèges secondaires ».
Ainsi , le deuxième cycle est un cycle  d’approfondissement  des acquis du premier cycle , et de « spécialisation » en  pédagogie adaptée aux élèves du  deuxième cycle  de l'enseignement secondaire, qui  sont à l’âge de l’ adolescence.

4.    Les différentes sections et  les spécialités

L'école a commencé avec trois sections ou spécialités : la section générale, la section industrielle, et la section commerciale, ces trois sections sont restées présentes tout le long de l’histoire de l’ENPA, même si chacune avait connu des changements plus ou moins importants dans les différentes spécialités ou sous sections comme l’illustre le tableau suivant :
Tableau 1 : évolution des sections du premier cycle [19]

année
section générale
section industrielle
section commerciale
1962
lettres arabes et histoire géographie
dessin industriel
enseignement commercial
lettres arabe et instruction civique  et religieuse  .
fabrication mécanique
lettres françaises
électronique
lettres anglaises
mathématiques
sciences

année
section générale
section industrielle
section commerciale
1965
lettres arabes et histoire géographie
dessin industriel
comptabilité et mathématiques financière
lettres arabe et instruction civique  et religieuse  .
fabrication mécanique
comptabilité , économie et droit
lettres françaises
électricité
sténo dactylographie et correspondances commerciales
lettres anglaises


mathématiques et sciences physiques


sciences physiques et mathématiques


sciences naturelles et mathématiques




année
section générale
section industrielle
section commerciale
1967
lettres arabes
dessin industriel
comptabilité et mathématiques financière
lettres arabe et instruction civique  et religieuse  .
fabrication mécanique
comptabilité  -sténo dactylographie
lettres françaises
électricité

lettres anglaises


mathématiques et physiques


sciences physiques


sciences naturelles




Le tableau précédent montre deux faits importants :
§  La stabilité de la section   générale et la section industrielle quant aux nombre de spécialités, sept spécialités pour la première (quatre en langues et sciences humaines, et trois d'entre pour les sciences)  et trois spécialités pour la deuxième, avec parfois des dénominations légèrement modifiées.
§   Alors que la section commerciale  a vu ses spécialités se réduire à deux en 1967, elle comportait en 1965 trois spécialités.

Quand la structure de l'école a changé dès 1965  avec la création du deuxième cycle des études supérieures, une nouvelle liste des sections est établie  qui renferme 12 spécialités réparties toujours entre trois sections, remarquons que la plupart  de ces spécialités existaient depuis la rentrée 1964-65, l’arrêté  de réorganisation de 1967, n’a amené  aucun changement.[20]  

Tableau des sections et des spécialités du deuxième cycle de l’ENPA

année
section générale
section industrielle
section commerciale
1965
lettres arabes
constructions mécaniques (dessin industriel et mécanique appliquée)
comptabilité et mathématiques financière
Philosophie et instruction civique  et religieuse  .
électrotechnique et électronique
économie politique  et droit
Histoire géographie
Lettres françaises
lettres anglaises
mathématiques
sciences physiques
sciences naturelles


Nous avons délibérément  présenté en détail les différentes spécialités et leurs évolutions  pour montrer la grande souplesse au niveau de l’organisation, l’objectif était de pouvoir répondre rapidement  aux changements qui pourraient avoir lieu au niveau  de l’enseignement moyen et secondaire et afin d’assurer les besoins  de l’école tunisienne en personnel enseignant  tels qu’ils étaient définis par  la Loi sur l'éducation de 1958, d'autre part.


Hédi Bouhouch & Mongi Akrout ; Inspecteurs généraux de l’éducation , Brahim Ben Atig, Professeur principal émérite
Tunis, Août 2013






[1] La loi  n°58-118 du 4 novembre 1958 ( 21 rabia II 1378) relative à l’enseignement.
[2] La loi  n°58-118 du 4 novembre 1958 , article 25, aliéna 4
[3]  Op. Cité ,article 14, aliéna 2
[4] Op. Cité ,article 19,
[5] Op. Cité ,article 20
[6] Op. Cité, article 10
[7] Op. Cité, article 11
[8]  Rapport dactylographié produit par l’Unesco en juin 1970 à la fin d’une mission sur l’ENPA .
[9] Le rapport déjà cité p 2
[10] Décret  62-152 du 3 mai 1962, Jort n° 23 du 1-4 mai 1962
[11] Loi 62-82 du 31 décembre 1962, jort n°64 du 28 décembre 1962.
[12] Arrêté du 26 mai 1962 relatif à l’organisation de l’école normale des professeurs adjoints, jort n°29 du 5 juin 1962
[13] Décret 65-291 du 31 mai 1965 modifiant et complétant  le Décret  62-152 du 3 mai 1962, Jort n° 23 du 1-4 mai 1962 ( art 1)
[14] Arrêté du 31 mai 1965  relatif à la réorganisation de l’école normale des professeurs adjoints, jort n°30 du 8 juin 1965  qui a remplacé l’Arrêté du 26 mai 1962  relatif à l’organisation de l’école normale des professeurs adjoints, jort n°29 du 5 juin 1962
[15] Arrêté du 31 mai 1965  portant création de sections de deuxième cycle d’études supérieures à  l’école normale des professeurs adjoints, jort n°30 du 8 juin 1965 
[16] Arrêté du 17 avril  1967  portant création de deux  sections de deuxième cycle d’études supérieures à  l’école normale des professeurs adjoints, jort n°18 du 21 avril 1967( art 1) 
[17] Décret 62-152 déjà cité, chapitre III, article 29 et 33
[18] Arrêté de réorganisation du 31 mai déjà cité, art 30.
[19] Le tableau récapitule les donnés puisées dans les différents arrêtés : arrêté de 1962 (Art 28)   ; arrêté de 1965 ( Art 32)  , arrêté de 1967 ( Art premier) 
[20]  Arrêté de 1965 , déjà cité , art 33

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