dimanche 9 avril 2023

Remarques critiques… en marge du changement du système disciplinaire scolaire

 

 

Moncef Khemiri

Le
blog pédagogique  propose à ses lecteurs une réflexion  du professeur et ami Moncef Khemiri sur le système disciplinaire scolaire, qui a profité de l'occasion du démarrage des travaux au niveau du ministère de l'éducation qui visent à changer  un système disciplinaire scolaire qui date depuis 1991. Un système qui est " périmé" selon l'auteur car il a été " produit  dans des circonstances et un contexte caducs et d’un autre temps"… si bien qu'il n'est plus adapté aux évolutions du système éducatif actuel … en raison  de "ses lacunes, ses insuffisances et leur  impact sur ses  procédures et ses dispositions" comme l'a bien souligné l'auteur que nous remercions pour ces réflexions et pour la confiance qu'il a toujours accordée à notre blog.

 

Il semblerait que le ministère de l'éducation se penche durant cette période sur la révision du  système disciplinaire scolaire actuel en raison de son érosion et de son obsolescence face aux évolutions étonnantes quant aux comportements des élèves, au changement de leur profil et à l'accentuation de nombreux phénomènes émergents à l'intérieur et à l'extérieur du milieu scolaire, ainsi que sous le poids des évolutions rapides enregistrées dans le domaine du numérique moderne, ce qui affecte directement le rapport de l'élève à son environnement, à ses cours, à son école, à ses sources de distraction et aux moyens d'échapper à l'emprise de l'autorité sous ses diverses casquettes.

 

 

Notons d'emblée que l'unique texte officiel réglementant la question disciplinaire dans nos établissements scolaires  est la circulaire du ministre de l'éducation nationale datant du 1er octobre 1991, c'est-à-dire qu'il remonte à plus de trente ans (autrement dit, la loi qui a été appliquée à un élève des années 90, devenu depuis, un parent, est  toujours valable pour ses enfants aujourd'hui !). Je ne comprends pas ce qui a empêché environ 14 ministres de l'éducation qui se sont succédé  depuis 1991 d'apporter les modifications nécessaires sur une circulaire  produite  dans des circonstances et un contexte caducs et d’un autre temps ?

 

 

Je vais me contenter dans ce papier, de souligner les lacunes du régime actuel, ses insuffisances et leur  impact sur les  procédures et ses dispositions, sans traiter de ce que devrait être le régime attendu… compte tenu de la nature du contexte dans lequel ces quelques remarques critiques sont produites. Cependant, avant d'avancer quelques observations, je voudrais dire - pour éviter toutes mauvaises interprétations - que je ne prône pas une approche répressive stricte qui briserait les jeunes et leur inflige diverses sortes d'infirmités psychologiques et physiologiques, ni une approche laxiste qui met « les droits de l'enfant » au-dessus de toute autre considération et qui permettrait  toutes sortes de transgressions et d'errances ( L'errance est l'expression donnée  à une certaine époque par les médias maghrébins à l'hors jeu en football)... Car entre la première approche  et la seconde, il y a lieu de concevoir  un code de conduite souple sans laisser-aller, et ferme sans nuire en même temps.

 

Première observation  : Le discours adopté dans la rédaction du texte actuel relatif au système disciplinaire reprend, dans de nombreux endroits, des termes qui renvoient à un  registre répressif et pénal voire militaire des fois , tels que : mise en garde totale contre toute forme de paresse dans l'exercice de son devoir - s'apprivoiser  à l'effort, au sérieux dans le travail et à la discipline dans le comportement - prendre les mesures nécessaires - résister aux dérives malsaines- , recourir aux moyens de dissuasion-  arrêter l'élève et  le faire comparaitre devant le conseil - contrecarrer l'intention de tricher avant que cela  ne se produise -  conséquences désastreuses – interdiction  de continuer à passer l'examen -  condamnation d'un élève, etc... Ainsi  l'aspect  répressif  et dissuasif  l’emporte largement sur l'aspect éducatif et préventif. .

 

Deuxième observation  : En revanche, on ne trouve  pas dans le texte actuel  de traces  renvoyant au registre  ou au discours  moderniste  devenu fréquent  dans la plupart des systèmes éducatifs des pays  développés, tels que : l'accompagnement, la communication et le dialogue, le statut et les droits de l'élève , la gestion  des comportements dans l'espace scolaire (au lieu de la punition scolaire), la bonne conduite, l'égalité des chances et le vivre ensemble, l'encadrement, l'attention et l'écoute, la participation à la construction des règles de comportement et leur application par les éducateurs, la qualité des apprentissages, la bonne  tenue avec les élève, le respect de l'apprenant et la préservation de sa dignité, le traitement de l'apprenant comme un acteur digne de respect et de considération , assurer la protection de tous les élèves, fournir  aux élèves  les conditions de leur équilibre et de la joie d'apprendre… Ce sont autant d'expressions soucieuses  par une préoccupation commune : l'équilibre et la réussite de l'élève qui priment sur « le maintien de l'ordre, la discipline et la droiture ».

 

 

 

Troisième observation : Dans toutes nos familles, il n'y a pas un écrit qui définit les comportements ou une loi explicite qui réglemente les relations entre tous les membres de la famille. Tout est implicite et non annoncé, mais chacun connait très bien ses droits et ses devoirs  en relation à la droiture de la parole, la salubrité des espaces, le respect des parents, le rassemblement autour de la table de l'iftar en son temps, le contrôle du  ton de la voix et le respect du toit qui abrite la famille... Quant à l'espace scolaire, le tuteur signe au début de chaque année scolaire un règlement interne écrit.  Des codes de bonne conduite et des pactes du vivre ensemble sont affichés à chaque coin  de l'école et dans chaque salle de classe, et il existe des structures et des corps éducatifs qui garantissent la bonne application des procédures et des dispositions scolaires. .. Mais, personne n’en tient compte. Ici le mot clé, à mon sens, est « l'appartenance ». Le domicile  de nos élèves est leur maison parentale, l'école n'est pas la leur. Les frères sont « un grand soutien indéfectible »; quant aux pairs, ce sont des groupes temporaires pour les jeux et les amusements.

 

 Le père et la mère  sont les  symboles de la  sainteté et de la  vénération, quant aux professeurs  et aux instituteurs, la plupart d'entre eux ne sont que des "distributeurs automatiques" de notes et des ponts de passage purement utilitaires. Si nous appliquions  les lois « coutumières » de la famille à l'école et à la vie scolaire, notre école irait sans doute beaucoup mieux  et l'état de notre jeunesse serait meilleur.

 

 

Quatrième observation: le texte officiel  appliqué depuis  une génération et demie parle «  d'atteinte à l’un membre de la famille éducative » comme si on était en présence d'un corps homogène partageant des conceptions, des  visions et des perceptions de valeurs (par rapport à l'élève lui-même, à sa tenue, à sa conduite, à son discours, et à ses comportements parfois décalés…). Il parle aussi de « dérives  », comme s'il existait un consensus naturel sur la définition des dérives, des mauvaises conduites, du manque de respect, des abus… C'est une insistance à maintenir délibérément le flou et l'implicite et à éviter l'explicite afin d'adopter les sanctions au gré des  « membres de la famille éducative ».

 

Cinquième observation : Nous notons une insistance sur les infractions et les transgressions qui nécessitent la tenue du Conseil d'éducation et du Conseil de discipline, à l'opposé, nous observons  un « mutisme »,une « négligence » ou  une « absence d'intérêt  » pour les fautes mineures ou les erreurs légères et sans grande gravité, mais cette longue série de fautes mineures, qui ne sont pas « traitées » à temps se transforment, au bout d'un certain temps , en de graves infractions. Ce fait nous renvoie à la théorie des "vitres brisées des fenêtres", qui affirme que " ne pas réparer un seul  carré de verre  brisé dans un quartier conduit nécessairement au  bris  du reste des carrés de verre." Par conséquent, il devient possible de contenir les infractions graves en sanctionnant  les infractions mineures.

 

Sixième observation : Il y a des lacunes évidentes, compte tenu des transformations intervenues au cours des décennies précédentes qui ne pouvaient être prises en considération par le texte de 1991 comme la cybercriminalité (harcèlement, brimades, arnaques... sur les réseaux sociaux), le fait de circonscrire  les manifestations  de l'addiction et de la violence endémique  en milieu scolaire et aux abords des écoles, l'usage du téléphone portable dans l'espace scolaire et éducatif, etc...

 

Une dernière observation: l'absence de toute référence au système d'évaluation actuel, notamment en rapport aux élèves menacés de décrochage ou mal classés. De nombreux observateurs, qui s'intéressent à la question disciplinaire en milieu scolaire, pensent  que les "résultats scolaires négatifs" sont souvent perçus  par les élèves concernés comme quelque chose  d'humiliant et de dégradant pour leur dignité, ce qui les pousse à la faute et à la délinquance.

 

  Moncef Khemiri, conseiller général  en information et en orientation scolaire et universitaire 

Tunis, 20 février 2023

Traduction Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation

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