lundi 13 février 2017

Histoire des écoles normales d’institutrices et d’instituteurs en Tunisie depuis l’indépendance : 2ème partie


Les écoles normales d’institutrices et  d’instituteurs  en Tunisie sont des institutions très anciennes , les premières écoles remontent  au dix neuvième siècle  à l’époque du protectorat français[1]  , mais c’est depuis les premières années de l'indépendance, qu’elles ont connu une impulsion importante pour faire  face aux importants besoins  créés par la nouvelle politique de l'éducation, ainsi , leur nombre augmenta et de nouvelles écoles ouvrent leurs portes à l’intérieur de la République, elles ont formé des générations d’instituteurs qui ont contribué à la réussite de la généralisation de la scolarisation des jeunes tunisiens .



   II.            L’évolution  du réseau des écoles normales
La Tunisie avait hérité de l’époque du protectorat français  deux  écoles normales uniquement  une pour les instituteurs et une autre pour les institutrices , elles étaient toutes les deux situées à Tunis ; au cours de  l'année scolaire 1972-1973  on comptait dix-huit (18) écoles  à travers le pays, l’étude de l’historique de la création des nouvelles écoles montre que cela ne s’était fait à un rythme  marqué par des hauts et des bas,  nous pouvons distinguer quatre phases : ( voir graphique ci-dessous)

1 - Une première période: 1956-1967: un rythme de croissance moyen et un résultat mitigé.
Cette période  coïncide  avec l’ère  du professeur Mahmoud Messadi, troisième secrétaire d'Etat de l'Education nationale, c’est la période de la mise en place de la réforme et de la tunisification du système éducatif, et c’est aussi la période de la forte demande sur la scolarisation , cette période a connu :
- la création de deux nouvelles écoles ( l’ENI de LA Marsa et  l’ENI de Monastir)  et l’ouverture de simples sections normales dans  un grand nombre de lycées  comme le lycée de Carthage présidence,  le lycée khaznadar  le lycée de garçons de  Sfax, le lycée 15 Novembre de Sfax ...
- la multiplication de l’effectif des élèves qui étaient inscrits dans la filière de formation des instituteurs par dix, passant de 465 à l’aube de l'Indépendance (année scolaire 1955-1965) à 4447 au cours de l'année scolaire 1966-1967. ( voit graphique ci-dessous )

Mais en dépit de ces efforts  , le Secrétaire d’État à l'éducation nationale , " avait admis que le nombre des  diplômés normaliens  sortis des quatre écoles et des différents lycées était en de ça des besoins  ... et il prit alors la décision  , depuis 1961,  d’orienter entre 25 et 30% des élèves qui ont terminé le premier cycle de l'enseignement secondaire vers la section normale et de choisir  les meilleurs éléments parmi les élèves  de la section générale   de l’enseignement moyen  qui ont obtenu le brevet   pour les orienter vers les écoles normales "(Messaadi,1963)[2]
Entre l'année scolaire 55-56   et l’année scolaire 67-68; le nombre de nouveaux diplômés  qui était de  3045,  ne couvrait  que 30.26% des besoins des écoles primaires , le déficit s’est aggravé par le désistement  d’un nombre important de diplômés qui ont choisi d’autres carrières  , on estimait la perte aux alentours de 1400 individus  ce qui représentait  38,6% des 3632 diplômés entre 1960 et 1969 (Bousnina, 1991)[3]




Cela avait obligé le Secrétariat d'Etat à recruter un grand nombre de personnes sans  qualification ni préparation pour enseigner dans les écoles primaires , ce qui n’a pas manqué de  conduire à l'émergence d’une crise au niveau de l'éducation qui a nécessité  une révision  au niveau des choix suite  aux recommandations  de la commission chargée de l’évaluation de la réforme de 1958  système d'évaluation de l'éducation[4] et  a entrainé un changement à la  tête du département de l’éducation avec la nomination de Ahmed Ben Salah à la place de Mahmoud Messadi  .


2 - Deuxième période: de la fin des années soixante au milieu des années soixante-dix : augmentation de la capacité de la formation des instituteurs.
La Commission citée ci- dessus avait recommandé une révision de la politique de l'éducation en général et de la formation et du recrutement des instituteurs plus particulièrement, qu’elle considère comme la clé pour relever le niveau des apprenants et pour réduire le décrochage et l'échec scolaire.
Pour mettre en œuvre ces recommandations, on décida d’augmenter les capacités de formation   des instituteurs et des institutrices en doublant le nombre des écoles normales  , et en élargissant leur réseau qui comptait désormais  18 écoles au cours de l'année scolaire 1975-1976, cette extension a permis d’accroitre  le nombre d’élèves instituteurs  en dépit de l'abandon de la politique de l’orientation « forcée »  et l’adoption du concours pour le recrutement des candidats - normaliens, ( le nombre d’inscrits  avait atteint au cours de cette année scolaire environ 12.000 , c'est-à-dire  quatre fois la moyenne de toute la décennie précédente) ( voir graphique suivant)

Toutes ces mesures ont contribué à améliorer le taux de couverture des besoins des écoles primaires,  atteignant ainsi  82,05%, au cours de la période comprise entre l'année scolaire 72-73 et celle  de 83-84, grâce aux  10474 nouveaux diplômés normaliens.
3.    Troisième période: la seconde moitié des années soixante-dix: baisse de la capacité de formation.
Il semble que les planificateurs n’aient pas réussi  dans leurs prévisions car la grande expansion du réseau évoquée dans le paragraphe précédent avait coïncidé avec  une période d’une baisse du rythme de croissance des élèves à l’école  primaire par rapport à l'époque précédente (  ce taux  était au environ de 0,39 au cours de la période entre 1970 - 1971 et  1983-1984 alors qu’il était  de 2.71 au cours de la  période  1955 - 1966),  la recherche de l’adéquation entre les besoins et la formation est devenue au cours de cette période le soucis majeur des responsables de l’éducation ,  et  on assista à la succession d’une série de mesures contradictoires, telles que:
- La suspension du recrutement   des élèves pour la première année au cours de l'année scolaire 1972-1973 et 1975-1976), puis l’annulation de la décision l'année suivante (1973-1974 et 1976-1977.
- L’ouverture de nouvelles écoles, puis leur fermeture après quelques années d’exercice comme le cas de l’ENI de Sfax ouverte en 1969-1970 et fermée quatre ans plus tard (1973-1974) ou encore les ENI de Kasserine , Gafsa, Menzel Bourguiba , El Menzah  de Tunis et Carthage (1971-1972 / 1972-1973) et bien d'autres cas.
- La fermeture d'une école, puis sa réouverture après une année ou plus, comme ce fut le cas de l’ENI de Sousse fermée en 1969 puis ré ouverte en 1975 , ou l’ENI de Korba   qui a ouvert ses portes en 1982 ou les vessies de mise en candidature, qui a ouvert en 1972 et s’est arrêtée en 1974 et puis ré-ouverte en 1978.
On est tenté de déduire tout cela un manque de clarté dans les choix et l'absence d'une bonne planification à moyen terme, cela  a eu un impact sur la politique de formation des instituteurs  et un recul régulier au niveau  des effectifs des élèves-instituteurs  jusqu'à ce que leur nombre  ne représentait plus que le dixième de ce qu'il était au cours de l'année de pointe , ce qui ne manqua pas d’entrainer de nouveau un déficit et le recours au recrutement massif de bacheliers qui ont échoué à l’université , ceux-ci représentaient  au cours  de l'année scolaire 1978-1979 ,54% des instituteurs stagiaires , le Ministère  fut amené à transformer l’ENI de Korba dès 1973-1974 en centre national de formation continue pour former ces nouvelles recrues   titulaires du baccalauréat, d’ailleurs  l'UNESCO a profité de cette situation pour recommander de changer la formule  des écoles normales ( voir ci-dessous)    
4.    quatrième période: de la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt: augmentation régulière de la capacité de formation  et du nombre d'inscrits.
Cette période a connu un semblant de stabilité, qui coïncide avec une stabilité à la tête du département de l'Éducation nationale (le ministre Mohammed Mzali  de l'année 1976 à l'année 1980 et son successeur  Frej Chadli  jusqu’en 1986, qui a poursuivit la politique de son prédécesseur.
La période fut marquée par l’augmentation constante du nombre des écoles normales  qui sont passées de  6 à 8 écoles dans un premier temps , puis à 12,  et par  l’accroissement  du nombre d'élèves- instituteurs  inscrits  , passant de  1059 au cours de l'année scolaire 1975-1976 à 5369  en 1981-1982.



III.            Débat autour de l’avenir des écoles normales des instituteurs et des institutrices
La filière des écoles normales et de la section normale a toujours fait l’objet d’un débat dans les milieux du monde de l’éducation, des bailleurs de fonds et des responsables du Ministère, entre les défenseurs de la filière et les opposants.
§  En 1967 la commission d’évaluation de la réforme de 1958 avait recommandé de renforcer la filière et elle a proposé  pour cela, plusieurs  mesures d’incitation  pour  attirer les jeunes  vers le métier d’enseignants, parmi ces mesures :
-      «  Le reclassement de la fonction  d’enseignant dans le cadre de la fonction publique en général , en prenant pour critère  la valeur intellectuelle »
-      « Dotation de toutes les écoles primaires des moyens, des équipement et du confort indispensables ».
-      Révision des méthodes d’orientation vers les écoles normales … afin de laisser le champ libre au choix spontané basé sur la conviction intime des intéressés et sur la noblesse attachée à la carrière d’enseignant et d'éducateur.
-      Concession de certains avantages matériels, en sus de la gratuité à ceux qui optent pour les écoles normales.
-      Possibilité pour les meilleurs éléments des écoles normales, au même titre que comme les autres élèves de l’enseignement secondaire d’accès au concours d’entrée à l'École normale supérieure et à l’école des professeurs adjoints ».[5]
§  Au milieu des années soixante-dix , on avait  commencé à réfléchir sur la formation et les programmes des écoles normales des instituteurs , car  à cette époque on a conclu que cette formation était  insuffisante  pour former  des enseignants hautement qualifiés, l'idée de changer les écoles normales en « instituts universitaires pédagogiques »  qui recruteraient  ses étudiants auprès des  bacheliers, mais cette idée  ne s’est pas réalisée  qu’au début des années quatre vingt dix  avec la deuxième réforme de l'éducation (1991), sous la forme  d’instituts supérieurs de formation des maîtres.
§  L'UNESCO propose de revoir la formule des écoles normales
 En 1979, un rapport de l'UNESCO[6] a présenté une vision  très critique à propos de formation dans les écoles normales en se référant  à des points de vue opposés  du personnel  administratif du Ministère de l'éducation et des  inspecteurs et des assistants pédagogiques[7] : les premiers avaient émis des réserves quant à la formation dans les écoles normales  en assurant «  qu’on est   retombé à nouveau dans l’ancienne formule de la formation  qui n’apportait aucune plus value spécifique en plus de son coût très élevé, quant aux cadres pédagogiques , ils étaient de grands défenseurs de la formation dans les écoles  normales « qu’ils considèrent indispensable  pour former l’esprit et la conscience  professionnelle , et pour avoir  des  cadres stables et attachés à leur profession », le rapport a reconnu l'absence de consensus sur l'avenir des écoles normales , mais cela n’a pas empêché ses auteurs  de remettre en question l’existence de ces écoles et ils ont conseillé de penser à une autre formule pour la formation des enseignants , d’autant plus que les programmes en vigueur  dans les écoles normales étaient très proches des programmes de l'enseignement secondaire général, en particulier ceux de la section Lettres  et qu’une importante  partie des nouveaux enseignants recrutés se faisait par voie de concours  parmi les titulaires du baccalauréat ,  leur part a même dépassé  la part  des stagiaires normaliens  (voir tableau ci-dessous), et par conséquent le rapport fait valoir qu'elle peut présenter la voie la mieux indiquée  après  l'introduction de quelques améliorations, comme le fait d’organiser une année de formation pratique et professionnelle pour les nouveaux recrutés parmi les bacheliers , le rapport ne cache guère ses motivations matérielles et financières en comparant les coûts des deux filières , et en avançant que le coût de la formation dans la filière normale est  2 .6 fois supérieur à celui de la filière de l’enseignement général .

année scolaire
taux des normaliens parmi l’ensemble des instituteurs en exercice
1965/1966
19%
1969/1970
21%
2005/2006
36%

Le débat se poursuit  jusqu’à ce jour entre les partisans des écoles normales  qui affichent leur position avec une  certaine nostalgie, après plus de 20 ans sur la disparition de ces institutions  et les autres qui  affirment  que l'ère des écoles normales  fait partie définitivement  d’un  passé  .
Conclusion
Les écoles normales des institutrices et des instituteurs ont joué  un rôle très important dans la formation de plusieurs générations d'instituteurs et d’institutrices qui ont  jeté les bases de l'école tunisienne depuis l'indépendance, beaucoup d’entre eux  ont occupé  des responsabilités  supérieures au sein du  ministère de l’éducation , la dernière promotion de ces  écoles  est sortie à la fin de l'année scolaire 1991-1992 , alors que  les écoles normales avaient déjà cédé  la place  aux  instituts supérieurs de formation des maître depuis l'année scolaire 1989 - 1990.

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs généraux de l’éducation  retraités
Brahim ben Atig , professeur principal émérite










[1] Voir le blog pédagogique du 14 /1/2014 : l'école Alaoui : 1° école normale
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2014/01/le-college-alaoui-la-premiere.html
[2] المصدر :  محمود المسعدي : انبعاثنا التربوي منذ الاستقلال – اصلاح التعليم و التخطيط التربوي – الديوان التربوي -1963
[3]  Bousnina rapportait dans sa thèse que Messadi avait prévu la satisfaction de tous les besoins  en instituteurs à l’horizon de 1965  et le remplacement de tous les instituteurs étrangers , ce ne fut pas le cas , et Bousnina qui fut chef de cabinet du Ministre  de l’éducation Idriss Guiga  au début des années soixante dix explique dans sa thèse les raisons de cela .
[4]  Annuaire de l'Afrique du nord، 1977)
[5]  Rapport de la commission sur l’enseignement primaire , l’Action 4-6-1967 , Annuaire  de l’Afrique du nord ,VI-1967 , Edition du centre national de la recherche scientifique, Paris 1977 ;
[6] Tunisie : éducation et formation : Problèmes et besoins ; octobre 1979
[7]  Bilan critique des politiques actuelles et des structures d’encadrement  mise en œuvre  pour la formation et le recyclage des maîtres de l’enseignent primaire, RTSE  - Avril 1975- p 52.

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