Les écoles normales d’institutrices
et d’instituteurs en Tunisie sont des institutions très
anciennes , les premières écoles remontent au dix neuvième siècle à l’époque du protectorat français[1] , mais c’est depuis les premières années de
l'indépendance, qu’elles ont connu une impulsion importante pour faire face aux importants besoins créés par la nouvelle politique de
l'éducation, ainsi , leur nombre augmenta et de nouvelles écoles ouvrent leurs
portes à l’intérieur de la République, elles ont formé des générations
d’instituteurs qui ont contribué à la réussite de la généralisation de la
scolarisation des jeunes tunisiens .
II.
L’évolution du réseau des écoles normales
La Tunisie avait hérité de l’époque du
protectorat français deux écoles normales uniquement une pour les instituteurs et une autre pour les
institutrices , elles étaient toutes les deux situées à Tunis ; au cours
de l'année scolaire 1972-1973 on comptait dix-huit (18) écoles à travers le pays, l’étude de l’historique de
la création des nouvelles écoles montre que cela ne s’était fait à un rythme marqué par des hauts et des bas, nous pouvons distinguer quatre phases : (
voir graphique ci-dessous)
1 - Une première période: 1956-1967: un rythme de croissance
moyen et un résultat mitigé.
Cette
période coïncide avec l’ère du professeur Mahmoud Messadi, troisième
secrétaire d'Etat de l'Education nationale, c’est la période de la mise en
place de la réforme et de la tunisification du système éducatif, et c’est aussi
la période de la forte demande sur la scolarisation , cette période a
connu :
-
la création de deux nouvelles écoles ( l’ENI de LA Marsa et l’ENI de Monastir) et l’ouverture de simples sections normales
dans un grand nombre de lycées comme le lycée de Carthage présidence, le lycée khaznadar le lycée de garçons de Sfax, le lycée 15 Novembre de Sfax ...
-
la multiplication de l’effectif des élèves qui étaient inscrits dans la filière
de formation des instituteurs par dix, passant de 465 à l’aube de
l'Indépendance (année scolaire 1955-1965) à 4447 au cours de l'année scolaire
1966-1967. ( voit graphique ci-dessous )
Mais
en dépit de ces efforts , le Secrétaire
d’État à l'éducation nationale , " avait admis que le nombre des diplômés normaliens sortis des quatre écoles et des différents
lycées était en de ça des besoins ... et
il prit alors la décision , depuis 1961,
d’orienter entre 25 et 30% des élèves qui
ont terminé le premier cycle de l'enseignement secondaire vers la section
normale et de choisir les meilleurs
éléments parmi les élèves de la section
générale de l’enseignement moyen qui ont obtenu le brevet pour
les orienter vers les écoles normales "(Messaadi,1963)[2]
Entre
l'année scolaire 55-56 et l’année scolaire
67-68; le nombre de nouveaux diplômés qui
était de 3045, ne couvrait que 30.26% des besoins des écoles primaires ,
le déficit s’est aggravé par le désistement d’un nombre important de diplômés qui ont
choisi d’autres carrières , on estimait
la perte aux alentours de 1400 individus ce qui représentait 38,6% des 3632 diplômés entre 1960 et 1969
(Bousnina, 1991)[3]
Cela avait obligé le Secrétariat d'Etat
à recruter un grand nombre de personnes sans qualification ni préparation pour enseigner
dans les écoles primaires , ce qui n’a pas manqué de conduire à l'émergence d’une crise au niveau
de l'éducation qui a nécessité une
révision au niveau des choix suite aux recommandations de la commission chargée de l’évaluation de la
réforme de 1958 système d'évaluation de
l'éducation[4] et
a entrainé un changement à la tête du département de l’éducation avec la nomination
de Ahmed Ben Salah à la place de Mahmoud Messadi .
2 - Deuxième
période: de la fin des années soixante au milieu des années soixante-dix :
augmentation de la capacité de la formation des instituteurs.
La Commission citée ci- dessus avait recommandé
une révision de la politique de l'éducation en général et de la formation et du
recrutement des instituteurs plus particulièrement, qu’elle considère comme la
clé pour relever le niveau des apprenants et pour réduire le décrochage et
l'échec scolaire.
Pour mettre en œuvre ces recommandations,
on décida d’augmenter les capacités de formation des instituteurs et des institutrices en
doublant le nombre des écoles normales ,
et en élargissant leur réseau qui comptait désormais 18 écoles au cours de l'année scolaire
1975-1976, cette extension a permis d’accroitre le nombre d’élèves instituteurs en dépit de l'abandon de la politique de
l’orientation « forcée » et l’adoption
du concours pour le recrutement des candidats - normaliens, ( le nombre d’inscrits avait atteint au cours de cette année
scolaire environ 12.000 , c'est-à-dire quatre fois la moyenne de toute la décennie
précédente) ( voir graphique suivant)
Toutes ces mesures ont contribué à
améliorer le taux de couverture des besoins des écoles primaires, atteignant ainsi 82,05%, au cours de la période comprise entre
l'année scolaire 72-73 et celle de
83-84, grâce aux 10474 nouveaux diplômés
normaliens.
3.
Troisième période: la seconde moitié des années
soixante-dix: baisse de la capacité de formation.
Il semble que les planificateurs n’aient
pas réussi dans leurs prévisions car la
grande expansion du réseau évoquée dans le paragraphe précédent avait coïncidé
avec une période d’une baisse du rythme
de croissance des élèves à l’école primaire par rapport à l'époque précédente ( ce taux
était au environ de 0,39 au cours de la période entre 1970 - 1971 et 1983-1984 alors qu’il était de 2.71 au cours de la période
1955 - 1966), la recherche de
l’adéquation entre les besoins et la formation est devenue au cours de cette
période le soucis majeur des responsables de l’éducation , et on
assista à la succession d’une série de mesures contradictoires, telles que:
- La suspension du recrutement des élèves pour la première année au cours de
l'année scolaire 1972-1973 et 1975-1976), puis l’annulation de la décision
l'année suivante (1973-1974 et 1976-1977.
- L’ouverture de nouvelles écoles, puis
leur fermeture après quelques années d’exercice comme le cas de l’ENI de Sfax ouverte
en 1969-1970 et fermée quatre ans plus tard (1973-1974) ou encore les ENI de
Kasserine , Gafsa, Menzel Bourguiba , El Menzah de Tunis et Carthage (1971-1972 / 1972-1973)
et bien d'autres cas.
- La fermeture d'une école, puis sa réouverture
après une année ou plus, comme ce fut le cas de l’ENI de Sousse fermée en 1969
puis ré ouverte en 1975 , ou l’ENI de Korba qui a ouvert
ses portes en 1982 ou les vessies de mise en candidature, qui a ouvert en 1972
et s’est arrêtée en 1974 et puis ré-ouverte en 1978.
On est tenté de déduire tout cela un manque
de clarté dans les choix et l'absence d'une bonne planification à moyen terme,
cela a eu un impact sur la politique de
formation des instituteurs et un recul
régulier au niveau des effectifs des
élèves-instituteurs jusqu'à ce que leur
nombre ne représentait plus que le dixième
de ce qu'il était au cours de l'année de pointe , ce qui ne manqua pas
d’entrainer de nouveau un déficit et le recours au recrutement massif de
bacheliers qui ont échoué à l’université , ceux-ci représentaient au cours de l'année scolaire 1978-1979 ,54% des
instituteurs stagiaires , le Ministère fut
amené à transformer l’ENI de Korba dès 1973-1974 en centre national de
formation continue pour former ces nouvelles recrues titulaires du baccalauréat, d’ailleurs l'UNESCO a profité de cette situation pour
recommander de changer la formule des
écoles normales ( voir ci-dessous)
4.
quatrième période: de la fin des années
soixante-dix et au début des années quatre-vingt: augmentation régulière de la
capacité de formation et du nombre
d'inscrits.
Cette période a connu un semblant de
stabilité, qui coïncide avec une stabilité à la tête du département de
l'Éducation nationale (le ministre Mohammed Mzali de l'année 1976 à l'année 1980 et son
successeur Frej Chadli jusqu’en 1986, qui a poursuivit la politique
de son prédécesseur.
La période fut marquée par l’augmentation
constante du nombre des écoles normales qui
sont passées de 6 à 8 écoles dans un
premier temps , puis à 12, et par l’accroissement du nombre d'élèves- instituteurs inscrits , passant de 1059 au cours de l'année scolaire 1975-1976 à
5369 en 1981-1982.
III.
Débat autour de l’avenir des écoles normales
des instituteurs et des institutrices
La filière des écoles normales et de la
section normale a toujours fait l’objet d’un débat dans les milieux du monde de
l’éducation, des bailleurs de fonds et des responsables du Ministère, entre les
défenseurs de la filière et les opposants.
§ En 1967 la commission d’évaluation de la
réforme de 1958 avait recommandé de renforcer la filière et elle a proposé pour cela, plusieurs mesures d’incitation pour attirer
les jeunes vers le métier d’enseignants,
parmi ces mesures :
-
« Le reclassement de la fonction d’enseignant dans le cadre de la fonction publique
en général , en prenant pour critère la
valeur intellectuelle »
-
« Dotation de toutes les écoles primaires des
moyens, des équipement et du confort indispensables ».
-
Révision des méthodes d’orientation vers les écoles
normales … afin de laisser le champ libre au choix spontané basé sur la
conviction intime des intéressés et sur la noblesse attachée à la carrière d’enseignant
et d'éducateur.
-
Concession de certains avantages matériels, en sus de
la gratuité à ceux qui optent pour les écoles normales.
-
Possibilité pour les meilleurs éléments des écoles
normales, au même titre que comme les autres élèves de l’enseignement
secondaire d’accès au concours d’entrée à l'École normale supérieure et à l’école
des professeurs adjoints ».[5]
§ Au milieu des années soixante-dix ,
on avait commencé à réfléchir sur la
formation et les programmes des écoles normales des instituteurs , car à cette époque on a conclu que cette formation
était insuffisante pour former des enseignants hautement qualifiés, l'idée de
changer les écoles normales en « instituts universitaires pédagogiques » qui recruteraient ses étudiants auprès des bacheliers, mais cette idée ne s’est pas réalisée qu’au début des années quatre vingt dix avec la deuxième réforme de l'éducation
(1991), sous la forme d’instituts
supérieurs de formation des maîtres.
§ L'UNESCO propose de revoir la formule
des écoles normales
En 1979, un rapport de l'UNESCO[6] a présenté une vision très critique à propos de formation dans les
écoles normales en se référant à des
points de vue opposés du personnel administratif du Ministère de l'éducation et des
inspecteurs et des assistants pédagogiques[7] : les premiers
avaient émis des réserves quant à la formation dans les écoles normales en assurant « qu’on est retombé
à nouveau dans l’ancienne formule de la formation qui n’apportait aucune plus value spécifique en
plus de son coût très élevé, quant aux cadres pédagogiques , ils étaient de
grands défenseurs de la formation dans les écoles normales « qu’ils considèrent indispensable
pour former l’esprit et la conscience professionnelle , et pour avoir des cadres stables et attachés à leur profession
», le rapport a reconnu l'absence de consensus sur l'avenir des écoles normales
, mais cela n’a pas empêché ses auteurs de
remettre en question l’existence de ces écoles et ils ont conseillé de penser à
une autre formule pour la formation des enseignants , d’autant plus que les
programmes en vigueur dans les écoles normales
étaient très proches des programmes de l'enseignement secondaire général, en
particulier ceux de la section Lettres et qu’une importante partie des nouveaux enseignants recrutés se
faisait par voie de concours parmi les
titulaires du baccalauréat , leur part a
même dépassé la part des stagiaires normaliens (voir tableau ci-dessous), et par conséquent
le rapport fait valoir qu'elle peut présenter la voie la mieux indiquée après l'introduction de quelques améliorations, comme
le fait d’organiser une année de formation pratique et professionnelle pour les
nouveaux recrutés parmi les bacheliers , le rapport ne cache guère ses motivations
matérielles et financières en comparant les coûts des deux filières , et en
avançant que le coût de la formation dans la filière normale est 2 .6 fois supérieur à celui de la
filière de l’enseignement général .
année scolaire
|
taux des normaliens parmi l’ensemble
des instituteurs en exercice
|
1965/1966
|
19%
|
1969/1970
|
21%
|
2005/2006
|
36%
|
Le débat se poursuit jusqu’à
ce jour entre les partisans des écoles normales
qui affichent leur position avec une
certaine nostalgie, après plus de 20 ans sur la disparition de ces
institutions et les autres qui affirment
que l'ère des écoles normales
fait partie définitivement
d’un passé .
Conclusion
Les
écoles normales des institutrices et des instituteurs ont joué un rôle très important dans la formation de plusieurs
générations d'instituteurs et d’institutrices qui ont jeté les bases de l'école tunisienne depuis
l'indépendance, beaucoup d’entre eux ont
occupé des responsabilités supérieures au sein du ministère de l’éducation , la dernière
promotion de ces écoles est sortie à la fin de l'année scolaire
1991-1992 , alors que les écoles
normales avaient déjà cédé la place aux instituts
supérieurs de formation des maître depuis l'année scolaire 1989 - 1990.
Hédi
Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs généraux de l’éducation retraités
Brahim
ben Atig , professeur principal émérite
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2014/01/le-college-alaoui-la-premiere.html
[2] المصدر : محمود المسعدي : انبعاثنا
التربوي منذ الاستقلال – اصلاح التعليم و التخطيط التربوي – الديوان التربوي -1963
[3] Bousnina rapportait dans sa thèse que Messadi
avait prévu la satisfaction de tous les besoins en instituteurs à l’horizon de 1965 et le remplacement de tous les instituteurs
étrangers , ce ne fut pas le cas , et Bousnina qui fut chef de cabinet du
Ministre de l’éducation Idriss Guiga au début des années soixante dix explique dans
sa thèse les raisons de cela .
[5] Rapport de la commission sur l’enseignement
primaire , l’Action 4-6-1967 , Annuaire
de l’Afrique du nord ,VI-1967 , Edition du centre national de la
recherche scientifique, Paris 1977 ;
[7] Bilan
critique des politiques actuelles et des structures d’encadrement mise en œuvre
pour la formation et le recyclage des maîtres de l’enseignent primaire,
RTSE - Avril 1975- p 52.
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