dimanche 17 décembre 2023

Histoire des consultations dans le domaine de l’éducation en Tunisie

 

Hédi Bouhouch

Le ministère de l’Éducation nationale a lancé, à la rentrée scolaire 2023-2024, une consultation nationale sur l’avenir de l’éducation et de la formation en Tunisie. Il ne s'agit pas de  la première consultation dans l’histoire du système éducatif tunisien
.

La consultation est un outil très important qui pourrait  aider à évaluer la situation du système  et à concevoir un plan pour le réformer et lui donner plus d’efficience et d’efficacité.


 A cette occasion, le blog pédagogique a voulu faire un aperçu de l’historique des consultations que le système éducatif tunisien a connues au cours de ces dernières décennies.

 

 1-1962: La plus ancienne consultation

Quatre ans après le lancement de la réforme de 1958, le secrétariat de l'éducation nationale avait  décidé d’organiser une consultation qui a duré un mois sur l’enseignement primaire (du 20 mars au 20 mai 1962).

a)      Objectifs de la consultation

Cette consultation visait, à travers le recueil des avis des instituteurs en tant que responsables de l'application de la réforme de 1958, à atteindre deux objectifs : Le premier objectif était l'établissement d'un diagnostic de la situation. Pour ce faire la consultation s’est intéressée à recueillir les avis des instituteurs sur le contenu des programmes, l'horaire, les méthodes et les styles inclus dans les directives officielles et sur les résultats obtenus. Le cas échéant, la consultation a porté  aussi sur les difficultés rencontrées par les enseignants.

Le deuxième objectif de la consultation était de connaitre les propositions des enseignants qui contribueraient à améliorer la situation éducative.

b)     Les techniques utilisées par la consultation

Dans cette consultation, le secrétariat d’état avait opté pour la technique du questionnaire. C'est ainsi qu'un questionnaire a été adressé à 968 instituteurs sélectionnés parmi les plus compétents, qui sont en mesure de donner des opinions valables et pertinentes, basées sur une expérience perspicace.

Les questionnaires remplis par les instituteurs ont été adressés aux différentes  inspections des écoles primaires. Chaque inspecteur était chargé de préparer un rapport de synthèse qu'il devait adresser aux services centraux.

c)      Résultats de la consultation

L'étude des rapports parvenus des différentes régions  a montré qu'il n'y avait ni une remise en question ni une contestation de la conception de l’école primaire ou de sa structure actuelle. Mais les enseignants se sont souvent limités à proposer des aménagements d’importance variable, ou des mesures pour remédier aux lacunes pédagogiques et d'autres qui concernent les moyens. Tout cela pour améliorer les conditions de travail dans le but de relever l'efficacité de l'enseignement.[1]

  2-1987 : Consultation sur le système d’évaluation des élèves

Participation des élèves et des enseignants, mais malheureusement, nous n'avons pas trouvé de traces sur cette consultation.

  3-1988 : Consultation sur un nouveau projet de loi de l'éducation (le ministre Tijani  Chelly et son successeur, le ministre Mohammad Hédi Khlil(.

a)      L'objectif de la consultation

Après le 7 novembre 1987, le ministère de l'éducation a commencé à réfléchir sur une réforme radicale du système éducatif tunisien après la période de stagnation  des années soixante dix et quatre vingt.  Pour cela, une  commission  nationale fut chargée de mener une réflexion sur le sujet. En janvier 1988, la commission  publie un document intitulé « les grandes orientations pour la réforme du système éducatif : les principes de base – les voies et les moyens -  la loi d'orientation.

Suite à cela, il a été décidé de soumettre ce document à une consultation nationale. A cet effet, une réunion  des directeurs régionaux de l'enseignement secondaire et des délégués régionaux de l'enseignement primaire a été organisée le 23 février sous la présidence du Ministre.

Au cours de la réunion, le ministre a passé en revue les principaux  thèmes du document qui feront l'objet de la consultation. Il a insisté  sur l'importance de la consultation, soulignant ses dimensions et son impact sur la réforme future. Le ministre avait rappelé «qu'il est  inconcevable que certains aspects négatifs persistent encore dans notre système éducatif après une période  aussi longue depuis l'indépendance, et qu'il est  temps de réfléchir sérieusement sur l'avenir de ce secteur sensible et de reconsidérer son organisation  dans le but de le réformer, de le rendre plus efficient et  plus efficace pour  atteindre trois objectifs :

-         réduire le nombre d’abandons scolaires,

-         assurer l’éducation de tous les enfants jusqu’à l’âge de 15 ou 16 ans pour enrayer l’analphabétisme,

-         relever le niveau d’éducation.

b)     les techniques utilisées  pour la  consultation

La consultation concernait le personnel éducatif (instituteurs, professeurs, directeurs et inspecteurs), les parents, toutes les parties concernées par le secteur éducatif et certaines organisations nationales.

La consultation a adopté deux mécanismes de base :

-  le dialogue dans les écoles et les lycées.

- un questionnaire destiné au cadre d'inspection.

   Tout cela aboutit à deux rapports au niveau régional (l'un pour l'enseignement primaire et l'autre pour l'enseignement secondaire), adressés à la Commission nationale  de réflexion sur le système éducatif, qui a entrepris l'étude des différents rapports et la préparation du rapport national sur la réforme éducative.

c)      Le résultat de la consultation

  Les rapports régionaux ont montré qu'il existe un consensus sur la nécessité de réformer le système éducatif et d'adopter une nouvelle loi sur l'éducation pour remplacer la loi du 4 novembre 1958. Ils ont souligné la nécessité de chercher à surmonter les aspects négatifs qui ont caractérisé le système éducatif et ont limité son efficacité. Cependant, la plupart des rapports n'avaient pas suivi une méthodologie scientifique reposant sur l'extrapolation, l'investigation et les données statistiques. L'évaluation était plutôt basée principalement sur des impressions et les opinions courantes.

4-1999 : Consultation nationale sur l'école de demain  et les étapes de sa réalisation (Ministres Ridha Firchoui  et Abderrahim Zouari(.

En 1999, une nouvelle consultation nationale a eu lieu, huit ans après la promulgation de la réforme de 1991.

a)      L'objectif  de la consultation

L'objectif de cette consultation était de réfléchir aux caractéristiques de « l'école de demain » imposée par les transformations que connaît le monde, car il clair que « le monde de demain sera essentiellement le monde de l'intelligence humaine, dans lequel la résilience des peuples se mesurera à leur capacité à adopter les fondements des sciences modernes et à maîtriser ses technologies«.[2]

b)     Les techniques adoptées par la consultation

La consultation a utilisé la technique des réunions  de dialogue au niveau régional. Lancées en avril 1999, ces réunions ,présidées par des membres du gouvernement et des hauts responsables du ministères de l'éducation,  ont vu la participation de « plus de 20 000 participants». (Il semble que ce chiffre a été gonflé).

Les réunions ont traité les thèmes suivants proposés par la  commission nationale  

- L’Ecole de demain : sa mission et son organisation.

- L’Ecole de demain et les nouvelles technologies.

- L’école de demain et l’environnement économique et social.

-La qualification des enseignants de  l'école de demain.

c)      Les résultats de la consultation

Chaque région a préparé son rapport et l'a adressé à la commission  nationale, qui a en a fait une synthèse qu’elle a envoyée à la Présidence de la République et qui a conduit à l'élaboration du programme de l'École de demain, publié en 2002.

5-2001 : La première consultation sur le rythme scolaire (Ministre Moncer Rouissi)

Le 16 juillet 2001, le Président de la République a annoncé, dans son discours à l'occasion de la Journée du savoir, la décision d'organiser une large consultation nationale sur le rythme scolaire auprès des enseignants, des parents et de tous les établissements d'enseignement public et privé.

a)      L'objectif de la consultation

Selon le discours du Président de la République, l'objectif de la consultation était « de concevoir une nouvelle organisation qui réalise un équilibre entre le temps scolaire, les examens et le temps de repos et de divertissement, et d'établir les éléments d'une vie scolaire équilibrée qui garantit de bonnes conditions d’étude et l’établissement de relations de dialogue et de coopération au sein de l’espace scolaire.»

b)     Les techniques utilisées par la consultation

  Le Centre National de l'innovation Pédagogique et de la Recherche en Education (CNIPRE) a été chargé de réaliser la consultation. Pour ce faire le centre avait élaboré un questionnaire dont les principaux points portaient sur l'heure de début des cours du matin à l'école primaire, l'organisation annuelle des cours (régime trimestriel  ou régime semestriel), le système du contrôle continu (semaines bloquées et semi-ouvertes), et le système des vacances scolaires (durées et dates).

c)      Le résultat de la consultation

  La consultation a révélé :

1- un accord complet sur trois questions :

* L'heure de début de la journée scolaire dans les écoles primaires (8h00 au lieu de 7h30)

* Le nombre de jours de cours par semaine dans les écoles primaires (la semaine avec cinq jours d'école et deux jours de repos(.

* L’adoption d'un système de la séance unique le matin ou l'après midi dans les écoles primaires.

 2- un accord partiel sur :

* le régime semestriel avec la semaine bloquée,

* une organisation du temps des études et celui des vacances selon la formule de sept semaines d'études suivies de deux semaines de congé, (la formule 7/2)

Le ministère avait mis en application les mesures qui ont fait l'objet d'un consensus et qui concernent l'école primaire au cours de l'année scolaire 2002/2003. Les nouvelles mesures ont fait l'objet d'une évaluation à la fin de l'année qui a montré qu'il y avait :

- une quasi unanimité sur les bienfaits du démarrage des cours à 8 heures du matin.

- une totale unanimité autour de la semaine de 5 jours, avec la liberté de l'école quant au choix de la 2ème journée de congé en fonction de son environnement.

- une satisfaction pour la séance unique de la matinée, mais non pour la séance de l'après midi.

- Enfin, une unanimité totale autour de la réduction des heures de cours hebdomadaire.

Et, contrairement à l'école primaire, la consultation n'a pas dégagé de consensus au niveau du 2ème cycle de l'école de base ( les collèges)  et  de l'enseignement secondaire, d'où le statu quo.

6- 2009 : La 2ème consultation sur le rythme scolaire (le ministre Hatem Ben Salem).

Dans le cadre de l'évaluation du système éducatif, le ministre Hatem Ben Salem a constitué une commission mixte constituée de membres de la chambre des députés et de la chambre des conseillers, c'est dans ce cadre qu'une consultation nationale sur les rythmes scolaire fut organisée.

a)   Objectif de la consultation

Revoir le rythme scolaire de façon à concilier apprentissage et loisirs. Pour cela le ministère avait posé la question suivante : Pensez-vous que les horaires hebdomadaires des collèges et des lycées sont  élevés.

b)   Les techniques utilisées

Le ministère avait utilisé le portail EDUNET pour recueillir les avis au sujet des horaires de cours à l'aide d'un questionnaire. 

c)    Les résultats de la consultation

Environ six mille personnes (6038) avaient participé au sondage, 82.35% avaient estimé que les horaires sont élevés.

Une consultation plus large organisée par le ministère en coordination avec les syndicats (nous manquons d'informations sur elle) a permis de dégager plusieurs mesures relatives au rythme scolaire pour l'enseignement de base. Parmi ces mesures, nous citons l'adoption :

- de l'année scolaire de 33 semaines et 800 heures de cours dont 80 heures pour le renforcement.

- d'un horaire hebdomadaire de 22 h, 24h et 26 h selon le niveau,

- la semaine de 5 jours,

- le découpage de l'année scolaire en 4 périodes séparées d'un congé de deux semaines.

- la réservation d'un temps fixe pour les activités culturelles et le loisir.

 

7- 2012 :  La consultation nationale sur la réforme du système éducatif (Ministre Abdellatif Abid)

Conformément aux recommandations de la conférence nationale tenue les 29, 30 et 31 mars 2012, le ministère de l'éducation nationale a commencé à organiser une consultation nationale sur la réforme du système éducatif, en commençant par les enseignants du primaire. La consultation devrait toucher ensuite les enseignants des collèges et des lycées et tous les acteurs du secteur éducatif, y compris les assistants pédagogiques, les conseillers d'orientation, les inspecteurs, les directeurs des établissements primaires et secondaires, le cadre administratif, les syndicats, les partis politiques, les universitaires, et les associations de la société civile concernées par l’éducation.

La consultation des enseignants du primaire avait démarré le lundi 18 juin 2012

a)      L'objectif de la consultation  

Selon la circulaire qui a annoncé le démarrage de la consultation, celle-ci visait à « établir des traditions de participation efficace à la construction d’un nouveau système éducatif basé sur le consensus, qui inclut la diversité et la différence, et à établir une véritable réforme éducative». La consultation devrait porter sur 3 thèmes : l'éducation en Tunisie, l'enseignement primaire et la situation de l'école primaire.

b)     Les techniques de la consultation

Il s'agit d'organiser des débats dans chaque école primaire, auxquels participent les enseignants. Chaque débat doit  donner lieu à un rapport qui sera  adressé à  l'inspecteur. Une fois que les rapports de toutes les écoles lui parviennent, il les  transmet à la délégation régionale qui les remet à la commission régionale sectorielle pour consultation, qui est chargée de rédiger le  rapport de la région qui remonte au président de la Commission Nationale Sectorielle de la consultation des Enseignants du Primaire) afin de l'étudier et de préparer le  rapport final.

c)      Résultat de la consultation

La consultation n'a pas été achevée et les résultats de la première partie qui concerne les enseignants du primaire, n'ont pas été publiés en raison du départ du ministre qui avait initié le projet au mois de mars 2013.

7- 2016 : Consultation autour de la proposition de modification du rythme scolaire (Ministre Naji Jalloul)

Le 19 février 2016, le ministre Naji Jalloul a annoncé le lancement d'une consultation nationale sur un nouveau  projet du rythme scolaire en raison de ce qu'il considérait comme des aspects négatifs du temps scolaire en vigueur à cette époque, qu'il qualifiait d'étrange. En effet, l'élève  tunisien est celui qui a le moins de jours de cours au monde, et en revanche, il est astreint à la journée  la plus longue.

a)      L'objectif de la consultation

 Adopter une nouvelle organisation du rythme scolaire qui entrera en vigueur à compter de l'année scolaire 2016-2017.

b)      Les techniques de la consultation  

La consultation s'est appuyée sur les nouvelles technologies de communication. Le ministère a invité les enseignants, les parents et les élèves à accéder au site de la consultation et remplir tous les champs afin de permettre au ministère d'exploiter les données contenues dans le questionnaire susmentionné pour concevoir les grandes lignes du  nouveau rythme scolaire.

c)       Résultat de la consultation(le ministre Naji Jalloul).

Le 23 juillet 2016, la Secrétaire Générale Adjointe du Syndicat Général de l'Enseignement Secondaire et membre de la Commission du temps Scolaire issue du Dialogue National pour la Réforme du Système Éducatif, a dévoilé les caractéristiques du  nouveau rythme scolaire, notamment l'adoption du régime semestriel et 5 semaines de cours suivies d'une semaine de vacances  ( 5/1) et d'une vacance  de deux semaines en à la fin du 1er semestre.

Au début de l'année scolaire 2016/2017, la nouvelle organisation du temps scolaire est entrée en vigueur après l'approbation de la commission de la réforme du système éducatif, mais cela a provoqué de nombreux désaccords avec les syndicats de l'enseignement de base et secondaire (bien qu'ils fussent représentés dans ladite commission) et des protestations des parents, notamment concernant la date de la rentrée scolaire et  les dates des petites vacances qui ne coïncidaient pas avec celles de  l'enseignement supérieur.

Après que Néji Jalloul ait quitté le ministère - sous la pression des syndicats – son successeur  Hatem Ben Salem a  fait marche arrière et a rétabli l'ancienne organisation.

8- 2023: La consultation nationale sur la réforme de l'éducation (Ministre Mohammad Ali Boughdiri(

A suivre 

Fin de la partie historique, à suivre avec la dernière consultation en date (15 septembre – 15 décembre 2023).

Mongi Akrout &  Abdessalem Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation retraités.

Tunis, décembre 2023

Pour accéder à la version Ar,Cliquer ICI

 



[1]  - Le secrétariat de l'éducation nationale. Rapport sur la situation de l'enseignement 4 ans d'application de la réforme de 1958, document ronéotypé.

[2] Rapport manuscrit de la commission nationale

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